Renseignement

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi relatif au renseignement. Retrouvez ci-dessous l'analyse juridique que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

CONSEIL D’ÉTAT
Assemblée générale
Séance du jeudi 12 mars 2015
Section de l’intérieur
Section de l’administration
N° 389.754

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS
AVIS SUR UN PROJET DE LOI relatif au renseignement

  1. Le Conseil d’État a été saisi le 20 février 2015 et le 5 mars 2015 du projet de loi relatif au renseignement.

  2. Ce projet de loi définit la mission des services spécialisés de renseignement et les conditions dans lesquelles ces services peuvent être autorisés, pour le recueil de renseignements relatifs à des intérêts publics limitativement énumérés, à recourir à des techniques portant sur l’accès administratif aux données de connexion, les interceptions de sécurité, la localisation, la sonorisation de certains lieux et véhicules, la captation d’images et de données informatiques, enfin à des mesures de surveillance internationale.

Il instaure pour l’ensemble de ces techniques, à l’exception des mesures de surveillance internationale, un régime d’autorisation préalable du Premier ministre après avis et sous le contrôle d’une autorité administrative indépendante dénommée « Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement », qui pourra recevoir des réclamations de toute personne y ayant un intérêt direct et personnel. Il fixe les durées de conservation des données collectées.
Il prévoit un régime spécifique d’autorisation et de contrôle pour les mesures de surveillance et de contrôle des transmissions émises ou reçues à l’étranger.
Il institue un recours juridictionnel devant le Conseil d’État ouvert à toute personne y ayant un intérêt direct et personnel, ainsi qu’à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, tout en prévoyant des règles procédurales dérogatoires destinées à préserver le secret de la défense nationale.

3. Le Conseil d’État a veillé à ce que soient conciliées les nécessités propres aux objectifs poursuivis, notamment celui de la protection de la sécurité nationale, et le respect de la vie privée protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il s’est attaché à préciser et renforcer les garanties nécessaires à la mise en œuvre des techniques de renseignement, tenant en particulier à l’existence, d’une part, d’un contrôle administratif s’exerçant au moment de l’autorisation et en cours d’exécution, d’autre part, s’agissant d’une procédure administrative spéciale, d’un contrôle juridictionnel approfondi du Conseil d’État statuant au contentieux.
4. Dès lors, le projet de loi n’appelle pas d’autre observation, de la part du Conseil d’État, que les remarques suivantes.

Sur les finalités permettant de recourir aux techniques de recueil des renseignements

5. La définition limitative et précise des finalités permettant de recourir aux techniques de renseignement prévues par le projet de loi, dont certaines portent une atteinte forte à la vie privée, constitue la principale garantie que ces techniques ne seront mises en œuvre que pour des motifs légitimes. Ces finalités doivent donc être énoncées en termes précis permettant de garantir l’effectivité des différents contrôles prévus par le projet de loi en écartant des formulations dont les contours sont incertains. Il apparaît utile à cet égard de se référer aux finalités actuellement prévues par l’article L. 241-2 du code de la sécurité intérieure issu de la loi de 1991 pour l’autorisation des interceptions de correspondances, telles qu’elles ont été interprétées par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, et de compléter ces finalités pour tenir compte de l’ensemble des intérêts publics justifiant l’utilisation des nouvelles techniques prévues. Après avoir relevé que chaque service concerné ne pourra invoquer que des finalités entrant dans le champ de ses missions, le Conseil d’État, prenant acte du choix du Gouvernement de définir une liste unique de finalités applicable sur le territoire national comme à l’étranger, a retenu l’énumération suivante :
a) La sécurité nationale ;
b) Les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France ;
c) Les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ;
d) La prévention du terrorisme ;
e) La prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous en application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
f) La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
g) La prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.

Sur la procédure d’autorisation de mise en œuvre des techniques de recueil des renseignements

6. L’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement constituant l’une des garanties essentielles entourant le recours aux techniques prévues, le Conseil d’État a relevé qu’il ne pourrait être dérogé à son caractère préalable qu’en cas d’urgence absolue.
Il a par ailleurs admis, pour deux seulement des techniques prévues (dispositif permettant la localisation en temps réel d’une personne, d’un véhicule ou d’un objet et dispositif de proximité destiné à recueillir des données de connexion ou des correspondances), qu’elles puissent être mises en œuvre sans autorisation préalable en cas d’urgence, sous réserve de régularisation dans les 48 heures.
Il a en outre estimé nécessaire que le projet de loi confie au Premier ministre le soin d’organiser la centralisation des données collectées au moyen des techniques de recueil des renseignements, seule à même de permettre l’organisation d’un contrôle effectif du respect du cadre légal.
Le Conseil d’État a enfin souhaité que la durée de conservation des données collectées soit proportionnée à leur nature. Si, conformément à son avis du 3 juillet 2014 sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, il a estimé possible de porter de 10 à 30 jours le délai de conservation des correspondances enregistrées, il a jugé nécessaire que ce délai commence à courir comme aujourd’hui à compter du recueil des correspondances et non de leur première exploitation.

Sur les techniques susceptibles d’être utilisées à destination de personnes, véhicules ou lieux sur le territoire national

7. Le Conseil d’État a estimé qu’au regard du principe de proportionnalité, les techniques de recueil du renseignement portant le plus atteinte à la vie privée (captation, transmission et enregistrement de sons et d’images, captation de données informatiques, introduction dans des lieux privés ou des véhicules pour y placer des dispositifs techniques) devaient être entourées de garanties renforcées : utilisation dans les seuls cas où les renseignements ne peuvent être recueillis par d’autres moyens (subsidiarité), obligation de motivation renforcée de la demande, autorisation pour une durée plus limitée que la durée de quatre mois prévue en général pour les autres techniques (30 jours pour l’introduction dans des lieux privés ou des véhicules), mise en œuvre des opérations par des agents individuellement désignés et dûment habilités appartenant à un nombre limité de services.
Il a également encadré les conditions du recours aux dispositifs techniques de proximité permettant de recueillir des données techniques de connexion et de localisation d’équipements terminaux et, dans certaines hypothèses très limitées, d’intercepter directement des correspondances. Il a limité à six mois la possibilité d’utiliser ces dispositifs sur la base d’une autorisation portant sur un service, des lieux et une période déterminés et à 72 heures la validité de l’autorisation permettant d’intercepter des correspondances.

Sur les mesures de surveillance internationale

8. Les mesures prévues pour assurer la surveillance et le contrôle des transmissions émises ou reçues à l’étranger définissent un régime juridique particulier, différent de celui applicable aux interceptions de sécurité effectuées sur le territoire national mais cependant encadré par la loi et soumis à des conditions particulières : d’une part, les finalités de ces mesures sont définies par la loi ; d’autre part, les mesures seront subordonnées à une double autorisation du Premier ministre, l’une pour l’interception des communications, l’autre pour l’exploitation des correspondances ; enfin, un décret publié définira les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des données ainsi que la procédure d'autorisation d'exploitation des correspondances.
Le Conseil d’État est d’avis que ces dispositions remplissent les exigences de prévisibilité de la loi découlant de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sont assorties des garanties suffisantes et restent proportionnées au but poursuivi.
A cet égard, il note que :
- si les communications renvoient à des numéros d’abonnement ou à des identifiants rattachables au territoire national ou à des personnes surveillées en application des dispositions de l’article L. 852-1, elles seront conservées et détruites dans les conditions de droit commun sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ;
- de sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne y ayant un intérêt direct et personnel, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement s’assurera du respect des règles et garanties prévues en la matière.
Le Conseil d’État a par ailleurs admis qu’eu égard aux impératifs de la défense et de la sécurité nationale et pour assurer la protection des intérêts publics mentionnés à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, il était constitutionnellement possible d’instituer un régime d’exonération pénale autorisant les agents habilités des services de renseignement à exécuter des actions offensives contre certains systèmes de traitement automatisés de données.

Sur la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

9. Dès lors que cette commission constitue l’une des garanties essentielles entourant la mise en œuvre des techniques de renseignement énumérées dans le projet de loi, sa composition, ses missions et ses règles déontologiques doivent être définies de manière à garantir l’effectivité de son contrôle. Aussi le Conseil d’État a-t-il jugé préférable de retenir un texte prévoyant une composition resserrée de cinq personnalités indépendantes et disponibles et une présidence à temps plein et permettant une présence suffisante, parmi les membres de la commission comme au sein de ses services, de personnes possédant des qualifications idoines en matière de réseaux de communications et de protection des données personnelles.

Sur le contrôle juridictionnel

10. La mise en œuvre des techniques prévues par le projet de loi relevant de la police administrative, la juridiction administrative est compétente pour connaître des litiges relatifs à celle-ci. Le recours prévu directement devant le Conseil d’État, ouvert à toute personne y ayant un intérêt personnel et direct, ainsi qu’à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, permettra à la juridiction d’exercer un contrôle complet sur la procédure suivie et, pour ce faire, d’accéder à l’ensemble des pièces nécessaires au jugement du litige, ses membres étant habilités au secret de la défense nationale. La procédure sera entièrement contradictoire à l’égard de la Commission nationale de contrôle, elle-même habilitée au secret de la défense nationale. La formation de jugement pourra soulever d’office tout moyen. En cas d’irrégularité dans la mise en œuvre d’une technique de recueil du renseignement, la formation de jugement pourra annuler l’autorisation et ordonner la destruction des données collectées. Elle pourra indemniser le requérant. Au regard de ces garanties, le Conseil d’État a estimé possible d’adapter les exigences de la publicité de l’audience et du caractère contradictoire de la procédure à celles du secret de la défense nationale, dès lors qu’il s’agit d’apprécier la régularité et le bien-fondé du recours à des techniques qui n’ont d’utilité, dans l’activité de renseignement comme en matière de police judiciaire, que si elles sont mises en œuvre à l’insu des intéressés.
Le Conseil d’État a par ailleurs estimé préférable, tant pour des raisons de bonne administration de la justice que pour renforcer l’effectivité des recours (en permettant de s’y associer à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, à l’égard de laquelle la procédure sera pleinement contradictoire) qu’un recours juridictionnel soit précédé d’une réclamation obligatoire devant cette Commission.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 12 mars 2015.