Loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Retrouvez ci-dessous l'analyse que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

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CONSEIL D’ETAT
Assemblée générale
Séance du jeudi 28 janvier 2016
Section de l’intérieur,
Section des finances,
N° 391004

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

AVIS SUR UN PROJET DE LOI renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale
1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 23 décembre 2015 d’un projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure  pénale.

2. Ce projet est organisé autour de trois titres.

Le premier, consacré au renforcement des moyens de lutte contre le crime organisé et le terrorisme, comprend cinq volets :
- Le chapitre Ier accroît les moyens d’investigation dans le cadre de l’enquête préliminaire et de l’information judiciaire ;
- Le chapitre II a pour objet d’assurer une meilleure protection des témoins ;
- Le chapitre III comporte des dispositions relatives au contrôle des armes, à la lutte contre leur trafic et contre la cybercriminalité ;
- Le chapitre IV étend les pouvoirs des services dans le domaine de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et crée une nouvelle infraction de trafic de biens culturels provenant d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes ;
- Le chapitre V comporte des mesures renforçant de façon permanente les pouvoirs de police administrative dans le cadre de la prévention des menaces terroristes : il précise les règles d’usage des armes par les forces de l’ordre ; il institue un contrôle administratif des retours en France des personnes constituant une menace pour la sécurité publique ; il fixe le cadre légal d’utilisation des « caméras piétons » par les agents de la police nationale.

Le titre II, consacré au renforcement des garanties au cours de la procédure pénale et à la simplification de cette procédure, comporte deux volets :
- Le chapitre Ier précise les missions du procureur de la République dans sa fonction de direction de la police judiciaire ; il introduit des éléments de procédure contradictoire dans les enquêtes longues ; il encadre les pouvoirs du juge d’instruction en matière d’interceptions de communications ; il améliore les garanties en matière de détention provisoire et de privation de liberté en mer ;
- Le chapitre II rassemble diverses dispositions simplifiant, à divers stades, la procédure pénale.
Le titre III comporte des dispositions de nature diverse :
- Il habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances en vue notamment de transposer des directives de caractère pénal et de mettre le droit pénal en conformité avec les jurisprudences récentes du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l’homme ;
- Il étend les dispositions du projet outre-mer.
 
3. Le Conseil d’Etat n’a pas jugé nécessaire d’apporter des modifications à ce plan, sauf en ce qui concerne la disposition relative aux « caméras piétons » qui ne lui a pas paru, compte tenu des finalités multiples de ce dispositif, notamment en matière de preuve, trouver sa place dans le titre I consacré à la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Il a en conséquence inséré cet article dans le titre III, en lui affectant un chapitre autonome.
 
4. Compte tenu de la présence dans le projet de loi de nombreuses dispositions destinées à prévenir ou combattre le terrorisme, il lui est apparu que cet objectif du texte devait apparaître dans son intitulé et le Conseil d’Etat suggère par conséquent l’adoption de l’intitulé suivant : « Projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale ».

5. L’étude d’impact du projet est apparue, sur certains points, insuffisante :
- soit que les données permettant d’apprécier l’utilité de la mesure introduite n’aient pas été suffisamment exposées ;
- soit en raison d’une présentation lacunaire de l’état du droit ;
- soit encore du fait de l’absence d’éléments de droit comparé.
A la suite de demandes des rapporteurs, l’étude d’impact a fait l’objet de deux saisines rectificatives, mais il conviendrait encore de la compléter, notamment sur les articles du projet relatifs au contrôle administratif sur les personnes de retour de l’étranger et au contrôle de l’accès aux grands évènements.

6. Tant l’étude d’impact que l’exposé des motifs lui-même gagneraient à être enrichis par une analyse d’ensemble du texte.
Celle-ci permettrait de mieux appréhender, en les replaçant dans une perspective historique, les nouveaux équilibres résultant du texte entre police administrative et police judiciaire, d’une part, et entre parquet, juge d’instruction et juge des libertés et de la détention, d’autre part.

7. Le Conseil d’Etat a veillé à ce que le projet concilie les impératifs de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme avec le respect des droits et libertés susceptibles d’être affectés : liberté individuelle, dont la protection est confiée par l’article 66 la Constitution à l’autorité judiciaire ; respect de la vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 8 et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; liberté personnelle et liberté d’aller et venir protégées par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

8. Dans ces conditions, le projet appelle, de la part du Conseil d’Etat, les observations suivantes.

Sur la conception de la procédure pénale
9. Les dispositions du projet de loi permettant le recours, dans le cadre de l’enquête préliminaire ou de flagrance, à des actes jusqu’ici réservés à l’instruction, rapprochées de celles du chapitre renforçant les garanties de la procédure pénale qui rapprochent la définition des missions du procureur de la République de celles du juge d’instruction (article prévoyant l’obligation pour le procureur de veiller à ce que les investigations soient menées « à charge et à décharge ») et introduisent une dose de débat contradictoire dans l’enquête préliminaire s’inscrivent dans la continuité d’une évolution amorcée depuis une quinzaine d’années tendant à renforcer les prérogatives du ministère public. Cette évolution, par touches successives, atténue les différences entre enquête préliminaire et information et estompe partiellement la spécificité du rôle du juge d’instruction.
Ainsi, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a créé le juge des libertés et de la détention auquel était confié le pouvoir de mettre en détention, antérieurement prérogative du juge d’instruction. Parallèlement plusieurs lois – la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation - ont permis au ministère public, en particulier dans le cadre procédural de la lutte contre la délinquance organisée, de recourir, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, à des techniques d’enquête antérieurement réservées au juge d’instruction.
Dans le même temps, et bien que l’instruction demeure obligatoire pour les affaires criminelles, sa part dans l’ensemble des affaires pénales donnant lieu à des poursuites est désormais stabilisée à un niveau très faible (moins de 3 %). La pratique du « traitement en temps réel » mise en oeuvre par les parquets et le développement des alternatives aux poursuites, de la composition pénale et des modes de poursuite dans lesquels le procureur de la République joue un rôle essentiel (ordonnance pénale, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) ont conféré une place accrue à ce dernier dans la réponse pénale.
Si ces évolutions sont inspirées par un souci d’efficacité dans la lutte contre la délinquance, leurs conséquences sur la cohérence de notre système pénal doivent être bien mesurées, s’agissant en particulier des équilibres de la procédure et du rôle de ses différents acteurs, alors que le statut des magistrats du parquet reste moins protecteur que celui des magistrats du siège.

Sur les dispositions renforçant l’efficacité des investigations judiciaires
10. Le projet autorise la perquisition de nuit dans des locaux d’habitation, en cas d’urgence, lorsqu’est en cause une infraction de terrorisme et qu’il y a risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique :
- dans le cadre d’une enquête préliminaire, à la requête du procureur de la République et sur
autorisation du juge des libertés et de la détention ;
- dans le cadre de l’information judiciaire, sur décision du juge d’instruction.
En l’état actuel du droit, seul le juge d’instruction peut autoriser des officiers de police judiciaire à perquisitionner la nuit dans des locaux d’habitation, et seulement dans trois cas d’urgence : crime ou délit flagrant ; risque immédiat de disparition des preuves ou d’indices matériels ; raisons de soupçonner qu’une ou plusieurs personnes se trouvant dans les locaux où doit avoir lieu la perquisition sont en train de commettre des crimes ou des délits entrant dans le champ d’application de la criminalité organisée.
Ce dispositif a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004, moyennant une réserve selon laquelle la  perquisition ne doit pas pouvoir être réalisée à d’autres heures.
Au vu de cette jurisprudence, comme de celle de la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil d'Etat a estimé que la nouvelle disposition n’appelait pas d’objection, dès lors que, dans tous les cas, l’autorisation de perquisitionner est donnée par un juge du siège, que les infractions en cause sont d’une particulière gravité, qu’il doit être justifié d’un risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des personnes, que la disposition en cause ne peut se lire qu'à la lumière de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004 (quant à l’impossibilité de réaliser la perquisition à un autre horaire) et que l’autorisation du juge est entourée de garanties de forme prévues à l’article 706-92 du code de procédure pénale.

11. De même, le Conseil d'Etat a estimé que ne se heurtaient pas à un obstacle constitutionnel ou conventionnel :
- la possibilité, en matière de criminalité ou de délinquance organisée - soit, au cours d’une enquête préliminaire, à la demande du parquet et sur autorisation du juge des libertés et de la détention, soit, au cours d’une instruction, par décision du juge d’instruction - de recourir à la technique dite de l’ « IMSI-catcher » pour capter les données de connexion nécessaires à l’identification d’un équipement téléphonique, technique déjà autorisée, pour le renseignement, par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 ;
- l’extension à l’enquête préliminaire, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, des techniques de sonorisation et fixation d’images de certains lieux et véhicules et des techniques de captation des données informatiques, jusque là
réservées au juge d’instruction ;
- l’élargissement de la captation des données informatiques aux données stockées sur un ordinateur et non plus seulement aux données telles qu’elles s’affichent sur l’écran, à l’instar de ce qui est déjà permis pour le renseignement.

12. Dans un souci de proportionnalité et de cohérence des conditions dans lesquelles ces différents actes d’enquête peuvent être accomplis, le Conseil d'Etat a estimé nécessaire de compléter les dispositions du projet pour prévoir :
- une différenciation des durées pendant lesquelles le juge d’instruction et le procureur de la République pourront recourir à la sonorisation ou fixation d’images et à la captation de données informatiques : le juge d’instruction pourra recourir à ces techniques pour une durée de quatre mois, tandis que le procureur de la République pourra y recourir pour une durée d’un mois ; ces durées sont en harmonie avec celles actuellement prévues par le code de procédure pénale en matière d’interception de télécommunications (articles 100-2 et 706-95) et de géolocalisation (article 230-33) ;
- une limite maximale à la durée du recours à la sonorisation ou la fixation d’images et à la captation de données informatiques, fixée à deux mois en enquête préliminaire et à deux ans pour l’instruction ; la durée maximale de deux mois en enquête préliminaire est cohérente avec la durée déjà retenue en matière d’interception de télécommunications et de géolocalisation ; la durée maximale de deux ans à l’instruction est, quant à elle, cohérente avec celle introduite par le projet de loi pour les interceptions de télécommunications en délinquance et criminalité organisées ; le Conseil d'Etat a estimé, y compris pour la captation de données informatiques aujourd’hui soumise à une limite maximale plus brève (article 706-102-3), qu’une telle durée était proportionnée à la gravité des infractions en cause et qu’une harmonisation de la durée maximale de recours à ces actes était opportune.

Sur les dispositions renforçant les garanties de la procédure pénale
13. En contrepoint de l’extension des pouvoirs d’investigation à la disposition du parquet, le projet crée, dans les enquêtes préliminaires d’une durée supérieure à un an, une phase contradictoire facultative.
Le Conseil d'Etat a apporté plusieurs précisions à cet article :
 
- il a clarifié le moment auquel le parquet devra permettre au mis en cause d’accéder au dossier de la procédure après avoir été saisi d’une demande en ce sens : le Conseil d'Etat a estimé que cette communication doit avoir lieu non pas lorsque le procureur estime son enquête achevée, sous peine de différer excessivement et sans raison objective l’accès au dossier, mais lorsqu’il estime le dossier de l’enquête en état d’être communiqué ;
 
- il a précisé les conditions dans lesquelles le procureur de la République pourra, à tout moment de la procédure et même en l’absence de demande de la personne mise en cause, communiquer tout ou partie du dossier à la victime et à la personne suspectée pour recueillir leurs éventuelles observations.

14. Le projet précise que les attributions de direction de la police judiciaire que le procureur de la République tient des actuels articles 12 et 41 du code de procédure pénale comportent une dimension de contrôle des actes accomplis par les enquêteurs.
 
Le Conseil d’Etat a estimé que cette disposition était conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire (décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011), laquelle comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet (décision n° 93-326 DC du 11 août 1993).
 
Estimant que la précision apportée par le projet aux missions du procureur de la République ne mettait pas suffisamment en relief son rôle de direction, il a complété le texte pour prévoir que le procureur fixe les orientations de l’enquête, adresse des instructions générales et particulières aux enquêteurs et contrôle la pertinence des moyens mis en oeuvre.
 
Il a également considéré que, si l’obligation, pour le parquet, de veiller à ce que les investigations soient menées à charge et à décharge ne constituait pas à proprement parler une innovation, dès lors que le parquet est déjà tenu par le principe d’impartialité (article 3 de la loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 qui a modifié l’article 31 du code de procédure pénale) et celui de loyauté des preuves et ne peut, d’ores et déjà, pas s’appuyer sur des enquêtes qui auraient été menées exclusivement à charge, son affirmation dans la loi apportait une précision utile.
 
15. Le projet renforce l’encadrement des interceptions de télécommunications dans le cadre de la procédure d’instruction, en les subordonnant à une décision motivée et en introduisant une limite maximale, fixée à un an en dehors de la procédure de délinquance et criminalité organisées et à deux ans dans ce cadre. Cette dernière durée est cohérente avec la durée introduite pour le recours à la sonorisation ou fixation d’images et à la captation de données informatiques – ces dernières techniques n’étant pas utilisables en dehors de la procédure de délinquance et criminalité organisées.
 
Le projet prévoit également de nouvelles garanties pour le recours aux écoutes sur les députés et sénateurs, les magistrats et les avocats : celles-ci ne seront plus possibles que s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne a participé, comme auteur ou complice, à la commission de l’infraction, et elles ne pourront être décidées que par décision motivée du juge des libertés et de la détention saisi par ordonnance motivée du juge d’instruction. Le Conseil d'Etat a approuvé l'institution de ce double examen qu’il a déjà admis à deux reprises (pour la géolocalisation à l’article 230-34 du code de procédure pénale et dans le cadre du projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes) et qui est de nature à renforcer la protection des principes de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance des magistrats et du secret des délibérés ainsi que des droits de la défense. Il a noté que les éventuelles nullités affectant cette procédure pourraient de surcroît être sancionnées par la chambre de l’instruction.

Sur les dispositions renforçant la protection des témoins
16. Le projet prévoit la possibilité de recourir au huis-clos pour auditionner un témoin lors du jugement des crimes et délits en matière de criminalité et de délinquance organisées les plus graves et des crimes contre l’humanité, de disparition forcée, de torture ou d’actes de barbarie et de guerre, si la déposition de celui-ci est de nature à mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou psychique ou celle des membres de sa famille ou de ses proches.
 
Eu égard aux conditions assortissant le recours à cette procédure, et plus particulièrement au fait que l’audition du témoin se déroule en présence de toutes les parties, le Conseil d'Etat a estimé que la mesure ne posait pas de difficultés au regard du respect des droits de la défense et des règles du procès équitable énoncées à l’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’Homme.
 
Il en va de même de la disposition prévue pour les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement, visant à permettre que les témoins soient entendus publiquement en étant seulement identifiés par un numéro.
 
Ne suscite pas non plus d’objection le dispositif envisagé pour la protection des témoins, directement inspiré de celui institué pour les repentis à l’article 706-63-2 du code de procédure pénale. Compte tenu de cette similarité, le Conseil d’Etat a suggéré que la commission nationale qui fixe et suit les mesures de protection soit la même pour ces deux catégories de personnes.

Sur les dispositions améliorant la lutte contre les infractions en matière d’armes
17. Le projet comporte diverses mesures visant à renforcer le contrôle des armes et munitions, notamment :
- en élargissant le champ de l’interdiction légale d’acquisition et de détention d’armes des catégories A, B et C ;
- en assurant l’effectivité de l’inscription au « Fichier national automatisé nominatif des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes » (FINIADA) des personnes auxquelles s’applique cette interdiction légale ;
- en permettant aux préfets d’interdire l’acquisition et la détention d’armes, en raison du comportement d’une personne, sans attendre que celle-ci soit en possession d’une arme.
 
Le projet aggrave en outre certaines peines en matière de délits relatifs à la détention, au port et au transport d'armes. Il élargit, s’agissant des infractions à la législation sur les armes, le champ d’application de la procédure dérogatoire prévue en matière de criminalité organisée.
Enfin, il adapte certaines techniques spéciales d’enquêtes prévues par le code de procédure pénale, notamment le « coup d’achat » qui permet aux enquêteurs, sur autorisation judiciaire, de pénétrer les réseaux, afin de l’étendre au trafic d’armes, y compris dans le cadre d’enquêtes douanières.
 
S’agissant du renforcement des pouvoirs d’instruction et d’enquête, notamment de l’élargissement du champ de la procédure dérogatoire prévue en matière de criminalité organisée, le Conseil d’Etat s’est assuré qu’il était justifié par la gravité ou la complexité des infractions en cause et ne faisait pas peser une rigueur non nécessaire dans le cadre de l’enquête et de l'instruction relatives à ces délits.

Sur les dispositions de lutte contre la cybercriminalité
18. Le projet affirme la compétence des juridictions françaises lorsque la victime d’une infraction commise sur un réseau de communication électronique est domiciliée en France et prévoit la compétence du parquet, du juge d’instruction et de la juridiction de jugement en raison du domicile de la victime ou du siège social de la personne morale victime.
Le Conseil d’Etat a admis cette disposition qui répond à l’objectif du Gouvernement de conforter juridiquement les procédures en matière de cybercriminalité.

Sur les règles de procédure en matière de criminalité organisée
19. Le projet étend les règles de compétence et de procédure applicables en matière de délinquance et de criminalité organisées aux délits d’atteinte aux systèmes informatiques de l’Etat commises en bande organisée, ainsi qu’au délit d’évasion en bande organisée.
Le Conseil d’Etat s’est assuré que cette extension était justifiée par la gravité ou la complexité des infractions en cause et qu’elle ne faisait pas peser une rigueur non nécessaire dans le cadre de l'enquête et de l'instruction relatives auxdites infractions.

Sur les dispositions améliorant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme
Sur le trafic des biens culturels
20. Le projet crée une nouvelle infraction pénale réprimant le fait d’importer, d’exporter, de faire transiter, de détenir, de vendre, d’acquérir ou d’échanger un bien culturel présentant un intérêt archéologique, artistique, historique ou scientifique, en sachant qu’il provient d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes.
 
Dans un contexte où le trafic des antiquités dites « de sang » s’est beaucoup développé et où il constitue une source de financement importante de certains groupes terroristes, le Conseil d’Etat a approuvé la création d’une nouvelle infraction visant spécifiquement le trafic des biens culturels provenant de ces zones. Cette incrimination compléterait utilement celle qui pourrait être introduite dans le code du patrimoine pour mettre en oeuvre les mesures arrêtées par le Conseil de sécurité des Nations Unies par le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine actuellement en discussion au Parlement.
 
Le Conseil d’Etat a veillé à la conformité de ce nouveau dispositif aux principes fondamentaux du droit pénal. Il a ainsi estimé que la connaissance de la seule provenance de biens culturels d’une aire géographique au sein de laquelle opèrent des groupements terroristes, si elle peut laisser présumer une origine illicite de ces biens, ne peut suffire à caractériser une incrimination pénale du fait de leur possession ou de leur vente. De surcroît, une incrimination aussi largement définie pourrait être contraire aux principes de la libre circulation des marchandises consacrée par les articles 36 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il a dès lors estimé indispensable de préciser que cette incrimination ne vise que les biens soustraits de leur territoire d’origine et dont la licéité de la provenance ne peut être justifiée.

Sur les dispositions relatives à la monnaie électronique
21. L’article du projet de loi créant l’article L. 315-9 du code monétaire et financier pose le principe de la fixation d’un plafond à la valeur monétaire qui peut être stockée sous une forme électronique et qui est utilisable au moyen d’un support physique, c’est-à-dire une limite de chargement des « cartes prépayées », tout en renvoyant à un décret le soin de fixer le montant chiffré du plafond. Le projet soumet par ailleurs les établissements de crédit et les établissements de monnaie électronique, seuls autorisés à émettre ce type de produit en application de l’article L. 525-1 du code monétaire et financier, à l’obligation de recueillir et de conserver les informations et les données techniques relatives à l’activation, au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’une carte prépayée.
 
Le Conseil d’Etat a encadré l’habilitation donnée au pouvoir réglementaire pour fixer le plafond de chargement des cartes prépayées, en prévoyant que le décret devra tenir compte des caractéristiques du produit et des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme que celui-ci présente.
 
Plus généralement, il a estimé que les mesures de plafonnement des cartes prépayées et les nouvelles obligations de recueil d’informations mises à la charge des émetteurs étaient conformes à « l’approche fondée sur les risques » que retient la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (la « 4ème directive »), eu égard aux risques importants que présentent les cartes prépayées du point de vue du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme.
 
Il a cependant relevé que la pleine efficacité de ces mesures, en raison notamment du risque d’importation de cartes prépayées non plafonnées acquises à l’étranger ou d’achat à distance de ces cartes, dépendait de leur combinaison avec l’application des règles, de niveau réglementaire, relatives à la limitation du montant des paiements réalisés au moyen de la monnaie électronique et avec celles, que le Gouvernement envisage d’introduire par voie réglementaire, tendant à imposer une obligation d’identification du client quel que soit le montant chargé sur la carte prépayée.

Sur les dispositions permettant à la cellule de renseignement financier Tracfin de désigner des opérations et des personnes présentant un risque élevé de blanchiment
22. Le projet de loi donne un fondement juridique aux appels à la vigilance que la cellule de renseignement financier Tracfin, mentionnée à l’article L. 561-23 du code monétaire et financier, souhaite pouvoir adresser aux personnes, mentionnées à l’article L. 561-2 du même code, qui sont assujetties à des obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, en vue d’attirer leur attention sur certaines situations à risque, en leur transmettant des informations à cette fin.
 
Le projet du Gouvernement prévoyait, à cet effet, d’introduire un paragraphe III à l’article L. 561-10-2 du code monétaire et financier, relatif aux mesures de vigilance renforcée, en vue de permettre à Tracfin de désigner aux assujettis « des zones géographiques, des opérations, des personnes physiques ou morales qui présentent des risques élevés de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ». Cette désignation serait confidentielle et toute divulgation au client ou à des tiers non autorisés de l’identité d’une personne ainsi désignée serait constitutive d’un délit, passible d’une peine d’amende de 22 500 euros. Elle déclencherait la mise en oeuvre, par les assujettis, de mesures de vigilance renforcée.
 
Le Conseil d’Etat a admis ce dispositif dans son principe, tout en le modifiant sur les points suivants.
 
Il a d’abord transféré les dispositions relatives à cet appel à vigilance à la section 5 du chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier, avec les autres dispositions relatives à la cellule de renseignement financier nationale.
 
Il a en effet considéré que les nouvelles dispositions ne devaient pas être regardées comme mettant une nouvelle obligation de vigilance à la charge des personnes mentionnées à l’article L. 561-2 du code monétaire et financier, mais comme ayant seulement pour objet d’appeler leur attention sur des risques précisément identifiés, en vue de la mise en œuvre par ces personnes, sous le contrôle des autorités ou instances représentatives ou professionnelles compétentes, des obligations de vigilance auxquelles elles sont déjà soumises en application
des dispositions existantes. Par suite, l’alinéa du projet prévoyant que l’appel à vigilance déclenche des mesures de vigilance renforcée a été supprimé.
 
Le Conseil d’Etat a par ailleurs encadré le dispositif en prévoyant que la désignation ne vaudrait que pour une durée déterminée, bien que renouvelable, et qu’elle porterait, soit « sur des opérations qui présentent, eu égard à leur nature particulière ou aux zones géographiques déterminées à partir desquelles, à destination desquelles ou en relation avec lesquelles elles sont effectuées », un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, soit sur des personnes présentant un tel risque.

Sur les dispositions étendant le droit de communication de Tracfin
23. L’article du projet de loi modifiant l’article L. 561-26 du code monétaire et financier a principalement pour objet de permettre au service Tracfin d’exercer un droit de communication auprès des personnes gestionnaires d’un système de cartes de paiement ou de retrait, comme le groupement d’intérêt économique CB ou les sociétés Visa et Mastercard.
 
D’une part, le Conseil d’Etat a estimé que cette extension du droit de communication de Tracfin, tel qu’il résulte des dispositions existantes de l’article L. 561-26 du code monétaire et financier, était justifiée par l’objet de la mission dévolue à ce service par les dispositions de l’article L. 561-23 du même code, laquelle consiste à recueillir, analyser, enrichir et exploiter tout renseignement propre à établir l'origine ou la destination des sommes ou la nature des opérations ayant fait l'objet d'une déclaration de soupçon.
 
Il a considéré, d’autre part, que les dispositions du projet étaient compatibles avec les dispositions des directives de l’Union européenne en matière de lutte contre le blanchiment, en tant qu’elles font obligation aux Etats membres de veiller à ce que leur cellule de renseignement financier ait accès, en temps utile, aux informations financières dont elle a besoin pour remplir correctement ses missions.

Sur les dispositions créant une présomption applicable au délit de blanchiment douanier
24. L’article 415 du code des douanes incrimine le fait de procéder à une opération financière entre la France et l’étranger ou d’importer, exporter ou transférer des fonds que l’auteur sait provenir, directement ou indirectement, soit d’un délit prévu au code des douanes, soit d’une infraction à la législation sur les stupéfiants. Cette infraction pénale de « blanchiment douanier » est un délit douanier de deuxième classe, passible d’une peine d’emprisonnement de dix années et de sanctions douanières.
 
En vue d’assurer une plus grande efficacité de l’action de l’administration des Douanes et de la répression pénale, le projet de loi insère dans le code des douanes, sur le modèle de l’article 324-1-1 du code pénal, issu de l’article 8 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, et dont la question de la conformité à la Constitution n’a pas été jugée sérieuse par la chambre criminelle de la Cour de cassation (1), un nouvel article 415-1 opérant un renversement de la charge de la preuve de l’origine des fonds donnant lieu à l’opération de transfert de fonds suspecte.
 
Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive, mais qu’à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, y compris en matière correctionnelle, « dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité » (2). 
 
La Cour européenne des droits de l’homme admet également, à certaines conditions dont elle contrôle concrètement l'application, l'existence, en matière répressive, de présomptions dans les droits internes, et considère seulement qu’elles ne doivent « pas dépasser un certain seuil » et que les Etats doivent « les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense » (3). Elle veille en outre à ce que les juridictions répressives se gardent « de tout recours automatique aux présomptions » (4).
 
Le Conseil d’Etat a d’abord admis, à la lumière de cas concrets et eu égard à la différence de nature entre le blanchiment douanier et le blanchiment de l’article 324-1 du code pénal, que le recours à la présomption instituée à l’article 415-1 du code des douanes pouvait, dans certaines hypothèses de transfert de fonds entre la France et l’étranger, être justifié pour surmonter la difficulté d’établir que des fonds dont l’origine illicite est suspectée mais non prouvée, proviennent d’un délit douanier ou d’une infraction à la législation sur les stupéfiants.
 
Il a ensuite relevé qu’une personne transférant des fonds ayant une origine licite n’aurait en principe aucune difficulté à combattre la présomption de l’article 415-1 et qu’ainsi, la présomption ne revêtait pas en elle-même un caractère irréfragable.
 
Enfin, si le Conseil d’Etat a constaté que le jeu de la présomption était de nature, dans le cas où les fonds transférés auraient pour origine une infraction autre qu’un délit douanier ou une infraction à la législation sur les stupéfiants, à contraindre la personne mise en cause à révéler être l’auteur de cette autre infraction d’origine ou du recel de celle-ci, et ainsi de s’auto-incriminer, il a estimé que cette conséquence pouvait en l’espèce être admise, dès lors que l’institution de la présomption poursuit l’objectif d’intérêt général de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et qu’elle sera mise en oeuvre sous le contrôle du juge pénal et conformément aux exigences rappelées par la Cour européenne des droits de l’homme.
 
La rédaction de l’article 415-1 a parallèlement été modifiée pour mieux faire apparaître le caractère réfragable de la présomption qu’il institue.

Sur les dispositions renforçant l’enquête et les contrôles administratifs
Sur la procédure de contrôle d’identité en cas de menace terroriste aux abords de sites ou d’installations sensibles.
25. Le projet proposait de mettre en place, sur décision écrite et motivée du préfet, une procédure de contrôle d’identité, de visite des véhicules et de fouille des bagages en cas de menace terroriste aux abords de sites ou d’installations sensibles.
 
Le Conseil d’Etat a estimé que la compétence attribuée au préfet pour autoriser ces contrôles s’écarterait de la cohérence des dispositions existantes sur les contrôles d’identité, regroupées dans un même chapitre du code de procédure pénale. Ces dispositions rattachent ces contrôles à des finalités tant de recherche que de prévention des infractions et les placent sous l'égide de l’autorité judiciaire, tant pour leur initiative (réquisitions ou instructions du procureur de la République) que pour leur contrôle. Le Conseil d’Etat a en conséquence estimé nécessaire que le nouveau dispositif de contrôle et de fouille prévu par le projet de loi soit décidé par le procureur de la République, le cas échéant sur demande du préfet, et soit placé, comme les autres dispositifs, sous le contrôle de ce magistrat.
 
Il a vérifié que cette mesure assurait une conciliation non déséquilibrée entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect de la vie privée. A cet effet, il a précisé, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, les conditions de mise en oeuvre de la mesure, notamment en ce qui concerne le choix des lieux, ainsi que les dispositions devant figurer dans la décision autorisant cette mesure.
 
Il a également prévu que la durée de la visite de véhicule, de l’inspection visuelle et de la fouille des bagages ne pourrait excéder une heure.
 
Enfin, il s’est assuré de ce qu’un compte-rendu des contrôles opérés serait transmis au procureur de la République dès la fin de l’opération de contrôle.

Sur la procédure de vérification d’identité pour la prévention du terrorisme
26. En créant un nouvel article 78-3-1 dans le code de procédure pénale, le projet vise à permettre aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle d’identité, de retenir une personne lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste, le temps nécessaire à l’examen de sa situation, ce qui peut comprendre la consultation de fichiers de police, la vérification de sa situation administrative et la consultation des services à l’origine du signalement sur la conduite à tenir, sans pouvoir excéder quatre heures à compter du début du contrôle.
 
Le Conseil d’Etat a vérifié que, compte tenu des précautions prises et de sa durée maximale, cette procédure de vérification d’identité ne se heurtait à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel, alors même qu’elle serait susceptible de s’appliquer dans des cas où l’intéressé n’aurait pas refusé de décliner son identité. Il a cependant complété le dispositif afin qu’il comporte toutes les garanties prévues par le code de procédure pénale dans d’autres cas de vérification d’identité et il a prévu, à ce titre, que le procureur de la République en était avisé sans délai.
 
Lorsque le contrôle sera opéré par un officier de police judiciaire, il pourra comprendre une consultation de traitements relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, c’est-à-dire des traitements intéressant la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l’exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté. Cette possibilité de consulter ces traitements ne saurait avoir pour objet ou pour effet de modifier les règles de consultation propres à chacun de ces traitements définies, pour chacun d’eux, après avis de la commission nationale de l’informatique et des libertés.
 
Afin d’éviter toute ambiguïté quant à l’objet de cette référence à la consultation de ces traitements, le Conseil d’Etat a complété le texte proposé pour qu’il soit expressément précisé que cette consultation se faisait selon les règles propres à chacun de ces fichiers.

Sur les contrôles des retours sur le territoire national
27. Le projet renforce le contrôle administratif à l’égard des personnes qui se sont déplacées à l’étranger afin de participer à des activités terroristes et qui, de retour sur le territoire national, seraient susceptibles de constituer une menace pour la sécurité publique.
 
Le Conseil d’Etat a estimé que la nécessité de prévenir la commission d’actions violentes par celles de ces personnes à l’égard desquelles des poursuites judiciaires ne seraient pas engagées faute d’éléments suffisants, au moment de leur retour, justifie que l’autorité compétente en matière de police administrative puisse prendre, à leur endroit, des mesures de contrôle et de surveillance appropriées, dès lors que ces mesures ne sont pas privatives de liberté.
 
Le Conseil d’Etat a considéré que les différentes mesures prévues – assignation à résidence, obligation faite à la personne de se présenter périodiquement aux services de police ou de gendarmerie, de déclarer son domicile et ses identifiants de moyens de communication électronique, de signaler ses déplacements, interdiction faite à l’intéressé de se trouver en relation avec certaines personnes - étaient de nature à permettre d’atteindre l’objectif de protection de l’ordre public recherché par le projet de loi.
 
Le Conseil d’Etat s’est assuré du caractère proportionné du dispositif envisagé. Il a plus particulièrement vérifié (conformément à son avis n° 390867 du 17 décembre 2015 sur la constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux de la France de certaines mesures de prévention du risque de terrorisme) que l’assignation à résidence et les mesures susceptibles de l’accompagner laissaient à l’intéressé une liberté de mouvement conciliable avec une vie familiale et professionnelle normale et comportaient un degré de contrainte significativement inférieur aux mesures prévues par l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. En outre, les mesures les plus contraignantes (obligation de résider dans un périmètre géographique déterminé et obligation de présentation aux services de police ou unités de gendarmerie) ne peuvent être prises que pendant un très court délai à compter du retour sur le territoire national (un mois) et leur durée est limitée à un mois non renouvelable.
 
En ce qui concerne l’action destinée à permettre à la personne sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de citoyenneté dans un centre habilité à cet effet, le Conseil d’Etat relève que, conformément à son avis du 17 décembre 2015, la participation de l’intéressé ne pourra se faire que sur la base du volontariat. Il s’ensuit que les manquements de l’intéressé aux obligations relatives à cette action et à son séjour dans le centre ne pourraient être sanctionnés, au plus, que par une mesure d’exclusion dudit centre et par la cessation de l’action à son égard. C’est pourquoi le Conseil d’Etat a précisé que les peines prévues par le projet de loi n’étaient applicables qu’aux seuls manquements des intéressés aux obligations fixées par les différentes mesures de contrôle prises par le ministre de l’intérieur, à l’exclusion des manquements aux obligations imposées aux personnes qui acceptent de participer aux actions menées dans les centres habilités.
 
Le Conseil d’Etat souligne enfin que ces mesures qui, selon les situations, pourront être décidées par le ministre de l’intérieur à l’égard d’une même personne alternativement ou cumulativement, pourront être contestées devant le juge administratif, y compris par la voie du référé-suspension ou du référé-liberté, qui les soumettra à un entier contrôle, pour vérifier qu’elles sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité poursuivie, ainsi qu’il résulte des décisions de la section du contentieux du Conseil d’Etat du 11 décembre 2015 et de la décision du Conseil Constitutionnel n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015.

Sur l’organisation de « grands événements » exposés à un risque exceptionnel de menaces terroristes
28. Le projet prévoit que l’accès de toute personne, autre que les spectateurs et les participants, aux sites accueillant de « grands événements » exposés à un risque exceptionnel de menace terroriste, dont la liste sera fixée par décret, est soumis à l’autorisation des organisateurs. Il prévoyait, dans son texte initial, que ces organisateurs pouvaient demander l’avis de l’autorité administrative sur ces personnes. Le Conseil d’Etat a estimé que la demande d’avis à l’autorité administrative ne devait pas être une simple faculté pour les organisateurs des événements concernés, l’objectif de prévention du terrorisme nécessitant que l’opportunité de demander l’avis de l’autorité administrative ne soit pas laissée à l’appréciation des organisateurs. Il a donc modifié le texte pour rendre obligatoire la demande préalable d’avis par les organisateurs des événements concernés. Il a, en outre, précisé le texte pour prévoir que la nécessité de cette autorisation s’appliquera non seulement pendant la durée de l’événement, mais aussi pendant celle de sa préparation.
Cet avis sera rendu à la suite d’une enquête administrative pouvant donner lieu à la consultation de fichiers, dont la liste sera fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Au regard des exigences de la prévention des infractions terroristes et des garanties dont est assortie cette disposition, le Conseil d'Etat a estimé qu’elle ne portait une atteinte disproportionnée ni à la liberté d’entreprendre, ni à la liberté d’expression (dans l’hypothèse où elle serait appliquée à des journalistes), ni au respect de la vie privée.
 
Il a complété le texte du Gouvernement sur deux points, dans l’objectif de renforcer les garanties entourant l’article, afin de prévoir :

- que le décret en Conseil d’Etat qui sera pris pour son application devra fixer non seulement la liste des fichiers qui pourront être consultés, mais aussi les catégories de personnes concernées parmi les personnes autres que les spectateurs et les participants, ainsi que les garanties d’information qui devront être ouvertes à ces personnes ;
- qu’un avis défavorable ne peut être émis que s’il ressort de l’enquête administrative que le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'Etat.

Sur les caméras piétons
29. Le projet de loi vise à autoriser la captation d’images et de sons par les agents de police et de gendarmerie équipés de caméras individuelles lors de leurs interventions. La captation de tels images et sons ne serait pas permanente mais serait déclenchée par les agents équipés de tels matériels lorsqu’un incident se produirait ou serait susceptible de se produire. Elle pourrait survenir en tous lieux publics ou privés où interviennent légalement ces personnels en vertu des textes existants, y compris dans le domicile privé des personnes lorsque cela est permis.

Le but de ce dispositif est de prévenir les incidents susceptibles de se produire lors de ces interventions et d’aider à la répression des infractions recherchées lors de l’intervention ou incidentes, comme des fautes professionnelles, par la collecte de preuves qui pourront être utilisées dans le cadre de procédures pénales, administratives ou disciplinaires. Le dispositif se rattacherait par conséquent tant à la police administrative que, le cas échéant, à la police judiciaire et aux procédures disciplinaires.
Au regard des données collectées, de leur mode de collecte et des objectifs en vu desquels elles sont captées, le dispositif envisagé ne se confond pas avec celui de la vidéoprotection (titre V du livre II du code de la sécurité intérieure) et constitue un instrument nouveau.
 
30. Compte tenu de ses caractéristiques, le procédé envisagé serait de nature à porter atteinte au principe du respect de la vie privée tel qu’il est garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995), par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme (arrêts du 26 mars 1987 Leander c/ Suède et du 4 décembre 2008, S. et Marper c/ RU combinés) comme par les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le Conseil d'Etat estime toutefois que cette mesure est doublement justifiée par un motif d’intérêt général (la prévention des atteintes à l’ordre public et leur éventuelle répression) et qu’elle est entourée de garanties propres à en assurer une mise en oeuvre proportionnée à ces objectifs. Il a notamment relevé les éléments permettant d’assurer autant que faire se peut l’information des personnes filmées, l’impossibilité pour les agents équipés de telles caméras d’accéder eux-mêmes aux images, la fixation d’une durée de conservation des données de six mois en l’absence de procédure administrative, judiciaire ou disciplinaire et la nécessité d’un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la CNIL, pour organiser le traitement des données dont la captation serait ainsi autorisée dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978.

Dans ces conditions, il a semblé au Conseil d'Etat que le dispositif pouvait être regardé :
 
- comme satisfaisant aux conditions posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la conciliation que le législateur doit assurer entre la sauvegarde de l’ordre public et la recherche des auteurs d'infraction, d’une part, et le respect des autres droits et libertés constitutionnellement protégés, d’autre part ;
 
- et comme une ingérence prévue par la loi, visant un but légitime et présentant un caractère de nécessité dans une société démocratique conforme aux exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Sur l’usage des armes par les forces de l’ordre
31. S’agissant de l’usage des armes par les forces de l’ordre, l’objectif du Gouvernement, tel qu’il est présenté dans l’exposé des motifs du projet de loi, est de préciser « le cadre légal de l’usage des armes par les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national en renfort des forces de sécurité intérieure, en dehors des cas de légitime défense, dans le cas d’un périple meurtrier durant lequel la légitime défense, y compris pour autrui, ne pourrait être invoquée, mais qui relève en réalité de l’état de nécessité. »

En conséquence, serait inséré dans le code de la sécurité intérieure un article L. 434-2 indiquant que les dispositions de l’article 122-7 du code pénal prévoyant l’irresponsabilité pénale en raison de l’état de nécessité sont applicables au fonctionnaire de la police nationale, au militaire de la gendarmerie nationale, à l’agent des douanes et au militaire déployé sur le territoire national en renfort des forces de sécurité intérieure qui, hors le cas de légitime défense, « fait un usage de son arme rendu absolument nécessaire pour mettre hors d’état de nuire l’auteur d’un ou plusieurs homicides volontaires et dont il existe des raisons sérieuses et actuelles de penser qu'il est susceptible de réitérer ces crimes dans un temps très voisin de ces actes ».
 
Le régime actuel d’usage des armes est différent selon qu’il concerne les policiers, les gendarmes ou les douaniers. Les policiers sont soumis au droit commun du code pénal et, notamment, aux dispositions applicables en cas de légitime défense. Les gendarmes sont également soumis à la légitime défense, mais sont régis en outre par des règles qui leur sont propres prévues par l’article L. 2338-3 du code de la défense et qui, dans quatre situations, autorisent les gendarmes à faire usage de leurs armes. Les douaniers, outre le cas de légitime défense, sont soumis également à un dispositif particulier fixé par l’article 56 du code des douanes qui définit également quatre situations dans lesquelles ils peuvent faire usage de leurs armes.
 
Le Conseil d’Etat a pris acte de la volonté du Gouvernement de compléter le dispositif juridique existant. Les événements récents ont en effet montré que la légitime défense, prévue par l’article 122-5 du code pénal, n’est pas toujours un cadre juridique adapté pour permettre aux forces de l’ordre d’empêcher un ou plusieurs individus armés ayant déjà commis ou tenté de commettre un ou plusieurs meurtres de réitérer leurs crimes.
 
Le Conseil d’Etat s’est attaché à ce que le dispositif proposé réponde aux exigences constitutionnelles et conventionnelles. A cet effet, il a précisé l’objet de la mesure proposée, laquelle doit avoir pour finalité non pas, selon une formule aux contours incertains, de « mettre hors d’état de nuire » un auteur, qui n’est au demeurant que suspecté, mais de prévenir la commission de nouveaux actes, participant d’un projet criminel visant une pluralité de victimes, dont il existe des raisons réelles et objectives de craindre qu’ils sont susceptibles d’être réitérés dans un temps rapproché.
 
En outre, il a veillé à mieux articuler cette nouvelle disposition avec celles prévues à l’article 122-7 du code pénal définissant l’irresponsabilité pénale en état de nécessité.
 
Toutefois, le Conseil d’Etat relève que :

- la disposition proposée n’apportera qu’une sécurité juridique relative aux interventions des forces de l’ordre, compte tenu de la marge d’appréciation laissée pour chacune des situations susceptibles de se produire ;
- la combinaison de cette disposition avec les règles préexistantes pourrait s’avérer délicate tout spécialement pour les gendarmes qui seront soumis à trois régimes juridiques différents, notamment en ce qui concerne le 3° de l’article L. 2338-3 du code de la défense dont le champ d’application pourrait interférer avec le nouvel article ;
- dès lors que le parti est pris par le Gouvernement de modifier le régime de l’usage des armes par les forces de l’ordre, devrait être redéfini plus globalement cet usage afin notamment de renforcer la cohérence de l’ensemble du dispositif, dans le respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles et notamment de l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme sur le droit à la vie, de prendre en compte les jurisprudences de la Cour de Cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’usage des armes par les forces de l’ordre, de fixer à ces forces des conditions d’usage plus précises et moins sujettes à difficultés d’appréciation, et enfin d’harmoniser les règles applicables aux policiers et aux gendarmes, ces deux forces étant désormais placées sous une même autorité.

Sur les dispositions simplifiant le déroulement de la procédure pénale en matière de mise en liberté
32. Le projet de loi contient des dispositions visant à apporter une plus grande sécurité juridique au traitement des demandes de mise en liberté des personnes en détention provisoire et des cas de mise en liberté d’office à la suite d’une erreur procédurale.

33. Le Conseil d’Etat a estimé que l’irrecevabilité de toute demande de mise en liberté formée par une personne placée en détention provisoire, alors que le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention n’ont pas encore statué sur une précédente demande de mise en liberté, assure une conciliation non déséquilibrée entre les exigences de l’article 66 de la Constitution et le principe de bonne administration de la justice, dès lors que le délai prévu pour statuer en première instance sur une demande de mise en liberté est au plus de dix jours et que le code de procédure pénale prévoit que le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention doivent à tout moment ordonner d’office la mise en liberté d’une personne si les conditions de la détention provisoire prévues à l’article 144 du code de procédure pénale ne sont plus réunies.

34. Il a également estimé qu’aucune exigence conventionnelle ou constitutionnelle ne fait obstacle à ce que soit conférée à la juridiction compétente - ou, si aucune juridiction n’est effectivement saisie de la procédure, au juge des libertés et de la détention saisi par le ministère public - la possibilité de placer immédiatement sous contrôle judiciaire la personne mise en liberté d’office en raison d’une irrégularité affectant son titre de détention provisoire tenant au non-respect des délais ou des formalités prévues par le code de procédure pénale.

Sur les habilitations à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi
35. Le Conseil d’Etat a complété le projet d’article habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la transposition de la 4ème directive mentionnée ci-dessus par une habilitation à prendre ou maintenir dans le droit interne des dispositions plus strictes, ainsi que le permet expressément l’article 5 de cette directive, laquelle fixe des obligations minimales à respecter par les Etats membres en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
 
Eu égard au nombre et à l’importance des dispositions d’habilitation, il a par ailleurs invité le Gouvernement à substituer au délai de transposition uniforme de six mois des délais échelonnés, par exemple sur trois, six et neuf mois.

Sur les dispositions relatives à l’outre-mer
36. Les dispositions du projet se rattachent, pour la plupart d’entre elles, à des compétences qui sont celles de l’Etat, comme la détermination des crimes et des délits ou la procédure pénale, et ont vocation à s’appliquer sans adaptation à toutes les collectivités d’outre-mer.
 
Par souci d’intelligibilité, le Conseil d’Etat a :

- remplacé l’article du projet du Gouvernement prévoyant l’applicabilité de la loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna par un article selon lequel la loi, à l’exception de l’article 16, était applicable sur tout le territoire de la République, formulation qui vaut extension aux collectivités régies par le principe de spécialité et qui présente un caractère recognitif là où, dans son silence, la loi s’appliquerait de plein droit ;
- mis à jour, dans chacun des codes modifiés par la loi, la ou les subdivisions de ce code identifiant, pour les différentes collectivités d’outre-mer, les dispositions du code qui y sont applicables.
 
Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 28 janvier 2016.
 
1 Arrêt QPC du 9 décembre 2015, n° 15-90.019, Publié.
2 Conseil constitutionnel, décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, cons. 17.
3 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c. France, req. n° 10519/83, point 28.
4 CEDH, 25 sept. 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87, cons. 33 et 36.