Avis sur un projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.

1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 10 mars 2021 d’un projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. Ce projet de loi a été modifié par saisines rectificatives reçues les 3, 9, 12, 18 et 20 avril 2021.

Il appelle les observations suivantes du Conseil d’Etat.

2. Le projet comprend 19 articles répartis en quatre chapitres. Le chapitre Ier comporte des dispositions renforçant la prévention d’actes de terrorisme. Le chapitre II est relatif au renseignement. Le chapitre III porte sur le brouillage des drones. Le dernier chapitre comporte des dispositions relatives à l’outre-mer.
L’étude d’impact du projet, reçue le 3 avril 2021 et modifiée le 9 avril 2021 est dans son ensemble d’une très bonne qualité et permet d’apprécier tant l’efficacité et l’utilité des dispositions en vigueur, situées dans leur contexte opérationnel, que de comprendre les objectifs poursuivis par les évolutions envisagées. Elle pourra cependant être complétée sur certains points signalés ci-après dans l’avis.
La commission nationale de l’informatique et des libertés a été consultée sur l’ensemble du projet et a rendu son avis le 8 avril 2021.

I. Dispositions relatives à la prévention d’actes de terrorisme

3. Ce premier volet du projet porte, d’une part, sur les mesures de sûreté créées par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme qui figurent aux chapitres VI à X du titre II du Livre II du code de la sécurité intérieure (CSI) : périmètres de protection, fermetures de lieux de culte, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance dites MICAS, visites domiciliaires et saisies, contrôle parlementaire. Le projet confère à l’ensemble de ces mesures un caractère permanent et en aménage certaines.
 Il introduit, d’autre part, dans le code de procédure pénale une nouvelle mesure judiciaire de sûreté.

4. Le Conseil d’Etat veille à ce que les dispositions du projet opèrent une conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect des droits et libertés garantis par la Constitution conforme à celle-ci et répondent aux exigences issues de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La nécessité de chacune des mesures, la proportionnalité des atteintes aux libertés qu’elle comporte, le degré de rigueur qu’elle impose sont appréciés pour chacune d’elles. Le Conseil d’Etat, prend également en considération dans son examen le nouvel équilibre qui résulte du texte et la circonstance qu’il intervient dans un paysage législatif qui, depuis 2017, a renforcé et élargi les prérogatives de l’Etat en matière de sécurité.

Code de la sécurité intérieure
Caractère permanent conféré aux dispositions des articles L. 226-1 à L. 22-10-1 du code

5. Lors de l’examen de la loi du 30 octobre 2017 le Parlement avait limité au 31 décembre 2020 la période d’application des mesures faisant l’objet de ces articles. La loi n° 2020-1671 du 24 décembre 2020 a reporté cette date au 31 juillet 2021. Dans son avis sur ce projet de loi (Avis n° 40009 - assemblée générale du 4 mai 2020), le Conseil d’État a rappelé, en se fondant notamment sur son analyse initiale et sur les décisions ultérieures tant du Conseil constitutionnel (Décisions n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 et n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018) que du Conseil d’Etat statuant au contentieux, que la conformité des dispositions concernées à la Constitution, au droit de l’Union européenne ou aux normes internationales n’était subordonnée ni à leur caractère temporaire ni à un certain degré d’intensité de la menace terroriste. L’abrogation par le projet de loi du II de l’article 5 de la loi du 30 octobre 2017, qui fixe au 31 juillet 2021 la date d’applicabilité des dispositions en cause, n’appelle par suite pas de réserve juridique du Conseil d’Etat.

Interdiction de fréquenter des lieux exposés à un risque de menace terroriste
 
6. Aux termes de l’article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure : « Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre ».
Parmi ces obligations, l’article L. 228-2 du code permet au ministre de l’intérieur de faire obligation à une personne :
1° De ne pas se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune et doit être adapté aux exigences de la vie familiale et professionnelle ;
2° De se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie ;
3° De déclarer son lieu d’habitation et tout changement de lieu d’habitation.
Cette mesure est prononcée pour une durée maximale de trois mois et peut être renouvelée dans certaines conditions sans pouvoir excéder douze mois.
Le projet prévoit que l’interdiction de se déplacer à l’extérieur d’un certain périmètre peut être assortie d’une interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés se trouvant au sein de ce périmètre dans lesquels se tient un « évènement exposé par son ampleur ou ses circonstances particulières à un risque de menace terroriste ». Le texte précise que la mesure, qui tient compte de la vie familiale et professionnelle de l’intéressé, a une durée strictement limitée à celle de chaque évènement dans la limite de trente jours. Elle s’inscrit dans le respect du plafond maximal de trois mois de la mesure principale sur laquelle elle se greffe.
Le Conseil d’Etat estime que cette mesure peut s’avérer nécessaire dans certaines situations de menaces. Il l’interprète comme permettant d’interdire à la personne de fréquenter un évènement particulier, éventuellement organisé en plusieurs lieux, qui se tient dans le périmètre dans laquelle elle est autorisée à se déplacer, pour la durée de cet évènement et dans la limite de trente jours. La mesure est ainsi limitée dans ses finalités, sa durée, précise dans les critères d’application qu’elle requiert et les conditions auxquelles elle doit satisfaire. Sauf urgence dûment justifiée elle est notifiée au moins 48 h à l’avance permettant la saisie utile du juge des référés. Le Conseil d’Etat considère au vu de ces éléments, que la mesure n’étend pas d’une manière excessive le degré de contrainte imposé à la personne, au regard de l’intérêt général qu’elle poursuit.

Procédure juridictionnelle applicable en cas de renouvellement des MICAS

7. Les articles L. 228-2, L. 228-4 et L. 228-5 du CSI disposent que toute décision de renouvellement des mesures qu’ils prévoient est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Celle-ci peut demander au tribunal administratif l’annulation de la décision dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa notification. Il est statué sur le recours au plus tard dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine du tribunal et le texte précise que : « dans ce cas la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande ».
Le projet de loi traite de l’hypothèse dans laquelle le tribunal administratif saisi n’est pas territorialement compétent. Dans cette hypothèse, le délai de renvoi au tribunal compétent risque de faire échec à l’intervention d’une décision dans le délai de 72 h empêchant ainsi l’entrée en vigueur de la décision de renouvellement alors que la décision en cours arrive à expiration. Afin d’éviter toute rupture dans la surveillance de la personne, le projet prévoit qu’en cas de saisine d’un tribunal administratif territorialement incompétent, le délai de 72 h ne court qu’à compter de l’enregistrement de la requête par le tribunal territorialement compétent auquel est renvoyée la requête, la mesure en cours étant prorogée pendant ce délai. Toutefois, la conservation de l’effet de la mesure aboutit à lui donner une durée effective supérieure à la durée maximale légale de trois mois. Or elle ne saurait être prolongée au-delà de quelques jours sauf à porter atteinte à la garantie que constitue cette limitation. Le Conseil d’État propose en conséquence de limiter à sept jours au plus l’effet de prolongation de la saisine d’un tribunal territorialement incompétent.

Allongement à 24 mois de la durée des MICAS pour des personnes sortant de prison ayant été condamnées pour terrorisme à des peines longues

8. Dans son avis sur la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leurs peines (Avis n° 399857- assemblée générale du 11 juin 2020), le Conseil d’Etat avait relevé que le terrorisme est une des menaces les plus graves pour les sociétés démocratiques, qu’elle demeure actuelle et réelle et que la radicalisation dans les prisons, qu’elle soit le fait de détenus de droit commun ou de condamnés pour des infractions à caractère terroriste est un fait documenté. L’étude d’impact indique que de nombreuses personnes condamnées à des peines lourdes pour des faits de terrorisme sortiront de prison dans les trois années qui viennent.
Pour prévenir la menace de récidive de ces personnes, le Gouvernement propose dans le projet de loi deux types de mesures pour les personnes condamnées pour terrorisme à des peines égales ou supérieures à cinq ans non assorties du sursis ou pour une durée égale ou supérieure à trois ans si l’infraction a été commise en état de récidive :
- il crée, d’une part, dans une disposition insérée au code de procédure pénale et examinée au point 11, lorsque l’observation de la personne en fin de détention a montré qu’elle présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive, une « mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste », qui prévoit de contraindre cette personne par une décision du tribunal d’application des peines de Paris à des obligations de résidence, de surveillance et de contrôle, de suivi de soins et de formations ;
- il propose, d’autre part, d’allonger la durée maximale totale cumulée d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance prononcée, en la portant de douze à vingt-quatre mois.

9. Plusieurs considérations conduisent le Conseil d’Etat à estimer que l’allongement proposé soulève une difficulté d’ordre constitutionnel sans que son efficacité soit suffisamment établie.
En premier lieu, le Conseil constitutionnel a intégré dans le bilan qu’il a fait de la constitutionnalité des MICAS la circonstance que leur durée était limitée à douze mois (Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 ct 52).
En deuxième lieu, si le projet prévoit que le renouvellement au-delà de douze mois, par période maximale de trois mois, est subordonné à l’existence d’éléments complémentaires ou nouveaux, cette exigence, que le Gouvernement justifie pour assurer la constitutionnalité de la mesure, interroge sur la nécessité de celle-ci dès lors que la réunion d’éléments nouveaux et complémentaires tous les trois mois paraît en pratique extrêmement difficile à réaliser.  
Enfin, les aménagements apportés au droit pénal ces dernières années afin de judiciariser plus précocement les personnes susceptibles de passer à l’acte terroriste sont de nature à répondre aux objectifs recherchés par le Gouvernement à travers cette mesure.
Le Conseil d’Etat ne retient pas en conséquence cette disposition.   

Visites domiciliaires

10. Le projet envisage de substituer à la condition posée par les articles L. 229-1, L. 229-4 et L. 229-5 d’existence d’une menace d’une « particulière gravité » pour procéder à des visites domiciliaires et à leur occasion à diverses opérations de saisie ou de retenue, celle de menace « grave ». Sans méconnaître la portée de la garantie qui résulte de l’appréciation de la condition de gravité par le juge des libertés et de la détention, le Conseil d’État constate que le Conseil constitutionnel n’a admis la constitutionnalité des dispositions relatives aux visites domiciliaires (Décisions n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 et n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 ct 59) qu’en relevant que le législateur les avait soumises, entre autres conditions,  à l’exigence d’une menace d’une « particulière gravité ». Le Conseil d’État ne retient pas en conséquence cette disposition.
En revanche la possibilité nouvelle donnée par le texte de saisir, lors d’une visite domiciliaire, les matériels lorsque la personne concernée fait obstacle à l’accès des enquêteurs aux données qu’ils renferment, est assortie de l’ensemble des garanties résultant du contrôle par le juge des libertés et de la détention de l’emploi des matériels ainsi saisis, prévues au II de l’article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure. Le Conseil d’Etat considère que cette disposition répond à une nécessité opérationnelle et n’appelle pas de réserve.

Code de procédure pénale
Création d’une « mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste »  

11. Le projet introduit dans le code de procédure pénale six nouveaux articles 706-25-16 à 706-25-22 régissant le prononcé d’une « mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste ».
Comme il a été dit au point 8, le législateur a adopté sur la base d’une proposition de loi examinée par le Conseil d’État, la possibilité de prononcer une mesure de sûreté spécifique comportant une ou plusieurs des douze obligations définies dans le texte (telles que résidence, interdiction de paraître, obligation de présence, présentation périodique aux services de police, autorisation pour déplacement à l’étranger, suivi d’un enseignement ou d’une formation professionnelle, respect des conditions d’une prise en charge sanitaire ou sociale demande d’autorisation de travail…) prononcée par la juridiction régionale des mesures de sûreté pour des sortants de prison condamnés pour faits de terrorisme. Le Conseil d’État avait émis un avis favorable sur le projet, dont il avait admis la nécessité, notamment au regard du fait que le suivi socio-judiciaire n’est pas applicable aux auteurs d’infractions terroristes commises avant la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, tout en proposant un nouvel équilibre à la mesure : il avait suggéré qu’elle soit mieux articulée avec l’ensemble des dispositifs existants, que l’objectivation de la dangerosité de la personne concernée soit mieux assurée, que les obligations imposées puissent à tout moment être modifiées ou supprimées et que la mesure soit limitée à une durée maximale de cinq ans. Le législateur avait en grande partie tenu compte de ces propositions.
Toutefois, par sa décision n° 2020-805 DC du 7 aout 2020, le Conseil constitutionnel, après avoir relevé que la mesure, qui repose non sur la culpabilité de la personne condamnée mais sur sa particulière dangerosité et a pour but d’empêcher et de prévenir la récidive, n’est ni une peine ni une sanction ayant le caractère de punition, mais une mesure de sûreté, et qu’en l’adoptant le législateur a « comme il y était fondé , voulu lutter contre le terrorisme et prévenir la commission d’actes troublant gravement l’ordre public », a censuré le dispositif. Il a jugé que s’il est loisible au législateur de prévoir une mesure de sûreté fondée sur la particulière dangerosité de l’auteur d’un acte terroriste afin de prévenir la récidive, c’est à la condition qu’aucune mesure moins attentatoire aux droits et libertés constitutionnellement garantis ne soit suffisante pour éviter la commission de ces actes et que les conditions de mise en œuvre de ces mesures et leur durée soient adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il a ensuite relevé que la mesure permettait d’imposer diverses obligations ou interdictions, le cas échéant cumulatives portant atteinte à des libertés fondamentales, que sa durée d’un an renouvelable dans la limite de cinq ans, voire dix, en accroissait la rigueur, qu’elle pouvait être prononcée à l’égard de personnes condamnées à une peine assortie d’un sursis simple, qu’elle pouvait intervenir sans que la personne n’ait bénéficié en détention de mesures de nature à favoriser sa réinsertion et être renouvelée sans que la dangerosité de la personne soit corroborée par des éléments nouveaux ou complémentaires. Le Conseil constitutionnel en a déduit que la mesure méconnaissait les exigences constitutionnelles.   

12. Le dispositif proposé par le Gouvernement reconstruit le dispositif en lui assignant une finalité principale de réinsertion et en l’appuyant sur une palette d’obligations réduites et cohérentes avec cette finalité. La mesure peut comporter une ou plusieurs des six obligations suivantes :
- établir sa résidence en un lieu déterminé ;
- répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation ;
- communiquer au service pénitentiaire d’insertion et de probation les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d’existence et de l’exécution de ses obligations ;
- exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;
- ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ;
- respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté, cette prise en charge pouvant le cas échéant intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté.
La mesure n’est applicable qu’aux personnes condamnées pour terrorisme à des peines d’une durée égale ou supérieure à cinq ans ou égale ou supérieure à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, non assorties d’un sursis simple, et ayant bénéficié pendant l’exécution de leur peine de mesures de nature à favoriser leur réinsertion. Elle est prononcée par le tribunal de l’application des peines de Paris après que la personne a été, trois mois avant sa libération, placée pour une durée d’au moins six semaines dans un service chargé d’évaluer sa dangerosité, laquelle fait ensuite l’objet d’un avis motivé de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Elle est ordonnée par le tribunal pour une durée maximale d’un an et peut être renouvelée sur réquisition du procureur de la République, après avis de la commission disciplinaire de sûreté pour la même durée dans la limite de cinq ans, chaque renouvellement étant subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires. La mesure ne peut être ordonnée que si elle apparaît strictement nécessaire à la prévention de la récidive et n’est pas applicable si la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire, si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire, d’une mesure de surveillance de sûreté ou d’une rétention de sûreté.   

13. Le Conseil d’Etat constate que le dispositif ainsi reconstruit répond aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2020 pour assurer la constitutionnalité d’une mesure de sureté concernant les sortants de prison ayant purgé une peine lourde pour faits de terrorisme.
Pour tenir compte de la nouvelle orientation donnée par le Gouvernement à la mesure, le Conseil d’Etat propose toutefois, pour mieux la caractériser, de la centrer d’abord, dans l’énoncé des obligations que la juridiction peut prononcer, sur l’obligation faite à la personne de respecter les conditions de prise en charge destinée à permettre sa réinsertion, envisagée notamment sous l’angle de la déradicalisation. Il suggère, puisque la mesure poursuit l’objectif de la prévention de la récidive, de la dénommer « Mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion ». Sur la juridiction appelée à la prononcer le Conseil d’Etat prend acte du choix fait par le Gouvernement de désigner le tribunal de l’application des peines de Paris, d’ores et déjà seul compétent pour l’exécution des peines en matière de terrorisme, plutôt que la juridiction régionale de sûreté qu’il avait recommandée dans son précédent avis, eu égard à la nature et aux finalités des mesures de sûreté, différentes de celles des mesures prises dans le cadre de l’exécution des peines.
Le Conseil d’Etat précise dans le projet que la durée maximale de cinq ans de la mesure doit s’entendre comme incluant des périodes éventuelles de suspension et que le renouvellement dans la limite de cette durée maximale n’est possible que pour des durées d’au plus une année.
Dans ces conditions, tout en rappelant qu’il serait utile, comme il l’avait indiqué dans son avis de juin 2020 que l’ensemble des dispositifs judiciaires préventifs pouvant être mis en œuvre en matière de prévention du terrorisme, ainsi que les dispositifs administratifs analogues, fasse l’objet d’une évaluation, le Conseil d’État ne formule pas d’objection à l’encontre des dispositions en cause

Autres mesures

14. L’article L. 227-1 du CSI permet à l’autorité administrative de prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes. Le projet étend cette faculté de fermeture « aux locaux dépendant du lieu de culte (…) dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient utilisés aux mêmes fins pour faire échec à l’exécution de la mesure de fermeture du lieu de culte ». Une disposition analogue a déjà été examinée par le Conseil d’Etat à l’occasion du projet de loi confortant le respect des principes de la République (Avis n° 401549 - assemblée générale du 3 décembre 2020) et n’appelle pas de commentaire particulier.

15. Le projet fait obligation à l’administration, par une nouvelle disposition insérée à l’article L. 228-6 du CSI, de tenir compte, dans la définition des obligations qu’elle impose dans le cadre d’une MICAS, des obligations qui auraient été prescrites par le juge judiciaire. Cette disposition qui permet de mieux garantir le respect des principes de nécessité et de proportionnalité de la mesure administrative n’appelle pas d’observation.  

16. Aux seules fins d’assurer le suivi d’une personne qui représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre public à raison de sa radicalisation à caractère terroriste, le projet introduit dans le code de la santé publique une disposition permettant aux autorités chargées du suivi des personnes figurant dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (préfet du département où se trouve la personne suivie et services de renseignement) de mettre ce fichier en relation avec le fichier HOPSYWEB relatif aux personnes ayant fait l’objet d’une  mesure de soins sans consentement, alors que seul le préfet du département d’hospitalisation est aujourd’hui autorisé à opérer cette mise en relation. Cette mesure, qui requiert l’intervention de la loi pour autoriser ces autorités administratives à avoir accès à des données protégées par le secret médical, et est justifiée par la nécessité d’améliorer le suivi des personnes susceptibles d’un passage à l’acte terroriste présentant un profil psychiatrique, n’appelle pas d’observation du Conseil d’Etat.

II. Dispositions relatives au renseignement

17. Le projet apporte diverses modifications ou adjonctions au Livre VIII du code de la sécurité intérieure dans lequel sont codifiées les dispositions de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.
Ces modifications visent à mieux encadrer certaines activités des services de renseignement (exploitation des renseignements et transmission entre services, transmission d’informations aux services) et à créer deux nouveaux dispositifs (conservation de renseignements aux fins de recherche et développement en matière de capacités techniques et interception des correspondances échangées par voie satellitaires).
La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), consultée en application de l’article L. 833-11 du code de sécurité intérieure, a rendu deux avis très circonstanciés, par délibérations des 7 et 14 avril 2021, dont la plupart des recommandations ont été reprises par le Gouvernement dans ses saisines rectificatives.

Exploitation des renseignements et transmission entre services de renseignement français

18. L’article L. 822-3 du CSI dispose que « les renseignements ne peuvent être collectés, transcrits ou extraits pour d’autres finalités que celles mentionnées à l’article L. 811-3 (…) ». Lorsqu’un service sollicite l’autorisation d’avoir recours à une technique de renseignement, l’autorisation qui lui est délivrée en application de l’article L. 821-2 l’est pour cette technique et pour la finalité pour laquelle le service a demandé sa mise en œuvre.
Il peut toutefois arriver que les renseignements recueillis conduisent à la découverte d’informations se rattachant à une finalité différente de celle pour laquelle leur collecte avait été autorisée. Le projet encadre en premier lieu l’exploitation des données recueillies en pareil cas en prévoyant que le service est autorisé à les extraire et à les transcrire « pour le seul exercice de ses missions ». Ainsi, les services qui ne sont autorisés à poursuivre que certaines des finalités de l’article L. 811-3 ne pourront extraire ou transcrire que les renseignements se rattachant à ces finalités.
Le projet fixe en second lieu les conditions dans lesquelles les services peuvent échanger entre eux les renseignements qu’ils ont collectés par la mise en œuvre des techniques de renseignement, y compris celles relatives à la surveillance des communications internationales. Il pose le principe selon lequel un service de renseignement, qu’il appartienne au « premier cercle » ou au « second cercle », peut transmettre à un autre les renseignements qu’il a collectés, extraits ou transcrits si cette transmission est « strictement nécessaire à l’exercice des missions du service destinataire ». Toutefois le projet prévoit que certaines transmissions sont subordonnées à une autorisation du Premier ministre délivrée après avis de la CNCTR. Il s’agit :
- des transmissions de renseignements collectés lorsqu’elles poursuivent une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil. Sont visés des renseignements à l’état brut, tels qu’ils ont été recueillis avant toute exploitation par le service intéressé ;
- des transmissions de renseignements collectés, extraits ou transcrits qui sont issus de la mise en œuvre d’une technique de renseignement à laquelle le service de renseignement destinataire n’aurait pu légalement recourir au titre de la finalité motivant la transmission.
Le projet prévoit enfin les modalités de contrôle interne et externe des transmissions de renseignements entre services et leur traçabilité. Au sein de chaque service est désigné un agent chargé de veiller au respect du cadre légal des transmissions. Les opérations de transcriptions, extractions, transmissions et de destruction des renseignements collectés, dont la durée de conservation n’est pas modifiée par les transmissions, sont effectuées dans chaque service par des agents individuellement désignés et habilités et font l’objet de relevés. L’ensemble des opérations est placé sous le contrôle de la CNCTR qui est immédiatement destinataire des relevés relatifs aux transcriptions extractions ou transmissions qui poursuivent une finalité différente de celle au titre de laquelle les renseignements ont été recueillis.

19. Le Conseil d’Etat souligne que les échanges de renseignements entre services sont dans certains domaines en particulier, tels que la prévention du terrorisme, une condition essentielle de l’efficacité de l’action menée par les services et de l’atteinte des objectifs de préservation de la sécurité nationale et de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Il observe que le projet vient utilement compléter le code de la sécurité intérieure, dont les dispositions encadrant les échanges entre services revêtent aujourd’hui un caractère général, en fixant à ceux-ci un cadre légal précis, dans la limite des finalités énumérées à l’article L. 811-3, des missions assignées à chaque service et des renseignements strictement nécessaires à l’accomplissement de celles-ci. Les opérations sont entourées de garanties destinées à assurer leur contrôle a priori ou a posteriori et leur bonne exécution et sont placées sous la surveillance de la CNCTR. Il estime que l’ensemble de ces conditions assure une conciliation conforme à la Constitution entre la protection de la vie privée et la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation.    

Transmission d’informations aux services de renseignement

20. L’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure prévoit que les autorités administratives mentionnées à l'article 1er de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives peuvent transmettre aux services de renseignement, de leur propre initiative ou sur requête de ces derniers, des informations utiles à l'accomplissement des missions de ces services.
Le projet complète ces dispositions en précisant que ces transmissions peuvent porter sur des informations couvertes par un secret prévu par la loi mais doivent être limitées aux seules informations « strictement nécessaires » à l’accomplissement des missions des services de renseignement. Il prévoit également que ces informations sont détruites dès lors qu’elles ne sont plus nécessaires à l’accomplissement de ces mêmes missions, que toute personne qui en est rendue destinataire est tenue au secret professionnel et qu’une traçabilité des transmissions est assurée par un agent spécialement désigné à cet effet au sein de chaque service de renseignement, qui doit également veiller à la conformité de ces opérations aux dispositions qui les régissent. Le projet modifie enfin l’article 49 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés afin de rendre inapplicable le droit d’accès de la personne concernée par un traitement de données personnelles entrant dans le champ du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 (« RGPD ») à l’information selon laquelle des renseignements ont été transmis par les autorités administratives responsables de ces traitements aux services de renseignement.

21. Les modifications apportées à la communication d’informations utiles aux services de renseignement par les autorités administratives relevant de l’ordonnance du 8 décembre 2015 n’appellent pas d’observations particulières du Conseil d’Etat. Il relève en effet que ces modifications sont de nature à renforcer la nécessité et la proportionnalité de cette communication au regard des objectifs poursuivis et qu’elles assortissent ces opérations de garanties de traçabilité supplémentaires. Il propose de préciser que les informations transmises sont immédiatement détruites par le service destinataire lorsque celui-ci constate qu’elles ne sont pas ou plus strictement nécessaires à l’exercice de ses missions et de prévoir qu’un décret fixera les conditions dans lesquelles est assurée la traçabilité des transmissions depuis les traitements de données à caractère personnel des autorités administratives concernées vers les services de renseignement. Il relève par ailleurs que la cohérence du dispositif justifie d’écarter l’application de l’article 48 de la loi du 6 janvier 1978 relatif au droit d’information de la personne concernée aux mentions selon lesquelles des renseignements ont été transmis par les autorités administratives aux services de renseignement qui pourrait être de nature à porter atteinte à l’objectif de protection de la sécurité nationale, tout autant que l’exercice du droit d’accès.

Conservation de renseignements aux fins de recherche et développement en matière de capacités techniques

22. Selon l’article L. 822-2 du code de la sécurité intérieure les renseignements collectés par l’une des techniques de renseignement prévues au chapitre Ier du titre VIII du CSI sont en principe conservés, selon leur nature, pendant des durées de 30 jours, 120 jours ou quatre ans. Le projet autorise les services de renseignements à conserver des renseignements collectés au-delà des durées normalement applicables et jusqu’à cinq ans à des fins de recherche et de développement.  
Le Gouvernement justifie ces nouvelles dispositions par la nécessité de permettre aux services d’utiliser, notamment, les outils de l’intelligence artificielle pour développer de nouveaux traitements automatisés, par exemple d’images, de paroles ou encore de textes afin d’améliorer et de faciliter le recueil et les techniques d’exploitation des renseignements. Il explique que la performance des programmes de recherche dépend de la possibilité de disposer d’un grand nombre de données issues de l’activité opérationnelle.
Le régime dérogatoire de conservation envisagé est réservé aux seuls services spécialisés de renseignement du « premier cercle » et au Groupement Interministériel de Contrôle (GIC), placé auprès du Premier ministre. Les renseignements sont conservés « aux seules fins de recherche et développement en matière de capacités techniques de recueil et d’exploitation des renseignements ». Ils doivent l’être de manière à n’être accessibles qu’aux seuls agents spécialement habilités à cet effet et exclusivement affectés à cette mission dans des conditions ne faisant pas apparaître les motifs et les finalités pour lesquels ils ont été collectés et ne permettant pas de rechercher l’identité des personnes concernées. Les paramètres applicables à chaque programme de recherche ainsi que toute évolution substantielle de ces paramètres seront soumis à une autorisation du Premier ministre après avis de la CNCTR afin de garantir le respect du cadre légal fixé. La CNCTR est chargée d’une mission de contrôle des opérations et a la faculté d’adresser au Premier ministre une recommandation tendant à la suspension d’un programme dont elle estimerait qu’il sort du cadre légal. Il est prévu qu’elle dispose d’un accès permanent aux dispositifs de traçabilité des renseignements collectés et aux locaux où sont centralisés ces renseignements.

23. Le Conseil d’Etat constate tout d’abord que l’objectif poursuivi par le Gouvernement répond à un intérêt général incontestable de développement de capacités opérationnelles permettant d’adapter la protection des intérêts fondamentaux de la Nation à l’évolution des menaces. Il relève ensuite que le projet énumère de manière suffisamment précise les finalités du régime dérogatoire de conservation, comporte des dispositions destinées à empêcher l’identification des personnes faisant l’objet des données utilisées et l’entoure de conditions destinées à assurer l’étanchéité dans le service entre les agents chargés du recueil et de l’exploitation des renseignements et ceux exclusivement dédiés à la recherche et au développement. Afin de prévenir tout risque de détournement à des fins de surveillance, il recommande, comme la CNCTR, que les données conservées à des fins de recherche et développement fassent l’objet d’un stockage matériellement et informatiquement cloisonné. Le contrôle exercé par la Commission et les pouvoirs qui lui sont conférés sont de nature à assurer à tout moment la conformité des programmes de recherche aux finalités exigées par la loi. Enfin le délai de conservation de cinq ans, qui se situe entre la durée de conservation des données techniques de connexion et celles autorisées pour les données chiffrées respectivement fixées à quatre et six ans paraît adapté compte tenu de la durée observée des cycles d’apprentissage et d’entrainement des programmes informatiques. Le caractère nécessaire, adéquat et proportionné du délai de conservation devra en outre être apprécié en fonction de chaque programme.
Au vu de cet encadrement d’ensemble, le Conseil d’Etat considère que le régime ainsi créé opère une conciliation conforme à la Constitution entre l’intérêt général qui s’attache à l’amélioration des outils opérationnels du renseignement et le risque d’atteinte à la vie privée des personnes.

Interception à titre expérimental de correspondances échangées par la voie satellitaire  

24. Le projet de loi crée, à titre expérimental, jusqu’au 31 juillet 2025, un nouveau mode d’interception de correspondances par le biais d’un dispositif de captation de proximité des communications satellitaires. L’étude d’impact indique que le développement en cours de constellations composées de plusieurs centaines voire de plusieurs milliers de satellites en orbite basse autour de la planète est susceptible de conduire au cours des prochaines années à un développement important des moyens de communication empruntant la voie satellitaire. Cette évolution nécessite, selon le Gouvernement, d’adapter le régime juridique des interceptions de sécurité et les capacités techniques des services de renseignement afin que ceux-ci puissent exercer leurs missions de surveillance sur de telles communications. En l’état, les interceptions de correspondances transitant par la voie satellitaire sont régies par le I de l’article L. 852-1 du code de la sécurité intérieure relatif aux interceptions de sécurité. Cependant, la mise en œuvre de ce régime, qui suppose une réquisition de l’opérateur de communication satellitaire, se heurte à deux difficultés. D’une part, les opérateurs des satellites en orbite basse sont jusqu’à présent majoritairement étrangers. D’autre part, les exigences de confidentialité attachées à l’action des services de renseignement peuvent conduire ceux-ci à ne pas souhaiter que l’identité de certaines cibles soit révélée à des opérateurs non nationaux. Aussi comme l’a relevé la CNCTR « dans la plupart des cas le régime de droit commun prévu par le I de l’article L. 852-1 du code de la sécurité intérieure est inadapté à ce type d’interceptions de correspondances. ».
Le projet de loi introduit dans le code de la sécurité intérieure un nouvel article L. 852-3, qui autorise le recours à des dispositifs d’interception des correspondances émises ou reçues par voie satellitaire. Ce régime est toutefois conçu comme un régime subsidiaire à celui fixé par le I de l’article L. 852-1 afin de privilégier, lorsque cela sera possible, l’application du droit commun des interceptions de sécurité qui comme l’a souligné la CNCTR « offre des garanties éprouvées en matière de protection de la vie privée ». Le nouveau dispositif technique prévu à l’article L. 852-3, dans lequel le ciblage est incertain, est en effet susceptible de conduite à l’interception de toutes les correspondances émises ou reçues par voie satellitaire dans son périmètre d’intervention, le service de renseignement devant ensuite opérer un tri pour ne retenir que les correspondances de la cible. Dans ces conditions, alors que les dispositifs techniques ne sont pas aboutis et que la nécessité de doter les services de renseignement de la capacité d’intercepter de telles correspondances parait démontrée, le Conseil d’Etat considère approprié le recours à une expérimentation d’une durée limitée.
Le recours à cette technique est réservé, comme l’a recommandé la CNCTR, aux finalités énoncées aux 1°, 2°, 4° et 6° de l’article L. 811-3 du code. L’autorisation de mettre en œuvre un tel dispositif sera délivrée dans les conditions de droit commun par le Premier ministre, après avis de la CNCTR, pour une durée maximale de trente jours. Les interceptions seront centralisées au sein du groupement interministériel de contrôle, sauf impossibilité technique. Dans ce cas, les données collectées font l’objet d’un chiffrement dès leur collecte et jusqu’à leur centralisation effective. Les transcriptions et extractions, auxquelles la CNCTR disposera d’un accès immédiat et permanent seront également réalisées et centralisées dans ce même service. Les correspondances interceptées dans ce cadre seront détruites dès qu’il apparaît qu’elles sont sans lien avec la personne concernée par l’autorisation délivrée, et au plus tard dans un délai de trente jours.

25. Le Conseil d’Etat rappelle que pour être conformes à la Constitution, les atteintes portées au droit au respect de la vie privée et des correspondances par l’utilisation par les services de renseignement d’une technique d’interception de correspondances doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Il en résulte notamment que les dispositions législatives autorisant le recours à de telles techniques doivent exclure que celles-ci puissent être utilisées à des fins plus larges que la défense des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure et doivent soumettre cette utilisation à des conditions de fond et de procédure ainsi qu’à des garanties suffisantes (Décision n° 2016-590 QPC du 21 octobre 2016). Il observe que les conditions de mise en œuvre et les garanties du recours aux techniques envisagées de captation des correspondances échangées par voie satellitaire sont sensiblement identiques à celles applicables aux régimes des interceptions de sécurité de l’article L. 852-1 du code de la sécurité intérieure, et que le Conseil constitutionnel a jugé ces dernières dispositions conformes à la Constitution (Conseil constitutionnel, Décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015). Il estime, par suite, que le projet opère une conciliation conforme à la Constitution entre la prévention des atteintes à l'ordre public et le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances.
La mise en œuvre d’une expérimentation repose sur l’élaboration d’une méthode rigoureuse impliquant, notamment, la définition de critères de réussite préalables ainsi qu’un suivi et une évaluation constante (Conseil d’Etat, Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ? Les études du Conseil d’Etat, 2019). Le Conseil d’Etat observe que, si l’étude d’impact justifie de manière convaincante la nécessité du recours à cette expérimentation, cette dernière ne comporte aucune précision quant aux modalités d’évaluation de cette expérimentation ni quant aux critères d’appréciation au regard desquels elle sera jugée. Il recommande au Gouvernement d’enrichir l’étude d’impact sur ce point. Parmi ces critères pourraient figurer, par exemple, le nombre de communications interceptées sans rapport avec la cible visée ou encore l’évaluation précise des obstacles juridiques, techniques ou opérationnels ayant empêché le recours au régime des interceptions de sécurité de droit commun du I de l’article L. 852-1 et nécessité le recours au dispositif expérimental.

Autres dispositions relatives au renseignement

26. Le projet propose d’aligner la durée d’autorisation de la technique de recueil de données informatiques sur celle de la technique de captation des données informatiques, respectivement fixées aujourd’hui à trente jours et à deux mois, en les fixant à deux mois. Ces dispositions n’appellent pas d’observations particulières.
Il en va de même de celles qui élargissent la possibilité donnée au Premier ministre, par l’article L. 871-6 du CSI de requérir la coopération des opérateurs de communications électroniques pour la mise en œuvre de certaines techniques de renseignement en y ajoutant les recueils de données techniques de connexion par dispositifs de proximité dit « Imsi catcher » (art. L. 851-6 du CSI) ainsi que les techniques de recueil et de captation de données informatiques (art. L. 853-2 du CSI).

III. Dispositions relatives au brouillage de drones présentant une menace

27. L’article L. 33-3-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) prohibe en son I (…) « l'importation, la publicité, la cession à titre gratuit ou onéreux, la mise en circulation, l'installation, la détention et l'utilisation de tout dispositif destiné à rendre inopérants des appareils de communications électroniques de tous types, tant pour l'émission que pour la réception ». Le II du même article permet de déroger à ces interdictions « pour les besoins de l'ordre public, de la défense et de la sécurité nationale, ou du service public de la justice ».
Le projet étend le champ de l’interdiction de brouillage aux « appareils intégrant des équipements radioélectriques » afin qu’y figurent explicitement les drones. Il ajoute au II un second alinéa qui précise les conditions dans lesquelles les services de l’Etat peuvent avoir recours à des dispositifs de brouillage de ces aéronefs circulant sans personne à bord dans le cadre d’opérations de police administrative préventive. Il a été précédé de la consultation de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en application de l’article L. 36-15 du CPCE.

28. Le Conseil d’Etat constate qu’un drone ne constitue pas un « appareil de communications électroniques » au sens de l’article L. 33-3-1 du CPCE aujourd’hui en vigueur mais un aéronef intégrant des appareils d’émission et de réception d’ondes électromagnétiques et seulement dans certains cas des équipements de communications électroniques. Il estime par conséquent que l’ajout, au I de cet article, des « appareils intégrant des équipements radioélectriques » permet de sécuriser l’extension aux drones du champ d’application de la dérogation à l’interdiction de brouillage. Il recommande néanmoins également de reprendre au même I de l’article le terme « équipements radioélectriques » - qui est celui employé par la directive 2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014.

29. Le Conseil d’Etat observe que le brouillage radioélectrique a pour effet de restreindre la liberté du télépilote de faire circuler son drone, qui résulte de l’article L. 6211-1 du code des transports. Une opération de brouillage est en outre susceptible de perturber l’utilisation des fréquences par les tiers et de porter atteinte à la liberté de communication. Le brouillage radioélectrique peut, par ailleurs, entraîner des conséquences pour la sécurité même des personnes utilisant des appareils radioélectriques ou de communication, notamment en cas de perturbation des outils de guidage et de géolocalisation. Enfin, lorsqu’il provoque la chute et la destruction du drone, le brouillage peut porter une atteinte irrémédiable, même si elle est fortuite, au droit de propriété, et présenter des risques pour la sécurité des personnes.
Eu égard aux risques de mise en cause de ces droits et libertés constitutionnellement garantis, le Conseil d’Etat estime nécessaire le recours à la loi pour fonder le brouillage de drones de façon préventive, dans le cadre de la police administrative. Il relève que le projet restreint l’utilisation des dispositifs de brouillages d’aéronefs circulant sans personne à bord aux seuls services de l’État concourant à la sécurité intérieure, à la défense nationale et au service public de la justice (administration pénitentiaire) et aux seules fins de prévenir les menaces pour la sécurité des personnes et des biens ou le survol d’une zone en violation d’une interdiction prononcée dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 6211-4 du code des transports. Le Conseil d’Etat estime toutefois nécessaire de mieux caractériser la menace en exigeant son caractère « imminent » pour justifier une intervention. Le texte renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de déterminer les modalités de mise en œuvre de ces dispositifs afin de garantir leur nécessité et leur proportionnalité au regard des finalités poursuivies ainsi que les autorités compétentes pour y procéder.
Le Conseil d’Etat estime dans ces conditions que le projet, qui précise de manière suffisante les finalités pour lesquelles il peut être recouru au brouillage d’un drone, ses modalités de mise en œuvre et les autorités susceptibles de l’utiliser, n’appelle pas d’objection de principe.

IV. Dispositions relatives à l’outre-mer

30. Ces dispositions n’appellent pas de commentaires particuliers.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du mercredi 21 avril 2021.