Liberté de création, architecture et patrimoine

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur un projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Retrouvez ci-dessous l'analyse juridique que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

CONSEIL  D’ÉTAT  
Séance du jeudi 2 juillet 2015  

ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE
Section de l’intérieur
Section des travaux publics 

N° 390.121  
EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS
 
AVIS SUR UN PROJET DE LOI relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine
1. Le Conseil d’État a été saisi le 22 mai 2015 et, à titre rectificatif, le 23 juin 2015, d’un projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine.
2. Ce projet de loi comporte des mesures relatives à la création artistique, au patrimoine culturel et archéologique ainsi qu’à la qualité architecturale. Il comporte également des mesures habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de compléter et modifier le code du cinéma et de l’image animée, le code la propriété intellectuelle et le code du patrimoine, notamment en ce qui concerne le droit des collectivités ultra-marines.
Concernant la création artistique, le projet de loi reconnaît explicitement que celle-ci est libre. Il décrit les compétences de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et de leurs groupements dans la conduite de la politique en faveur de la création artistique. Il renforce le partage et la transparence des rémunérations dans le secteur de la création artistique. Il cherche à promouvoir la diversité dans la création artistique et l’élargissement de l’accès à l’offre culturelle ainsi qu’à développer et pérenniser l’emploi et l’activité professionnelle. Il modifie enfin certaines dispositions qui concernent des établissements d’enseignement supérieur relevant du ministère de la culture.
Concernant le patrimoine culturel et la promotion de l’architecture, le projet de loi cherche à renforcer la protection et à améliorer la diffusion du patrimoine culturel mais aussi à valoriser les territoires par la modernisation du droit du patrimoine et la promotion de la qualité architecturale. Il réforme le régime juridique des biens archéologiques et des instruments de la politique scientifique archéologique.
3. Le projet de loi n’appelle pas d’autre observation, de la part du Conseil d’État, que les remarques suivantes.
4. L'étude d’impact peut être regardée comme conforme aux prescriptions de la loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

I. - Sur les dispositions relatives à création artistique
A) En ce qui concerne les dispositions relevant des « lois de programmation »
5. Le Conseil d’État a considéré que les dispositions des articles 1er aux termes duquel « la création artistique est libre » et 2, relatives aux orientations de l'action des pouvoirs publics en matière de soutien à cette création, n’étaient pas, par elles-mêmes, normatives, et qu’elles ne pouvaient trouver leur place dans le présent projet de loi que parce qu’elles fixent des objectifs à l’action de l’Etat en matière culturelle, et revêtent ainsi le caractère de lois de programmation au sens de l’article 34 de la Constitution.
B) En ce qui concerne la labellisation des établissements des domaines du spectacle vivant et des arts plastiques et des fonds régionaux d’art contemporain
6. Le ministre de la culture attribue un label en vue de soutenir les projets artistiques ou culturels présentant un caractère d’intérêt général dans les domaines des spectacles vivants et des arts plastiques tant pour les personnes morales ou établissements de droit public ou privé (art. 2 bis) que pour les fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) (art.18). Les bénéficiaires s’engagent à respecter certains objectifs.
Le Conseil d’État a estimé que ces dispositifs, qui conduisent à imposer des contraintes - agrément des dirigeants par l'État, ou clauses d'affectation irrévocable des collections - à des personnes le plus souvent privées, ou à des collectivités territoriales, relevaient nécessairement de la loi. Si de telles   contraintes   sont   susceptibles   de   porter   atteinte   aux   principes   constitutionnels   et conventionnels de la liberté d’expression, de la liberté d’association, de la liberté d’entreprendre comme de la libre administration des collectivités territoriales, le Conseil d’État a estimé que ces principes n’étaient pas méconnus en l’espèce. Il a estimé qu’une conciliation satisfaisante était opérée entre ces atteintes, qu’il s’agisse de l’agrément par l’Etat des responsables de grandes institutions culturelles, ou de l’irrévocabilité de l’affectation des collections de FRAC, et le but d’intérêt général poursuivi en matière de soutien aux politiques de création et de diffusion culturelles.
Il a, par ailleurs, considéré que l’objet des dispositions de l'article 2 bis était d’imposer un agrément unilatéral de l’État à des nominations, non d’organiser pour ces nominations une procédure de co- décision :  il  a,  pour  ce  motif,  disjoint  la  disposition  prévoyant  l’association  des  collectivités territoriales à la procédure de décision. Il a estimé également que le cadre juridique ainsi proposé aux relations de l'État avec les grandes institutions culturelles dites de la "décentralisation", comme avec les FRAC, était plus proche de celui d’activités privées subventionnées par les collectivités publiques  que  de  la  commande  publique,  dont  les  régimes  -  délégation  de  service  public  ou marchés publics - n’ont donc pas lieu de lui être appliqués.
Il n’a cependant pu retenir l’article 2 bis du projet, issu d’une saisine rectificative, qui n’a pas été soumis à l’avis du Conseil national d’évaluation des normes qu’impose l’article L. 1212-2 du code général  des  collectivités  territoriales  sur  les  projets  de  loi  créant  ou  modifiant  des  normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.
C) En ce qui concerne les dispositions relatives à la musique enregistrée
7. Le projet prévoit des modalités de contractualisation entre un artiste-interprète et un producteur de phonogrammes destinées à favoriser la diversité et la pérennité de l’offre artistique, notamment en protégeant les droits de propriété des artistes sur leurs œuvres quel que soit le mode d’exploitation, en assurant une rémunération minimale distincte pour chaque mode d'exploitation, ou encore en fixant une obligation de transparence à la charge du producteur de phonogrammes dans le calcul de cette rémunération. En son article 38, le projet prévoit l’application aux contrats en cours de l’obligation, inscrite au nouvel article L. 212-14 du code de la propriété intellectuelle, pour  les  producteurs  de  phonogrammes  de  rendre  compte  aux  artistes  interprètes,  avec  une fréquence semestrielle, du mode de calcul de leur rémunération. Le Conseil d’État a estimé que cette atteinte à la liberté contractuelle, qui n’était pas rétroactive et n’emportait pas obligation de modifier les contrats, était justifiée par un motif d’intérêt général suffisant.
8. Le Conseil d’État a estimé que ces dispositions, ainsi que celles relatives aux relations équitables et transparentes entre producteurs et plateformes et l'institution d'un médiateur de la musique, ne portaient aucune atteinte inconstitutionnelle à la liberté des contrats et assurait une transposition fidèle des directives européennes relatives aux droits voisins, et qu’elles pouvaient utilement être codifiées dans le code de la propriété intellectuelle.
D) En ce qui concerne les dispositions relatives à l’offre d’œuvres culturelles adaptées aux personnes en situation de handicap
9. Le Conseil d'État, a validé les améliorations au dispositif, issu de la loi du 1er août 2006, destiné à  favoriser  un  plus  large  accès  des  personnes  handicapées  aux  publications  écrites,  par  la production et la diffusion de documents adaptés et la mise en œuvre ainsi anticipée d'une partie des stipulations du traité signé à Marrakech le 27 juin 2013 mais non encore ratifié, afin de favoriser la circulation internationale des œuvres adaptées.
E)  En  ce  qui  concerne  les  dispositions  relatives  aux  établissements  de  l'enseignement supérieur dépendant du ministère de la culture (hors architecture)
10. Le Conseil d'État a adopté une rédaction qui marque bien l'intégration de ces établissements dans le cadre juridique de droit commun de l'enseignement supérieur (article L. 613-1 du code de l'éducation relatif à l'accréditation et à l'habilitation à délivrer des diplômes), sous réserves d'adaptations précisément désignées, justifiées par leur spécificité.

II. - Sur les dispositions relatives au patrimoine culturel et à la promotion de l’architecture
A) En ce qui concerne l'archéologie
11.  Le  projet  élargit  la  définition  du  patrimoine  archéologique  au  « contexte »  dans  lequel s’inscrivent les biens, vestiges et traces qui le constituent. Dans le domaine de l’archéologie préventive, il renforce le contrôle scientifique de l’État. Enfin il modifie le régime de propriété des biens archéologiques.
a) Contrôle de la qualité scientifique des opérateurs de fouilles préventives
12. La délivrance des agréments pour le diagnostic et pour les fouilles est davantage encadré par la loi. Afin d’assurer la qualité scientifique des opérateurs choisis par les aménageurs, le projet modifie le calendrier actuel de la procédure en instaurant une phase préalable d’examen par les services de l’État des projets scientifiques d’intervention proposés par des opérateurs sur un projet de fouille. Cette phase de validation scientifique des projets prendra place avant la conclusion du contrat de fouilles entre l’aménageur et l’opérateur choisi par celui-ci sur la base de ses propres critères, notamment de coût et de délai, et la délivrance de l’autorisation de fouilles.
b) Nouveau régime de propriété des biens archéologiques
13. Le projet instaure enfin un nouveau régime de propriété du patrimoine archéologique mobilier et immobilier, dans le but de simplifier un régime complexe en l’état actuel du droit et d’éviter le partage des vestiges qu’il organise.
Pour les biens immobiliers, l’application de l’article 552 du code civil, selon lequel la propriété du sous-sol est présumée appartenir au propriétaire du sol, est écartée pour les vestiges mis au jour, quel que soit le mode de découverte, sur des terrains acquis après l’entrée en vigueur de la loi du 17 janvier 2001 sur l’archéologie préventive. Ces biens sont présumés appartenir à l’État. Le projet tire ainsi les conséquences de la décision Ministre de la communication c/ M. Mathé-Dumaine (CE, 24 avril 2012 n° 346952) qui a jugé conformes aux stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales les dispositions de cette loi, en tant qu’elles s’appliquent aux personnes devenues propriétaires à compter de leur entrée en vigueur, soit postérieurement au 19 janvier 2001.
Sur le même modèle, le projet du Gouvernement écarte pour les biens mobiliers, la présomption de l’article 552 et les règles de l’article 716 relatives au régime des trésors, pour ceux mis au jour sur des terrains acquis postérieurement à l’entrée en vigueur du présent projet de loi, quel que soit le mode de découverte.
14. Bien que ce nouveau régime de propriété, qui ne comporte aucune atteinte aux droits constitués dans le chef des propriétaires du sol sous l’empire des dispositions antérieures, ne se heurte, pour ce motif, à aucune objection conventionnelle ou constitutionnelle, le Conseil d’État a cru devoir lui apporter certaines modifications essentiellement justifiées par des considérations de bonne administration.
■ Pour les biens immobiliers, il lui est apparu que le renversement, par le propriétaire du sol, de la présomption de propriété publique posée par l’article L. 541-1 du code du patrimoine, s’avère, comme l’a relevé la décision Mathé-Dumaine, impossible à mettre en œuvre en pratique dans la mesure où l’existence du vestige étant par construction ignorée, le propriétaire du sol ne disposera d’aucun titre en faisant mention et ne pourra invoquer aucune prescription acquisitive. Pour cette raison, le Conseil d’État a estimé qu’il était plus conforme à la réalité juridique de placer ces biens sous un régime de propriété publique dès leur mise au jour.
■ Pour les biens mobiliers, il lui est apparu que la présomption de propriété publique qui a pour effet  de  placer,  en  application  de  l’article  L.  2112-1  du  code  de  la  propriété  des  personnes publiques, l’ensemble de ces biens sous un statut de domanialité publique, comportait des conséquences pratiques excessives, eu égard à la définition très large du patrimoine archéologique donnée à l’article L. 510-1 du code du patrimoine et aux contraintes qui s’imposent à l’autorité publique dans la gestion du domaine public. S’il est en effet possible de considérer légitime le fait de placer sous ce statut l’ensemble des objets trouvés lors d’opérations de fouilles autorisées par l’État ou exécutées par lui et de fouilles préventives, dans la mesure où celles-ci sont placées sous le contrôle de l’Etat, il n’en va pas de même pour les objets découverts fortuitement en dehors de toute intervention de l’Etat. Pour les objets ainsi mis au jour, le Conseil d’État a estimé que leur appropriation publique devait être subordonnée à la reconnaissance de leur intérêt scientifique pour l’archéologie.
Cette reconnaissance devra s’effectuer dans des conditions procédurales encadrées par la loi comme le prévoit le texte proposé par le Conseil d’État.
B) En ce qui concerne les autres dispositions du code du patrimoine
a) En ce qui concerne les musées
15. ■ Circulation des collections - Le Conseil d’État a estimé que les dispositions de l’article 17 du projet de loi créant un article L. 113-1 nouveau relatif aux prêts et dépôts de biens des collections de l’État aux collectivités territoriales et aux organismes de droit privé en vue de favoriser la circulation des collections nationales sur tout le territoire national ne nécessitent pas de loi mais auraient leur place dans la partie règlementaire du code du patrimoine.
■ Travaux sur collections - L'article 19, modifiant le Livre IV du code du patrimoine, reconnaît à l’autorité administrative le pouvoir d’interrompre des travaux, ou d’en prescrire, sur un bien appartenant à une collectivité territoriale ou à une personne privée faisant partie de la collection d’un musée de France (articles L. 452-1, L. 452-2 et L. 452-3).
Le Conseil d’État a, d’une part, estimé que l’atteinte susceptible d’être portée aux modalités d’exercice du droit de propriété au sens de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article premier du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme par le recours à ces prérogatives nouvelles pouvait être justifiée par l’intérêt général qui s’attache à la protection de biens dont l’intégrité est gravement compromise et qui constituent des trésors nationaux en vertu de l’article L. 111-1 du code du patrimoine, comme en matière de monuments historiques classés.
Le  Conseil  d’État  a,  d’autre  part,  examiné  ces  dispositions  au  regard  de  l’article  13  de  la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui, s’il n’interdit pas de faire supporter pour un motif d’intérêt général à certaines catégories de personnes des charges particulières, exige qu’il n’en résulte pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Il a estimé que les garanties prévues par le texte - notamment une prise en charge du financement des travaux exécutés d’office par l’État ne pouvant être supérieure à 50 % de leur montant - devaient être renforcées, en fixant, en cas d’absence d’exécution d’office, la prise en charge de l’État à 50 % au moins des dépenses, et en reconnaissant au propriétaire le droit de s'exonérer de sa dette en faisant abandon de son bien à l'État, comme en matière de monuments historiques classés.
b) En ce qui concerne les monuments historiques, cités historiques
16. Patrimoine mondial - L’article 23 du projet de loi crée un article L. 611-1 nouveau du code du patrimoine qui a pour objectif que les biens inscrits sur la liste du patrimoine mondial dans le cadre de la convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de l’Organisation  des  Nations  Unies  pour  l’éducation,  la  science  et  la  culture  en  date  du 16 novembre 1972, soient pris en compte par l’État, ses établissements publics, les collectivités territoriales  et  leurs  groupements  au  titre  de  leurs  compétences  respectives  en  matière  de patrimoine, d’environnement et d’urbanisme, afin d’en assurer la protection, la conservation et la mise en valeur. Dans la mesure où la convention crée seulement des obligations entre les États parties à la convention, sans produire d'effets directs dans l'ordre juridique interne, le Conseil d’État a estimé que le projet de loi ne pouvait se limiter à un simple renvoi aux instruments de protection de ces biens adoptés par le comité du patrimoine mondial institué par les articles 8 à 14 de la convention, tels le « plan de gestion » et la « zone tampon », mais qu’il était nécessaire que l’objet et la portée de ceux-ci soient définis par la loi elle-même, et qu’un décret en Conseil d’État en précise les modalités d’application.
17.■  Procédure d’aliénation des immeubles protégés appartenant à l’État. Le Conseil d’État a estimé que les dispositions de l’article 24 du projet de loi créant un article L. 621-29-9 nouveau qui impose  un  avis  préalable  obligatoire  de  la  Commission  nationale  des  cités  et  monuments historiques pour toute aliénation d’un immeuble classé ou inscrit dont l’État est propriétaire et qui est mis à disposition du centre des monuments nationaux ne nécessitent pas de loi mais auraient leur place dans la partie règlementaire du code du patrimoine.
18. ■ Régime de protection applicable à proximité d’un édifice protégé. L’article 24 du projet réforme également le régime de protection applicable à proximité d’un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques et remplace en conséquence les dispositions des articles L. 621-30 à L. 621-32 du code du patrimoine désormais consacrés aux abords, dont l’objet est de permettre l’établissement  de  périmètres  de  protection  mieux  adaptés  aux  caractéristiques  propres  du monument historique à protéger.
Outre un changement terminologique, cette réforme substitue à un périmètre de protection automatique fondé sur un double critère de distance (500 mètres) et de visibilité ou de co-visibilité, établi  indépendamment  des  caractéristiques  du  monument  à  protéger  et  avec  application  pour chaque demande d’autorisation de travaux de la notion parfois incertaine de la visibilité ou de la co-visibilité, un périmètre qualitatif, défini au terme d’une procédure comprenant une enquête publique et après accord de l’autorité compétente en matière de document d’urbanisme, destiné à protéger tous les immeubles formant un ensemble cohérent avec le monument inscrit ou classé.
Dans le périmètre des abords, les travaux ayant pour effet de modifier l’aspect extérieur des bâtiments sont soumis à autorisation préalable selon une procédure alignée sur celle applicable dans le périmètre des cités historiques, autre innovation du projet de loi figurant à l’article 25.
19.■  Morcellement des immeubles protégés - S’agissant de l’article 24 du projet de loi qui modifie entièrement l’article L. 621-33, pour permettre, à l’initiative de l’autorité administrative, en cas de morcellement  ou  de  détachement  d’un  immeuble  protégé  en  violation  des  règles  prévues, d’enjoindre à l’auteur du manquement de remettre en place les biens et de prendre les mesures conservatoires nécessaires pour prévenir leur dégradation et leur destruction, le Conseil d’État a estimé que l’atteinte susceptible d’être portée aux modalités d’exercice du droit de propriété par cette servitude, qui ne saurait imposer des travaux au propriétaire de biens simplement inscrits, pouvait être justifiée par l’intérêt général qui s’attache à la protection de l’intégrité des biens protégés au titre des monuments historiques. Afin de donner son effectivité à la règle de remise en place du bien et de préserver les droits de tiers de bonne foi, au cas où le bien aurait été vendu, le Conseil  d’État  a  estimé  nécessaire  de  prévoir  notamment,  dans  la  loi,  que  l’acquisition  d’un fragment d’immeuble protégé est nulle, les actions en nullité ou en revendication pouvant être exercées tant par l'autorité administrative que par le propriétaire originaire, et que l'acquéreur ou le sous-acquéreur de bonne foi a droit au remboursement de son prix d'acquisition.
Le Conseil d’État a toutefois estimé que la possibilité reconnue à l’autorité administrative d’ordonner le paiement d’une astreinte pouvant s’élever jusqu’à 1000 euros par jour, lorsque l’intéressé n’a pas obtempéré à l’injonction de remise en place du bien en cause, était susceptible de faire peser sur celui-ci une charge disproportionnée, dans le cas notamment où il serait confronté à de réelles difficultés pratiques pour assurer le retour du bien.
20. ■ Ensemble cohérent d’objets mobiliers - A propos des mesures prévues aux articles L. 622-1-1, L. 622-1-2 et L. 622-4-1 nouveaux qui visent à garantir l'intégrité des ensembles cohérents d’objets mobiliers  en  ouvrant  la  possibilité  du  classement  d’un  ensemble  d'objets  mobiliers  dont  les éléments particuliers ne pourront être détachés sans l'accord de l'autorité administrative, le Conseil d’État a estimé que la création d’une servitude de maintien dans les lieux d'un ensemble classé d'objets mobiliers, bien qu’elle ne puisse être instituée sans l’accord du propriétaire, porte une atteinte excessive aux modalités d’exercice du droit de propriété et au principe d’égalité devant les charges publiques. Pour ne pas se heurter à de telles objections, la servitude de maintien dans les lieux devrait être justifiée par l’existence de liens historiques ou artistiques présentant un caractère exceptionnel entre lesdits objets et l’immeuble classé, et par l’indemnisation du préjudice subi par le propriétaire en cas de refus de l’administration de lever la servitude.
21. ■ Cité historique. L’article 25 du projet de loi créée des articles L. 631-1 à L. 633-1 nouveaux qui établissent une nouvelle zone de protection du patrimoine, la cité historique, et définissent le régime applicable sur son périmètre.
Cette nouvelle zone de protection se substituera à compter de l’entrée en vigueur de la loi aux régimes actuels des secteurs sauvegardés, des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager et des aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine, avec l’objectif d’établir  un  régime  de  protection  unique  simplifié  et  mieux  articulé  avec  les  documents d’urbanisme applicables.
Le classement en cité historique a d’abord pour incidence de grever tous les édifices situés dans son périmètre d’une servitude d’utilité publique. Il implique ensuite l’approbation d’un document d’urbanisme associé à la cité historique qui sera soit un plan local d’urbanisme comportant des dispositions spécifiques en matière de caractéristiques architecturale, patrimoniale, urbaine et écologique dans son règlement, conformément aux dispositions du III de l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme par ailleurs modifié par l’article 35 du projet de loi, soit un plan de sauvegarde et de mise en valeur tenant lieu de plan local d’urbanisme sur le périmètre de la cité historique classée, conformément aux dispositions de l’article L. 313-1 du code de l’urbanisme, également modifié par l’article 35 du projet de loi.
Les articles 32, 33 et 35 tirent les conséquences des modifications apportées au code du patrimoine par les articles 24 et 25 respectivement dans le code de l’environnement, le code forestier et le code de l’urbanisme ; les articles 40 et 42 précisant les conditions d’entrée en vigueur ainsi que les dispositions transitoires applicables à ces modifications.
22. ■ Label « architecture du XXème siècle ». A l’article 26 du projet de loi, l’article L. 650-1 nouveau crée un label pour les immeubles de moins de cent ans d’âge présentant un intérêt architectural ou technique. Lorsque ce label a été accordé par l’autorité administrative, il en résulte, pour le propriétaire qui envisage des travaux, l’obligation d’informer l’autorité administrative avant tout dépôt de permis de construire ou d’autorisation de travaux. Le Conseil d’État a relevé que si le caractère obligatoire de cette procédure nouvelle, préalablement au dépôt du permis de construire ou de la déclaration de travaux, empêcherait son édiction par la voie règlementaire, l’absence de
sanction en cas de méconnaissance par le propriétaire de l’obligation d’informer l’autorité administrative est de nature à priver de son effectivité une telle disposition législative.
Le Conseil d’État a en outre estimé, en raison des incertitudes relatives aux conséquences du non accomplissement de cette formalité sur la légalité des autorisations de construire, que la disposition est de nature à méconnaître l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme qui, avec le plein exercice de sa compétence par le législateur, impose à celui-ci d’adopter des dispositions suffisamment précises, sans qu’il puisse reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi.

III. - Habilitations
A) Habilitation à compléter et à modifier le code du cinéma et de l’image animée
23. Le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur les garanties qui devront accompagner la mise en œuvre de l’habilitation mentionnée au 7°) relative au pouvoir de contrôle des agents du centre national du cinéma et de l’image animée sur des tiers au code du cinéma et l’image animée.
B) Habilitation à compléter et modifier le code du patrimoine
24. Exportation des biens culturels. L’article 29 prévoit, au a) du 1° de son I, que le Gouvernement pourra, par voie d’ordonnance modifier les dispositions en vigueur concernant l’exportation de biens culturels, par exemple pour préciser les contraintes attachées à la qualification de trésor national, et allonger le délai de la procédure d’acquisition. Le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement sur les exigences qui s’attachent au respect des modalités d’exercice du droit de propriété et qui s’imposeront aux mesures de l’ordonnance.
25. Concernant les modifications à apporter au titre V du code du patrimoine sur l’archéologie, l’habilitation porte essentiellement sur les conséquences en droit interne de la ratification de la Convention sur la protection du patrimoine subaquatique adoptée à Paris le 2 novembre 2001, sur la définition de la procédure à suivre lorsque des restes humains font l’objet de découvertes archéologiques  et  sur  l’adaptation  des  règles  de  l’archéologie  préventive  aux  aménagements projetés dans le domaine maritime et la zone contigüe. Le Conseil d’État a disjoint la disposition du projet habilitant le Gouvernement à modifier les délais applicables en matière d’archéologie préventive, matière qui ne relève pas du domaine de la loi. Si celle-ci a pu fixer ces délais il appartient au Gouvernement d’en demander le déclassement en application de l’article 37-2 de la Constitution.
IV. - Sur les ventes publiques d’objets liés à un crime contre l’humanité, à un crime de guerre, ou n’ayant d’autres utilisations qu’infliger la peine capitale, la torture ou des traitements cruels ou attentatoires à la dignité humaine
26. L’article 37 crée dans le code de commerce un article L. 321-6 qui permet au président du tribunal de grande instance statuant selon la procédure de référé, à la demande notamment de toute personne intéressée, d’interdire la vente volontaire aux enchères publiques de certains objets - objets ayant appartenu à une personne condamnée pour crimes contre l'humanité, objets qui n’ont d’autres utilisations qu’infliger la peine capitale, la torture ou des traitements cruels ou attentatoires à la dignité humaine, objets utilisés par une personne condamnée pour crime - lorsque cette vente est susceptible de troubler l’ordre public.
Le Conseil d’État a estimé, pour légitime que soit l’objectif recherché par le Gouvernement, que l’attribution  au  juge  civil  du  pouvoir  d’interdire  une  vente  volontaire  au  motif  qu’elle  est susceptible de troubler l’ordre public n’est pas appropriée au regard de l’objectif poursuivi et se heurte à plusieurs obstacles constitutionnels, notamment aux principes qui fondent l’organisation de la police administrative.
La liberté de vendre un bien étant l’une des modalités d’exercice du droit de propriété protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’autorité publique ne peut y porter atteinte en raison de risques à l’ordre public, comme c’est le cas pour toute liberté en général, qu’en assurant une juste conciliation entre l’objectif constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public et la protection des droits et libertés constitutionnelles en cause.
La  recherche  de  cette  juste  conciliation,  suppose  que  l’autorité,  pour  conjurer  la  menace  de troubles, puisse non seulement prendre une mesure d’interdiction, mais envisager toutes autres mesures de police, moins restrictives des libertés publiques, ou prendre toutes autres dispositions, comme la mobilisation des forces de l’ordre, ce qui suppose qu’elle puisse disposer de celles-ci. La juste conciliation entre la sauvegarde de l’ordre public et des libertés suppose également que l’autorité puisse intervenir de sa propre initiative et au meilleur moment, ou encore, qu’elle soit en mesure de prendre en compte les effets sur l’ordre public qu’une mesure d’interdiction serait susceptible d’entraîner, pour agir en conséquence et pourvoir aux moyens nécessaires.
A la différence de l’autorité de police administrative, dont c’est la responsabilité même, le juge civil en est pour sa part empêché, tant par son office que par le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives.
Le Conseil d’État a estimé en conséquence que :
- la reconnaissance au président du tribunal de grande instance statuant selon la procédure de référé du pouvoir d’interdire purement et simplement une activité non illicite en elle-même, au motif qu’elle est susceptible de troubler l’ordre public, conduirait à lui confier une responsabilité qui relève de la nature même de la police administrative et qu’il ne serait pas en mesure d’assurer dans le respect de l’exigence constitutionnelle de juste conciliation entre l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et la protection de droits et libertés constitutionnels en cause ;
- et, conformément aux principes généraux régissant l’organisation des pouvoirs publics, et sauf à ce que la loi elle-même, par la création d’une infraction, interdise la vente publique de certaines catégories d’objets, tels ceux dont l’exportation et l’importation sont interdites par le règlement (CE) n° 1236/2005 du Conseil du 27 juin 2005, il revient aux autorités de police administrative compétentes, sous  le  contrôle  du  juge  administratif,  de  prendre,  à  leur  initiative,  les  mesures propres à assurer l’ordre public, y compris, en cas de nécessité, au moyen d’une mesure d’interdiction.
Cet  avis  a  été  délibéré  par  l’assemblée  générale  du  Conseil  d’État  dans  sa  séance  du jeudi 2 juillet 2015.