Avis sur un projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique

1.    Le Conseil d’Etat a été saisi le 11 mars 2021 d’un projet de loi relatif à la protection de l’accès du public aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Ce projet a fait l’objet d’une saisine rectificative reçue le 23 mars 2021. Il appelle de sa part les observations suivantes.

CONSIDERATIONS GENERALES  

2.    Le projet de loi est le quatrième texte traitant de la communication audiovisuelle à l’ère numérique examiné par le Conseil d’Etat en dix-huit mois. Il succède en effet :

- au projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique examiné en assemblée générale les 27 et 28 novembre 2019 (avis n° 398829) qui, après sa présentation en conseil des ministres a été déposé à l’Assemblée Nationale (projet de loi n° 2488) et examiné par la commission des affaires culturelles et de l’éducation le 5 mars 2020. Le processus d’examen de ce texte, qui portait un projet ambitieux et global de réforme de l’audiovisuel à l’ère numérique, a été interrompu par la proclamation de l’état d’urgence sanitaire ;

- au projet de loi habilitant le Gouvernement à transposer diverses directives, moderniser les règles de la communication audiovisuelle et renforcer la protection de la souveraineté culturelle, examiné en assemblée générale le 2 juillet 2020 (avis n° 400389). Ce texte qui habilitait le Gouvernement à prendre, par de très nombreuses ordonnances, l’essentiel des dispositions du texte précédent, à l’exception notable de la réforme de l’audiovisuel public, n’a pas été délibéré en conseil des ministres ;

- à l’ordonnance n° 2020 1642 du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE et modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le code du cinéma et de l'image animée, ainsi que les délais relatifs à l'exploitation des œuvres cinématographiques, pour laquelle le Gouvernement avait été habilité sur le fondement de l’article 26 de la loi n° 2020 1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. Cette ordonnance a notamment étendu le champ des contributeurs à la production cinématographique et audiovisuelle aux éditeurs de services de télévision et de médias audiovisuels à la demande établis dans un autre Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou relevant de la compétence d’un autre Etat et visant le territoire français.

3.    En raison de l’impact de la crise sanitaire sur le calendrier parlementaire, le Gouvernement a finalement fait le choix, non de poursuivre la discussion qui s’était engagée sur le premier texte au printemps 2020 ou d’ouvrir celle sur le texte de l’été 2020, mais de rédiger un nouveau projet de loi aux ambitions plus circonscrites. Composé de 21 articles répartis en quatre chapitres, ce projet est centré sur la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) au sein de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) et le développement des compétences du régulateur en matière de lutte contre le piratage (chapitre I). Le chapitre II est consacré à la composition de l’Autorité et ses pouvoirs, notamment en matière de sanction. Le chapitre III du projet comporte la création d’un dispositif nouveau de protection des œuvres cinématographiques et audiovisuelles patrimoniales en cas de cession. Un chapitre IV traite des dispositions diverses, transitoires et finales.  

4.    Le Conseil d’Etat relève que le titre du projet ne reflète que partiellement son objet. Il suggère de l’intituler « projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique ».   

5.    Les consultations prévues par la loi ont été effectuées : CSA (avis du 22 mars 2021) et Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (avis du 30 mars 2021). Bien que non obligatoire, l’avis de l’HADOPI a été recueilli (avis du 18 mars 2021). Ces avis sont globalement favorables au projet. Le Conseil d’Etat propose de reprendre certaines de leurs suggestions.

6.    L’étude d’impact reformule, en les adaptant, les éléments repris des études d’impact réalisées à l’occasion des précédents projets. Elle est dans l’ensemble satisfaisante, sous une réserve énoncée au point 19.

7.    Le Conseil d’Etat ne commente dans le présent avis que les dispositions nouvelles ou amendées par rapport à la version qui figurait dans les projets de loi ayant fait l’objet de ses avis n° 398829 et n° 400389, auxquels il se réfère en tant que de besoin.

FUSION DU CSA ET DE LA HADOPI DANS L’ARCOM ET RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LA CONTREFAÇON SUR INTERNET

Transfert des compétences de la HADOPI au CSA

8.    Le projet met en cohérence les dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI) avec la réunion de la HADOPI et du CSA en une autorité publique indépendante unique aux missions et pouvoirs renforcés en matière d’encouragement au développement de l’offre légale et des pratiques licites, de protection de œuvres et de régulation dans le domaine des mesures de protection (points 44 à 49 de l’avis n° 398829). Il transfère à l’ARCOM l’ensemble des missions exercées aujourd’hui d’une part par le collège de l’HADOPI et d’autre part par la commission de protection des droits en charge de la mise en œuvre de la procédure de réponse graduée. Le Conseil d’Etat suggère d’ajouter, comme le recommande l’HADOPI, les droits d’exploitation audiovisuelle des manifestations et compétitions sportives au nombre de ceux qui font l’objet de la mission d’encouragement et d’observation de l’offre légale.

Attribution de compétences nouvelles à l’ARCOM en matière de lutte contre les pratiques illicites sur Internet  

9.    Le projet attribue, comme l’avait envisagé le projet de l’automne 2019, trois nouvelles compétences à l’ARCOM en matière de lutte contre le piratage :

- l’établissement d’une liste des sites manifestement contrefaisants (points 50 et 51 de l’avis n° 398829). Le projet précise que cette liste peut être utilisée par les signataires des accords volontaires promus par l’ARCOM, susceptibles de contribuer à remédier aux atteintes au droit d’auteur et aux droits voisins ou aux droits d’exploitation audiovisuelle des compétitions et manifestations sportives. Il fait obligation aux annonceurs, leurs mandataires et toute autre personne en relation commerciale avec les sites contrevenants, de rendre publique, au moins une fois par an, l’existence de ces relations et d’en faire mention dans leur rapport annuel de gestion. Ces enrichissements du dispositif n’appellent pas d’observations du Conseil d’Etat ;

- la lutte contre les sites miroirs (points 52 à 54 de l’avis n° 398829) pour laquelle le projet donne à l’ARCOM, lorsqu’une décision judiciaire passée en force de chose jugée aura ordonné une mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication en ligne, compétence, sur simple saisine d’un titulaire de droits partie à la procédure judiciaire, pour demander « à toute personne susceptible d’y contribuer » d’empêcher l’accès audit service. Pour assurer l’encadrement du dispositif, le Conseil d’Etat propose de revenir à la rédaction figurant dans le précédent projet, qui désignait ces personnes comme les « fournisseurs d’accès à des services de communication au public en ligne, mentionnés au 1 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, les fournisseurs de nom de domaine et les exploitants de moteurs de recherche et les services de référencement ». Il incombera à l’ARCOM de notifier à ces personnes la liste des sites contrevenants. Le projet de loi limite à bon escient la demande de l’ARCOM à une durée ne pouvant excéder celle restant à courir pour les mesures ordonnées par le juge ;

- la lutte contre la retransmission illicite des manifestations sportives, par la mise en place d’un mécanisme original de saisine du juge en référé ou selon la procédure accélérée au fond, pour qu’il ordonne toute mesure (blocage, déréférencement…) à l’égard d’un service de communication en ligne ayant pour objet la diffusion sans autorisation de compétitions sportives (points 55 et 56 de l’avis n° 398829). Ce mécanisme est toutefois modifié sur trois points par le projet.

Il est prévu que le juge peut ordonner des mesures propres à empêcher les diffusions contrefaisantes, non plus pour une durée maximale de deux mois au terme de laquelle, en cas de poursuite des manquements, il peut renouveler et compléter les mesures ordonnées pour neuf mois, mais d’emblée par une seule ordonnance et pour une durée maximale de douze mois. Cette décision unique peut porter sur des sites déjà identifiés comme sur des sites non encore identifiés à la date à laquelle le juge statue. L’ARCOM est investie de pouvoirs de recherche et d’identification des sites contrefaisants ainsi que d’un pouvoir de notification aux personnes susceptibles de bloquer ou déréférencer les services contrevenants, les mesures d’empêchement cessant, pour chaque journée de diffusion de compétition ou de manifestation, dès la fin de la diffusion autorisée.

Le Conseil d’Etat estime que la sévérité accrue du dispositif peut être admise sans encourir le grief de conciliation non équilibrée entre la protection de la propriété intellectuelle des détenteurs de droits et la liberté d’entreprendre et la liberté de communication, au regard du poids des ressources tirées des retransmissions de manifestations et compétitions sportives par les entreprises de communication audiovisuelle et de leur importance dans le financement du sport, ainsi que des caractéristiques du préjudice causé, instantané et irréversible, qui ont déjà amené des juridictions d’autres Etats européens à prononcer des mesures préventives selon le schéma réaménagé par le projet de loi. Il propose toutefois de caler les effets de l’ordonnance juridictionnelle sur la « saison sportive » plutôt que sur douze mois, conformément aux pratiques d’organisation des manifestations et compétitions sportives visées à l’article L. 333 1 du code du sport. Il suggère enfin de soumettre le nouveau dispositif à une évaluation, après deux années d’application.

Mode d’exercice par l‘ARCOM des compétences qui lui sont transférées en matière de protection de la propriété intellectuelle

10.    Le projet de loi prévoit que les compétences de la commission de protection des droits en matière de réponse graduée, de conservation des données techniques et de traitement des données personnelles pour la gestion des procédures en matière de protection des droits de propriété intellectuelle (articles L. 331 24 à L. 331 30 en vigueur du CPI) seront exercées par l’un des deux membres de l’ARCOM issus du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation qui feront à l’avenir partie du collège. Les compétences exercées par le collège de l’HADOPI et les compétences nouvelles de l’ARCOM le seront par le collège de l’ARCOM. Le projet du Gouvernement conserve ainsi une autonomie à l’exercice de la mission de protection des droits au sein de l’autorité fusionnée en la confiant à un membre qui n’aurait à rendre compte au collège que des aspects statistiques de ses activités.

11.    Le Conseil d’Etat relève qu’à la suite de la décision n° 2009 580 DC du 10 juin 2009 du Conseil constitutionnel, la commission de protection des droits n’exerce pas de pouvoir de sanction, lequel n’est dévolu qu’au juge. La procédure dont elle a la charge vise par l’envoi d’avertissements successifs à rappeler au titulaire d’un abonnement à internet qu’il doit prendre toutes mesures utiles pour éviter que sa connexion ne soit utilisée pour télécharger ou mettre à disposition sur internet des œuvres protégées par le droit d’auteur ou par un droit voisin. Les membres de la commission et les agents assermentés de l’HADOPI sont soumis au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en raison de leurs fonctions. Ils disposent du pouvoir de demander aux opérateurs de communication électronique des éléments d’identification des internautes (Décision n° 2020 841 QPC du 20 mai 2020) et de pouvoirs de constatation qui s’inscrivent dans l’objectif pré pénal dévolu à la procédure de réponse graduée.

Compte tenu de la nature de cette mission, le Conseil d’Etat estime que ni la séparation prévue par le projet de loi, ni la désignation par la loi d’un membre de la Cour de cassation ou d’un membre du Conseil d’Etat pour l’exercer, ne résultent d’une exigence constitutionnelle. Aussi le législateur dispose-t-il d’une marge de choix dans l’organisation du transfert de la mission au sein de l’ARCOM. Pour sa part, le Conseil d’Etat estime préférable, pour assurer le plein exercice par l’ARCOM de ses nouvelles compétences en matière de protection de la propriété intellectuelle comme l’unité de sa doctrine en la matière, de laisser au régulateur la liberté de confier l’exercice de la réponse graduée à un ou plusieurs membres de son collège. Le Conseil d’Etat rappelle que les membres ainsi désignés seront tenus par l’obligation de non divulgation des données personnelles collectées pour l’accomplissement de leur mission dans les conditions prévues par le CPI. Il recommande de tirer les conséquences de cette proposition, tant dans le code de la propriété intellectuelle que dans la loi du 30 septembre 1986.

S’agissant de la procédure pouvant conduire à l’inscription sur une liste noire, qui présente le caractère de sanction, le Conseil d’Etat propose, en cohérence avec sa proposition précédente, d’en confier l’engagement au rapporteur indépendant désigné dans les conditions prévues à l’article 42 7 de la loi du 30 septembre 1986 aux lieux et place du membre du collège chargé de la réponse graduée prévu par le texte du Gouvernement. Il note que le projet de loi prévoit la possibilité de nommer des rapporteurs adjoints auprès du rapporteur de l’article 42 7.

Les pouvoirs des agents habilités et assermentés de l’ARCOM, énoncés à l’article 19 de la loi du 30 septembre 1986, sont précisés au regard des finalités des nouvelles procédures auxquelles ils sont amenés à participer. Le Conseil d’Etat propose d’actualiser la liste des infractions qu’ils peuvent constater.

COMPOSITION ET POUVOIRS DE L’AUTORITE DE REGULATION DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE ET NUMERIQUE

12.    Le projet réécrit l’article 4 de la loi du 30 septembre 1986 pour fixer la nouvelle composition de l’ARCOM qui comprendra toujours sept membres dont le mandat est de six ans, désignés désormais de la manière suivante : le président nommé par le Président de la République, deux membres, au lieu de trois, nommés respectivement par le président du Sénat et par le président de l’Assemblée nationale, un membre du Conseil d’Etat et un membre de la Cour de cassation désignés respectivement par le vice-président du Conseil d’Etat et le premier président de la Cour de cassation. Les membres, quelle que soit l’autorité de nomination, le sont « en raison de leurs compétences en matière économique, juridique, ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel ou des communications électroniques ». Ce mode de nomination qui s’attache, comme le relève le CSA dans son avis, à assurer « la diversité des profils au sein du collège et le bon équilibre entre experts économiques, juridiques ou techniques et professionnels issus du secteur », n’appelle pas d’observations du Conseil d’Etat.

Le CSA prendra le nom d’ARCOM le premier jour du troisième mois suivant celui de la publication de la loi, date à laquelle entreront en fonction les deux membres issus du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation dont le mandat sera de sept ans afin de permettre un renouvellement par tiers du collège tous les deux ans. Jusqu’au terme des deux mandats des membres désignés par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat en 2017 qui s’achève en janvier 2023, le collège comportera neuf membres. Ce dispositif, qui préserve les mandats en cours de l’autorité de régulation, n’appelle pas d’observation.

La date de création de l’ARCOM sera celle de la dissolution de l’HADOPI, du transfert de ses agents et de son patrimoine, de la reprise des procédures en cours par l’autorité et l’exercice par celle-ci de ses nouvelles compétences dans le domaine de la lutte contre le piratage sur Internet.

Procédure en matière de sanction prononcée par l’ARCOM

13.    La procédure de sanction en matière audiovisuelle comporte trois étapes : l’envoi d’une mise en demeure par le collège de l’autorité de régulation, le déclenchement d’une procédure de poursuites par un rapporteur indépendant désigné par le vice-président du Conseil d’Etat qui décide de l’opportunité de notifier des griefs et de proposer une sanction, le prononcé de la sanction par le collège de l’autorité.  

Cette procédure est la résultante de plusieurs évolutions de la loi du 30 septembre 1986.

Si aucun principe général du droit n’impose à une autorité administrative indépendante de mettre en demeure l’auteur d’un manquement d’y mettre fin avant de le sanctionner et  si l’article 42 de la loi du 30 septembre 1986  fait de la mise en demeure avant le prononcé de d’une sanction par le Conseil supérieur de l’audiovisuel une faculté, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 88 248 DC du 17 janvier 1989, l’a érigée, dans le domaine audiovisuel, en exigence constitutionnelle au regard de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en relevant que l’article 42 définit de manière générale les manquements des éditeurs et distributeurs de services comme ceux résultant du fait, pour ces personnes, de ne pas s’être conformées « à la mise en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ». Cette mise en demeure a pour objet d’éclairer son destinataire sur la nature et la portée des obligations qu’il a méconnues.

Le Conseil d’Etat a par ailleurs (Société Lebanese Communication Group, 6 janvier 2006, n° 279596) jugé que, pour éviter un préjugement qui contreviendrait à l’exigence d’impartialité rappelée par l’article 6 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la procédure de sanction suivie devant le CSA ne peut être engagée qu’à raison de faits postérieurs à la mise en demeure. La loi a été mise en conformité avec cette exigence conventionnelle par les modifications apportées à l’article 42 1 par la loi n° 2013 1028 du 15 novembre 2013, lequel dispose en son premier alinéa que « si la personne faisant l’objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, une sanction reposant sur des faits distincts ou couvrant une période distincte de ceux ayant fait l’objet d’une mise en demeure ». Cette même loi a par ailleurs organisé la séparation des autorités de poursuite et de sanction en créant la fonction de rapporteur indépendant.

Le projet modifie les articles 42 1 et 48 2 de la loi du 30 septembre 1986 afin de supprimer l’exigence d’une mise en demeure préalable avant le prononcé de la sanction de la méconnaissance, par un éditeur de service, de son obligation de contribution annuelle au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. L’objectif de cette modification est de pouvoir sanctionner un manquement à cette obligation dès le premier bilan annuel pour lequel il est identifié. Une telle possibilité n’est aujourd’hui pas permise eu égard aux termes de l’alinéa 1er de l’article 42 1, au risque de priver de tout effet dissuasif la réponse du régulateur à un opérateur auquel serait reprochée la première occurrence d’un manquement.

Le Conseil d’Etat, pour remédier à une telle situation, qui compromet à l’évidence l’efficacité de la régulation, a recherché une solution de nature à concilier l’exigence constitutionnelle d’une mise en demeure en matière audiovisuelle, le principe d’impartialité et la nécessité d’assurer l’effectivité de la répression. A cette fin il propose, pour les manquements aux obligations de contribution à la production, de séparer fonctionnellement la décision relative à la mise en demeure, qui serait prise par une formation restreinte composée de trois membres de l’Autorité, de la décision prise sur la sanction, dont l’édiction reviendrait aux quatre autres membres du collège. La sanction pourra alors reposer, sans encourir de critique sur son impartialité, sur les mêmes faits ou couvrir la même période que ceux ayant fait l’objet de la mise en demeure.

Le Conseil d’Etat suggère d’introduire cette modification aux articles 42 1 et 48 2 de la loi du 30 septembre 1986. Il propose en conséquence d’aménager les règles de quorum applicables à chacune de ces formations et d’introduire une disposition transitoire pour la période pendant laquelle l’ARCOM sera composée, non pas de sept, mais de neuf membres.

Autres dispositions relatives à l’ARCOM

14.    Le projet comporte d’autres dispositions pour la plupart reprises des projets précédents qui n’appellent pas d’autres remarques que celles faites lors de l’examen de ces projets et qui ont pour objet :

- d’étendre la mission générale de l’ARCOM à la communication au public par voie électronique (point 65 de l’avis n° 398829) ;

- d’étendre la mission de conciliation de l’Autorité aux éditeurs de services, distributeurs de services, opérateurs de réseaux satellitaires, opérateurs de plateformes en ligne, prestataires techniques auxquels ces personnes recourent, les exploitants de système d’accès sous condition, auteurs, producteurs et distributeurs de programmes audiovisuels, ou les organisations professionnelles qui les représentent (point 66 de l’avis n° 398829) ;

- de compléter les informations que doit comporter le rapport annuel de l’Autorité pour tenir compte de sa mission nouvelle de lutte contre le piratage ;  

- de permettre, sans que le secret des affaires puisse y faire obstacle, que les informations dont disposent l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et l’Autorité de la concurrence soient librement communicables pour l’application de l’article 41 4 de la loi du 30 septembre 1986 ;

- de décider, sous réserve des secrets protégés par la loi, de publier la sanction qu’elle a prononcée soit au JORF, soit sur un service de communication au public par voie électronique édité par ses soins, soit les deux en déterminant dans sa décision les modalités de cette publication qui sont proportionnées au manquement (point 73 de l’avis n° 398829) ;

- d’instituer la caducité des mises en demeure si elles n’ont pas fait l’objet d’un début de procédure de sanction dans un délai de cinq ans suivant leur prononcé et prévoir la possibilité de rapporteurs adjoints au rapporteur désigné selon les modalités prévues à l’article 42 7 de la loi du 30 septembre 1986 (point 73 de l’avis n° 398829) ;

- de généraliser à l’ensemble des éditeurs de service, une disposition prévue par l’ordonnance n° 2020 1642 du 21 décembre 2020 qui modifie l’article 43 7 de la loi du 30 septembre 1986 prévoyant qu’en cas de manquement à leur obligation de contribution par les services de médias audiovisuels à la demande ne relevant pas de la compétence de la France mais visant le territoire français, le montant de la sanction pécuniaire applicable soit calculé en proportion du montant de l’obligation financière incombant à l’éditeur sans excéder deux fois le montant de l'obligation qui doit être annuellement consacrée à la production et trois fois en cas de récidive.

DROITS VOISINS DES ENTREPRISES DE COMMUNICATION AUDIOVISUELLE

15.    Le projet modifie l’article L. 216 1 du CPI en vue de préciser que le droit voisin des entreprises de communication audiovisuelle (radio comme télévision) s’applique à la diffusion de leurs programmes sur les services de communication au public en ligne. Cette disposition bienvenue n’appelle pas d’observation.

PROTECTION DES ŒUVRES CINEMATOGRAPHIQUES ET AUDIOVISUELLES

16.    Eléments majeurs du patrimoine culturel français, les œuvres cinématographiques et audiovisuelles détenues par des entreprises françaises qui les ont financées en qualité de producteur au sens des articles L. 132 23 et suivants du code de la propriété intellectuelle sont aujourd’hui vulnérables à des acquisitions, par des acteurs susceptibles de porter atteinte à leur bonne conservation, leur accessibilité au public ou leur mise en valeur.

C’est pourquoi le projet de loi examiné le 2 juillet 2020 avait prévu d’habiliter le Gouvernement à créer par ordonnance un mécanisme d’autorisation préalable des acquisitions directes ou indirectes de catalogues de films « remarquables » dont la délivrance aurait été subordonné au respect de certains engagements par l’acquéreur. Si le Conseil d’Etat dans son avis n° 400389 (points 16 et 17) avait considéré que la prévention des atteintes susceptibles d’être portées à l’intégrité et à la diffusion du patrimoine cinématographique et audiovisuel français, élément constitutif de l’identité culturelle française, était de nature à être regardée comme un motif d’intérêt général justifiant que des atteintes puissent être portées à l’exercice du droit de propriété et aux libertés, au sens des jurisprudences constitutionnelles et conventionnelles, il avait toutefois rappelé que le dispositif devait être adéquat et pertinent au regard de l’objectif poursuivi, porter des atteintes proportionnées de ces droits et libertés et être entouré de garanties suffisantes.

Cette habilitation n’ayant pas été examinée par le Parlement, le projet de loi soumis à l’examen du Conseil d’Etat, mettait en place, dans sa version initiale, un dispositif obligeant à déclarer préalablement tout projet de cession de catalogues de films ou de transfert du contrôle, direct ou indirect des entreprises les détenant et à les soumettre à une autorisation du ministre de la culture. La notification aurait entraîné la possibilité pour l’autorité administrative de prendre immédiatement des mesures conservatoires, et d’imposer au bénéficiaire de l’opération des obligations nombreuses quant à la conservation des films et leur exploitation. Le dispositif comportait des pouvoirs de contrainte administrative, d’injonction sous astreinte, et de sanctions très élevées.

Le Conseil d’État aurait été conduit à donner un avis défavorable à ces dispositions : leur champ d’application était défini de manière trop vague pour n’être pas exposé au risque d’incompétence négative ; les atteintes aux droits et libertés  étaient excessives eu égard aux pouvoirs de suspension ou d’opposition donnés au ministre, sans qu’ait été envisagée de procédure d’indemnisation ; les sanctions présentaient un caractère disproportionnée et ne satisfaisaient pas au principe de la légalité des délits  et des peines. Enfin, faute de pouvoir s’insérer dans le cadre européen régissant le contrôle des investissements étrangers, le dispositif méconnaissait le droit de l’Union.

17.    Au regard de ces difficultés et à la suite de travaux réalisés lors de l’examen préparatoire du texte, le Gouvernement a proposé un nouveau dispositif figurant dans une saisine rectificative.

Ce dispositif prend comme point de départ les obligations qui sont à la charge du producteur français et qui sont définies au code la propriété intellectuelle.  En application de l’article L. 132 27 de ce code, le producteur qui a pris l’initiative et la responsabilité de la réalisation d’une œuvre cinématographique ou audiovisuelle est tenu d’en « rechercher une exploitation suivie conforme aux usages de la profession ». Ce même article renvoie le champ et les conditions de mise en œuvre de cette obligation à un accord intervenu le 3 mars 2016 et rendu obligatoire par arrêté du ministre de la culture du 7 mars 2016. Applicable aux œuvres cinématographiques et aux œuvres audiovisuelles patrimoniales françaises régies par un contrat de production de droit français, financées majoritairement par des personnes physiques ou morales de nationalité française et ayant bénéficié d’aides publiques, l’accord impose au producteur un triple devoir : la bonne conservation des supports techniques de l’œuvre, la recherche de sa meilleure exploitation possible, l’information annuelle de l’auteur ou de ses ayants droits sur les diligences accomplies à cette fin.

Le mécanisme s’assigne comme objectif plus limité que le dispositif initialement envisagé d’étendre la protection, résultant de l’accord de 2016, pour les films qui en relèvent, à toute personne qui viendrait à détenir la maîtrise de leur exploitation, sans avoir la qualité de producteur. Le mécanisme envisagé instaure une obligation de notification des opérations pouvant avoir cet effet, sous peine de sanctions égales à 10 % de la valeur des œuvres concernées. Cette notification ouvre une période de trois mois au ministre pour s’assurer que les conditions dans lesquelles les œuvres seront exploitées par le cessionnaire sont équivalentes à celles prévues dans l’accord de 2016. À défaut d’entente sur la nature de ces mesures, le ministre transmet le dossier à une commission pour la protection des œuvres, dont la composition et le fonctionnement sont fixés par décret en Conseil d’Etat, qui après une procédure contradictoire, détermine unilatéralement ces conditions à défaut d’accord. La contestation de cette décision est portée devant le judiciaire, juge naturel des contentieux relatifs aux transactions commerciales et de la propriété intellectuelle. La cour d’appel de Paris serait la juridiction la mieux désignée pour connaître de ce contentieux.

18.    Le Conseil d’Etat estime que le nouveau dispositif proposé satisfait, sous une réserve, aux exigences qu’il avait rappelées dans son avis du 2 juillet 2020. Il répond à un objectif d’intérêt général, est circonscrit et précis dans son champ d’application. Il ne crée pas plus d’obligations à la charge du nouveau détenteur des œuvres que celles résultant de l’obligation de moyens pesant sur le producteur qui les cède. Le recours à une commission indépendante et la possibilité d’un recours juridictionnel devant le juge judiciaire (dont la compétence est justifiée, s’agissant de contentieux entre personnes privées sur l’étendue des charges de protection du droit d’auteur et des droits voisins, mêmes précisées par une décision administrative) encadrent le dispositif de garanties. La sanction financière pour défaut de notification de l’opération par le cédant, seule sanction possible, est proportionnée au regard du montant maximal fixé par le projet.
 
Le Conseil d’Etat estime toutefois nécessaire de prévoir que la commission de protection des droits pourra assortir les mesures qu’elle édicte d’une compensation financière à la charge de l’Etat, si ces mesures font peser une charge anormale sur le nouveau propriétaire des droits au regard de ses capacités. Il relève que la procédure ainsi mise en place ne peut avoir pour effet d’empêcher la cession mais de la retarder en mettant à profit le délai ouvert à compter de la déclaration pour rechercher les modalités d’une continuité dans le mode d’exploitation des œuvres par le cessionnaire et en ouvrant ultérieurement aux ayants droits la possibilité de contester le non-respect des obligations acceptées par le dit cessionnaire ou que lui a imposées la commission. Il estime au total l’atteinte proportionnée à l’objectif d’intérêt général qui s’attache à la mise en valeur des œuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises, notamment lorsqu’elles ont fait l’objet d’un soutien public à leur création.

19.    Le dispositif de protection comporte également une obligation de verser au dépôt légal des éléments de support technique concernant les œuvres audiovisuelles et cinématographiques qui n’avaient pu y être versées avant 1969, en l’absence jusqu’à cette date d’obligation légale de dépôt. Il donne à leurs détenteurs un délai de cinq ans pour le faire. Le Conseil d’Etat n’a pu disposer, en raison du caractère très tardif de la saisine, d’une étude d’impact   carence qui devra être rectifiée si le Gouvernement maintient ces dispositions dans le projet qu’il soumettra au Parlement - permettant de mesurer de la charge que représente ce dépôt pour les propriétaires des œuvres, le nombre d’œuvres concernées et l’intérêt de les conserver toutes. Le Conseil d’État, tout en souscrivant au principe de la mesure qui contribuerait à élargir le champ du patrimoine cinématographique français conservé, invite le Gouvernement à ne l’inscrire dans le code du patrimoine, qu’après avoir pu apprécier l’ensemble des effets d’une telle obligation, le caractère suffisant du délai laissé pour s’y soumettre, et les conséquences éventuelles de sa méconnaissance dans le chef des propriétaires concernés. Il propose en conséquence de ne pas retenir ces dispositions à ce stade.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 1er avril 2021.