Avis sur un projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

CONSEIL D’ÉTAT   
Commission permanente
Séance du lundi 14 septembre 2020
N° 401114

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

1. Le Conseil d’État a été saisi le 2 septembre 2020 d’un projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire.

2. Ce projet de loi, qui comprend deux articles, modifie, en premier lieu, l’article premier de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire pour porter du 30 octobre 2020 au 1er avril 2021 la date d’échéance des différents pouvoirs conférés à l’administration pour prendre des mesures destinées à lutter contre la propagation de la COVID 19 à la sortie de l’état d’urgence sanitaire intervenue le 11 juillet 2020.
Il modifie, en deuxième lieu, le I de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions aux fins de prolonger jusqu’au 1er avril 2021 l’autorisation conférée au pouvoir réglementaire de créer et de mettre en œuvre des systèmes d’information permettant de traiter et partager des données personnelles concernant la santé relatives aux personnes atteintes par le covid-19 et aux personnes ayant été en contact avec elles, le cas échéant sans le consentement des intéressés. Il permet également la prorogation jusqu’à cette même date de la durée de conservation des données pseudonymisées contenues dans ces traitements de données ayant pour finalité la surveillance épidémiologique ainsi que la recherche sur le virus et les moyens de lutter contre sa propagation.
Les dispositions du projet prévoyant le report du terme prévu pour la mise en œuvre des mesures de sortie de l’état d’urgence sanitaire établies par la loi précitée du 9 juillet 2020 ont pour effet de proroger la durée d’application de mesures permettant de limiter certaines libertés publiques et relèvent, en conséquence, de la compétence de l’État sur l’ensemble du territoire de la République. Le projet prévoit ainsi, comme l’avait déjà fait la loi du 9 juillet 2020, leur application dans toutes les collectivités ultramarines. Les dispositions du projet prolongeant l’autorisation de mise en œuvre des traitements de données de santé s’appliquent, quant à elles, en métropole ainsi que, dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution, à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon. Elles ne sont, en revanche, pas applicables  en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, compte tenu des compétences dévolues à ces collectivités en matière de santé publique par les dispositions organiques qui leur sont propres, ni à Wallis et Futuna.
En outre, le texte ne sera applicable que dans les parties du territoire ou l’état d’urgence sanitaire a été levé, ce qui, à la date du présent avis, ne comprend ni la Guyane ni Mayotte.
Le projet a été soumis au comité scientifique créé sur le fondement de l’article L. 3131-19 du code de la santé publique, dont la consultation n’était pas obligatoire, qui a rendu le 12 septembre un avis favorable, au vu de la situation épidémiologique à cette date.

3. L’étude d’impact du projet, complétée les 8 et 12 septembre 2020, répond globalement, au regard des évolutions de l’épidémie et de leur relative imprévisibilité, aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. Son actualisation, au moment du dépôt du projet de loi au parlement, des dernières données scientifiques et statistiques connues renforcera sa conformité à ces exigences.

Sur la prolongation des mesures prévues par l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020

4. La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a créé, pour faire face à l’épidémie de covid-19, dans le titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique, un chapitre Ier bis relatif à l’état d’urgence sanitaire, qui peut être déclaré en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. La déclaration permet au Premier ministre, au ministre de la santé et, s’ils y sont habilités, aux préfets, de prendre les mesures nécessaires aux seules fins de garantir la santé publique. Ces mesures peuvent notamment restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules, interdire aux personnes de sortir de leur domicile, ordonner la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées, ordonner la mise à l’isolement des personnes affectées, ordonner la fermeture provisoire de catégories d'établissements recevant du public, ou encore réquisitionner des biens et des services. Ces mesures doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu.
L’état d'urgence sanitaire, auquel il ne peut être recouru que jusqu’au 1er avril 2021, a été déclaré pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, soit jusqu’au 23 mai 2020 à minuit.
La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.

5. Aux termes de l’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, à compter du 10 juillet 2020 et jusqu’au 30 octobre 2020, le Premier Ministre est habilité à prendre les mesures nécessaires à lutte contre la covid 19, par décret pris sur le rapport du ministre de la santé, qui peuvent porter notamment sur :
- la limitation des déplacements des personnes et les conditions d’utilisation des transports collectifs ;
- la limitation de l’accès, voire, si les précautions ordinaires ne peuvent être observées ou dans des zones de circulation active du virus, la fermeture, de catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunion ;
-la réglementation des réunions et rassemblements, notamment sur la voie publique ;
- l’obligation d’un test de contamination par le virus à l’arrivée ou au départ du territoire métropolitain et d’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution si cette collectivité est une zone de circulation active du virus.
Le Premier ministre peut habiliter les préfets à prendre ces mêmes mesures à l’échelon du département et à mettre en demeure de fermer les établissements ne se conformant pas à ces mesures.
Ces mesures sont applicables sur le territoire de la République là où l’état d’urgence n’est pas en vigueur, à l’exception de la Nouvelle Calédonie et de la Polynésie française, pour lesquelles des adaptations liées à leur statut sont prévues.
Les mesures ainsi prises doivent être adéquates et proportionnées et prendre fin au plus tôt dès que leur nécessité n’est plus avérée. Le procureur de la République est avisé des mesures individuelles. Les décisions prises sont par ailleurs susceptibles d’un recours devant le juge administratif sur le fondement des articles L. 521-1 et 521-2 du code de justice administrative (référé suspension et référé liberté).

6. Le Conseil d’État avait donné un avis favorable aux dispositions ainsi envisagées en notant que la situation sanitaire les rendait nécessaires, qu’elles permettaient de sortir de l’état d’urgence sanitaire de manière maitrisée en prévenant le risque d’une perte de contrôle de l’épidémie.
Toutefois, il n’avait alors pas retenu la possibilité, que le Gouvernement avait initialement envisagée, de pouvoir, au-delà du 30 octobre, prolonger l’application de la loi par décret en cas de  « résurgence » de l’épidémie, jusqu’au 1er avril 2021, estimant que rien ne pouvait permettre d’apprécier la nécessité de cette éventualité, qui pourrait alors être traitée par le recours à une nouvelle déclaration de l’état d’urgence sanitaire ou par les mesures de droit commun prévues par le code de la santé publique, tandis que la notion même de résurgence paraissait trop imprécise.

7. Le Conseil constitutionnel a examiné ces dispositions qui ont donné lieu à la décision n° 2020-803 DC du 9 juillet 2020. Il les a déclarées conformes à la Constitution en estimant qu’elles conciliaient les nécessités de la lutte contre l’épidémie avec la protection des libertés fondamentales, sur la base d’une appréciation par le législateur du risque de propagation du virus dont il a estimé qu’elle n’était pas manifestement inadéquate au regard de la situation et de l’état des connaissances scientifiques

8. Pour apprécier le bien-fondé de la mesure envisagée, il convient de rechercher si, au regard de la situation sanitaire et de son évolution prévisible, de l’efficacité des mesures et de leur adéquation pour faire face à la situation, elles demeurent nécessaires dans leur principe, puis d’apprécier si la durée pour laquelle elles sont prolongées est elle-même adéquate au regard de l’ensemble des circonstances et de la nature des mesures.

9. La situation de propagation du virus et les risques qu’elle fait peser sur la population, notamment en raison de la pression sur les capacités de soin des personnes les plus gravement atteintes, a considérablement changé depuis juin. S’il est faible relativement au pic précédent, le nombre d’hospitalisation a doublé de début juillet à fin août et ne cesse d’augmenter. Le nombre de tests positifs est passé de 1% à 5% entre les mêmes périodes et le nombre de cas détecté ne cesse de croître chaque jour. Alors qu’une maitrise paraissait établie, la reprise de la circulation et l’augmentation significative des cas entrainent un risque beaucoup plus grand de mise en danger des personnes les plus vulnérables. Si les admissions en urgence n’ont pas atteint les niveaux élevés constatés au plus fort de la crise, elles menacent cependant déjà dans certaines régions de créer un effet d’éviction au détriment de personnes requérant d’autres soins lourds qu’il n’est pas possible de différer à nouveau. L’aggravation de la situation dans de nombreux pays, notamment frontaliers, est également préoccupante.
Le Conseil d’État estime donc qu’en l’état des informations disponibles, cette situation crée la nécessité de prendre ou de renforcer des mesures fondées sur la loi du 9 juillet 2020, que le droit commun du code de la santé publique (articles L. 3131-1 à L. 3131-15) ne permet pas de prendre. Elle n’est pas telle qu’à ce stade, le recours à l’état d’urgence sanitaire, généralisé ou circonscrit à certains territoires, serait pour autant justifié.

10. Pour fixer le terme de cette prolongation, le Conseil d’État estime nécessaire de tenir compte à la fois des incertitudes sur l’évolution à court et moyen terme de l’épidémie, de l’échéance de la possibilité, reconnue par les article L 3131-12 et suivants du code de la santé publique, de recourir à l’état d’urgence sanitaire, fixée au 1er avril 2021 par le législateur, et de l’absence de certitude à ce stade quant à la disponibilité d’un vaccin et de la période à laquelle son administration dans la population atteindrait l’efficacité requise pour surmonter l’épidémie. Dans ce contexte, il apparaît justifié d’aligner le terme du régime transitoire organisé par la loi du 9 juillet 2020 sur celui de la fin de l’état d’urgence sanitaire, afin de laisser à la disposition du Gouvernement, dans le temps qui sépare de cette échéance, une gamme d’outils de réaction à l’épidémie permettant de s’adapter à la réalité de l’évolution de celle-ci et de lui permettre d’apprécier, à la lumière d’une analyse globale de l’épidémie et de ses cycles, s’il doit soumettre au Parlement, avant 1er avril 2021, un dispositif pérenne de gestion des crises sanitaires ou seulement de lutte contre cette épidémie.

Sur la prolongation de l’autorisation de traitements de données

11. Le Conseil d’État relève qu’en l’état actuel du droit, les dispositions de la loi du 11 mai 2020 ne prévoient la mise en œuvre des traitements de données mentionnés au point 1 ainsi que la conservation des données pseudonymisées en résultant que pendant une durée maximale de six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 10 janvier 2021.
Le décret n° 2020-551 du 12 mai 2020 pris pour leur application a ainsi autorisé la création, jusqu’à cette échéance, du traitement « SIDEP », destiné à identifier les personnes dépistées positives au virus de la covid-19 et à permettre leur suivi médical et épidémiologique, et du traitement « Contact Covid », destiné à identifier et à orienter à des fins médicales les contacts à risque de contamination des personnes dépistées ou diagnostiquées positives et à permettre l’utilisation de ces informations à des fins de recherche et de surveillance épidémiologique.

12. Le Conseil d’État rappelle que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif (CC, décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, cons. 8). Il souligne que le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789 et par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique que les données à caractère personnel doivent être conservées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées (Conseil d’État, avis n° 400104 du 1er mai 2020 sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions).
Il ressort également du e) du 1. de l’article 5 du RGPD que « les données à caractère personnel doivent être conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées », une durée de conservation plus longue étant cependant possible dans la mesure où les données sont « traitées exclusivement à des fins archivistiques dans l'intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques …, pour autant que soient mises en œuvre les mesures techniques et organisationnelles appropriées requises par le présent règlement afin de garantir les droits et libertés de la personne concernée (limitation de la conservation) ».

13. Le Conseil d’État souligne qu’il ressort en l’espèce de l’étude d’impact ainsi que des précisions apportées par le Gouvernement que le report jusqu’au 1er avril 2021 de l’échéance mentionnée au I de l’article 11 de la loi du 11 mai 2020 est justifié par la situation épidémiologique actuelle, marquée par un rebond de l’épidémie, et par ses perspectives d’évolution à moyen terme, au regard notamment des délais nécessaires à une couverture vaccinale suffisante de la population.
Dans ce contexte sanitaire, et compte tenu de ce qui a été dit au point 10, il estime que cette mesure apparaît nécessaire, en ce qui concerne le traitement SIDEP, au regard de l’intérêt public qui s’attache au recensement et à l’accompagnement des personnes dépistées positives aux fins de la réalisation d’enquêtes sanitaires et de l’obtention de données statistiques précises sur la progression de l’épidémie et, en ce qui concerne le traitement Contact covid, en dépit des difficultés matérielles actuellement rencontrées dans l’exploitation de ses données, aux fins d’identifier et de dépister dans les meilleurs délais les cas contacts des personnes dépistées positives, notamment en présence de cas groupés, et d’assurer leur suivi médical.
Le Conseil d’État considère par ailleurs que la prolongation jusqu’à cette même échéance du 1er avril 2021 de la durée pendant laquelle pourront être conservées, à des fins de surveillance épidémiologique et de recherche scientifique, les données pseudonymisées (dont il avait déjà admis la prolongation jusqu’au 10 janvier 2021 dans son avis n° 400.322 du 9 juin 2020 sur le projet de loi organisant la fin de l’état d’urgence sanitaire) apparaît également cohérente avec les objectifs poursuivis par le Gouvernement et justifiée par l’évolution de la situation sanitaire.
Le Conseil d’État considère en conséquence que le projet de loi ne méconnaît pas les exigences rappelées précédemment.

Ce projet de loi a été délibéré par la commission permanente du Conseil d’État dans sa séance du lundi 14 septembre 2020.