Possibilité pour le CSA d’édicter une recommandation se substituant à certaines stipulations des conventions conclues avec les éditeurs de services et sur la validité des mises en demeure prises sur le fondement de ces stipulations

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État portant sur la possibilité pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel d’édicter une recommandation se substituant à certaines stipulations des conventions conclues avec les éditeurs de services et sur la validité des mises en demeure prises sur le fondement de ces stipulations.

En synthèse

Par son avis du 17 octobre 2017, le Conseil d’État (section de l’intérieur) a précisé les prérogatives du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour la mise en œuvre de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 - dite loi Bloche. Par cette loi, le législateur a entendu renforcer l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

Dans ce nouveau cadre, le Conseil d’État a défini les champs respectifs des deux vecteurs (recommandation et convention avec les éditeurs de service) dont dispose le CSA pour atteindre l’objectif ainsi fixé par le législateur. Il a également précisé les conditions dans lesquelles les mises en demeure prises, avant l’intervention de cette loi, par le CSA pouvaient encore servir à fonder une sanction en cas de réitération du manquement. Enfin, il a indiqué les critères à mobiliser pour résoudre un éventuel conflit entre une recommandation émise par le CSA et les dispositions du cahier des charges des sociétés nationales de programme.   

L'avis du Conseil d'État

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CONSEIL D’ETAT

Section de l’intérieur - N° 393566
Séance du mardi 17 octobre 2017

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS
NOR : PRMX1724601X

AVIS sur la possibilité pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel d’édicter une recommandation se substituant à certaines stipulations des conventions conclues avec les éditeurs de services et sur la validité des mises en demeure prises sur le fondement de ces stipulations

Le Conseil d’Etat, saisi par le Premier ministre, des questions suivantes :

1° La loi prévoyant que le CSA garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent en application des dispositions du troisième alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 précitée, par le biais tant des recommandations prises en application du dernier alinéa du même article que des stipulations conventionnelles, quels sont les critères, s’il y en a, qui guident le choix entre le recours à l’acte unilatéral et la conclusion d’avenants aux conventions conclues avec les éditeurs de services ?

a) Le CSA peut-il adopter une recommandation générale sur le fondement du dernier alinéa de l’article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 pour garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, dont les dispositions se substitueraient, en les complétant le cas échéant, aux règles qui résultent actuellement des stipulations de certaines conventions conclues avec les éditeurs de services ?

b) Si oui, les conventions, qui doivent faire l’objet d’un avenant pour l’application des articles 28 et 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans leur rédaction résultant des articles 7 et 8 de la loi du 14 novembre 2016, pourraient-elles se borner à renvoyer, sur ce point, à cette recommandation ?

a) En cas de réponse affirmative à la question mentionnée au a du 2°, les mises en demeure qui auraient été prises à l’encontre des éditeurs de services à raison d’une méconnaissance des obligations conventionnelles qui seraient reprises par la recommandation, sans que le contenu de ces obligations ne soit modifié, permettraient-elles de fonder une future procédure de sanction qui serait engagée en cas de méconnaissance réitérée des règles désormais fixées par la recommandation ? Ou serait-il au contraire nécessaire que de nouvelles mises en demeure soient prises sur le fondement de la recommandation pour qu’une procédure de sanction soit régulière ?

b) La modification des conventions qui interviendra en application des articles 28 et 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 dans leur rédaction résultant des articles 7 et 8 de la loi du 14 novembre 2016 aura-t-elle pour effet de rendre caduques les mises en demeure prises sur le fondement des stipulations conventionnelles alors en vigueur ?

4° En cas de réponse affirmative à la question mentionnée au a du 2°, et dans l’hypothèse d’un conflit entre les dispositions d’une recommandation du CSA et celles prévues par le cahier des charges d’une société de l'audiovisuel public, lesquelles prévaudraient ?

VU la Constitution, notamment son article 21 ;

VU la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

VU la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

VU la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 ;

EST D’AVIS QU’IL Y A LIEU DE REPONDRE AUX QUESTIONS POSEES DANS LE SENS DES OBSERVATIONS SUIVANTES, SOUS RESERVE DE L’APPRECIATION DES JURIDICTIONS COMPETENTES :

Sur la première question :

1. L’article 6 de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias modifie l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication afin d’autoriser le Conseil supérieur de l’audiovisuel à faire usage de son pouvoir de recommandation pour garantir « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent ». Les articles 7 et 8 de cette loi prévoient par ailleurs que les conventions conclues entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et les éditeurs de services précisent « les mesures à mettre en œuvre pour garantir le respect » de ces mêmes principes. Enfin, l’article 28 de cette loi dispose que « pour l’application des articles 7 et 8, les conventions conclues entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et les éditeurs de services de radio et de télévision font l’objet, en tant que de besoin, d’un avenant avant le 1er juillet 2017 ».

2. Il ne ressort ni de ces dispositions, ni des travaux préparatoires de la loi dont elles sont issues, que le législateur, pour garantir le respect des principes énoncés au point précédent, a entendu fixer des critères spécifiques orientant l’action du Conseil supérieur de l’audiovisuel entre, d’une part, les recommandations qu’il peut adresser sur le fondement de l’article 3-1 et, d’autre part, la conclusion d’avenants aux conventions conclues avec les éditeurs de services. Dans ces conditions, relèvent des recommandations les règles de portée générale, applicables à l’ensemble des services ou à certaines catégories d’entre eux, permettant d’assurer le respect de ces principes, tandis que leurs éventuelles adaptations à la situation particulière d’un éditeur devront nécessairement faire l’objet d’un avenant à la convention que le Conseil supérieur de l’audiovisuel a conclue avec lui.

3. En revanche, il ressort de la loi du 14 novembre 2016, éclairée par ses travaux préparatoires, que le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne peut recourir à la recommandation pour régir le fonctionnement des comités relatifs « à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes », que toute personne morale éditrice d’un service de radio généraliste à vocation nationale ou de télévision qui diffuse, par voie hertzienne terrestre, des émissions d’information politique et générale doit instituer en application du nouvel article 30-8 de la loi du 30 septembre 1986. En effet, ce dernier article prévoit uniquement que « les modalités de fonctionnement du comité sont fixées par la convention conclue entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et les éditeurs privés de services de radio ou de télévision ou par le cahier des charges des sociétés nationales de programme ».

Il en va de même du droit consacré par cette loi à l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dont la garantie du respect relève exclusivement des conventions conclues avec les éditeurs de services de télévision et de radio, conformément à l’intention du législateur exprimée au nouvel article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986.

Sur la deuxième question :

4. Ainsi qu’il a été rappelé au point 1, le Conseil supérieur de l’audiovisuel doit, pour assurer le respect des principes issus de la loi du 14 novembre 2016, conclure des avenants avec les différents éditeurs de services de radio et de télévision, en principe avant le 1er juillet 2017.

5. Aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce que le Conseil supérieur de l’audiovisuel adopte une recommandation générale, à laquelle les avenants aux conventions conclues avec les éditeurs de services de radio et de télévision se borneraient à renvoyer. Cette pratique, en ce qu’elle permet d’accélérer la conclusion des avenants et d’assurer un traitement plus homogène entre les différents éditeurs, participe par ailleurs des objectifs de célérité et de cohérence exprimés par le législateur lors de l’examen de la loi du 14 novembre 2016.

6. Cependant, d’une part,la possibilité reconnue au point précédent est sans préjudice des adaptations spécifiques qui devront être prévues, par la convention, si les caractéristiques propres de l’éditeur le requièrent. D’autre part, elle ne saurait s’appliquer aux sujets mentionnés au point 3, lesquels, ainsi qu’il a été dit, relèvent uniquement du domaine conventionnel et ne sauraient être régis par la voie d’une recommandation.

Sur la troisième question :

7. Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et notamment de sa décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, que les pouvoirs de sanction dévolus au Conseil supérieur de l’audiovisuel ne sont susceptibles de s’exercer, réserve faite du cas régi par les articles 42-3 et 42-9 de la loi du 30 septembre 1986, qu’après mise en demeure des éditeurs de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires, notamment par les principes définis aux articles 1er et 3-1 de cette même loi, ou par la convention qu’ils ont conclue avec le Conseil. Le Conseil d’Etat statuant au contentieux en a déduit (décision n° 279596 du 6 janvier 2006), que la procédure de sanction ne peut être engagée qu’à raison de faits postérieurs à la mise en demeure, susceptibles de traduire un manquement de l’éditeur à l’obligation de se conformer à celle-ci. Par ailleurs, le Conseil d’État statuant au contentieux a également jugé (décision n°s 324614, 329280 du 22 octobre 2010) qu’il ne résultait d’aucun texte ou principe général du droit que ces mises en demeure auraient une validité limitée dans le temps.

8. Il résulte de ce qui précède que la mise en demeure constitue un préalable à l’ouverture de la procédure de sanction, dont l’objet est seulement d’avertir la personne intéressée de ce qu’elle méconnaît une des obligations auxquelles elle est soumise. Dès lors, une mise en demeure peut valablement fonder une sanction punissant la réitération de ce manquement, alors même que les dispositions réglementaires ou législatives, ou les stipulations conventionnelles, relatives à l’obligation méconnue auraient entretemps été modifiées, à la condition que ces modifications ne changent pas la substance de cette obligation.

Ainsi, dans l’hypothèse où une mise en demeure aurait porté sur la méconnaissance de stipulations conventionnelles relatives à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme, lesquelles auraient ensuite été modifiées pour tenir compte de l’intervention de la loi du 14 novembre 2016 en se bornant désormais à renvoyer à une recommandation adoptée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, cette mise en demeure pourrait encore servir de fondement à l’une des pénalités contractuelles prévues par la convention en cause, sauf si la modification intervenue, qu’elle porte sur la convention elle-même ou sur la recommandation à laquelle la convention renvoie, devait avoir affecté la substance de l’obligation méconnue par l’éditeur.

9. Au regard des principes ainsi posés, il reviendra au Conseil supérieur de l’audiovisuel d’apprécier, au cas par cas, si les mises en demeure qu’il a déjà prises peuvent encore fonder une procédure de sanction.

Sur la quatrième question :

10. D’une part, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions des deux premiers alinéas de l’article 21 de la Constitution confèrent au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République, l’exercice du pouvoir réglementaire à l’échelon national. Il en déduit que, si ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l’Etat autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en œuvre une loi, c’est à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu (décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989). C’est dans ce cadre constitutionnel que le Conseil supérieur de l’audiovisuel exerce, par voie de recommandations, le pouvoir réglementaire dans les domaines que le législateur lui a confiés par la loi du 30 septembre 1986.

11. D’autre part, un cahier des charges fixé par décret, dont le contenu est détaillé à l’article 48 de la loi du 30 septembre 1986, définit les obligations de chacune des sociétés nationales de programme. Cet acte d’organisation du service public revêt un caractère réglementaire, ainsi que le Conseil d’État statuant au contentieux l’a d’ailleurs implicitement jugé (décision n° 180771 du 29 juillet 1998).

12. Il suit de là que, dans l’hypothèse, du reste improbable, d’un conflit entre les dispositions d’une recommandation du Conseil supérieur de l’audiovisuel et celles prévues par le cahier des charges d’une société de l’audiovisuel, les secondes prévalent, en principe, sur les premières, conformément à la hiérarchie des normes. Il en va toutefois différemment s’il ressort nettement des dispositions législatives en cause que le législateur a entendu confier au seul Conseil supérieur de l’audiovisuel, en tant qu’autorité publique indépendante, le soin de fixer, par dérogation au pouvoir réglementaire du Premier ministre, l’ensemble des conditions d’application du domaine considéré.

13. Si l’article 43-11 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que les sociétés nationales de programme « assurent l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information ainsi que l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans le respect du principe d’égalité de traitement et des recommandations du Conseil supérieur de l’audiovisuel », il ne ressort pas de l’économie générale de la loi du 30 septembre 1986, ni des travaux préparatoires y afférents, que le législateur aurait, ce faisant, entendu confier exclusivement au Conseil supérieur de l’audiovisuel la réglementation de ces matières. A l’inverse, les articles 44 et 48 de cette même loi prévoient que certaines dispositions des cahiers des charges des sociétés nationales de programme portent sur le respect du pluralisme, et la loi du 14 novembre 2016 renvoie à ces mêmes cahiers le soin de déterminer les modalités de fonctionnement du comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information qu’elle institue. Il suit de là qu’en cas de conflit portant sur ces matières, les dispositions du cahier des charges prévaudraient sur celles de la recommandation. Pour autant, cette hypothèse de conflit apparaît particulièrement improbable dans la mesure où, en ces matières, le Premier ministre, pour respecter les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes, ne peut, comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel, exercer son pouvoir réglementaire qu’en vue de garantir le respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information.

14. Si le Gouvernement devait envisager une refonte du cadre législatif applicable à l’audiovisuel, il devrait s’attacher à définir plus clairement les domaines réglementaires pour lesquels, dans le respect des exigences constitutionnelles rappelées au point 10, il entend laisser une compétence exclusive au Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Cet avis a été délibéré par la section de l’intérieur du Conseil d’État dans sa séance du mardi 17 octobre 2017.