Projet de loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à la modification du statut d'autonomie de la Polynésie française.

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1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 23 octobre 2018 d’un projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française.

2. Ce projet de loi organique, qui comprend 18 articles, a pour objet de modifier diverses dispositions de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française qui, sur le fondement de l’article 74 de la Constitution, définit les compétences et modes d’action de l’Etat et de la collectivité de Polynésie française, régit les attributions, le mode de désignation et le fonctionnement des institutions locales et détermine les conditions dans lesquelles s’y appliquent les lois et règlements, en particulier les lois du pays adoptées par l’assemblée de la Polynésie française.

Le projet appelle de la part du Conseil d’Etat les observations suivantes.

3. Le Conseil d’Etat constate que l’étude d’impact, qui a été complétée le 26 novembre 2018 et découle elle-même de travaux préparatoires menés avant et après la signature, le 17 mars 2017, d’un « Accord pour le développement de la Polynésie française, dit « Accord de l’Elysée », répond globalement aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009‑403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

4. S’agissant des consultations obligatoires, le Conseil d’Etat constate que le Gouvernement a, comme il le devait, soumis préalablement au présent avis l’intégralité du projet de loi organique à la consultation de l’assemblée de la Polynésie française en vertu de l’article 74 de la Constitution.

En revanche, si la saisine du Conseil national d’évaluation des normes a pu s’avérer opportune, il n’apparaît pas que cette consultation, prévue par l’article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales afin que cette instance se prononce « sur l’impact technique et financier des projets de loi créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics », était obligatoire en l’espèce. En effet, eu égard à son objet-même, qui est limité au territoire polynésien, et alors même qu’il est susceptible d’avoir un impact sur plusieurs catégories de collectivités polynésiennes, le projet examiné, qui ne concerne qu’un territoire particulier, ne présente pas un caractère de généralité suffisant au sens des dispositions précitées (cf. CE 20 février 2013, Syndicat des transports d'Île-de-France, n° 359149, T. p. 457).

Dispositions concernant la reconnaissance de la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire

5. Le projet examiné comporte des dispositions prévoyant que « La République reconnaît la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation ». Le projet ajoute que la loi fixe les conditions d’indemnisation des personnes souffrant de maladies radio-induites consécutives aux essais nucléaires, que l’Etat assure l’entretien et la surveillance des sites des atolls de Mururoa et Fangataufa et qu’il accompagne la reconversion de l’économie polynésienne consécutivement à la cessation des essais nucléaires.

Le Conseil d’Etat observe que ces dispositions sont largement dépourvues de portée normative et, en tout état de cause, que plusieurs des « principes » qu’elles énoncent sont redondants sur le plan juridique, dès lors notamment que le législateur ordinaire a d’ores et déjà défini les conditions de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français (loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010) et que l’article L. 1333-15 du code de la défense prévoit que « les anciens sites d'expérimentations nucléaires du Pacifique » relèvent du régime des installations et activités intéressant la défense nationale.

Il constate en outre qu’elles ne se rattachent, même indirectement, à aucune des différentes catégories de règles ou de mesures énumérées par l’article 74 de la Constitution. Elles ne présentent donc pas, en tout état de cause, un caractère organique.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat ne retient pas ces dispositions dans le projet de loi organique. Il demeure évidemment loisible au Gouvernement de rappeler ces principes dans l’exposé des motifs du projet.

Règles relatives à la création d’autorités administratives indépendantes

6. Le projet de loi organique supprime la précision figurant aujourd’hui à l’article 30-1 de la loi organique du 27 février 2004 et qui restreint au seul secteur économique la faculté de la Polynésie française de créer, pour l’exercice de ses compétences, des autorités administratives indépendantes (AAI).

Cette extension du champ des secteurs dans lesquels la Polynésie pourra créer des AAI doit s’opérer dans le respect des matières que l’article 14 de la même loi organique réserve aux autorités de l’Etat. A cette fin, le Conseil d’Etat suggère de continuer à préciser expressément que ces instances ne sont appelées à être créées que pour exercer des « missions de régulation ».

7. Par ailleurs, le projet complète – ce qui est bienvenu – le même article 30-1 ainsi que l’article 111 relatif au mandat de représentant à l’assemblée de la Polynésie française pour y énoncer les règles d’incompatibilité applicables aux présidents et membres de ces autorités.

Création de sociétés publiques locales ou de syndicats mixtes ouverts

8. Le projet de loi organique étend à la collectivité de Polynésie française et à ses établissements publics la faculté de créer des sociétés publiques locales, qui a été prévue de manière générale par la loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales et ouverte aux communes de Polynésie française par l’article 2 de la loi n° 2016-1658 du 5 décembre 2016 relative à l’élection des conseillers municipaux dans les communes associées de la Polynésie française et à la modernisation du code général des collectivités territoriales applicables aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics.

9. De même, une autre disposition du projet de loi organique institue la possibilité de créer un syndicat mixte entre la Polynésie française, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale, les chambres de commerce, d’industrie, des services et des métiers ou d’autres établissements publics, pour exercer des activités ou des services présentant un intérêt pour chaque personne morale intéressée.

10. Le Conseil d’Etat estime que dès lors que le législateur organique est compétent pour fixer « les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la collectivité » et qu’il s’agit, dans les deux cas, d’une compétence nouvelle conférée à la collectivité de Polynésie française, un texte organique est en effet requis.

Il observe en outre que ces mesures se bornent à appliquer à la Polynésie française, avec les adaptations nécessaires, le régime de droit commun en vigueur. A ce titre, la participation de la Polynésie française ou d’un de ses établissements publics à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d’administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou cet établissement n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société (CE 14 novembre 2018, Syndicat mixte pour l'aménagement et le développement des Combrailles et autres, n°s 405628, 405690, à mentionner aux Tables).

Participation de la Polynésie française à des organisations internationales hors de la zone Pacifique

11. Le projet de loi organique élargit au-delà du Pacifique le périmètre dans lequel la Polynésie française peut être membre, membre associé, ou observateur au sein d’organisations internationales.

Ces dispositions visent notamment à permettre à la collectivité, qui devra préalablement recueillir l’accord des autorités de la République, d’adhérer à diverses organisations placées sous l’égide des Nations-Unies ou à caractère global.

Le Conseil d’Etat rappelle que l’adhésion de la Polynésie française à de telles organisations internationales doit s’inscrire dans le respect des engagements internationaux de la République et, le cas échéant, des règles applicables en matière de négociation, d’approbation et de ratification des accords internationaux (cf. décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, considérant 58).

Sous réserve de modifications formelles destinées à clarifier la rédaction de l’article 42 de la loi organique, cette mesure n’appelle pas d’autre observation de la part du Conseil d’Etat.

Exercice de certaines compétences par les communes

12. Le projet de loi organique précise et complète sur deux points la rédaction du II de l’article 43 de la loi organique du 27 février 2004, qui a trait aux compétences que les communes et leurs établissements publics peuvent exercer avec l’accord de la Polynésie française.

En premier lieu, le projet précise que l’intervention des communes dans les domaines énumérés par l’article 43 continuera certes de se faire « dans les conditions définies par les actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" et la réglementation édictée par la Polynésie française » mais qu’elle ne requerra plus « un transfert des moyens nécessaires à l’exercice de ces compétences ». La loi organique consacre ainsi la capacité des communes à agir de manière complémentaire à la collectivité de Polynésie française, sans pour autant que celle-ci transfère sa compétence ni, dès lors, les moyens afférents.

En second lieu, la liste des compétences qui peuvent ainsi être exercées est étendue : le développement économique, l’aménagement de l’espace, la jeunesse et le sport pourront désormais faire l’objet d’actions conjointes des communes et de la Polynésie française, dans le cadre juridique qui restera fixé par cette dernière.

13. Le Conseil d’Etat observe, ainsi qu’il l’avait indiqué dans son avis du 24 novembre 2015, que ces modifications étaient nécessaires dès lors que la clause de compétence générale résultant de l’article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales, applicable aux communes de la Polynésie française depuis l’ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007, ne peut être mise en œuvre que dans le respect des dispositions relatives à la répartition des compétences entre collectivités publiques en Polynésie française et aux compétences des communes telles qu’elles sont déterminées par la loi organique statutaire. En l’état des textes, notamment de l’article 43 de la loi organique, les communes de Polynésie française ne peuvent par conséquent pas intervenir sur le seul fondement de l’article L. 2121-29 dans les matières énumérées par l’article 43.

Compétence en matière de terres rares

14. Le projet de loi organique complète l’article 47 de la loi organique du 27 février 2004 dont le quatrième alinéa confère à la Polynésie française le soin de réglementer et exercer « le droit d’exploration et le droit d’exploitation des ressources naturelles biologiques et non biologiques des eaux intérieures (…), du sol, du sous-sol et des eaux sur-jacentes de la mer territoriale », pour préciser que cette énumération inclut les « éléments des terres rares ».

Le Conseil d’Etat observe que la notion de « terres rares », bien qu’elle semble faire l’objet d’un consensus scientifique tendant à y inclure 17 métaux (le scandium, l’yttrium et les 15 lanthanides - cf. rapport d’information n° 349 du Sénat en date du 10 mars 2011), n’a reçu, à ce jour, qu’une définition juridique partielle à l’article L. 111-1 du code minier dont le 7° fait état « Du cérium, du scandium et des autres éléments des terres rares ». En tout état de cause, un tel ajout ne modifie pas l’état du droit existant mais se borne à l’expliciter. Il ne préjudicie pas, en particulier, aux dispositions de l’article 27 de la loi organique, aux termes desquels « La Polynésie française exerce ses compétences dans le respect des sujétions imposées par la défense nationale ».

Il ne saurait en effet en aller autrement dès lors que l’article 74 de la Constitution énonce, s’agissant des compétences des collectivités qu’il régit, que « le transfert de compétences de l'Etat ne peut porter sur les matières énumérées au quatrième alinéa de l’article 73, précisées et complétées, le cas échéant, par la loi organique » et que, parmi ces matières, figurent notamment « (…)la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics (…) ». Il en résulte que si, notamment pour des motifs relevant de la défense nationale, certaines terres rares devaient être classées comme « matières premières stratégiques » au sens de l’article 14 de la même loi organique, l’Etat serait compétent pour réglementer leur exploration et leur exploitation.

Régime de vacances des sièges au sein de l’assemblée de Polynésie française

15. L’article 107 de la loi organique du 27 février 2004 impose le renouvellement général de l’assemblée de la Polynésie française dès que, la faculté de faire appel au suivant de liste dans une même section électorale étant épuisée, 3 de ses 57 sièges deviennent vacants.

Sur le modèle de la législation applicable aux conseils régionaux (article L. 360 du code électoral), le projet examiné porte ce seuil à un tiers des sièges (19 sur 57), en ne tenant compte, pour son application, que de ceux qui deviendraient vacants du fait du décès de leur titulaire.

Le Conseil d’Etat observe que le projet poursuit ainsi un objectif de stabilité des institutions, en vue de prévenir le risque qu’une minorité de représentants ne puisse, par une démission opportune, disposer de facto d’une forme de droit de dissolution. Pour ce faire, il est loisible au Gouvernement, même si d’autres modalités auraient été envisageables, de retenir les règles de seuil aujourd’hui prévues par le code électoral pour l’élection des conseils régionaux, qui ne paraissent contraires à aucune norme supérieure.

En tout état de cause, le Conseil d’Etat émet un avis favorable aux dispositions qui permettent d’adapter en conséquence de ce choix les règles de calcul de la majorité lorsque l’assemblée fonctionne avec moins de 57 représentants.

Dispositions diverses

16. Enfin, diverses dispositions du projet ont pour objet :

- de clarifier la répartition des compétences quant aux règles applicables aux agents publics ou au domaine de l’Etat ;

- d’actualiser le nom du Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française pour témoigner de sa dimension environnementale ;

- de permettre aux communes polynésiennes qui seraient aujourd’hui compétentes en matière de production et de distribution d’électricité de transférer cette compétence à la Polynésie française, avec l’accord de celle-ci ;

- de simplifier le cadre dans lequel l’Etat et la Polynésie française sont susceptibles de conclure des conventions régissant les concours financiers et techniques de l’Etat.

Ces modifications ne se heurtent à aucune objection d’ordre constitutionnel et n’appellent pas de remarque de la part du Conseil d’Etat.

Cet avis a été délibéré par l'assemblée générale du Conseil d'Etat dans sa séance du jeudi 29 novembre 2018.