Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État portant sur un projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

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CONSEIL D’ÉTAT
Assemblée générale
Assemblée générale du jeudi 19 avril 2018 et du jeudi 26 avril 2018
Section sociale
Section de l'administration  
N° 394.596
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

1. Le Conseil d’État a été saisi le 22 mars 2018 d’un projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Ce projet de loi a été modifié par cinq saisines rectificatives reçues les 30 mars, 5 avril, 10 avril, 13 avril et 18 avril 2018.

Sur la présentation générale

2. Le projet comprend 67 articles. Il est organisé en trois titres.

Le titre Ier« Vers une nouvelle société de compétences » comporte les mesures réformant la formation professionnelle et l’apprentissage, leurs modalités, leur gouvernance et leur financement.

Le titre II « Une indemnisation du chômage plus universelle et plus juste » est consacré aux dispositions relatives aux droits à l’assurance chômage et à son financement ainsi qu’à la gouvernance de Pôle Emploi.

Le titre III « Dispositions relatives à l’emploi » rassemble, enfin, diverses dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés et l’accès des personnes handicapées aux œuvres intellectuelles et aux services de communication en ligne, le détachement de travailleurs étrangers et la lutte contre le travail illégal. Le titre contient également des dispositions relatives au placement des fonctionnaires en position de disponibilité pour exercer une activité professionnelle dans le secteur privé.

3. Dans sa version initiale, l’étude d’impact est apparue, sur certains points, lacunaire ou insuffisante au regard des prescriptions de la loi organique du 15 avril 2009.

A la suite d’observations du Conseil d’État, le Gouvernement a complété et approfondi l’étude d’impact initiale sur les points suivants : la réforme de l’apprentissage, les nouvelles modalités de financement de la formation professionnelle et les nouveaux droits en matière d’indemnisation du chômage.

Sur les concertations et consultations préalables

4. En application de l’article L. 1 du code du travail aux termes duquel : « Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation », le Gouvernement a transmis aux partenaires sociaux, en novembre 2017, un document d’orientation exposant les objectifs qu’il s’assigne en matière de formation professionnelle, d’apprentissage et d’indemnisation du chômage et qu’il avait présentés dans le programme de travail pour rénover notre modèle social du 6 juin 2017.

Dans ce cadre, les partenaires sociaux ont conclu, le 22 février 2018, deux accords nationaux interprofessionnels portant respectivement sur l’accompagnement des évolutions professionnelles, l’investissement dans les compétences et le développement de l’alternance et sur la réforme de l’assurance chômage.

Le projet de loi reprend en partie le contenu de ces accords tout en y ajoutant, ainsi que le permet la Constitution, des dispositions distinctes correspondant aux objectifs de réforme du Gouvernement.

S’agissant du titre III du projet, d’une part, les partenaires sociaux ont décliné la proposition du Gouvernement d’engager une négociation sur le thème de l’égalité professionnelle femme-homme après la présentation des mesures envisagées le 7 mars dernier et, d’autre part, les sujets concernant le détachement et la lutte contre le travail illégal ne relèvent pas du champ de la négociation interprofessionnelle prévue par l’article L. 1 précité.

5. Le Conseil d’État appelle l’attention du Gouvernement sur la circonstance que de nombreuses dispositions du projet sont de nature à affecter lors de leur mise en œuvre l’organisation d’établissements publics et de multiples organismes de droit privé compétents en matière d’emploi ou de formation professionnelle. Il appartiendra, en conséquence, au Gouvernement de demander aux responsables de ces établissements et organismes d’engager après le vote de la loi, selon les modalités et dans les délais prévus par le code du travail, la consultation des institutions représentatives du personnel compétentes de ces établissements et organismes.

6. Outre de nombreuses améliorations de rédaction qui s’expliquent d’elles-mêmes, ce projet de loi appelle, de la part du Conseil d’État, les observations suivantes.

Sur les droits des personnes en matière de formation

7. Les dispositions du projet procèdent à une rénovation d’ampleur du compte personnel de formation, effective à compter du 1er janvier 2019, qui trouve des répercussions sur le compte d’engagement citoyen.

8. Ouvert à tout actif de plus 16 ans, quel que soit son statut, le compte personnel de formation constitue un outil d’accès individuel à la formation professionnelle. Attaché à la personne et portable lorsqu’elle change de statut, il contient des droits à formation comptabilisés en heures, qui permettent à son titulaire de financer certaines formations, pour la plupart sanctionnées par l’obtention d’une certification ou d’une qualification professionnelle. Rechargeable, le compte des salariés, travailleurs indépendants et personnes handicapées accueillies dans un établissement ou service d’aide par le travail est alimenté chaque année dans la limite d’un plafond, les salariés les moins qualifiés bénéficiant d’une attribution majorée. En revanche, le compte des demandeurs d’emploi n’est pas crédité. Chaque titulaire d’un compte a connaissance du nombre d’heures qui y sont inscrites en accédant à un service dématérialisé gratuit, mis en œuvre par la Caisse des dépôts et consignations. Le compte personnel de formation s’inscrit dans le cadre plus large du compte personnel d’activité – dont l’objectif affirmé par le code du travail est de « renforcer l’autonomie et la liberté d’action de son titulaire et de sécuriser son parcours professionnel en supprimant les obstacles à la mobilité » – qui comprend aussi le compte professionnel de prévention et le compte d’engagement citoyen. Ce dernier permet d’acquérir également des droits à formation par la réalisation d’activités d’intérêt général.

9. Le projet de loi modifie, tout d’abord, l’unité de compte des droits inscrits au compte personnel de formation en remplaçant les heures par des euros, dans le triple objectif de favoriser une meilleure appropriation du dispositif par ses bénéficiaires, de mieux correspondre à une offre de formations davantage dispensées à distance ou de manière dématérialisée, qui répondent mal à une identification par la durée, et de mettre fin à l’inéquité résultant aujourd’hui de la variété des pratiques des financeurs du compte personnel de formation, qui tous ne valorisent pas l’heure de formation au même montant. Le Conseil d’État observe que le projet de loi prévoit la conversion en euros des heures inscrites sur les comptes personnels de formation avant l’entrée en vigueur de la loi, mais qu’aucune de ses dispositions ne prévoit de revalorisation régulière des montants acquis.

10. Le projet de loi fait ensuite évoluer les rythmes d’alimentation et les plafonds applicables aux droits inscrits sur les comptes personnels de formation, qui diffèrent selon les catégories de titulaires. Le montant de l’alimentation annuelle des comptes des salariés dont la qualification est inférieure au niveau V et le plafond de leurs droits sont supérieurs à ceux appliqués aux autres salariés. Les travailleurs indépendants et les personnes handicapées accueillies en établissements ou services d’aide par le travail verront leurs comptes alimentés selon des rythmes et dans la limite de plafonds propres, les premiers à due proportion de la durée de leur activité au cours de l’année, les seconds de manière forfaitaire. Le Conseil d’État estime que ces mesures ne présentent pas de difficultés juridiques.

11. Par ailleurs, le projet de loi prévoit que les salariés à temps partiel dont la durée annuelle de travail est inférieure à 50% de la durée légale ou conventionnelle du travail voient leur compte crédité d’un montant annuel calculé à due proportion du temps de travail effectué là où les salariés dont la durée annuelle de travail dépasse 50% de la durée légale ou conventionnelle du travail voient leur compte crédité d’un montant annuel forfaitaire, quelle que soit leur quotité de travail. L’étude d’impact indique que cette disposition poursuit deux objectifs : d’une part, renforcer l’accès des femmes à la formation professionnelle et, d’autre part, pallier les impacts d’un temps de travail à temps partiel très majoritairement subi.

Toutefois, le Conseil d’État observe que le premier objectif n’est atteint que de manière indirecte par le projet de loi. En effet, celui-ci renforce les droits acquis par tous les salariés qui travaillent plus de la moitié du temps de travail annuel, parce qu’il s’agirait majoritairement de femmes. Néanmoins, il ne favorise pas toutes les femmes, mais seulement celles qui travaillent plus de la moitié du temps de travail annuel. En outre, ainsi conçu, le mécanisme profite aussi, d’une part, aux hommes qui travaillent plus de la moitié du temps de travail annuel et, d’autre part, aux salariés, hommes ou femmes, qui travaillent à temps plein, mais dans le cadre de contrats à durée déterminée qui ne couvrent pas toute l’année.

En revanche, le projet de loi contribue bien au second objectif, d’abord, parce que les salariés qui travaillent plus de la moitié de la durée légale ou conventionnelle du travail au cours de l’année sont ceux dont l’absence de travail à temps complet est la plus subie et, ensuite, parce que cette situation, dans une certaine mesure, peut se résoudre via le renforcement de leur niveau de qualification. Si le Conseil d’État regrette que le seuil, placé à 50% de la durée légale ou conventionnelle de travail au cours de l’année, ne soit pas expliqué par l’étude d’impact, il l’estime indispensable dans son principe, lisible dans son niveau et aisé à mettre en œuvre.

Aussi, le Conseil d’État estime-t-il que cette disposition ne contrevient pas au principe constitutionnel d’égalité devant la loi.

12. En abandonnant le critère de l’inscription sur une liste établie par les partenaires sociaux aux niveaux national interprofessionnel, régional interprofessionnel ou des branches, qui prévalait pour une majorité des formations éligibles au compte, le projet de loi élargit le périmètre des formations éligibles, afin de renforcer la lisibilité du dispositif et de favoriser sa meilleure appropriation par ses bénéficiaires. Le Conseil d’État estime que cette mesure n’appelle pas d’observation.

13. Le projet de loi crée en outre un congé spécifique destiné au salarié qui met en œuvre un projet de transition professionnelle en utilisant les droits inscrits sur son compte personnel de formation pour financer une formation destinée à lui permettre de changer de métier ou de profession. Le Conseil d’État prend acte de la volonté du Gouvernement de proposer, par une saisine rectificative, une nouvelle économie générale de ce dispositif, dont il ressort que, pour que son projet soit pris en charge et son congé accordé, le salarié doit concevoir son projet avec un opérateur du conseil en évolution professionnelle, afin d’en renforcer la qualité. Ce conseil présente le projet à une commission du comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles regroupant les représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel et propose un plan de financement complémentaire lorsque les droits inscrits au compte de l’intéressé sont insuffisants. Cette commission, dont le périmètre est interprofessionnel, prend une décision sur la pertinence du projet ainsi que sur ses modalités de prise en charge financière. La décision d’autorisation du projet et de son financement revient à l’opérateur de compétences dont relève l’entreprise qui emploie le salarié. Ce dernier finance les droits inscrits au compte personnel de formation mobilisés pour acheter une formation au titre de ce « CPF-transition ». Il prend également en charge la rémunération versée au salarié le temps du congé, qu’il rembourse à l’employeur. Le Conseil d’État estime que les dispositions correspondantes ne présentent pas de difficulté juridique, mais il regrette que la commission chargée de statuer sur des projets individuels, qui ont vocation à être nombreux, ne soit pas dotée par le texte de moyens dédiés pour ce faire.

14. En conséquence de la création de ce nouveau congé, le projet de loi abroge le chapitre II du titre II du livre III de la sixième partie du code du travail dédié aux formations à l’initiative du salarié. Ce choix implique la suppression du congé individuel de formation, refondu dans le nouveau congé accordé au titre du « CPF transition » et, par voie de conséquence, celle des organismes paritaires agréés pour la prise en charge du congé individuel de formation. Il entraîne également la disparition du congé de bilan de compétences, du congé de formation pour les salariés de 25 ans et moins et du congé d’enseignement ou de recherche. Si la première n’appelle de sa part aucune observation, puisque le bilan de compétences peut être pris en charge par les droits inscrits au compte personnel de formation et que sa durée, très brève, peut entrer dans le cadre de l’autorisation d’absence prévue pour suivre une formation au titre du compte, le Conseil d’État regrette que l’opportunité des deux autres ne soit pas expliquée, en particulier dans l’étude d’impact qui reste muette à leur sujet. De plus, il souligne que le projet de loi ne procède pas aux très nombreux ajustements à opérer en conséquence sur plusieurs articles législatifs du code du travail ou d’autres codes, qui font référence à ces quatre congés et il recommande au Gouvernement d’y procéder dans le cadre d’une ordonnance prise en vertu de l’habilitation ouverte par le dernier article du projet de loi.

15. Enfin, le projet de loi réforme la gestion du compte personnel de formation confiée à la Caisse des dépôts et consignation en prévoyant que celle-ci en assure seule les différentes dimensions, de l’inscription des titulaires de droits à formation au paiement des organismes de formation. Le service dématérialisé déjà mis en place par la caisse permettra aux titulaires de comptes de s’inscrire directement aux formations qui les intéressent et de les payer avec les droits dont ils disposent, sans mobiliser d’intermédiaire.

16. Le Conseil d’État observe que le projet de loi développe également les missions de l’opérateur du conseil en évolution professionnelle, qui dispense un accompagnement gratuit, universel et personnalisé des projets professionnels, en précisant qu’il identifie les compétences de la personne qui le sollicite et qu’il contribue à la formalisation et la mise en œuvre de son projet. S’agissant des salariés, il dispose également que cet opérateur les accompagne dans le cadre de leurs projets de transition professionnelle. De plus, il réaménage le réseau de ces opérateurs, aujourd’hui constitué de Pôle emploi, de l’APEC, de CAP Emploi, des missions locales, des organismes paritaires collecteurs agréés au titre du congé individuel de formation et des opérateurs désignés par les régions, en remplaçant ces derniers par des opérateurs financés à cet effet par France compétences. L’étude d’impact précise qu’un décret organisera la désignation de ces opérateurs sur appel d’offres, selon un cahier des charges établis par l’État, les partenaires sociaux et les régions, afin d’assurer la couverture de l’ensemble du territoire.

Sur la gouvernance et la répartition des compétences en matière de formation

En ce qui concerne les compétences de l’État et des régions

17. Dans le cadre de la réforme de l’apprentissage, le Gouvernement souhaite adapter les compétences dévolues aux régions et simplifier leurs outils de planification stratégique. Il entend conférer en la matière un rôle majeur aux branches professionnelles, ce qui ne peut que renforcer le caractère prioritaire qui s’attache à la restructuration des branches en sorte que ces dernières soient en capacité d’assurer les nouvelles responsabilités qui leur sont confiées. Si les régions ne sont plus de ce fait la pierre angulaire de l’organisation et du financement de l’apprentissage, elles pourront néanmoins compléter les financements de droit commun des centres de formation des apprentis, en fonctionnement comme en investissement, au regard d’objectifs en matière d’aménagement du territoire.

Le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles (CPRDFOP) conclu entre l’Etat et la région devient le document principal de planification et de coordination de la politique de formation professionnelle au niveau régional.

18. Le Gouvernement veut affirmer le rôle de l’État, dans le cadre du plan d’investissements dans les compétences (PIC), en matière de formation professionnelle de deux publics prioritaires : les jeunes sortis sans qualification du système scolaire et les personnes à la recherche d’un emploi disposant d’un niveau de qualification inférieur ou égal au bac. Pour mener à bien cette mission, l’État s’appuie en priorité sur des conventions conclues avec les régions ou, à défaut de conventionnement, directement sur Pôle Emploi ou des acteurs du service public régional de la formation professionnelle.

Le Conseil d’État estime qu’il est loisible au législateur, sans méconnaître le principe de libre administration des collectivités territoriales, de reconnaître une telle mission à l’État.

En ce qui concerne la création de France compétences

19. Le projet prévoit la création, à côté de Pôle Emploi, d’un nouvel opérateur national de référence, France compétences. Il appartient à ce dernier d’organiser, animer et de réguler le secteur de la formation professionnelle.

Établissement public administratif de l’État, France compétences a deux grands types de missions. Sur le plan financier, il est chargé d’opérer les péréquations régionale et interbranche des recettes de la contribution unique pour la formation professionnelle et l’apprentissage (CUFPA) et de financer le conseil en évolution professionnelle. Sur le plan de la politique de formation professionnelle, il observe les coûts et les formations, émet un avis sur le référentiel de certification des organismes de formation et peut formuler des recommandations. Il se substitue au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) qui est supprimé

20. Le nouvel établissement public intégrant certaines attributions consultatives précédemment organisées au niveau de l’État, et notamment, une partie de celles du Conseil national de l’emploi et de la formation professionnelle (CNEFOP), la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) voit son champ s’élargir à certains domaines de la formation et de l’emploi non inclus dans les attributions des opérateurs de référence. Le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur la dénomination de la CNNC qui ne correspond plus à ses missions qui vont bien au-delà de la seule négociation collective, puisqu’elles s’étendent aux relations individuelles du travail, à l’emploi et à la formation professionnelle. Un changement de dénomination en rapport direct avec les missions serait, à cet égard, opportun (par exemple, Commission nationale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle).

21. En raison de ses missions en matière de financement de la formation professionnelle et de certification, France compétences constitue une nouvelle catégorie d’établissement public. Le Conseil d’État s’attache à ce que les règles constitutives de cet établissement soient fixées au niveau législatif, notamment en ce qui concerne ses missions, ses instances de direction et ses recettes.

Le Conseil d’État relève que les salariés du FPSPP seront transférés à France compétences dans les conditions prévues par l’article L. 1224-3 du code du travail.

En ce qui concerne la transformation des organismes collecteurs paritaires agréés (OPCA) en opérateurs de compétences

22. Le Gouvernement souhaite transformer les organismes collecteurs paritaires agréés (OPCA) en opérateurs de compétences, tournés vers le financement des contrats de professionnalisation et d’apprentissage, le soutien technique aux branches professionnelles pour la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et la certification professionnelle. Ils sont chargés, en outre, d’encourager la transition professionnelle.

23. Compte tenu des délais de mise en place des nouveaux circuits de financement, les dispositions transitoires sont essentielles et elles accompagnent dans le projet, dans un souci de clarté et de lisibilité du texte, les dispositions de fond. Elles visent à la fois à assurer le recouvrement, en 2019, des contributions dues, au titre des rémunérations versées en 2018, par les actuels OPCA devenus opérateurs de compétence, puis le recouvrement en 2020, toujours par les opérateurs de compétences, de la nouvelle contribution unique pour la formation professionnelle et l’apprentissage avant la mise en place de la collecte par les URSSAF.

En ce qui concerne le contrôle des activités et des dépenses de formation professionnelle

24. Le Gouvernement souhaite simplifier le contrôle administratif et financier, exercé par les services déconcentrés du ministère chargé de l’emploi et de la formation professionnelle, avec l’appui de l’administration centrale, sur les activités et les dépenses de formation et leurs acteurs. Une partie du contrôle sera à terme transféré aux URSSAF en lien avec leur mission de recouvrement.

Sur le financement de la formation professionnelle

En ce qui concerne la création de la contribution unique pour la formation professionnelle et l’apprentissage (CUFPA)

25. Le Gouvernement veut simplifier le financement de la formation professionnelle et remplacer la contribution pour la formation professionnelle continue et la taxe d’apprentissage par une contribution unique recouvrée, à terme, par les URSSAF, et versée aux opérateurs de compétences et à France compétences.

Des dispositions transitoires organisent le passage progressif, tant pour les taux que pour les modalités de recouvrement, de la contribution et de la taxe actuelle vers la nouvelle contribution unique.

Des modifications sont également apportées, par cohérence, aux contributions équivalentes, qui pèsent sur des secteurs spécifiques comme le bâtiment et les travaux publics, les intermittents du spectacle ou les marins-pêcheurs.

26. Le Conseil d’État relève que la contribution unique est une nouvelle imposition de toute nature, qui peut être instituée par une loi ordinaire et qui est affectée au financement des opérateurs de compétences et de France compétences qui la reverse en partie à l’État pour la mise en œuvre du plan d’investissement dans les compétences et aux régions pour le financement complémentaire des centres de formation des apprentis. Elle se substitue à la contribution pour la formation professionnelle continue et à la taxe d’apprentissage, qui sont supprimées.

27. La contribution unique se distingue de ces deux anciennes impositions par son assiette et son taux. Elle reprend toutefois certaines différenciations selon la taille des entreprises et la nature de leurs activités.

Si les différences de traitement selon la taille de l’entreprise sont justifiées à la fois par une différence de situation et un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi tenant au soutien à la formation professionnelle en faveur des publics y ayant le moins accès, le Conseil d’État estime, en revanche, que l’application de taux réduits pour les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle méconnaît le principe d’égalité. La création d’une nouvelle imposition s’inscrivant dans le cadre d’une profonde réforme du financement de la formation professionnelle ne peut être regardée comme constituant un simple aménagement du droit existant, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 2014-414 QPC du 26 septembre 2014, considérants 4 et 5) permettant à des dispositions législatives et réglementaires particulières à ces trois départements qui n’ont pas été remplacées par des dispositions de droit commun de demeurer en vigueur. En l’espèce, la différence de taux de contribution pour ces trois départements n’est justifiée ni par une différence de situation, ni par un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi, alors même que le régime des chambres de métiers de ces départements reste différent de celui des autres départements.

Pour cette même raison, le Conseil d’État estime que méconnaît le principe d’égalité l’application d’un taux réduit de la nouvelle contribution supplémentaire à l’alternance due par les employeurs d’entreprises de 250 salariés et plus dans ces trois départements.

28. Le Conseil d’État écarte aussi la disposition supprimant le compte d’affectation spéciale relatif au financement du développement de l’apprentissage qui relève du domaine de la loi de finances.

29. Le Conseil d’État estime, en revanche, qu’entre dans le domaine de la loi ordinaire, en matière fiscale au titre de l’article 34 de la Constitution, et ne relève pas du domaine exclusif d’une loi de finances en application de l’article 36 de la loi organique relative aux lois de finances, une disposition supprimant l’affectation aux régions d’une part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), au motif qu’elle ne porte pas atteinte aux recettes du budget général de l’État.

En ce qui concerne le transfert aux URSSAF du recouvrement de la CUFPA

30. Ainsi qu’il a été dit plus haut, les URSSAF recouvreront la contribution unique pour la formation et l’apprentissage au plus tard le 1er janvier 2021. Le projet de loi prévoit, à cet effet, une habilitation à légiférer par ordonnance en application de l’article 38 de la Constitution afin de fixer les modalités de cette nouvelle procédure de recouvrement.

Sur la définition et la qualité de la formation

31. Le projet de loi entend répondre à un besoin de clarification et de simplification de la définition des différents types d’action qui concourent à la formation (actions de formation stricto sensu, bilans de compétence, validation des acquis et apprentissage). Si la prise en compte de cette exigence doit être soulignée dans un domaine où le droit existant se caractérise par une extrême complexité, le Conseil d’État veille dans la rédaction du texte à ce que le souci de définition n’aille pas, dans le respect de l’article 34 de la Constitution, dans un détail allant au-delà de ce qu’exigent la bonne information et la mise en cohérence des acteurs concernés.

À ce besoin de clarification s’ajoute une exigence de qualité de la formation. Afin d’améliorer et d’harmoniser les pratiques des très nombreux – environ 76000 – prestataires de formation, le projet instaure une obligation de certification pesant sur tout organisme financé sur fonds publics ou mutualisés. La certification s’appuiera sur des critères définis par décret en Conseil d’État et un référentiel destiné à leur mise en œuvre. Le Conseil d’État admet, à cet égard, la différenciation opérée par le projet en ce qui concerne des établissements d’enseignement secondaire ou supérieurs publics ainsi que certains établissements d’enseignement reconnus comme étant sans but lucratif, auxquels n’est pas applicable la nouvelle obligation de certification. Cette différence de traitement ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi eu égard à la situation différente de ces établissements soumis à des modalités de contrôle et d’évaluation qui leur sont propres.

En ce qui concerne le régime des actions de formation au regard du temps de travail, et des accords collectifs

32. Le projet établit une ligne de partage entre les formations obligatoires, qui font partie intégrante du temps de travail, et les autres formations, qui sont également accomplies en principe sur le temps de travail sous réserve de deux exceptions : d’une part, des formations déterminées par accord collectif peuvent se dérouler, en tout ou partie, hors du temps de travail, dans une limite horaire par salarié fixée par l’accord, d’autre part, en l’absence d’accord collectif, des formations peuvent se dérouler avec l’accord du salarié, dans la limite de trente heures par an et par salarié.

Le Conseil d’État relève que le projet du Gouvernement renvoie à un accord collectif la détermination des modalités d’appréciation du parcours professionnel du salarié et de la périodicité de l’entretien professionnel, ainsi que la limite de la durée de formation pouvant être accomplie en dehors du temps de travail et la mise en place d’un abondement du compte personnel de formation au bénéfice des saisonniers. Ce renvoi est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la possibilité pour le législateur, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, de confier aux partenaires sociaux le soin de préciser les modalités concrètes d’application des dispositions législatives définissant les principes fondamentaux du droit du travail (décisions n° 96-383 DC du 6 novembre 1996, considérant 21 ; n° 2004-507 DC du 9 novembre 2004, considérants 10 à 15 et n° 2018-761 DC du 28 mars 2018, considérant 54).

En ce qui concerne les accords collectifs prévoyant des formations hors temps de travail, le Conseil d’État relève qu’ils s’inscrivent dans un contexte distinct de celui des dispositions législatives prévoyant le licenciement des salariés qui refusent l’application de l’accord collectif (décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, considérants 25 à 29). En effet, le régime dont la constitutionnalité a été reconnue concerne des accords poursuivant un objectif de sauvegarde ou de développement de l’emploi, qui peuvent s’appuyer sur le droit constitutionnel à l’emploi, alors que le lien avec l’emploi est beaucoup plus indirect pour les accords prévus par le projet de loi. Dans le contexte spécifique de ces accords, le Conseil d’État estime préférable de ne pas préjuger dans la loi du caractère réel et sérieux du motif d’un licenciement qui résulterait du refus du salarié de suivre une formation hors temps de travail prévu par un accord collectif, et de laisser au juge compétent le soin de définir les conséquences d’un tel refus en fonction des données de l’espèce.

En outre, la mention « d’un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche », a été retenue au lieu de la mention contenue dans le projet d’un « accord collectif d’entreprise ou de branche ». Cette solution consistant à donner un caractère supplétif à l’accord de branche, en dehors des matières qui lui sont réservées, met le projet de loi en cohérence avec les règles générales d’articulation des niveaux de négociation collective issues des modifications les plus récentes du code du travail.

Sur l’orientation professionnelle

33. L’État définit au niveau national la politique d’orientation des élèves et des étudiants dans les établissements scolaires et les établissements d’enseignement supérieur. Quant aux régions, elles coordonnent les actions des organismes qui interviennent en la matière en dehors du système éducatif.

Le projet entend donner aux régions des responsabilités élargies concernant l’information des élèves sur les métiers et les formations, et de mieux ancrer cette information dans le contexte local en prenant pleinement en compte les caractéristiques de l’offre de formation régionale et les besoins économiques locaux. A cet effet, il attribue aux régions les compétences qui sont aujourd’hui exercées par les délégations régionales de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP). Les régions seront ainsi chargées, avec le concours de l’ONISEP, d’élaborer la documentation de portée régionale sur les enseignements et les professions et, en lien avec les services de l’Etat, de diffuser cette information notamment auprès des établissements de l’enseignement scolaire et supérieur. Le projet prévoit, en renvoyant pour l’essentiel aux dispositions de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, les conditions dans lesquelles les services des délégations régionales de l’ONISEP seront mis à disposition des régions ainsi que les modalités de compensation par l’État de ce transfert de compétences.

Le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de prévoir, par voie réglementaire, les modalités selon lesquelles l’ONISEP et les régions seront conduits à coordonner leurs actions afin de garantir une information actualisée, pertinente et en lien avec les réalités locales.

34. Le projet prévoit enfin la possibilité, à titre expérimental, pour l’État et les régions de conclure une convention afin d’organiser la participation des services et établissements de l’État au service public régional de l’orientation. Le Conseil d’État constate qu’une telle possibilité est aujourd’hui ouverte par l’article L. 6111-3 du code du travail. Le projet est donc modifié, selon le souhait du Gouvernement, pour permettre à l’État de mettre à disposition des régions, sans remboursement de leur part, des agents exerçant dans les services et établissements relevant du ministre chargé de l’éducation nationale, et notamment au sein des centres d’information et d’orientation.

Sur l’apprentissage

En ce qui concerne les centres de formation des apprentis

35. L’apprentissage associe une formation en entreprise fondée sur l’exercice d’une ou plusieurs activités professionnelles en relation directe avec la qualification objet du contrat et des enseignements dispensés pendant le temps de travail dans un centre de formation d’apprentis (CFA), une section d’apprentissage ou une unité de formation par apprentissage. La création de ces structures suppose aujourd’hui la conclusion d’une convention entre l’organisme qui entend la piloter et la région.

36. Le projet de loi entend alléger substantiellement les modalités de création des centres de formation d’apprentis en exigeant uniquement, à l’instar du régime applicable aux organismes de formation professionnelle, le dépôt d’une déclaration d’activité. Le Conseil d’État souligne que cette suppression du contrôle a priori, qui est de nature à favoriser le développement d’une offre de formation en apprentissage plus réactive aux besoins des entreprises et aux attentes des candidats à l’apprentissage, doit s’accompagner d’un processus de certification des CFA, qui est prévu par le projet, ainsi que d’un contrôle pédagogique garantissant la qualité des formations dispensées. Sur ce point, le projet prévoit de confier le contrôle pédagogique des CFA non plus exclusivement aux agents des ministères certificateurs, mais également aux branches professionnelles et aux chambre consulaires. Le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur la nécessité de déployer au sein des ministères compétents des moyens suffisants pour qu’un tel contrôle s’exerce de manière effective et de s’assurer que les branches et les chambres consulaires disposeront des compétences nécessaires à l’exercice de ce contrôle.

37. Le projet entend renforcer la lisibilité et le caractère ciblé des dispositifs d’aide aux employeurs qui recrutent un apprenti. Il remplace à cet effet la prime à l’apprentissage par une aide versée par l’État aux entreprises de deux cent cinquante salariés employant des apprentis qui préparent un diplôme ou un titre à finalité professionnelle équivalent au plus au baccalauréat. Il supprime par ailleurs le crédit d’impôt en faveur de l’apprentissage ainsi que la prime spécifique pour les employeurs d’apprentis travailleurs handicapés.

En ce qui concerne le contrat d’apprentissage

38. Le projet de loi modifie les dispositions du code du travail relatives à la conclusion, à l’exécution et à la rupture du contrat d’apprentissage.

39. S’agissant de la conclusion du contrat d’apprentissage, il supprime l’obligation d’enregistrement préalable des contrats auprès des chambres consulaires pour la remplacer par un dépôt auprès de l’opérateur de compétences, ce dernier procédant à une vérification, a posteriori, du contrat. Le Gouvernement souhaitant que les chambres consulaires puissent participer à l’exercice de cette mission, le Conseil d’État recommande que le projet de loi le précise dans la disposition relative aux missions des chambres consulaires en matière d’apprentissage, plutôt que dans une disposition qui prévoirait un dispositif ad hoc de délégation entre l’opérateur de compétences et les chambres consulaires.

40. Les conditions d’exécution du contrat sont modifiées par le projet de loi en ce qui concerne l’âge d’entrée en apprentissage, qui passe de 16 à 25 ans révolus à 16 à 29 ans révolus. Le texte simplifie et clarifie par ailleurs la corrélation entre la durée du contrat d’apprentissage et celle de la formation théorique. Il encadre davantage l’exercice des fonctions de maître d’apprentissage.

Le projet de loi modifie également les conditions de travail des jeunes travailleurs en faisant passer la durée maximale de travail hebdomadaire qui s’applique à eux de 35 à 40 heures et en modifiant les règles relatives aux dérogations pouvant être apportées à la durée maximale quotidienne de 8 heures de travail. Le Conseil d’État examine ces dispositions au regard de l’article 8 de la directive 94/33 du Conseil du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail, ce qui l’a conduit à circonscrire la possibilité d’accorder des dérogations en raison d’impératifs liés à l’organisation collective du travail, que le Gouvernement envisageait de définir par branches, aux seules activités qui le justifient, désignées par décret en Conseil d’État.

41. Le projet de loi modifie les conditions de rupture du contrat de travail à l’initiative du seul employeur en supprimant l’obligation posée par le code du travail que cette rupture soit prononcée par le conseil de prud’hommes et en limitant les motifs de licenciement aux seuls cas de faute grave de l’apprenti ou d’inaptitude médicale, en lieu et place des motifs de « faute grave ou de manquements répétés de l’une des parties à ses obligations ou en raison de l’inaptitude de l’apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer ». Le projet de loi aménage également une possibilité nouvelle de rupture du contrat à l’initiative de l’apprenti, sans motif prédéterminé, après saisine d’un médiateur. Ces dispositions ne paraissent pas se heurter à un obstacle de principe, de nature constitutionnelle ou conventionnelle.

Le projet de loi prévoit également que l’employeur disposera de la faculté de procéder au licenciement d’un apprenti faisant l’objet d’une exclusion définitive de son centre de formation, cette exclusion constituant alors la cause réelle et sérieuse du licenciement qui sera prononcée dans les conditions prévues par le code du travail en matière de rupture du contrat de travail pour motif personnel. De l’avis du Conseil d’État, cette exclusion doit pouvoir être critiquée à l’occasion d’une contestation du licenciement, qui reposera sur un motif personnel. Ainsi lue, cette disposition ne paraît pas méconnaître de dispositions constitutionnelles, ni les stipulations de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui exigent, d’une part, que tout licenciement ait un motif valable et, d’autre part, que ce motif puisse être contrôlé par un juge. Le Conseil d’État suggère également que la loi précise que le maintien éventuel de l’apprenti dans l’entreprise après son exclusion du centre de formation doit se traduire, sauf si l’apprenti trouve un nouveau centre de formation, par la conclusion d’un contrat de travail dans les conditions du droit commun.

Sur la certification professionnelle

42. Ainsi qu’il a été dit précédemment, la certification professionnelle a pour objet de recenser et de porter à la connaissance du public l’existence de diplômes, titres ou certificats, à vocation professionnelle, dont elle définit le contenu, l’utilité professionnelle et le mode de validation. Elle est actuellement régie, au niveau législatif, par l’article L. 335-6 du code de l’éducation, issu de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale qui a créé le répertoire national des certifications professionnelles, géré et établi par la Commission nationale de la certification professionnelle.

43. Le projet de loi entend modifier et renforcer le cadre législatif de la certification, qu’il souhaite insérer dans un chapitre dédié du titre premier du livre premier de la sixième partie du code du travail relative à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Ce nouveau chapitre définit les principales notions de la certification professionnelle que sont la certification, les référentiels, les niveaux de compétence et les blocs de compétences. Le Conseil d’État a cherché à organiser les dispositions proposées ainsi qu’à en clarifier les termes afin d’en garantir la meilleure lisibilité.

44. Le projet de loi impose en outre que la création, par arrêté, des diplômes et titres à finalité professionnelle, hormis ceux de l’enseignement supérieur, intervienne après avis conforme des commissions paritaires consultatives ministérielles lorsque celles-ci ont été instituées. Ces commissions, précise la loi, sont composées au moins pour moitié de représentants de salariés et d’employeurs.

45. Le projet de loi modifie les conditions d’enregistrement au répertoire national des certifications professionnelles. La Commission nationale de certification, placée auprès du ministre chargé de la formation professionnelle, lequel est aujourd’hui compétent pour procéder à l’enregistrement, est supprimée et l’établissement public France compétences devient compétent pour prendre une décision sur les demandes d’enregistrement. Les diplômes et titres élaborés après avis conforme d’une commission paritaire consultative ministérielle sont inscrits de droit au répertoire. Une commission en charge de la certification professionnelle instituée au sein de France compétences est chargée d’instruire les demandes. L’enregistrement de tous les titres et diplômes à vocation professionnelle ainsi que des certificats de qualification professionnelle est limité à cinq ans. Le Gouvernement ayant indiqué qu’il était en mesure de faire face, sur le plan pratique, à cette limitation de durée d’enregistrement, nouvelle en ce qui concerne les diplômes et titres faisant l’objet d’une inscription de droit au répertoire, et aux réexamens réguliers qu’elle implique, le Conseil d’État émet un avis favorable à la disposition envisagée.

Il écarte, en revanche, les dispositions relatives à l’instruction des demandes d’enregistrement ainsi qu’aux modalités de fonctionnement des commissions paritaires consultatives ministérielles en raison de leur caractère réglementaire.

Sur les ratifications

46. Le projet de loi comporte trois dispositions de ratification d’ordonnances relatives au compte personnel d’activité dans les fonctions publiques et d’une ordonnance portant extension et adaptation à Mayotte de la partie législative du code du travail et de diverses dispositions relatives au code du travail, à l’emploi et à la formation professionnelle. Le projet n’appelle pas d’observation sur ce point.

Sur l’assurance chômage

Sur l’extension de l’allocation d’assurance aux salariés ayant démissionné

47. Le projet de loi, reprenant sur ce sujet les stipulations de l’accord national interprofessionnel du 22 février 2018 relatif à la réforme de l’assurance-chômage, ouvre l’allocation d’assurance aux salariés ayant démissionné, satisfaisant des conditions d’activité antérieure spécifiques et poursuivant un projet de reconversion professionnelle présentant un caractère réel et sérieux.

48. Le Conseil d’État relève que ce nouveau droit créé en faveur des salariés qui démissionnent pour réaliser un projet de reconversion est une modalité particulière de l’allocation d’assurance, ne se distinguant du régime de droit commun que par les conditions d’ouverture et par les obligations du bénéficiaire de l’allocation, qui consistent dans la mise en œuvre effective du projet. Ces différences de traitement par rapport aux autres bénéficiaires de l’allocation d’assurance sont justifiées par les différences de situation entre les salariés involontairement privés d’emploi et ceux ayant démissionné, et sont en rapport avec le but poursuivi par le législateur.

49. S’agissant de la reconnaissance du caractère réel et sérieux du projet de reconversion, suite à une saisine rectificative, elle sera décidée par une commission paritaire régionale pour le compte de Pôle emploi. Le Conseil d’État appelle l’attention du Gouvernement sur la charge administrative qui pèsera sur ces commissions paritaires régionales. Il résulte de l’étude d’impact que celles-ci devront examiner plusieurs dizaines de milliers de projets par an, ce qui pourrait impliquer dans la plupart des régions qu’elles se réunissent chaque semaine. L’étude d’impact qui n’évalue pas de manière suffisante la charge en résultant, en termes de secrétariat et de disponibilité des représentants des organisations syndicales et patronales, et n’identifie pas les moyens permettant d’assurer le bon fonctionnement du dispositif, devra être complétée avant le dépôt du projet au Parlement.

Sur l’ouverture d’un revenu de remplacement pour les travailleurs indépendants privés d’activité

50. Le projet de loi ouvre le bénéfice d’un revenu de remplacement aux travailleurs indépendants privés de leur activité professionnelle dans certaines circonstances (liquidation judiciaire, redressement judiciaire lorsque le plan de redressement prévoit le remplacement du dirigeant, divorce ou rupture du pacte civil de solidarité pour le conjoint associé d’un chef d’entreprise), lorsqu’ils répondent à des conditions de durée antérieure d’activité, de revenus antérieurs d’activité et de ressources.

51. Le projet du Gouvernement définit ce revenu comme une modalité particulière de l’allocation d’assurance. Le Conseil d’État considère que l’allocation créée par le projet de loi, qui n’est la contrepartie d’aucune cotisation sociale, est versée sous conditions de ressources et dont le montant et la durée d’attribution sont forfaitaires, ne présente pas les caractéristiques d’une allocation d’assurance, mais celles d’une prestation non contributive. En outre, le fait de placer dans un même régime d’assurance des salariés dont la rémunération est soumise à des cotisations sociales et des travailleurs indépendants qui ne sont assujettis à aucune cotisation soulève une difficulté sérieuse au regard du principe d’égalité entre assurés d’un même régime. Enfin, en confiant à la convention d’assurance-chômage le soin de définir les mesures d’application du revenu de remplacement des travailleurs indépendants, le projet du Gouvernement implique que ces mesures soient négociées par les syndicats de salariés, qui ne sont pas représentatifs dans ce champ.

52. Le Conseil d’État retient, en conséquence, et avec l’accord du Gouvernement, un autre schéma. Sans modifier les caractéristiques du revenu de remplacement créé en faveur des travailleurs indépendants privés d’activité professionnelle, il le définit comme un régime particulier distinct du régime d’assurance, inscrit dans le chapitre IV du titre II du livre IV de la cinquième partie du code du travail. De manière cohérente avec la nature d’allocation de solidarité de ce revenu, ses règles d’application sont fixées par décret en Conseil d’État, sauf en ce qui concerne les règles de coordination avec l’allocation d’assurance, qui sont fixées par la convention d’assurance-chômage.

53. S’agissant des circonstances ouvrant droit à l’allocation des travailleurs indépendants, le Conseil d’État estime que les différences de traitement opérées avec d’autres circonstances de privation d’activité professionnelle n’y ouvrant pas droit sont conformes au principe d’égalité, pour les motifs suivants.

En premier lieu, à la différence des conjoints associés, les conjoints collaborateurs ne peuvent jamais percevoir de rémunération pour leur activité professionnelle et ne sont donc pas susceptibles de remplir la condition de revenus antérieurs d’activité.

En deuxième lieu, la révocation ou le non-renouvellement d’un mandataire social constitue un risque de nature différente des difficultés économiques donnant lieu à la liquidation judiciaire ou au redressement judiciaire, inhérent à l’exercice des fonctions de dirigeant d’entreprise et de fait souvent couvert par des mécanismes d’assurance privée. Le législateur, à qui il appartient de définir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées pour mettre en œuvre le droit à des moyens convenables d’existence énoncé par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (Conseil constitutionnel, décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, considérant 101), peut pour ces motifs décider de ne pas ouvrir le revenu de remplacement dans ces circonstances.

En troisième lieu, l’exercice de nombreuses activités indépendantes étant subordonné à l’attribution d’une autorisation administrative ou à l’inscription dans un ordre professionnel, le retrait d’une telle autorisation ou la radiation de l’ordre entraînent la privation d’activité professionnelle. Toutefois, ces décisions sont souvent causées par une faute de l’intéressé ou par le non-respect d’une condition légale d’exercice de l’activité. Le législateur peut réserver le bénéfice d’une prestation non contributive aux personnes dont la privation d’activité n’a pas été causée par une faute ou par le non-respect de la législation ou de la réglementation qui leur est applicable. En outre, lorsque le retrait d’une autorisation administrative ou la radiation d’un ordre professionnel entraîne une liquidation judiciaire, les personnes concernées sont susceptibles de bénéficier de l’allocation des travailleurs indépendants à ce titre.

Le Conseil d’État relève enfin que dans les hypothèses où la privation d’activité professionnelle d’un travailleur indépendant n’ouvre pas droit à la prestation, le droit à des moyens convenables d’existence n’est pas privé de garantie légale, les personnes concernées ayant droit au revenu de solidarité active (RSA) dans les conditions de droit commun.

Sur le financement du régime d’assurance-chômage

54. Le projet de loi ouvre de nouvelles possibilités de modulation des contributions patronales en permettant à la convention d’assurance-chômage de faire dépendre le taux appliqué à chaque entreprise du nombre de fins de contrats, dans un but de lutte contre la précarité. Le Gouvernement ayant indiqué qu’il envisageait de prendre en compte dans cette modulation le nombre de fins de contrats de mise à disposition de travailleurs temporaires conclus par une entreprise utilisatrice, le Conseil d’État appelle son attention sur la nécessité de prévoir une telle possibilité au niveau de la loi. En effet, les contributions patronales reposant jusqu’ici sur les seules rémunérations des salariés employés par l’entreprise, la mesure envisagée modifierait leur assiette, ce qui relève du domaine de la loi.

55. Le projet de loi supprime les contributions salariales finançant le régime d’assurance-chômage. Le financement de celui-ci est désormais principalement assuré par les contributions patronales et par l’affectation en tout ou partie d’impositions de toute nature. Le projet de loi remplace ainsi par une contribution pérenne la prise en charge temporaire des contributions salariales par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui avait été instaurée par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018.

56. L’affectation à l’organisme gestionnaire du régime d’assurance-chômage d’une part de la contribution sociale généralisée (CSG), annoncée par l’étude d’impact, est autorisée par les dispositions du III de l’article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale et devra être décidée par une LFSS en vertu des mêmes dispositions.

57. La suppression de toute contribution salariale pour le financement d’un régime de protection sociale, à la seule exception des salariés des professions de la production cinématographique, de l’audiovisuel ou du spectacle et de certains expatriés qui, eu égard aux spécificités de leur situation, continueront à supporter des cotisations correspondant aux cotisations particulières auxquelles ils étaient assujettis précédemment, ne méconnaît en elle-même aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle. Elle ne crée aucune différence de traitement nouvelle entre les assurés de ce régime.

58. Toutefois, le Conseil d’État appelle l’attention du Gouvernement sur la situation inédite présentée par l’absence de toute contribution salariale dans le financement d’un régime de protection sociale dont l’objet est presque exclusivement de servir un revenu de remplacement à caractère contributif. Jusqu’à présent, le droit à des revenus de remplacement calculés dans ces conditions était, dans les assurances sociales, la contrepartie du versement de cotisations sociales à des régimes de protection sociale, lesquelles « constituent des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés » (Conseil constitutionnel, décision n°93-325 DC du 13 août 1993, considérant 119) et ouvrent « des droits aux prestations et avantages servis » par ces régimes (Conseil constitutionnel, décisions n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012, considérant 12 et n° 2014-698 du 6 août 2014, considérant 12). Il résulte de la réforme proposée une absence de lien entre les modalités de financement par la quasi-totalité des salariés du régime d’assurance chômage et les revenus de remplacement dont ils peuvent bénéficier, dès lors que la CSG est une imposition de toutes natures et n’ouvre donc pas, par elle-même, droit à des prestations et avantages sociaux (Conseil constitutionnel, décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, considérants 8 et 9).

59. Cette inadéquation entre les modalités de financement du régime et les prestations servies sera aggravée, à compter du 1er janvier 2019, par l’entrée en vigueur de la réduction dégressive des contributions patronales sur les bas salaires issue de la LFSS pour 2018, qui conduira à la suppression de toute cotisation sociale pour une fraction significative des revenus de remplacement servis par l’assurance-chômage. Or le Conseil constitutionnel a censuré, pour atteinte au principe d’égalité, des dispositions exonérant une fraction des bénéficiaires d’un régime de sécurité sociale des seules cotisations salariales au motif qu’ « un même régime de sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l’ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l’absence de versement, par près d’un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime » (Conseil constitutionnel, décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014, considérant 13).

60. Le Conseil d’État rappelle que le Conseil constitutionnel prend en compte, dans son appréciation de l’application du principe d’égalité en matière de protection sociale, les conditions historiques dans lesquelles se sont développés les régimes de protection sociale et leur diversité : « le principe d’égalité ne saurait imposer au législateur, lorsqu’il s’efforce, comme en l’espèce, de réduire les disparités de traitement en matière de protection sociale, de remédier concomitamment à l’ensemble des disparités existantes ; que la différence de traitement dénoncée par les requérants entre les nouveaux bénéficiaires de la couverturemaladieuniverselle et les personnes qui, déjà assujetties à un régime d’assurance maladie, restent obligées, à revenu équivalent, de verser des cotisations, est inhérente aux modalités selon lesquelles s’est progressivement développée l’assurance maladie en France ainsi qu’à la diversité corrélative des régimes, que la loi déférée ne remet pas en cause » (Conseil constitutionnel, décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999, considérant 9).

61. Compte tenu des évolutions de l’assurance chômage résultant du projet, de la suppression des cotisations salariales d’assurance-maladie déjà opérée par la LFSS pour 2018 et de la réforme à venir des régimes de retraite, le Conseil d’État invite le Gouvernement à approfondir sa réflexion sur la cohérence des modalités de financement des régimes avec les prestations qu’ils servent, dans la perspective d’une réforme du système de protection sociale tirant toutes les conséquences de la part prise par les impositions dans le financement de la protection sociale obligatoire.

62. Par ailleurs, le projet de loi prévoit le financement de l’allocation des travailleurs indépendants par l’ensemble des ressources de l’organisme chargé de la gestion du régime d’assurance-chômage, sans lui affecter de ressources particulières. S’il est loisible au législateur de prévoir le financement par un régime de protection sociale d’une prestation relevant d’un autre régime, c’est à condition de ne pas créer de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Les dépenses afférentes à l’allocation des travailleurs indépendants représentant, d’après les évaluations de l’étude d’impact, moins de 0,5 % des dépenses du régime d’assurance-chômage, une telle rupture caractérisée n’apparaît pas constituée.

Sur la gouvernance du régime d’assurance-chômage

63. Les mesures d’application du régime d’assurance-chômage sont fixées par un accord négocié par les organisations syndicales et patronales représentatives au niveau national et interprofessionnel, qui doit être agréé par le ministre chargé du travail. Le projet de loi maintient ce système conventionnel tout en renforçant les prérogatives du Gouvernement. Un document de cadrage définissant une trajectoire financière et, le cas échéant, des objectifs d’évolution des règles d’assurance-chômage, doit être envoyé par le Premier ministre aux partenaires sociaux préalablement à la négociation. Seuls peuvent être agréés les accords conformes à la trajectoire financière et aux objectifs définis par ce document. En outre, lorsqu’en cours de convention, le Gouvernement constate un écart significatif entre la trajectoire financière qu’elle définissait et la trajectoire effective du régime, le Premier ministre peut demander aux partenaires sociaux de prendre les mesures nécessaires pour corriger cet écart, selon la même procédure.

64. Le Conseil d’État considère que cette procédure ne porte pas une atteinte excessive à la liberté contractuelle des partenaires sociaux, qui doit être interprétée au vu de la circonstance que les accords collectifs en la matière sont d’ores et déjà fortement encadrés par la loi et qu’ils ne peuvent produire leurs effets sans agrément de l’autorité administrative. Les organisations syndicales et patronales tenant de la loi leur compétence de définition des mesures d’application du régime d’assurance-chômage, il est loisible au législateur définir les conditions de procédure et de fond auxquelles est subordonnée la validité de ces accords. En outre, la définition par le document de cadrage d’une trajectoire financière au respect de laquelle est subordonné l’agrément est de nature à favoriser le respect par la France de ses engagements dans le cadre de l’Union économique et monétaire, le régime d’assurance-chômage entrant dans les administrations publiques au sens du droit de l’Union. Cette appréciation peut se prévaloir au surplus de l’évolution des conditions de financement du régime, la part des ressources fiscales étant croissante au regard de celle des cotisations.

65. Il convient de relever que le Premier ministre, auquel est désormais confié le pouvoir d’agrément, sera lui-même tenu dans l’exercice de ce pouvoir par le document de cadrage qu’il aura préalablement défini. Le Conseil d’État estime que le terme de « compatibilité » est plus approprié que celui de « conformité » pour caractériser le rapport entre le document de cadrage et la convention.

66. Par ailleurs, le projet de loi permet au pouvoir réglementaire de fixer par décret, à compter du 1er janvier 2019, les mesures d’application des articles L. 5422-12, relatif à la modulation des contributions patronales, et L. 5425-1 du code du travail, relatif au cumul entre le revenu de remplacement et les revenus d’activité professionnelle ou d’autres revenus. L’intention du législateur est de permettre au Gouvernement de prendre des mesures de nature à lutter contre la précarité si le bilan des négociations de branche qui doivent être conduites à cette même fin au cours de l’année 2018 ne s’avère pas suffisamment concluant.

67. Le Conseil d’État considère qu’il est loisible au législateur de modifier, de manière transitoire ou pérenne, les domaines respectifs de compétence du pouvoir réglementaire et de la convention d’assurance-chômage. Toutefois, il ne peut sans incompétence négative laisser au pouvoir réglementaire toute latitude, sans limitation de durée, pour soustraire au domaine de la convention les dispositions de son choix. En conséquence, le Conseil d’État modifie le projet du Gouvernement pour encadrer dans le temps, jusqu’au 30 septembre 2020, la capacité d’intervention du pouvoir réglementaire afin de fixer les mesures d’application des articles L. 5422-12 et L. 5425-1, qui sont justifiées par la lutte contre la précarité, cette dernière constituant un motif d’intérêt général. A compter du 30 septembre 2020, les règles ainsi fixées par décret en Conseil d’État cesseront d’être en vigueur et ne pourront à nouveau être adoptées que par les partenaires conventionnels.

Sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi et les obligations liées à la recherche d’emploi

68. Afin de renforcer le suivi de la recherche d’emploi, le projet de loi prévoit, sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution, une expérimentation consistant en l’obligation pour les demandeurs d’emploi de renseigner l’état d’avancement de cette recherche à l’occasion du renouvellement périodique de leur inscription. Le Conseil d’État porte la durée de cette expérimentation de douze à dix-huit mois, afin de donner le temps nécessaire à son évaluation.

69. Parmi les obligations auxquelles sont astreints les demandeurs d’emploi, figure celle d’accepter les offres raisonnables d’emploi qui leur sont proposées. Les éléments constitutifs de l’offre raisonnable d’emploi, à savoir la nature et les caractéristiques de l’emploi ou des emplois recherchés, la zone géographique privilégiée et le salaire attendu, sont définis par le projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) conclu entre Pôle emploi et le demandeur d’emploi. Le projet de loi abroge les dispositions qui prévoyaient un élargissement systématique du périmètre des offres raisonnables d’emploi en fonction de la durée de la recherche d’emploi écoulée depuis l’inscription. Sur ce point, le demandeur d’emploi et Pôle emploi peuvent désormais librement fixer dans le PPAE les caractéristiques de l’offre raisonnable d’emploi et procéder à leur révision périodique, dans le seul respect des dispositions de l’article L. 5411-6-4 du code du travail.

70. Le refus de deux offres raisonnables d’emploi constituant un motif de radiation de la liste des demandeurs d’emploi, susceptible d’entraîner une suppression du revenu de remplacement, le moindre encadrement de leur définition par le législateur ne doit conduire à méconnaître ni le principe d’égalité, ni le principe de légalité des délits, applicable aux sanctions administratives (Conseil constitutionnel, décision n° 2006-535 du 30 juin 2006, considérants 34 à 38). Le projet du Gouvernement permet d’imposer à des demandeurs d’emploi présentant les mêmes caractéristiques des obligations très différentes en ce qui concerne la définition de l’offre raisonnable d’emploi, par exemple en autorisant un demandeur d’emploi à refuser des offres ne correspondant pas à son niveau de qualification, alors qu’un autre demandeur d’emploi n’aurait pas la même possibilité. Ce projet ne présente donc pas des garanties suffisantes contre le risque d’arbitraire et méconnaît les principes d’égalité et de légalité des délits et des peines. En conséquence, le Conseil d’État le complète pour prévoir que le demandeur d’emploi ne peut être contraint d’accepter un emploi qui ne soit pas compatible avec ses qualifications et ses compétences professionnelles.

71. Le projet de loi procède également au transfert à Pôle emploi du pouvoir de décider de la suppression du revenu de remplacement, pouvoir auparavant attribué au préfet. L’attribution d’un pouvoir de sanction administrative à un établissement public administratif ne soulève aucune difficulté de principe.

72. Pôle emploi exerçant désormais à la fois les compétences de contrôle et de décision sur la suppression du revenu de remplacement, le projet de loi n’assure pas la séparation des autorités de poursuite et de sanction. Si l’application de ce principe a été initialement cantonnée aux autorités administratives indépendantes par la jurisprudence du Conseil d’État (CE, Ass., 3 décembre 1999, Didier, n° 207434) et du Conseil constitutionnel (décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012), le Conseil constitutionnel l’a ensuite étendue aux autorités administratives dotées d’un pouvoir de sanction et non soumises à l’autorité hiérarchique d’un ministre (décision n° 2016-616/617 QPC du 9 mars 2017). Le Conseil d’État statuant au contentieux a également fait application de ce principe à une personne privée chargée d’une mission de service public et dotée par la loi d’un rôle et de prérogatives s’apparentant à ceux d’une autorité de régulation (9 mars 2018, Crédit Mutuel Arkéa et autres, CHR, B, n° 399413). Toutefois, compte tenu des missions de Pôle emploi, du contrôle exercé par l’État sur cet établissement (nomination par l’État du directeur général par l’État qui siège aussi au conseil d’administration) et de la nature des décisions en cause qui consistent à retirer une prestation dont l’attribution, obéissant à des conditions légales, constitue la mission même de cet organisme, Pôle emploi ne peut être regardé ni comme une autorité de régulation, ni comme une autorité non soumise à l’autorité hiérarchique d’un ministre au sens de la décision du Conseil constitutionnel du 9 mars 2017. Par ailleurs, les décisions en cause ne relèvent en tout état de cause pas de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales européenne, dès lors que l’organisme qui les prend ne constitue, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ni une juridiction, ni un organe quasi-juridictionnel entrant dans le champ de cet article. Le Conseil d’État considère par conséquent que le principe de séparation des autorités de poursuite et de sanction n’est pas applicable aux sanctions prononcées par Pôle emploi.

73. Enfin, alors que dans l’état antérieur du droit, le revenu de remplacement peut être supprimé ou réduit dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, le projet de loi prévoit, dans un souci de simplification, que seule la suppression du revenu de remplacement peut être prononcée. Le Conseil d’État relève que la durée de la suppression pouvant être modulée, l’abrogation des possibilités de réduction du revenu de remplacement ne conduit pas par elle-même à méconnaître le principe constitutionnel de proportionnalité des sanctions. Toutefois, il reviendra au pouvoir réglementaire d’adapter la durée maximale de la suppression à la gravité des manquements.

Sur la prise en charge des contrats de sécurisation professionnelle (CSP) des salariés des groupements d’intérêt public

74. Le contrat de sécurisation professionnelle doit être proposé à tout salarié licencié pour motif économique dans les entreprises de moins de 1 000 salariés. Il ouvre droit à une allocation de sécurisation professionnelle d’un montant supérieur à l’allocation d’assurance chômage, ainsi qu’à un accompagnement renforcé. La loi prévoit que ses modalités de mise en œuvre sont fixées par un accord national interprofessionnel, agréé dans les mêmes conditions que la convention d’assurance chômage.

75. Il résulte de l’accord national interprofessionnel (ANI) en cours et de ses conventions d’application que l’allocation de sécurisation professionnelle des salariés de droit privé employés par des groupements d’intérêt public (GIP) et licenciés pour motif économique, notamment à l’occasion de la dissolution de ces groupements, n’est pas prise en charge par l’Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC), au motif que les GIP ne peuvent adhérer de manière irrévocable à celle-ci. Le projet de loi tend à imposer à l’UNEDIC de prendre en charge l’allocation de sécurisation professionnelle des salariés licenciés par les GIP dans les mêmes conditions que pour les autres employeurs qui lui sont affiliés.

76. Ce faisant, le projet de loi porte aux conventions en cours une atteinte qui n’est justifiée par aucun motif d’intérêt général. En effet, l’absence de prise en charge de l’allocation par l’UNEDIC ne porte nullement atteinte aux droits des salariés licenciés à percevoir celle-ci, mais affecte seulement la répartition de son financement. En conséquence, le Conseil d’État ne retient pas ces dispositions.

Sur l’emploi des travailleurs handicapés

77. Le projet de loi aménage l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés à laquelle est soumis tout employeur public ou privé, dès lors qu’il emploie plus de vingt salariés ou agents de manière à, d’une part, inciter les employeurs à recourir à l’emploi direct de travailleurs handicapés et à, d’autre part, simplifier la déclaration qu’ils accomplissent en vue de justifier de leur situation au regard de cette obligation, qui sera désormais effectuée via la déclaration sociale nominative.

78. Le Conseil d’État estime que ces dispositions ne présentent pas de difficultés juridiques, à l’exception toutefois de celle qui renvoie au décret tant la détermination des modalités de collecte de la contribution versée par les employeurs pour s’acquitter partiellement de leur obligation d’emploi que la désignation de son organisme affectataire. Cette contribution, qui constitue une modalité subsidiaire de satisfaction à l’obligation d’emploi, est en effet une imposition de toute nature. En vertu de l’article 34 de la Constitution, les règles qui fixent ses modalités de recouvrement relèvent du domaine de la loi. Aussi, cette disposition du projet de loi méconnaît celles de l’article 34 de la Constitution et le Conseil d’État ne peut, pour cette raison, que l’écarter. Il observe enfin que la mise en œuvre des modalités nouvelles de déclaration nécessite d’adapter le droit à la situation particulière de Mayotte, dans le cadre de l’ordonnance prévue par le dernier article du projet de loi.

79. Le Conseil d’État observe que le projet de loi réécrit les dispositions du code du travail relatives aux entreprises adaptées afin de renforcer la conduite de cette politique par l’État et de souligner qu’elles favorisent l’emploi des travailleurs handicapés en s’inscrivant dans le secteur marchand.

Sur les droits des personnes handicapées

80. La convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées garantit à chacune d’elles le droit d’accéder à l’information et à l’éducation comme de participer à la vie culturelle, économique et sociale sur un pied d’égalité avec les autres personnes. Préalable à l’exercice d’une liberté de choix de son avenir professionnel, ce droit fait l’objet de deux dispositions visant à renforcer l’accès des personnes handicapées au numérique et à la culture.

Le projet de loi modifie la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté́ des personnes handicapées, en son article 47 posant le principe d’une accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne. Afin de se conformer à la directive 2016/2102 relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public, adoptée dans le cadre de l’Union européenne le 26 octobre 2016, le texte étend le champ d’application de l’obligation quant aux organismes concernés, tout en reprenant l’exemption des fournisseurs de services de médias audiovisuels régis par la directive 2010/13/UE du 10 mars 2010, et dont la législation, applicable aux radiodiffuseurs à la fois publics et privés, est apparue plus adaptée pour garantir une accessibilité aux personnes handicapées dans le respect d’une concurrence loyale. S’il maintient par ailleurs le principe d’une obligation large d’accessibilité, le projet prend en compte également, comme le texte européen, les limites propres à certains contenus ainsi que les contraintes techniques de sa mise en œuvre, laquelle n’est imposée que dans la mesure où elle ne crée pas une charge disproportionnée. Cette réserve répondant déjà au souci de ne pas voir les organismes en cause mis en difficulté, le Conseil d’État ne considère pas nécessaire d’ajouter une exception, dont le périmètre précis serait sujet à débats, en faveur de certaines organisations non gouvernementales.

81. Le projet de loi modifie les dispositions du code de la propriété intellectuelle autorisant, par exception au droit d’auteur, la reproduction et la représentation d’une œuvre par des organismes habilités en vue d’une consultation strictement personnelle par des personnes atteintes d’une déficience les empêchant d’y accéder. Dans la continuité du traité du Marrakech conclu le 27 juin 2013 dans le cadre de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, et conformément à la directive 2017/1564 du 13 septembre 2017, le projet étend le bénéfice de l’exception en permettant à ces personnes, d’une part, d’obtenir directement communication de documents adaptés auprès d’un organisme habilité établi à l’étranger et, d’autre part, d’en réaliser, par elles-mêmes ou par l’intermédiaire d’un tiers agissant en leur nom, pour leur usage personnel. Le texte favorise aussi l’information sur les documents adaptés disponibles et facilite, en supprimant les conditions d’une autorisation et d’une convention préalables, l’échange transfrontalier de tels documents entre organismes habilités des États membres de l’Union européenne ou parties au traité du Marrakech. Il en sécurise, dans le même temps, la circulation en complétant sur ce point les critères d’habilitation des organismes établi en France.

Sur la détermination de l’effectif de référence des entreprises

82. Afin de mettre en conformité la législation nationale avec le droit de l’Union européenne, le projet de loi prévoit d’insérer un titre liminaire au livre III de la deuxième partie du code du travail dédié aux institutions représentatives du personnel, au sein duquel un article unique numéroté L. 2310-1, composant un chapitre unique, prévoirait que les salariés titulaires de contrats initiative-emploi et les salariés titulaires de contrats d’accompagnement dans l’emploi, mentionnés aux 2° et 4° de l’article L. 1111-3 de ce code, sont pris en compte dans le calcul des effectifs de l’entreprise, que l’employeur effectue pour déterminer si le seuil d’installation obligatoire des instances représentatives du personnel est franchi. Toutefois, le Conseil d’État observe que la Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale (C-176/12), a jugé que cet article L. 1111-3 du code du travail n’était pas compatible avec les dispositions de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, en ce qu’il exclut quatre catégories de travailleurs de ce calcul. Cet arrêt n’opère aucune distinction entre ces diverses catégories.

Aussi le Conseil d’État modifie le nouvel article L. 2310-1 du code du travail de sorte qu’il prenne en compte l’ensemble des salariés aujourd’hui exclus du calcul des effectifs de l’entreprise effectué pour déterminer si l’employeur est soumis à l’obligation d’installer les institutions représentatives du personnel.

Sur les dispositions tendant à moderniser la gouvernance et les informations relatives à l’emploi

83. Le projet de loi prévoit de modifier l’article 9 de la loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 tendant au développement de l’emploi par la formation dans les entreprises, l’aide à l’insertion sociale et professionnelle et l’aménagement du temps de travail, pour l’application du troisième plan pour l’emploi, afin de remplacer le Conseil national de l’insertion par l’activité économique par un Comité d’orientation de l’inclusion dans l’emploi. Toutefois, le Conseil d’État observe que les missions que le Gouvernement entend confier à ce comité ne mettent pas en cause un principe ou une règle relevant du domaine de la loi, ni ne comprennent de compétence consultative qui permettrait de garantir le respect d’un principe relevant lui-même du domaine de la loi. Il en déduit que la disposition qui crée ce comité a un caractère réglementaire. En conséquence, il substitue au projet du Gouvernement une disposition d’abrogation de l’article 9 de la loi n° 91-1.

84. Le Conseil d’État a estimé que l’abrogation de l’article L. 5314-3 du code du travail qui prescrit aux missions locales de participer aux maisons de l’emploi n’appelle pas d’observations, non plus que l’ajustement de deux dispositions législatives relatives à la gouvernance et à l’organisation de Pôle emploi, en cohérence avec des évolutions intervenues dans la partie réglementaire du code.

Sur le détachement

85. Le projet de loi prévoit un assouplissement des obligations liées au détachement de travailleurs lorsque la proximité de l’employeur le justifie, notamment en cas de détachement transfrontalier dans le cadre d’un accord international ou en cas de détachement de courte durée au sein d’un groupe ou pour un évènement ponctuel. Dans ces hypothèses, l’employeur est désormais dispensé de déclaration préalable. Ces hypothèses correspondent à des cycles normaux de la vie économique et ne nécessitent pas de surveillance administrative spécifique.

Le projet exclut, en revanche, les entreprises de travail temporaire et les agences de mannequins de cette facilité, au motif qu’elles font chacune l’objet d’une législation spécifique respectivement prévue aux articles L. 1251-2 et L. 7123-12 du code du travail. Il allège, par ailleurs, certaines obligations procédurales. Le Conseil d’État donne un avis favorable à ces assouplissements, qui sont conformes à la législation européenne sur le détachement à la condition toutefois que les conventions bilatérales prévues pour les zones frontalières n’empiètent pas sur les compétences d’attribution de l’Union européenne.

En sens inverse, le projet prévoit un renforcement de l’effectivité des sanctions par la possibilité de suspendre la prestation de service internationale en cas de non-paiement d’amende administrative, ainsi que la suppression du caractère suspensif du recours formé contre les titres de perception d’amende administrative mais il supprime le régime de contribution forfaitaire dit « droit de timbre » prévu par l’article 106 de la loi n° 2016-1088 dite « loi travail », qui n’est pas devenu effectif. Il rehausse le plafond des sanctions administratives dans le cas de fraude au « noyau dur » garanti au travailleur détaché, comme d’ailleurs en matière de travail illégal. L’effectivité des sanctions administratives prononcées dans le cas de méconnaissance des règles relatives au détachement de travailleurs est renforcée par la création d’un nouveau régime de suspension de la prestation de service dans le cas où le prestataire étranger ne se serait pas acquitté du paiement des amendes administratives qui lui ont été notifiées. Enfin, le projet supprime le caractère suspensif des recours contre la notification et l’action en recouvrement des amendes administratives prononcées en cas de détachement illégal de travailleurs.

S’agissant plus particulièrement de la suspension de prestation de service en cas de non paiement de l’amende, le Conseil d’État constate qu’un tel dispositif peut être regardé comme une atteinte justifiée et proportionnée à la libre prestation des services, à la condition toutefois qu’elle ne soit pas automatique, qu’elle repose sur une appréciation des données de l’espèce par l’autorité compétente et qu’elle soit temporaire. Ces précisons sont apportées par le texte issu de l’examen par le Conseil d’État.

Le Conseil d’État demande au Gouvernement de mentionner dans l’étude d’impact la cohérence entre le régime ainsi modifié et le projet de directive modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil en cours de finalisation dans le cadre d’un trilogue institutionnel européen sur les conditions du détachement, qui modifiera sensiblement les conditions économiques de ce détachement, notamment en remplaçant la condition de respect du salaire minimum du pays d’accueil pour les travailleurs détachés par l’application à ces travailleurs le principe « à travail égal, salaire égal ».

Sur la lutte contre le travail illégal

86. Le projet de loi étend la possibilité – limitée en l’état aux entreprises du bâtiment et aux travaux publics, ainsi qu’aux entreprises de travail temporaire – de cessation d’activité du fait de travail illégal. Il prévoit, en outre, l’application d’une peine complémentaire de diffusion de certaines condamnations pour travail illégal. Ces dernières dispositions impliquent l’intervention de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Elles ne présentent aucune contradiction avec le projet de loi relatif à la protection des données qui définit le rôle de cette autorité de régulation dans le cadre de la transposition de la directive n°680/2016 qui sera en vigueur à la date de la promulgation de la loi.

Le projet introduit dans le code rural un régime d’amende administrative dans le cas d’absence de déclaration d’un chantier forestier et sylvicole, en raison de l’importance du travail illégal et des risques professionnels dans cette activité.

Le Conseil d’État demande au Gouvernement de modifier les dispositions prévoyant une telle peine complémentaire de diffusion sur un site des condamnations en matière de travail dissimulé – ce que celui-ci introduit par une saisine rectificative – pour que l’occurrence de l’affichage de la condamnation soit proportionnée à la gravité de l’illégalité sanctionnée, notamment en ciblant le caractère obligatoire de celle-ci au seul cas de délit commis en bande organisée.

Enfin, le projet modernise et clarifie les pouvoirs d’enquête des agents de contrôle de l’inspection du travail en alignant les prérogatives de ces agents en la matière sur celles des autres agents de contrôle.

Sur l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes au travail

87. Le projet prévoit des dispositions visant à renforcer l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes et ainsi que la lutte contre le harcèlement sexuel.

Il pose, en premier lieu, un principe général d’obligation pour les entreprises de plus de 50 salariés de mesurer, grâce notamment à un indicateur chiffré, le respect du principe selon lequel l’employeur doit assurer pour un même travail ou un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. Il renforce ensuite les obligations des branches professionnelles en matière de réflexion et d’information sur l’égalité professionnelle en imposant à celles-ci de rendre compte de leur action dans ce domaine dans le cadre de leur bilan annuel. Il prescrit enfin pour l’employeur d’afficher, en plus de son obligation légale déjà existante d’afficher le texte de l’incrimination du harcèlement sexuel prévu à l’article 222-33 du code pénal, les voies de droit ouvertes en matière de harcèlement sexuel ainsi que les coordonnées des services compétents.

Le Conseil d’État considère que ces dispositions ne posent pas de difficultés juridiques, notamment, pour ce qui concerne la thématique de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, au regard de son encadrement supra-législatif. Le choix de circonscrire la mesure chiffrée des écarts éventuels de rémunération entre les sexes aux entreprises de plus de 50 salariés ne pose pas de difficulté en ce que cette disposition, poursuivant un objectif d’intérêt général, se justifie par la fiabilité de l’exploitation de données suffisantes et par son articulation avec les dispositions relatives aux accords ou plans d’action relatifs à l’égalité professionnelle. Le Conseil d’État attire toutefois l’attention du Gouvernement sur les risques potentiels d’atteinte à la vie privée et à la protection des données personnelles qu’un défaut d’anonymisation de l’indicateur chiffré ferait peser sur certains salariés aisément identifiables notamment dans certaines entreprises ayant des effectifs réduits et œuvrant dans certains secteurs d’activité. Dans la perspective de la publication des écarts salariaux mis en exergue par l’indicateur, il appartiendra ainsi au Gouvernement, dans le cadre de l’application réglementaire du dispositif, de veiller au respect de ces principes.

Sur les mesures relatives à la position de disponibilité des fonctionnaires

88. Par trois articles rédigés en des termes identiques, le projet de loi modifie respectivement les articles 51 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, 72 de la loi n° 84-53 du 26 janvier portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et 62 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

Ces articles prévoient, d’une part, la conservation, à titre dérogatoire, pendant une période maximale de cinq ans des droits à l’avancement dans son corps ou cadre d’emplois pour le fonctionnaire placé en position de disponibilité et qui, durant cette période assimilée à des services effectifs dans son corps, exerce une activité professionnelle dans le secteur privé.

D’autre part, ils entendent permettre la prise en compte, dans les statuts particuliers de chaque corps ou cadre d’emplois, des activités professionnelles exercées dans le secteur privé durant la période de disponibilité en vue d’une promotion à un grade dont l’accès est subordonné à l’occupation préalable de certains emplois ou à l’exercice préalable de certaines fonctions.

Ce dispositif réduit ainsi de manière substantielle pendant une durée de cinq ans les différences entre la position du détachement et celle de la disponibilité.

89. Le Conseil d’État constate que l’étude d’impact, même complétée sur ce point, ne fournit pas d’indication permettant de penser que la mesure proposée contribuera à atteindre les deux objectifs que s’assigne le Gouvernement : d’une part, favoriser le retour dans l’administration de fonctionnaires partis exercer une activité professionnelle dans le secteur privé - faute de comporter des indications chiffrées sur les retours des fonctionnaires dans l’administration en l’état actuel du droit - et, d’autre part, contribuer à une plus grande égalité entre les femmes et les hommes. Sur ce point, si l’étude d’impact révèle qu’environ les deux tiers des fonctionnaires en position de disponibilité sont des femmes relevant de la fonction publique de l’État et de la fonction publique de territoriale, elle ne fournit aucun chiffre sur le nombre de femmes en position de disponibilité dans la fonction publique hospitalière et surtout elle n’est pas en mesure d’indiquer quelle est la part des femmes parmi les fonctionnaires en disponibilité qui exercent une activité professionnelle, cette part étant probablement très minime.

90. Au fond, le Conseil d’État ne conteste nullement l’intérêt de permettre aux fonctionnaires qui le souhaitent d’exercer une activité professionnelle hors de l’administration, d’enrichir la fonction publique de l’expérience et de la compétence de personnes ayant exercé des activités dans le secteur privé et de contribuer à une plus grande égalité entre les femmes et les hommes. Mais il note que le droit applicable favorise déjà la mobilité entre le secteur public et le secteur privé. Il relève en outre que le dispositif de disponibilité des fonctionnaires est, dès maintenant, fortement critiqué comme offrant aux agents publics une garantie de retour dans leur milieu professionnel d’origine, inexistante pour les autres actifs, et il s’interroge par conséquent sur la nécessité de prévoir des mesures additionnelles en ce sens. Le choix du Gouvernement de limiter le bénéfice de la mesure aux fonctionnaires ayant exercé une activité professionnelle dans le secteur privé pendant leur disponibilité conduit aussi à douter de sa capacité à atteindre l’objectif de favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Conseil d’État s’interroge encore sur l’acceptabilité de la différence de traitement que le projet établit entre les fonctionnaires en disponibilité qui exercent une activité professionnelle et ceux qui exercent un mandat d’élu, notamment des fonctions exécutives au sein d’une collectivité territoriale. Enfin, il estime que le dispositif proposé ne saurait s’appliquer de manière inconditionnelle à toutes les disponibilités, quelle que soit l’activité professionnelle exercée dans le secteur privé, l’avancement de fonctionnaires au titre de certaines activités exercées dans le secteur privé apparaissant très problématique et contestable : le projet devrait par conséquent mieux caractériser les hypothèses dans lesquelles un tel avantage pourrait être accordé.

Compte tenu de ces difficultés, le Conseil d’État considère, en l’absence d’urgence, que la mesure proposée gagnerait à être approfondie et à s’inscrire, de préférence à titre expérimental, dans un projet de loi d’ensemble relatif à la fonction publique dans lequel elle trouverait mieux sa place. Il écarte par conséquent les articles du projet de loi qui s’y rapportent.

Sur l’habilitation au Gouvernement sur le fondement de l’article 38 de la Constitution

92. Le projet de loi autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, toute mesure relevant de la loi afin d’harmoniser l’état du droit, d’assurer la cohérence des textes, d’abroger les dispositions devenues sans objet et de remédier aux éventuelles erreurs. Cette disposition, qui définit le domaine d’intervention des ordonnances et les finalités poursuivies, prévoit notamment l’adaptation par ordonnance des dispositions de la loi aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cet avis a été délibéré et adopté par l'Assemblée générale du Conseil d’État dans ses séances du jeudi 19 et 26 avril 2018.