Ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Retrouvez ci-dessous l'analyse juridique que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

CONS E I L  D ’ ÉTAT
Assemblée générale
Section de l’intérieur
Séance du jeudi 30 juillet 2015

N° 390.268

EXTRAIT DU REGISTRES DES DÉLIBÉRATIONS

AVIS SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

1. Le Conseil d’État a été saisi le 24 juin 2015 d’un projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le projet comporte un article unique insérant dans la Constitution un article 53-3 autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992 et signée par la France le 7 mai 1999.

2. Le Conseil d’État n’a pu donner un avis favorable à ce texte pour les raisons suivantes.

3. Le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 que la partie II de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, rapprochée de son préambule, « confère  des  droits  spécifiques  à  des  « groupes »  de  locuteurs  de  langues  régionales  ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées et que ses dispositions « tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français » dans la « vie privée » comme dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les « autorités administratives et services publics ». Il en a déduit qu’en adhérant à la Charte, la France méconnaîtrait les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi, d’unicité du peuple français et d’usage officiel de la langue française.

4. Saisi d’une modification de la Constitution permettant la ratification de la Charte, qui figurait dans le projet de loi constitutionnelle portant renouveau de la vie démocratique, le Conseil d’État s’est fondé dans son avis du 7 mars 2013 sur le fait que, loin de déroger ponctuellement, comme le  constituant  a  pu  le  faire  dans  le  passé,  à  telle  règle  ou  tel  principe  faisant  obstacle  à l’application d’un engagement de la France, la faculté de ratifier la Charte donnée par la nouvelle disposition constitutionnelle aurait introduit dans la Constitution une incohérence entre, d’une part, les  articles 1er,  2  et 3 qui affirment les  principes constitutionnels mentionnés dans la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 et sont un fondement du pacte social dans notre pays et, d’autre part, la disposition nouvelle qui aurait permis la ratification de la Charte.

5 Le Conseil d’État a vérifié si le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires dont le Gouvernement l’a saisi permettait de lever ces objections en précisant, dans l’article 53-3 que le projet propose d’insérer dans la Constitution, que l’autorisation de ratification s’applique à la Charte européenne des langues régionales et minoritaires « complétée par la déclaration interprétative du 7 mai 1999 ».

6. En signant la Charte, le 7 mai 1999, la France a annoncé « envisager de formuler dans son instrument de ratification », une déclaration affirmant notamment qu’elle interprétait ce texte comme ne conférant pas de droits collectifs aux locuteurs des langues régionales et minoritaires et n’allant pas à l’encontre du principe d’usage officiel du français énoncé par l’article 2 de la Constitution. Cette déclaration contredit l’objet de la Charte qui vise, dans des stipulations qui, en vertu de l’article 21 de ce traité, ne peuvent faire l’objet de réserves, à donner des droits aux groupes  de  locuteurs  de  langues  régionales  ou  minoritaires  et  à  permettre  à  ces  locuteurs d’utiliser leur langue dans la sphère publique. Sa mention dans la Constitution aurait une double conséquence. En premier lieu, la référence à deux textes, la Charte et la déclaration, difficilement compatibles entre eux, y introduirait une contradiction interne génératrice d’insécurité juridique. En  second  lieu,  elle  produirait  une  contradiction  entre  l’ordre  juridique  interne  et  l’ordre juridique international, exposant tant à des incertitudes dans les procédures contentieuses nationales qu’à des critiques émanant des organes du Conseil de l’Europe chargés du contrôle de l’application de la Charte en application de sa partie IV.

7. Tout en rappelant qu’il n’existe pas de principes de niveau supra-constitutionnel au regard desquels pourrait être appréciée une révision de la Constitution, le Conseil d’État ne peut que constater  que  le  projet  qui  lui  est  soumis  ne  permet  pas  d’atteindre  l’objectif  que  le Gouvernement s’est fixé.

Cet  avis  a  été  délibéré  par  l’assemblée  générale  du  Conseil  d’État  dans  sa  séance  du jeudi 30  juillet 2015.