Avis sur un projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire

Avis consultatif
Passer la navigation de l'article pour arriver après Passer la navigation de l'article pour arriver avant
Passer le partage de l'article pour arriver après
Skip article sharing

Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à l’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire.

CONSEIL D’ÉTAT   
Commission permanente
Séance du lundi 19 juillet 2021
Section sociale
N° 403.629

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 14 juillet 2021 d’un projet de loi relatif à l’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire. Ce projet de loi a été modifié par trois saisines rectificatives reçues respectivement les 16, 17 et 18 juillet 2021.

Ce projet comporte six ensembles de mesures :
- le premier modifie la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire afin, d’une part, de proroger jusqu’au au 31 décembre 2021 la fin du régime organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, d’autre part, de proroger l’état d’urgence sanitaire déclaré sur le territoire de La Réunion et de la Martinique par le décret n° 2021 931 du 13 juillet 2021 jusqu’au 30 septembre 2021 inclus et, enfin d’étendre le cadre juridique du passe sanitaire à de nombreuses activités de la vie quotidienne, tant pour le public que pour les professionnels, et de préciser les sanctions pénales en cas de non-respect de cette obligation ;
- le deuxième modifie le code de la santé publique afin de préciser les conditions générales de placement et de maintien à l’isolement pour des raisons sanitaires ;
- le troisième adapte le cadre juridique applicable aux systèmes d’information dédiés à la lutte contre l’épidémie de covid-19, en complétant les finalités du système dédié au dépistage populationnel ainsi que la liste des autorités autorisées à y accéder ;
- le quatrième prévoit le placement à l'isolement pour une durée de dix jours de toute personne dépistée positive à la covid-19 et en fixe le cadre juridique spécifique ;
- le cinquième crée une obligation de vaccination contre la covid-19 pour des professionnels en contact régulier avec des personnes vulnérables et pour des personnes travaillant dans les mêmes locaux que ces professionnels. Il en définit le cadre juridique, notamment les effets de cette obligation sur les conditions d’activités des professionnels concernés ;
- le sixième prévoit une autorisation d’absence pour se rendre aux rendez-vous médicaux liés aux vaccinations contre la covid-19 pour les professionnels concernés par l’obligation.

2. L’étude d’impact, transmise tardivement au Conseil d’Etat, répond globalement aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009 403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Le Conseil d’Etat suggère néanmoins qu’elle soit complétée en ce qui concerne l’état de la situation sanitaire et ses perspectives d'évolution sur les territoires de La Réunion et de la Martinique avant le dépôt du projet de loi au Parlement.

Sur les consultations préalables

3. Le comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique a été consulté, ainsi qu’il devait l’être en application de l’article L. 3131-13 du même code, sur la prorogation du régime de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 30 septembre 2021 inclus sur les territoires de La Réunion et de la Martinique. Il a rendu un avis le 16 juillet 2021.

La commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle, prévue à l'article L. 2271-1 du code du travail a été consultée sur les dispositions relatives à la procédure de suspension des contrats de travail et de licenciement des personnels salariés qui ne satisfont pas à l'obligation vaccinale. Elle a rendu un avis le 16 juillet 2021.

Les dispositions relatives à la suspension et à la cessation de fonctions des agents publics qui ne satisfont pas l’obligation vaccinale posent une question d’ordre général commune aux trois fonctions publiques, laquelle concerne également l’exercice hospitalier des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques. Le Conseil commun de la fonction publique devait dès lors, en application de l’article 9 ter de la loi n° 83- 634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ainsi que le Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques, en vertu de l’article L. 6156-5 du code de la santé publique, devaient dès lors en être saisis. Le Conseil d’Etat tire les conséquences de l’absence de consultation sur le projet de loi aux points 34 et 35.

Les autres consultations auxquelles devait être soumis le projet de loi ont été effectuées et n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

4. Le Conseil d’Etat constate qu’eu égard à la date et aux conditions de sa saisine, il a disposé de moins d’une semaine pour rendre son avis. Cette situation est d’autant plus regrettable que le projet de loi soulève des questions sensibles et pour certaines inédites qui imposent la recherche d’une conciliation délicate entre les exigences qui s’attachent à la garantie des libertés publiques et les considérations sanitaires mises en avant par le Gouvernement.

Sur la prorogation du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 décembre 2021

5. L’article 1er de la loi du 31 mai 2021 a rétabli le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire défini par la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Ce régime est entré en vigueur le 2 juin 2021. Il s’applique sur l’ensemble des territoires où l’état d’urgence sanitaire n’est pas ou plus en vigueur, afin d’aménager, après la fin de l’état d’urgence sanitaire, un allègement graduel des restrictions afin de limiter le risque de reprise épidémique tout en favorisant la reprise des activités.

Le Premier ministre est ainsi habilité, depuis cette date jusqu’au 30 septembre 2021, à prendre les mesures nécessaires à la lutte contre l’épidémie, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé, parmi cinq catégories de mesures portant sur :
- la réglementation ou, dans certaines parties du territoire où est constatée une circulation active du virus, l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules et les conditions d’utilisation des transports collectifs ;
- la réglementation de l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, de catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et aux services de première nécessité, voire, la fermeture provisoire, si les précautions ordinaires ne peuvent être observées ou dans des zones de circulation active du virus, de catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunion ;
- la réglementation des réunions et rassemblements, notamment sur la voie publique ;
- l’obligation pour les personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou d'une collectivité d’outre-mer de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de l’administration d’un vaccin contre la covid-19 ou un document attestant de leur rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19, ou encore toute combinaison de ces modes d’attestation ;
- la limitation de l'accès des personnes à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels à la présentation des résultats, justificatifs ou documents mentionnés à l’alinéa précédent.

6. Sur le fond, il appartient au Conseil d’Etat, comme il l’a déjà indiqué dans le point 8 de son avis n° 402632 du 21 avril 2021, de vérifier que les mesures prévues assurent, au regard des risques liés à la propagation du virus, en l’état des connaissances scientifiques, une conciliation conforme à la Constitution des nécessités de la lutte contre l’épidémie avec la protection des libertés fondamentales reconnues à tous ceux qui résident sur le territoire de la République (voir notamment pour le précédent régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire, Conseil constitutionnel, décision n° 2020-808 DC du 13 novembre 2020, paragr. 12 ; décision n° 2021 819 DC du 31 mai 2021, paragr. 8).

7. Le Conseil d’Etat observe que le taux d’incidence de la covid-19, après avoir substantiellement décru au cours des dernières semaines jusqu’à atteindre un niveau plancher de 18,7 cas pour 100 000 habitants le 26 juin dernier, s’établit désormais à 63,5 cas pour 100 000 habitants et que 12 532 nouveaux cas ont été enregistrés (chiffres de Santé publique France au 18 juillet 2021).

Cette progression rapide de l’épidémie est également confirmée par l’augmentation du « nombre de reproduction effectif national » (nombre moyen de personnes infectées par un cas positif) qui est passé de 0,65 à 1,5 en 2 semaines. Ce rebond des indicateurs épidémiques s’accompagne désormais, selon les données figurant dans l’étude d’impact, d’une hausse des nouvelles hospitalisations : plus de 1 186 nouveaux patients sont entrés à l’hôpital durant les 7 derniers jours et 203 en services de soins critiques.

Si ces chiffres sont aujourd’hui encore en deçà de ceux observés lors des précédentes vagues, plusieurs éléments conduisent le Gouvernement à estimer que la situation est susceptible de se dégrader très fortement dans les prochaines semaines. D’une part, il ressort des informations transmises par le Gouvernement au Conseil d’Etat que, comme partout dans le monde, l’émergence du variant Delta (environ 1,6 fois plus contagieux que le variant Alpha, lui-même 1,6 fois plus contagieux que la souche originelle du virus) accroît le risque de propagation rapide du virus. D’autre part, il apparaît, au regard de l’expérience de l’année 2020, que la période estivale est marquée par un relâchement des gestes barrières et présente des risques spécifiques de diffusion du virus résultant d’importants déplacements de personnes avec une concentration accrue sur certains territoires. Eclairés par la situation prévalant au Royaume-Uni qui enregistre 50 000 cas par jour, l’institut Pasteur et l’INSERM estiment qu’une nouvelle vague épidémique est possible dès le mois de juillet, avec un pic entre la fin du mois d’août et la mi-septembre, atteignant 150 000 cas par jour si le nombre de reproduction du variant Delta, actuellement estimé à 2, n’est pas significativement abaissé. Les admissions à l’hôpital et en soins critiques pourraient alors atteindre, voire dépasser le niveau de la première vague de mars 2020 et, si l’on se réfère aux constatations faites au cours des précédentes vagues de l’épidémie, ne décélérer que lentement au cours des mois qui suivent.

Bien que la campagne de vaccination se poursuive et donne des résultats encourageants (Au 15 juillet, 36 766 279 personnes ont reçu au moins une dose de vaccin et 30 339 179 personnes justifient du schéma vaccinal complet), en réduisant de 95 % le risque d’hospitalisation pour les personnes vaccinées selon les informations communiquées par le Gouvernement, , le Conseil d’Etat estime que le contexte sanitaire actuel et son évolution prévisible justifient le maintien jusqu’au 31 décembre 2021 des dispositions organisant le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire et permettant l’édiction des mesures de police sanitaires nécessaires à la lutte contre l’épidémie.

Sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire sur les territoires de La Réunion et de la Martinique jusqu’au 30 septembre 2021 inclus

8. La lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19 a conduit le Gouvernement à déclarer l’état d’urgence sanitaire sur le territoire de La Réunion et de la Martinique par un décret du 13 juillet 2021. En application de l’article L. 3131-13 du code de la santé publique, seule la loi peut proroger l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois, après avis du comité de scientifiques. Le projet du Gouvernement propose de proroger l’état d’urgence sanitaire sur ces territoires jusqu’au 30 septembre 2021 inclus.

Comme le Conseil d’Etat l’a déjà indiqué au point 2 de son avis n° 401919 du 11 janvier 2021, pour apprécier le bien-fondé de la mesure envisagée dans son principe, dans son champ géographique comme dans la durée envisagée, il convient de rechercher si, au regard des données disponibles sur la situation sanitaire et en l’état des connaissances scientifiques, cette mesure est justifiée par l’existence et la persistance prévisible de la catastrophe sanitaire sur la période courant jusqu’au 30 septembre 2021, en tenant compte de l’efficacité des mesures propres au régime de l’état d’urgence et de leur adéquation pour faire face à la situation sanitaire actuelle comme à son évolution prévisible.

9. Il ressort des informations transmises par le Gouvernement au Conseil d’Etat et de l’avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique en date du 16 juillet 2021 que la dégradation de la situation sanitaire est particulièrement forte dans les territoires de La Réunion et de la Martinique, notamment en raison de la diffusion du variant Delta. Le taux d’incidence dans ces deux territoires était au 13 juillet 2021 respectivement de 170 cas pour 100 000 habitants et de 253 cas pour 100 000 habitants, alors que la couverture vaccinale est nettement inférieure à celle du reste du territoire national. Le territoire de La Réunion est en outre confronté déjà à un taux d’occupation des lits de réanimation supérieur à 75 %. Ainsi qu’il a été dit au point 7, les incertitudes sur l’évolution de la situation à court et moyen terme sont nombreuses et marquées par une prédominance des facteurs de risque d’aggravation.

Le Conseil d’Etat estime qu’il résulte de ce qui précède que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 30 septembre 2021 inclus est justifiée sur les territoires de La Réunion et de la Martinique en l’état des données disponibles.

Le Conseil d’Etat rappelle toutefois, comme il l’a déjà relevé au point 4 de son avis n° 401919 du 11 janvier 2021, que si la prorogation de l’état d’urgence a pour effet de maintenir applicable l’ensemble des pouvoirs conférés au Premier ministre par les dispositions des 1° à 10° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le prononcé de chacune de ces mesures est soumis, sous le contrôle du juge, à la condition qu’elle soit, dans son principe comme dans sa portée, sa durée et son champ d’application territorial, strictement nécessaire, adaptée et proportionnée aux risques sanitaires encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu. Il doit y être mis fin dès que ces conditions ne sont plus remplies.

En outre, le Conseil d’Etat souligne que si le régime de l’état d’urgence sanitaire, par la gamme des mesures qu’il autorise, est de nature à permettre de faire face, par des moyens adaptés, à une éventuelle extension ou aggravation de l’épidémie et, en tout état de cause, d’en réduire la propagation notamment dans les départements ou zones les plus touchées, il peut à l’inverse, si la situation sanitaire le permet, être mis fin à l'état d'urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l'expiration du délai fixé par la loi.

Sur le « passe sanitaire »

10. Le Conseil d’Etat rappelle qu’en application du A du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, le Premier ministre peut, dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19, subordonner à la preuve d’un test négatif, de l’administration d’un vaccin ou du rétablissement de la personne à la suite d’une contamination (« passe sanitaire »), d’une part, les déplacements à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou d'une collectivité d’outre-mer et, d’autre part, l'accès à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou des salons professionnels.

11. Le Gouvernement envisage, en premier lieu, de reporter au 31 décembre 2021, le terme prévu pour l’application de ce cadre juridique, actuellement fixé au 30 septembre prochain. Le Conseil d’Etat estime que ce terme, cohérent avec celui envisagé pour la fin de l’application du régime de sortie de crise sanitaire (cf. point 7) apparaît adéquat au vu des données disponibles sur la situation sanitaire et son évolution prévisible.
    
Le Gouvernement prévoit, en deuxième lieu, d’étendre ce cadre juridique à de nombreuses activités de la vie quotidienne, tant pour le public que pour les professionnels et bénévoles qui y interviennent :
- les déplacements de longue distance par transport public au sein du territoire national ;
- l’ensemble des activités de loisirs ainsi que des foires et salon professionnels ;
- les activités de restauration ou de débit de boisson ;
- les établissements accueillant des personnes vulnérables, sauf en cas d’urgence ;
- les grands centres commerciaux.

12. Le Conseil d’Etat constate que cette extension considérable du champ d’application du dispositif a pour objectif de permettre de limiter l’exercice des activités considérées aux personnes présentant une moindre probabilité de développer ou de transmettre la maladie.

Le Conseil d’Etat souligne cependant qu’une telle mesure, en particulier lorsqu’elle porte sur des activités de la vie quotidienne, est susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes concernées ainsi qu’à leur droit au respect de la vie privée et familiale. Il rappelle, ainsi qu’il l’avait relevé dans son avis n° 401741 du 17 décembre 2020 sur le projet de loi relatif au régime pérenne de gestion des crises sanitaires, que le fait de subordonner certaines de ces activités à l’obligation de détenir un certificat de vaccination ou de rétablissement ou un justificatif de dépistage récent peut, dans certaines hypothèses, avoir des effets équivalents à une obligation de soins et justifie, à ce titre, un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, dans son principe comme dans son étendue et ses modalités de mise en œuvre, au vu des données scientifiques disponibles.

Il rappelle à cet égard que dans son avis n° 402632 du 21 avril 2021 sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, il a considéré que les dispositions dont il était saisi, qui ne portaient que sur les déplacements à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou d'une collectivité d’outre-mer, ne se heurtaient à aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle et qu’en outre, l’ensemble des dispositions actuelles du II de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021, paragr. 11 à 21).

Le Conseil d’Etat relève cependant qu’une telle déclaration de conformité de la loi aux normes supérieures ne préjuge pas de l’appréciation qui peut en être faite, notamment en cas d’extension du champ d’application de l’obligation de présenter un « passe sanitaire », au vu de la situation sanitaire et de son évolution prévisible, du taux de vaccination et des autres mesures susceptibles d’être prises pour lutter contre l’épidémie. La simple circonstance, mise en avant par le Gouvernement, selon laquelle cette mesure serait de nature à prévenir à une échéance plus lointaine de restrictions plus strictes ne saurait suffire à elle seule à justifier de la proportionnalité de la mesure.

13. Le Conseil d’Etat souligne ainsi que l’application du « passe sanitaire » à chacune des activités pour lesquelles il est envisagé de l’appliquer doit être justifiée par l’intérêt spécifique de la mesure pour limiter la propagation de l’épidémie, au vu des critères mentionnés précédemment et non par un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner.

Le Conseil d’Etat considère, en conséquence, que les enjeux sanitaires doivent être mis en balance avec les conséquences de la mesure pour les personnes vaccinées et non vaccinées ainsi que pour les professionnels concernés. Dans cette appréciation, il prend notamment en compte le fait que l’application du dispositif :
- ne puisse avoir pour effet, sauf dans des situations exceptionnelles, de remettre en cause la possibilité pour l’ensemble de la population d’accéder à des biens et services de première nécessité ou de faire face à des situations d’urgence ;
- ne porte pas une atteinte contraire aux normes constitutionnelles et conventionnelles au respect des libertés syndicales, politiques et religieuses non plus qu’au droit de manifester sur la voie publique ;
- ne porte pas au droit des intéressés au respect de leur vie privée, une atteinte disproportionnée en particulier en les contraignant à révéler une précédente contamination ou à dévoiler très fréquemment leur identité dans les activités de la vie quotidienne ;
- ne crée pas de différences de traitement dépourvues de justifications objectives entre les activités soumises au dispositif et celles qui n’y sont pas soumises.

Le Conseil d’Etat souligne enfin que la différence de traitement, résultant de l’application de la mesure, entre les personnes vaccinées ou rétablies et celles contraintes de se soumettre à des tests de dépistage pour l’accès aux lieux, établissements, services et évènements concernés doit être justifiée par les risques de contamination différents auxquels les intéressés s’exposent eux-mêmes ou exposent les tiers selon qu’ils remplissent ou non les conditions pour détenir le justificatif requis.

14. Le Conseil d’Etat relève qu’en l’espèce, le Conseil scientifique a, dans ses avis des 6 et 16 juillet 2021, mis en évidence l’intérêt d’un tel élargissement du dispositif pour protéger contre les variants connus et inconnus et pour prévenir des restrictions sanitaires encore plus contraignantes. En outre, ainsi qu’il est dit au point 7, il ressort des données épidémiologiques communiquées par le Gouvernement, fondées notamment sur les projections de l’Institut Pasteur de juillet à octobre 2021, qu’en l’absence d’abaissement significatif du taux d’incidence actuel du virus, le nombre des hospitalisations et admissions en soins critiques pourrait dépasser celui constaté à l’occasion des trois premières vagues de l’épidémie.

Le Conseil d’Etat estime qu’au vu des éléments communiqués par le Gouvernement ainsi que des avis du Conseil scientifique précédemment mentionnés, le fait de subordonner l’accès à des activités de loisirs, à des établissements de restauration ou de débit de boissons et à des foires et salons professionnels à la détention d’un des justificatifs requis est, en dépit du caractère très contraignant de la mesure pour les personnes et les établissements concernés, de nature à assurer une conciliation adéquate des nécessités de lutte contre l’épidémie de covid-19 avec les libertés, et en particulier la liberté d’aller et venir, la liberté d’exercer une activité professionnelle et la liberté d’entreprendre.

15. Le Conseil d’Etat s’est ensuite interrogé sur le point de savoir si le fait d’exiger l’un de ces justificatifs pour les déplacements de longue distance au sein du territoire national répondait aux conditions de nécessité et de proportionnalité. Il a également examiné la mesure proposée au regard de la nature et des effets des mesures actuellement mises en œuvre dans les transports en commun pour limiter la propagation de l'épidémie.

Eu égard, d’une part, aux effets attendus de la mesure pour limiter la propagation de l’épidémie, s’agissant de déplacements au cours desquels les passagers se côtoient pendant une longue durée dans un espace clos, et, d’autre part, à la circonstance que la majorité de ces déplacements présentent un caractère occasionnel et sont susceptibles d’être programmés à l’avance, le Conseil d’Etat estime que la mesure ne porte pas à la liberté d’aller et venir des personnes concernées ainsi qu’à leur droit au respect de la vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée, sous réserve toutefois que soit introduite dans le projet de loi une disposition permettant de tenir compte de l’hypothèse où, compte tenu de nécessités impérieuses, les personnes concernées seraient contraintes d’effecteur ces déplacements en urgence, sans être en mesure de se munir en temps utile du justificatif exigé et dans le respect des gestes barrières. Il relève enfin qu’il appartiendra au pouvoir réglementaire de déterminer les trajets concernés, de façon à n’inclure dans le champ de la mesure que ceux d’une durée suffisamment longue pour faire naître un risque sanitaire accru et à veiller à limiter les cas dans lesquels elle trouverait à s’appliquer à des trajets quotidiens.

En revanche, le Conseil d’Etat estime que le Gouvernement ne peut prévoir que pour ces déplacements, il puisse être exigé du public certains seulement des trois justificatifs qui peuvent être présentés pour l’accès à certains établissements, activités ou évènements, ce qui pourrait conduire à exclure la possibilité de se prévaloir des résultats d’un test de dépistage. En effet, une telle mesure aurait pour effet de priver les personnes non vaccinées de toute possibilité de prendre l’avion ainsi que le train ou le bus pour de longues distances, ce qui porterait une atteinte disproportionnée à leur liberté d’aller et venir et à leur droit au respect de la vie privée et familiale.

16. Le Conseil d’Etat relève ensuite que le projet de loi prévoit d’imposer la présentation d’un « passe sanitaire » pour l’accès à certains établissements de santé, médico-sociaux et sociaux, qu’il appartiendra au pouvoir réglementaire de déterminer en fonction de la vulnérabilité du public accueilli. Le projet précise que les personnes prises en charge dans ces établissements ne seront pas soumises à l’exigence de détention d’un tel justificatif, s’agissant de l’accès à des services de première nécessité. Eu égard aux impérieuses considérations de santé publique qui la justifient et aux restrictions ainsi apportées quant à son champ d’application, le Conseil d’Etat estime que la mesure ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel.

17. Le Conseil d’Etat note, en revanche, s’agissant de l’application de cette mesure aux grands centres commerciaux, que les éléments communiqués par le Gouvernement, notamment les données épidémiologiques et les avis scientifiques, ne font pas apparaître, au regard des mesures sanitaires déjà applicables et en particulier des exigences qui s’attachent au respect des gestes barrières, un intérêt significatif pour le contrôle de l’épidémie alors qu’elle contraint les personnes non vaccinées, en particulier celles qui ne peuvent l’être pour des raisons médicales, à se faire tester très régulièrement pour y accéder. Il constate que cette difficulté est susceptible de concerner tout particulièrement l’acquisition de biens de première nécessité, notamment alimentaires, et cela alors même qu’aucun autre établissement commercial ne serait accessible à proximité du domicile des intéressés. Il en déduit que cette mesure porte une atteinte disproportionnée aux libertés des personnes concernées au regard des enjeux sanitaires poursuivis. Le Conseil d’Etat relève en outre que la différence de traitement qui en résulte pour les établissements similaires selon qu’ils sont inclus ou non dans le périmètre d’un grand centre commercial n’est, en l’état des éléments communiqués, pas justifiée au regard du principe d’égalité, compte tenu des objectifs de santé publique poursuivis. Il ne retient pas, en conséquence, cette disposition.

18. Le Conseil d’Etat estime que le fait d’imposer la détention du « passe sanitaire » à l’ensemble des professionnels et bénévoles intervenant dans les lieux, établissements, services et évènements où le dispositif trouvera à s’appliquer ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’exercice de leur activité professionnelle par les intéressés. Il souligne en particulier qu’il sera loisible aux personnels concernés qui ne disposeraient d’un justificatif de vaccination ni d’un certificat de vaccination d’exercer leur activité en présentant un certificat de dépistage négatif et que seuls ceux d’entre eux qui s’abstiendraient de présenter un tel certificat pendant une période de deux mois consécutifs s’exposeraient à un licenciement ou à une cessation de fonction. Le Conseil d’Etat estime toutefois que les dispositions relatives à un éventuel licenciement ne peuvent pas être retenues pour les motifs exposés au point 35.

Il relève également que le projet de loi ne prévoit pas d’exempter de l’obligation de détenir un « passe sanitaire » les personnes dans l’impossibilité de se faire vacciner, soit en raison de leur jeune âge, soit pour des motifs médicaux.

Il note tout d’abord que les mineurs trop jeunes se trouvent placés, au regard de l’objet de la loi et du contexte sanitaire, dans une situation différente par rapport aux personnes plus âgées. Le Conseil d’Etat estime dès lors nécessaire, ainsi que l’a suggéré la Défenseure des droits dans son avis n° 21-06 du 17 mai 2021, de prévoir dans le projet de loi des dérogations explicites en ce qui les concerne.

Le Conseil d’Etat propose d’introduire dans le projet de loi une disposition permettant d’aménager par voie réglementaire le dispositif pour les personnes justifiant d’une contre-indication médicale à la vaccination.

19. Le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur la circonstance que l’appréciation ainsi portée sur le caractère proportionné de l’atteinte aux libertés fondamentales résultant de l’application du dispositif devrait nécessairement être réévaluée, soit en cas d’amélioration des perspectives sanitaires concernant les hospitalisations et admissions en soins critiques, soit s’il était décidé de rendre payants les tests de dépistage ou encore de limiter leur durée de validité.

20. Le projet de loi prévoit, en troisième lieu, qu’il ne pourra être exigé, pour l’accès aux lieux, établissements, services et évènements mentionnés au 2° du A du I de l’article 1er, que les données strictement nécessaires au contrôle du respect de la réglementation, ce qui exclut que les personnes concernées soient contraintes de porter à la connaissance du contrôleur la nature du justificatif leur permettant l’accès, et en particulier, le cas échéant, la production d’un certificat de rétablissement, qui aurait pour effet de divulguer une donnée médicale particulièrement sensible les concernant.

21. Le projet de loi envisage, en quatrième lieu, de préciser les sanctions pénales en lien avec le non-respect de ces exigences légales. Il prévoit d’abord que les personnes qui ne sont pas en possession du justificatif exigé s’exposent à une contravention de quatrième classe. Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions n’appellent aucune observation particulière.

Le projet de loi détermine ensuite les sanctions pénales à l’encontre des personnes qui méconnaissent l’obligation légale qui s’impose à elles de contrôler le respect par les intéressés de détenir un tel justificatif. Dans sa version transmise au Conseil d’Etat, il prévoyait que cette infraction était punie d’un an de prison et 9 000 euros d’amende.  A la suite des échanges avec le Conseil d’Etat, qui estimait que de telles peines étaient, en l’absence de constat de récidive, manifestement disproportionnées au regard de la gravité des manquements observés, le Gouvernement a transmis une saisine rectificative prévoyant que l’infraction est punie d’une contravention de cinquième classe, les faits n’étant punis de la sanction d’un an de prison et de 9 0000 euros d'amende que s’ils sont verbalisés à plus de trois reprises dans un délai de trente jours. Le Conseil d'Etat considère que la nouvelle sanction envisagée n'appelle plus d'observations.

Sur le régime des mesures d’isolement et de quarantaine

22. Le Conseil d’Etat rappelle que, dans le cadre du régime de l’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre peut ordonner, sur le fondement du I de L. 3131-15 du code de la santé publique, des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine des personnes susceptibles d'être affectées par la maladie à l'origine de la catastrophe sanitaire ainsi que le placement ou le maintien en isolement des personnes affectées par cette pathologie. Aux termes du II de cet article L. 3131-15, ces mesures ne peuvent actuellement s’appliquer qu’à l’arrivée sur le territoire hexagonal, en Corse ou dans l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution des personnes ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection. L’article L. 3131 17 du même code précise le régime juridique applicable à ces mesures, et notamment les conditions de saisine du juge des libertés et de la détention. Son article L. 3131-36 détermine les sanctions auxquelles s’exposent les contrevenants.

Ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui a notamment admis qu’elles ne portaient pas une atteinte contraire à la Constitution à la liberté d’aller et venir et, pour les mesures prévoyant un isolement à temps complet ou pour une durée supérieure à douze heures par jour, sous les réserves qu’il a exprimées, à la liberté individuelle (Conseil constitutionnel, décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, paragr. 32 à 47).

Le Conseil d’Etat relève, en outre, que ces mesures de quarantaine ou d’isolement peuvent également être décidées, compte tenu du renvoi opéré au II de l’article L. 3131-15 par l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, lorsque le ministre chargé de la santé décide de recourir à des mesures analogues justifiées par une menace sanitaire grave.

23. Le Conseil d’Etat constate, en premier lieu, que le projet de loi élargit considérablement le champ des personnes susceptibles d’être concernées en prévoyant le placement à l’isolement de l’ensemble des personnes affectées.

Il considère que, par son objet et sa portée, cette disposition est susceptible de porter atteinte au droit des personnes concernées à mener une vie familiale normale, résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (Conseil constitutionnel, décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017, paragr. 3), à leur liberté d’aller et de venir protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Conseil constitutionnel, décision n° 2017-631 QPC du 24 mai 2017, paragr. 10) ainsi qu’au droit au respect de la vie privée résultant de l’article 2 de cette déclaration (Conseil constitutionnel, décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, cons. 2).

Le Conseil d’Etat, qui a déjà émis un avis favorable à une disposition ayant, dans son principe, un objet analogue et figurant dans le projet de loi portant régime pérenne de gestion des urgences sanitaires, relève que cette extension du champ d’application du dispositif vise à permettre de contenir la propagation d’une maladie déjà présente sur le territoire national ou, à l’intérieur de celui-ci, sur celui de la Corse ou d’une collectivité d’outre-mer, dans des foyers ou de manière plus généralisée et qu’elle s’inscrit dans un contexte sanitaire où, comme il a été dit (cf. point 7), les projections communiquées par le Gouvernement laissent craindre une quatrième vague de l’épidémie, marquée par un nouveau rebond des hospitalisations et admissions en soins critiques.

Il relève par ailleurs que le projet de loi permet le choix par la personne du lieu d’hébergement entre son domicile, sous réserve de l’absence d’opposition du préfet, et un autre lieu adapté et qu’il garantit l’information des intéressés sur les voies et délais de recours et les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention. Le projet prévoit, en outre, la cessation de la mesure de manière anticipée dès que l’état médical de la personne le permet. Le Conseil d’Etat propose d’ajouter au projet de loi la précision selon laquelle le placement en isolement cesse de s’appliquer avant l’expiration du délai de dix jours si un nouveau test réalisé fait apparaître que les intéressés ne sont plus positifs au virus de la covid-19.

Le Conseil d’Etat estime, en conséquence, que, sous la réserve précédemment mentionnée, l’extension envisagée du champ d’application des mesures d’isolement ne procède pas, par elle-même, à une conciliation contraire à la Constitution entre les droits et libertés fondamentaux et l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé.

24. Le Conseil d’Etat appelle cependant l’attention du Gouvernement sur la nécessité de préciser les conditions de réalisation des contrôles, afin que celles-ci ne portent pas une atteinte excessive au droit des intéressés au respect de leur vie privée.

D’une part, alors que le projet de loi ne permet aux intéressés de sortir de leur domicile qu’entre 10 heures et 12 heures, il apparaît nécessaire de les autoriser également à quitter leur domicile pour des motifs d’urgence, notamment médicale, ou pour faire face à certaines nécessités de la vie quotidienne.

D’autre part, le Conseil d’Etat recommande de préciser expressément dans le projet de loi que les contrôles ne peuvent avoir lieu en période nocturne.

25. Le Conseil d’Etat relève, en deuxième lieu, que le projet du Gouvernement prévoit, dans le cadre spécifique de la lutte contre l’épidémie de covid-19, d’introduire une disposition dont il résulte que la communication à l’intéressé du résultat d'un examen de dépistage virologique ou de tout examen médical probant concluant à une contamination par la covid-19 emporte, de plein droit, une mesure de placement et de maintien en isolement pour une durée de dix jours dans le lieu d’hébergement qu’il a déclaré lors de l’examen.

Le Gouvernement justifie cette mesure par le caractère automatique du placement à l’isolement en cas de dépistage positif, qui rend extrêmement formelle, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’exigence d’une décision motivée, ainsi que par l’impossibilité matérielle pour les préfectures, au regard des moyens humains disponibles, de notifier à chacune des personnes concernées une décision individuelle dans les très brefs délais requis.

Le Conseil d’Etat estime qu’une telle mesure ne se heurte à aucune exigence constitutionnelle ou conventionnelle, sous réserve qu’elle soit accompagnée de garanties permettant de s’assurer que les personnes concernées ont reçu communication, d’une part, des résultats du test de dépistage, et d’autre part, de l’ensemble des informations utiles concernant le régime du placement à l’isolement, les conditions permettant la poursuite de la vie familiale et la prise en compte de la situation particulière des mineurs, les conditions dans lesquelles le représentant de l’Etat peut être saisi afin de prescrire sans délai les mesures de nature à garantir la sécurité de l’intéressé lorsque ce dernier est victime ou allègue être victime de violences conjugales ainsi que les modalités de contestation de ce placement devant le juge des libertés et de la détention.

Il considère que le projet de loi, dans la mesure où il prévoit une notification de la décision d'isolement par un simple message électronique, ne répond pas à ces conditions. Il estime en revanche que la communication aux personnes concernées lors de la réalisation de l’examen de dépistage, de l’ensemble de ces informations ainsi que des conditions et les délais dans lesquelles les résultats de cet examen seront portés à leur connaissance serait de nature à assurer le respect de ces garanties et suggère d’adopter une telle disposition.

26. Le projet du Gouvernement prévoit, en troisième lieu, de modifier l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions pour permettre d’utiliser le traitement de données ayant pour objet d’identifier les personnes contaminées par la covid-19, dont ces dispositions autorisent la création, aux fins de permettre l’édiction des mesures individuelles de placement en quarantaine ou à l’isolement ainsi que le suivi et le contrôle de ces mesures par les services et agents qui en sont chargés.

Le Conseil d’Etat rappelle que le droit au respect de la vie privée, qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789, impose que « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (Conseil constitutionnel, décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012). Il appartient à cet égard au « législateur d'instituer une procédure propre à sauvegarder le respect de la vie privée des personnes, lorsqu'est demandée la communication de données de santé susceptibles de permettre l'identification de ces personnes » (Conseil constitutionnel, décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999).

De même, pour être conforme aux exigences tirées de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit au respect de la vie privée, un traitement de données à caractère personnel doit se limiter aux données pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, ces données doivent être conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et des garanties doivent être prévues afin de protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées contre les usages impropres et abusifs (cf. par ex. CEDH, 22 juin 2017, Affaire Aycaguer c. France, n° 8806/12).

Enfin, le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (dit « RGPD ») pose les grands principes auxquels doit se conformer tout traitement de données à caractère personnel : i) licéité, loyauté, transparence, ii) limitation des finalités, iii) minimisation des données, qui doivent être limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, iii) exactitude des données, iv) limitation de la conservation des données à une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, v) intégrité et confidentialité des données, qui doivent être traitées de façon à garantir une sécurité appropriée.

27. Le Conseil d’Etat estime qu’en l’espèce, le suivi et le contrôle administratif du placement à l’isolement peut justifier l’accès des services préfectoraux qui en sont chargés, à certaines données figurant dans le fichier « SI-DEP », dont la création a été autorisée par l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 précitée. Il estime dès lors que l’ajout de cette nouvelle finalité au système d’information ainsi que la possibilité pour les agents habilités des services préfectoraux d’accéder aux données strictement nécessaires pour leurs missions de suivi et de contrôle ne méconnaît aucune des exigences de la Constitution et du droit de l’Union européenne précédemment rappelées.

Il relève, en revanche, que l’accès à ces données ne saurait avoir pour objet, comme le prévoit le Gouvernement, l’édiction de décisions individuelles, dans la mesure où, comme il a été dit, le projet de loi vise précisément à dispenser les services préfectoraux d’avoir à édicter de telles décisions en cas de dépistage positif à la covid-19. Par ailleurs, si le projet de loi prévoit également que pourront avoir accès à certaines données du fichier les agents de contrôle mentionnés à l’article L. 3136-1 du code de la santé publique, le Conseil d’Etat estime qu’un tel accès n’est pas nécessaire dans la mesure où les agents des services préfectoraux habilités à consulter le fichier pourront communiquer directement aux agents de contrôle les informations dont ils ont strictement besoin et dont ils sont habilités à prendre connaissance.

Il souligne enfin qu’en application du iv) de l’article 5 du RGPD, les données auxquelles les services préfectoraux ainsi accès ne pourront être conservées que pour la durée strictement nécessaire à l’exercice de leur mission de contrôle.

Sur le principe de l’obligation de vaccination de certains professionnels contre la covid-19

28. Le Conseil d’Etat rappelle que l’instauration d’une obligation vaccinale s’inscrit dans un cadre constitutionnel et conventionnel bien établi.

Il note, en premier lieu, que le Conseil constitutionnel juge : « qu'il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective ; qu'il lui est également loisible de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques ; que, toutefois, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé » (Conseil constitutionnel, décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, cons. 10). Le Conseil d’Etat en déduit que le principe d’une obligation de vaccination ne méconnaît, dans son principe, ni l’objectif de protection de la santé énoncé par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ni le droit à la vie et à l’intégrité physique, ni le principe de dignité de la personne humaine ni la liberté de conscience. Il revient toutefois au Conseil d’Etat de vérifier que les modalités retenues par la loi instaurant cette obligation de vaccination ne sont pas manifestement inappropriées à la lutte contre l’épidémie de la covid-19.

Le Conseil d’Etat relève, en deuxième lieu, que la Cour européenne des droits de l’homme juge que la vaccination obligatoire, en tant qu’intervention médicale non volontaire, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention (CEDH, décision n° 24429/03 du 15 mars 2012, Solomakhin c. Ukraine, paragr. 33). Pour déterminer si cette ingérence peut emporter violation de l’article 8 de la Convention, la Cour recherche si elle est justifiée au regard du second paragraphe de cet article, c’est-à-dire si elle est « prévue par la loi », si elle poursuit l’un ou plusieurs des buts légitimes énumérés dans cette disposition et si elle est à cet effet « nécessaire dans une société démocratique ». Il constate enfin que la Cour estime qu’une obligation vaccinale poursuit des buts légitimes de protection de la santé et de protection des droits d’autrui et répond à un besoin social impérieux (CEDH, décision n° 47621/13 du 8 avril 2021, Vavricka c. République tchèque, paragr. 265 à 311) et admet cette ingérence si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Le Conseil d’Etat rappelle, en troisième lieu, que statuant au contentieux il a jugé que des dispositions instaurant une obligation vaccinale justifiée par les besoins de la protection de la santé publique et proportionnée au but poursuivi ne méconnaît ni  les articles 9 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de sauvegarde des droits de l’homme, ni l’article 2 de son premier protocole additionnel, ni la convention d’Oviedo pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée le 4 avril 1997 (Conseil d’Etat statuant au contentieux, 1/4, décision n° 419242 du 6 mai 2019 Ligue nationale pour la liberté des vaccinations).

29. En l’espèce, le Conseil d’Etat observe d’abord, ainsi qu’il a été dit au point 7 sur la situation sanitaire et sur la couverture vaccinale de la population générale et de certains professionnels, que la propagation du variant Delta et un recul des gestes barrières en cette période estivale sont à l’origine d’un rebond épidémique dont la progression suit une trajectoire exponentielle. Il ressort ensuite des informations transmises au Conseil d’Etat, comme cela a été dit, que la vaccination permet d’éviter 95 % des formes graves en cas d’infection à la covid 19, de ralentir la propagation du virus et limiter la tension sur les capacités hospitalières.

Au vu de la situation actuelle de l’épidémie et des effets bénéfiques attendus, le Conseil d’Etat considère que l’instauration d’une obligation vaccinale est proportionnée à la lutte contre l’épidémie de la covid-19 et ne se heurte, dans son principe, à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel.

Sur le périmètre des personnes concernées par l’obligation vaccinale

30. Le projet de loi entend instituer une obligation de vaccination contre la covid-19 pour les professionnels au contact direct des personnes les plus vulnérables dans l’exercice de leur activité professionnelle ainsi qu’à celles qui travaillent au sein des mêmes locaux.

En premier lieu, le Conseil d’Etat note que le projet de loi dresse précisément la liste des personnes concernées à travers leur lieu de travail et leur profession. Entrent dans le champ prévu pour l’obligation vaccinale les professionnels médicaux et paramédicaux, du champ sanitaire et médicosocial, exerçant en établissement ou en libéral, ainsi que les professionnels, étudiants ou élèves qui travaillent dans les mêmes locaux. Entrent également dans le champ de l’obligation vaccinale les professionnels susceptibles d’être en contact dans le cadre de leur activité avec des personnes vulnérables, comme les pompiers, les personnels intervenant dans des missions de sécurité civile, les personnels employés au domicile de certains bénéficiaires de l’allocation personnalisé d’autonomie ou de la prestation de compensation du handicap, les professionnels du transport sanitaire ou du transport conventionné avec l’assurance maladie, ou bien encore les prestataires de service et les distributeurs de matériels destinés à favoriser le retour à domicile et l'autonomie des personnes malades ou présentant une incapacité ou un handicap.

Le Conseil d’Etat considère toutefois que s’agissant des personnels employés à domicile, au regard de l’objectif de santé publique poursuivi, la disposition doit être élargie aux personnes âgées de plus de 70 ans et à l’ensemble des personnes en situation de handicap.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat relève que le Gouvernement ne souhaite pas inclure dans le champ de l’obligation vaccinale les personnes intervenant ponctuellement, à titre professionnel ou bénévole, au sein des locaux dans lesquelles travaillent les personnes soumises à l’obligation vaccinale.

Outre des modifications qui s’expliquent d’elles-mêmes, le Conseil d’Etat estime que la liste des personnes établie par le projet de loi est suffisamment précise, repose sur un critère objectif en rapport avec l’objet du projet de loi et n’est pas manifestement inappropriée à l’objectif de protection de la santé poursuivi. Toutefois, le Conseil d’Etat suggère, pour renforcer la clarté et l’intelligibilité du texte, d’introduire une disposition prévoyant expressément que les personnes mentionnées à l’alinéa précédent ne sont pas soumises à l’obligation vaccinale.

31. Par ailleurs, le Conseil d’Etat constate que le Gouvernement n’inclut pas dans le champ de l’obligation vaccinale les résidents ou patients des établissements, structures ou services dans lesquels exercent ou travaillent les professionnels mentionnés au point précédent. Le Conseil d’Etat s’est interrogé sur l’éventuelle atteinte à l’objectif constitutionnel de protection de la santé de cette obligation asymétrique.

Toutefois, compte tenu, d’une part, du niveau de la couverture vaccinale des personnes les plus vulnérables et, d’autre part, des conséquences sanitaires et sociales induites par une obligation de vaccination pour les plus vulnérables qui refuseraient la vaccination, le Conseil d’Etat estime que ce choix n’est pas manifestement inapproprié avec l’objectif de protection de la santé poursuivi par le projet de loi.

Sur les modes de preuve du respect de l’obligation de vaccination

32. Le projet de loi prévoit que les personnes mentionnées au point 30 établissent satisfaire à leur obligation vaccinale en présentant le justificatif de statut vaccinal prévu au 2° de l’article 2-2 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire. Les personnes qui ne sont pas soumises à cette obligation en raison d’une contre-indication doivent présenter un certificat médical. Ces justificatifs ou certificats sont transmis par le professionnel concerné à son employeur et pour les autres à l’agence régionale de santé compétente.

Le Conseil d’Etat note, en premier lieu, que la présentation des documents prévue par le Gouvernement peut conduire un professionnel soumis à l’obligation vaccinale à informer son employeur ou l’agence régionale de santé compétente du fait qu’il a été infecté à la covid-19, ce qui est susceptible de porter atteinte à son droit au respect de la vie privée. Comme pour le passe sanitaire (cf. point 20), le Conseil d’Etat suggère au Gouvernement de prévoir une présentation de ces documents sous une forme qui ne permettra pas à la personne chargée du contrôle de connaître l’origine de l’immunisation.

En second lieu, alors que le projet de loi prévoit de sanctionner les employeurs qui ne contrôleraient pas que leurs personnels concernés respectent l’obligation vaccinale (cf. point 21), le Conseil d’Etat estime nécessaire d’établir expressément cette obligation de contrôle.

Sur l’interdiction des professionnels d’exercer leur activité en cas de non-respect de l’obligation de vaccination

33. Le projet de loi prévoit que les professionnels soumis à l’obligation vaccinale doivent, pour continuer à exercer leur activité à compter de l’entrée en vigueur de la loi, présenter les documents mentionnés au point 32. A titre transitoire, le projet de loi autorise qu’ils puissent également présenter, jusqu’au 15 septembre 2021, le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, réalisé depuis moins de 72 heures. A partir du 15 septembre 2021, le projet prévoit qu’ils présentent le justificatif de l’administration des doses de vaccins requises pour obtenir, selon leur situation et le type de vaccin, le justificatif vaccinal complet.

Le Conseil d’Etat estime que le législateur peut, compte tenu de la finalité de santé publique qu’il poursuit, sans méconnaître le 5ème alinéa du Préambule de 1946, soumettre la poursuite de l’exercice de l’activité professionnelle des personnes mentionnées au point 30 à la transmission des documents établissant qu’elles respectent l’obligation vaccinale contre la covid-19 (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-119 QPC du 1er avril 2011).

34. Le projet de loi prévoit ensuite que les documents mentionnés au point 32 sont transmis par les salariés et les agents publics à leur employeur et qu’à défaut, ils sont informés par ce dernier de la suspension de leurs fonctions ou de leur contrat de travail, qui s’accompagne de l’interruption du versement de leur rémunération.

Sans préjudice du dernier alinéa du présent point, le Conseil d’Etat estime que le législateur peut créer un motif spécifique de suspension des fonctions et des contrats de travail, impliquant l’interruption du versement de la rémunération. Il considère toutefois que cette suspension n’est admissible, même si elle est justifiée par un objectif de santé publique, que dans la mesure où elle est assortie de garanties pour la personne concernée telles que l’information sans délai de cette décision et de la convocation à un entretien permettant d’examiner les moyens de régulariser la situation.

Toutefois si la question posée par ces dispositions du projet de loi a bien été soumise pour avis à la CNNCEFP, comme cela a été dit au point 3, le Conseil d’Etat constate que ces dispositions concernent également les trois versants de la fonction publique et les personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques, et auraient dû être soumises pour avis au Conseil commun de la fonction publique (CCFP) et au Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques. Le Conseil d’Etat tire les conséquences de l’absence de consultation sur le projet de loi aux points 35 et 36.

35. Le projet de loi prévoit, en troisième lieu, que le fait pour un salarié ou un agent public de ne plus pouvoir exercer son activité pendant une durée supérieure à deux mois pour le motif mentionné au point 33, constitue un motif de cessation définitive des fonctions ou de licenciement

S’agissant, d’une part, des salariés, le Conseil d’Etat note qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’il est loisible au législateur de créer un motif spécifique de cessation de fonction ou de licenciement à condition de garantir à la personne concernée le respect des droits de la défense (Conseil constitutionnel, décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 20 et 21 ; décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, paragr. 6 à 13). Le Conseil d’Etat relève également que la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) exige que les Etats signataires prévoient une procédure contradictoire avant le licenciement. Le Conseil d’Etat estime ainsi nécessaire de compléter le projet de loi afin de rendre applicable à ce nouveau motif de licenciement les procédures prévues pour le licenciement mentionné à l’article L. 1232-1 du code du travail et, pour les salariés protégés, aux dispositions du livre IV de la deuxième partie du code du travail.

S’agissant, d’autre part, des agents publics, le Conseil d’Etat considère, pour les raisons déjà énoncées au point 34, que les dispositions mentionnées au premier alinéa du présent point auraient dû être soumises pour avis au Conseil commun de la fonction publique et qu’il ne peut dès lors les retenir en ce qu’elles s’appliquent aux agents publics. Comme pour les salariés, ces dispositions appellent en outre des compléments, de façon à assortir des garanties nécessaires la procédure spéciale de licenciement ainsi prévue, de même que la suspension sans rémunération mentionnée plus haut, qui ne se rattachent pas à des procédures existantes en droit de la fonction publique

Par suite, en l’absence de saisine des instances consultatives mentionnées au point 34, et faute de pouvoir différer son avis dans l’attente de ces consultations, le Conseil d’Etat considère que les dispositions relatives aux agents publics ne peuvent pas être retenues. Il en déduit qu’au regard de l’objectif de santé publique poursuivi et au champ de l’obligation, le maintien d’un régime spécifique d’interdiction d’exercer et de suspension de la rémunération, qui ne s’appliquerait qu’aux aux seuls salariés, serait contraire au principe constitutionnel d’égalité. En conséquence, il ne retient pas non plus ces dispositions. Il note que la violation de l’obligation vaccinale peut être, le cas échéant, sanctionnée dans le cadre des procédures disciplinaires de droit commun.

Si le Gouvernement décidait de maintenir ces dispositions dans le projet de loi ou d’en proposer le rétablissement par amendement au Parlement, dès lors que la consultation du Conseil commun de la fonction publique résulte d’une obligation législative dont la méconnaissance n’est pas sanctionnée par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat l’invite à en compléter la rédaction pour tenir compte des observations faites ci-dessus.

Sur les sanctions pénales de méconnaissance de l’interdiction d’exercer par un professionnel et de méconnaissance de l’obligation de contrôle par un employeur de l’obligation vaccinale

36. Le projet de loi prévoit tout d’abord que la méconnaissance de l’interdiction d’exercer est sanctionnée dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article L. 3136-1 du code de la santé publique pour le fait pour toute personne de se rendre dans un établissement recevant du public en méconnaissance d'une mesure édictée sur le fondement du 5° du I de l'article L. 3131-15 du même code, à savoir une contravention de quatrième classe. La sanction peut être portée en cas de trois récidives dans un délai de 30 jours par une peine allant jusqu’à six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d'intérêt général, selon les modalités prévues à l'article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131 22 à 131-24 du même code. Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions n’appellent aucune observation particulière.

Le Conseil d’Etat ne retient pas cette disposition par voie de conséquences de ce qui est dit au dernier alinéa du point 34.

37. Le projet de loi détermine ensuite les sanctions pénales à l’encontre des personnes qui méconnaissent l’obligation légale qui s’impose à elles de contrôler le respect de l’obligation vaccinale présentée au point 33. Dans sa version transmise au Conseil d’Etat, il prévoyait que cette infraction était punie d’un an de prison et 9 000 euros d’amende à l’instar de la sanction pénale prévue en cas d’absence de contrôle du « passe sanitaire ».  A la suite des échanges avec le Conseil d’Etat, qui estimait que de telles peines étaient, en l’absence de constat de récidive, manifestement disproportionnées au regard de la gravité des manquements observés, le Gouvernement a transmis une saisine rectificative prévoyant que l’infraction est punie d’une contravention de cinquième classe, les faits n’étant punis de la sanction d’un an de prison et de 45 000 euros d'amende que s’ils sont verbalisés à plus de trois reprises dans un délai de trente jours. Le Conseil d'Etat considère, comme au point 21, que la nouvelle sanction envisagée n'appelle plus d'observations.

Sur l’application dans le temps des dispositions relatives à l’obligation de vaccination

38. Le Conseil d’Etat relève que l’ensemble des dispositions prévues par le projet de loi pour instaurer l’obligation vaccinale et accompagner sa mise en œuvre crée un cadre juridique dérogatoire aux dispositions de droit commun régissant les activités professionnelles. Si le Conseil d’Etat estime que ce cadre juridique qu’il vient d’examiner répond, sous les réserves formulées dans le présent avis, de manière proportionnée aux objectifs de santé publique poursuivis, c’est au regard de la situation sanitaire actuelle telle qu’elle est rappelée au point 9.

Toutefois, le Conseil d’Etat estime nécessaire de réévaluer ce cadre juridique en fonction de l’évolution de la situation sanitaire afin de ne pas maintenir des dispositions qui ne seraient plus adaptées à la lutte contre l’épidémie. En outre, le Conseil d’Etat recommande que ces mesures n’entrent en vigueur qu’à l’expiration d’un délai adéquat permettant aux personnes concernées de recevoir le nombre de doses requises.

Autres dispositions

39. Afin de faciliter les vaccinations des salariés et des agents publics, le projet de loi créée une autorisation d’absence leur permettant de se rendre à leurs rendez-vous médicaux de vaccination, sans que ces absences n’emportent d’effets sur leur rémunération, leur droit à congés ou au calcul de leur ancienneté.

Le projet de loi rend applicable à la réparation des préjudices imputables à la vaccination obligatoire contre la covid-19 l’article L. 3111-9 du code de la santé publique qui établit un principe de réparation intégrale mis en œuvre, au titre de la solidarité nationale, par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22 de ce code.

Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions n’appellent aucune observation particulière.

Sur l’application outre-mer

40. Le Gouvernement prévoit d’étendre sur l’ensemble du territoire de la République les dispositions du projet de loi relatives au passe sanitaire et au placement en isolement, ainsi que, sauf en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, ces dispositions relatives à la vaccinations obligatoires.

Le Conseil d’Etat relève que rien n’y fait obstacle, compte tenu de la compétence de l’Etat en matière de garantie des libertés publiques sur l’ensemble du territoire de la République (V. avis CP n° 400322 sur le projet de loi organisant la fin de l’état d’urgence sanitaire), sous réserve, en ce qui concerne le « passe sanitaire » de la compétence des collectivités de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie en matière de droit du travail.

Le Conseil d’Etat souligne que les dispositions du projet ayant pour objet la vaccination obligatoire de certains professionnels ne peuvent être étendues en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie, compte tenu des compétences dévolues à ces collectivités en matière de santé publique (cf. AG, 15 mai 2003, n° 369.040, projet de loi relatif à la politique de santé publique ; Conseil constitutionnel, décision n° 2020-869 QPC du 4 décembre 2020).

Cet avis a été délibéré et adopté par la Commission permanente du Conseil d’Etat dans sa séance du lundi 19 juillet 2021.