Avis sur un projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l’avis sur un projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal

CONSEIL D’ETAT    
Section de l’intérieur
Séance du mardi 3 mars 2020
N° 399752

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

AVIS SUR UN PROJET DE LOI

relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal

 

1.    Le Conseil d’Etat a été saisi le 17 février 2020 d’un projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Ce projet de loi, dont l’exposé des motifs précise qu’il répond à l’objectif, affirmé par le Président de la République dans le discours prononcé le 28 novembre 2017 à Ouagadougou, de procéder en Afrique à des « restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain » figurant dans les collections françaises, comprend deux articles et deux annexes.

Il prévoit le transfert de propriété, d’une part, à la République du Bénin de vingt-six pièces données par le général Dodds, emportées par lui en 1892 à la suite de combats contre le roi du Danhomè Behanzin à Abomey et conservées aujourd’hui au musée du quai Branly-Jacques Chirac et, d’autre part, à la République du Sénégal d’un sabre dit d’El Hadj Omar Tall, chef religieux et militaire fondateur de l’empire toucouleur, donné en 1909 par le général Archinard au musée de l’Armée. Le projet dispose que les biens désignés cessent de faire partie des collections placées sous la garde de ces deux musées à la date d’entrée en vigueur de la loi et que l’autorité administrative dispose à compter de la même date d’un délai d’un an pour les remettre aux deux Etats.

L’étude d’impact, complétée le 5 mars 2020, satisfait aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009.

Etendue de la protection des collections publiques des musées de France

2.    Les biens culturels des collections publiques des musées de France font l’objet d’une triple protection garantie par la loi, au titre de leur qualité d’éléments des collections des musées de France relevant des personnes publiques, de leur appartenance au domaine public mobilier, et de leur qualité de trésors nationaux.

En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l’article L. 451-5 du code du patrimoine : « Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. […] ».

En deuxième lieu, selon l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P): « Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment : […] 8° Les collections des musées ; […] » ; aux termes de l’article L. 3111-1 de ce code : « Les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles » et, en vertu de l’article L. 2311-1 du même code, sont insaisissables.

En troisième lieu, l’article L. 111-1 du code du patrimoine dispose que : « Sont des trésors nationaux :/ 1° Les biens appartenant aux collections des musées de France ; […] », ces dispositions ayant pour effet d’interdire leur exportation définitive du territoire ainsi que le prévoit l’article 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

3.    Les dispositions du second alinéa de l’article L. 451-5 du code du patrimoine organisent une procédure de déclassement des biens culturels par décision administrative, prise après avis conforme de la commission scientifique nationale des collections mentionnée à l'article L. 115-1 du code. Toutefois, il résulte de la combinaison de cet article L. 451-5 et de l’article L. 2112-1 du CG3P qu’un déclassement par la voie administrative n’est possible que lorsqu’un bien a perdu tout intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique. Tel n’est à l’évidence pas le cas des biens visés par le projet de loi.

En tout état de cause, sont applicables aux biens considérés, qui sont entrés dans les collections publiques par voie de dons, les dispositions de l’article L. 451-7 du code du patrimoine selon lesquelles : « les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs […] ne peuvent être déclassés ».

4.    Aucune norme de droit international s’imposant en droit interne n’est par ailleurs applicable au projet de restitution des biens considérés. La Convention UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels conclue le 14 novembre 1970, ratifiée par la France en 1997, pour la mise en œuvre de laquelle l’article L. 124-1 du code du patrimoine ajouté par l’article 56 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 organise une procédure spécifique, est applicable sans effet rétroactif entre les Etats l’ayant ratifiée. Elle ne peut s’appliquer aux biens en cause.

5.    Par suite, soit qu’elle autorise en application de l’article 53 de la Constitution la ratification d’un accord international prévoyant un transfert de propriété de la France à un autre Etat, soit qu’elle déroge par elle-même au principe d’inaliénabilité, qui n’a pas valeur constitutionnelle, la loi est nécessaire pour mettre en œuvre les restitutions annoncées par le Président de la République.

Le Conseil d’Etat observe que de telles lois ont été adoptées à deux reprises : loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud, loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, ces deux textes ayant été motivés principalement par l’application du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Conditions de transfert des biens restitués

6.    Une loi prononçant le déclassement de biens du domaine public mobilier doit être examinée au regard de plusieurs exigences constitutionnelles attachées à la protection de la propriété publique : ne pas porter une atteinte disproportionnée à celle-ci (CC décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, cons. 58), ne pas mettre en cause la continuité des services publics auxquels le domaine public est affecté (CC décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994, cons. 2), être justifiée par un motif d’intérêt général (CC décision n°2003-473 du 26 juin 2003, cons. 18). En règle générale, la sortie du domaine public ne peut se faire à titre gratuit ou à vil prix (CC décision n° 2009-594, 3 décembre 2009, cons. 15).

Le Conseil d’Etat observe que le texte soumis à son examen intervient pour mettre en œuvre des engagements pris par la France dans le cadre de la politique de coopération culturelle qu’elle conduit avec les Etats africains. Il relève que les biens culturels faisant l’objet du déclassement en vue de leur restitution sont précisément identifiés et forment un ensemble circonscrit au sein d’une collection. L’objectif poursuivi et l’origine historique des biens justifient un transfert à titre gratuit. Le projet n’appelle par suite aucune objection d’ordre constitutionnel.

7.    Le Conseil d’Etat relève enfin que le transfert est prévu au bénéfice de deux Etats qui, comme l’indique l’étude d’impact, disposent des moyens appropriés pour assurer la conservation future des biens culturels en cause ou les préparent. Il remarque que le texte organise le déclassement des biens du domaine public mobilier de l’Etat au jour de l’entrée en vigueur de la loi et leur placement simultané dans son domaine privé jusqu’à la remise juridique de propriété, qui doit intervenir dans un délai maximal d’un an. Cette procédure permet des coopérations bilatérales pour la poursuite de la bonne conservation des biens en cause au-delà de ce délai.

Cet avis a été délibéré par la section de l’intérieur du Conseil d’Etat dans sa séance du mardi 3 mars 2020.