Avis sur un projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.

1. Le Conseil d’État a été saisi le 3 novembre 2021 d’un projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, modifié par une saisine rectificative du 25 novembre.

2. Ce projet comprend neuf articles organisés en deux chapitres. Le premier chapitre comporte des dispositions modifiant le code rural et de la pêche maritime définissant les nouvelles conditions d’intervention du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), remodelant le régime des assurances agricoles contre le risque climatique en créant une nouvelle indemnisation fondée sur la solidarité nationale, en augmentant le taux des subventions dont les primes de certains contrats d’assurance peuvent faire l’objet, enfin en habilitant le Gouvernement à mettre par ordonnance diverses obligations à la charge des entreprises d’assurance. Le second chapitre contient des dispositions relatives aux conditions d’ouverture de la garantie contre le risque tempête et habilite le Gouvernement à prendre les adaptations nécessaires à l’application de la loi outre-mer ainsi qu’à procéder à la refonte du dispositif d’indemnisation des risques climatiques dans ces collectivités.
 
3. L’étude d’impact, reçue le 7 novembre 2021 et complétée les 23 et 25 novembre, comporte de substantiels développements sur la nécessité de légiférer, notamment l’insuffisant recours des agriculteurs à l’assurance contre les risques climatiques, l’augmentation des sinistres liés au changement climatique, le déficit structurel du marché des assurances dans ce secteur, et l’insatisfaisante articulation entre l’intervention des assureurs privés et celle de l’État ou du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). L’étude comprend également d’utiles éléments de droit comparé, ainsi qu’un tableau d’indicateurs d’impact qui détaille avec précision les objectifs à atteindre d’ici à 2035, lequel permettra d’éclairer le débat parlementaire et contribuera ultérieurement à l’évaluation de la loi.

Le Conseil d’État estime cependant regrettable que cette étude d’impact, bien qu’elle ait été complétée, demeure insuffisante en ce qui concerne les options alternatives qui auraient pu être retenues – par exemple l’hypothèse d’une assurance obligatoire − et les emplois et ressources du FNGRA, à l’architecture particulièrement complexe et dont le rôle demeurera central dans la réforme projetée. L’étude est également lacunaire sur la nécessité de légiférer dans le sens retenu par le projet en matière de garanties contractuelles des professionnels contre le risque d’incendie et de tempête, pour des motifs précisés au point 17.

Sous réserve que ces différentes lacunes soient comblées, le Conseil d’État estime que l’étude d’impact est globalement conforme aux exigences posées par les articles 8 et 11 de la loi organique du 15 avril 2009.

4. Le Conseil d’État a vérifié que les consultations obligatoires requises avaient été effectuées par le Gouvernement en amont de sa saisine. Il a cependant constaté que, pour une assemblée d’une collectivité d’outre-mer, la date de l’accusé de réception de la demande d’avis ne permettait pas de réputer celui-ci émis à temps.

Le Conseil d’État considère que des dispositions telles que celles du projet de loi, prévoyant que ne s’appliquent pas, dans les collectivités d’outre-mer régies par le principe d’identité législative, les modifications du droit applicable en métropole, constituent une adaptation au sens de l’article 73 de la Constitution, dès lors qu’elles accentuent la divergence entre le régime qui s’applique en métropole et celui qui s’applique dans ces collectivités. Les organes compétents des collectivités concernées devaient donc être consultés préalablement à l’examen du projet de loi par le Conseil d’Etat, conformément aux dispositions du code général des collectivités territoriales régissant ces collectivités.

Le Conseil d’État a par ailleurs pris acte, d’une part, du souhait du Gouvernement de ne pas créer de différence de traitement entre les collectivités concernées, et d’autre part, de sa volonté de ne pas différer l’examen en conseil des ministres du projet de loi.

En conséquence, le Conseil d’État écarte l’ensemble des dispositions du projet prévoyant que la loi ne s’applique pas en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte et modifiant le titre VII du livre III du code rural et de la pêche maritime. Le Gouvernement pourra proposer leur rétablissement par la voie d’un amendement déposé devant le Parlement.

5. Au-delà de ces remarques liminaires, ce projet de loi appelle de la part du Conseil d’État les observations suivantes.

Économie générale du nouveau dispositif d’assurance et d’indemnisation

Indemnisation des dommages subis par les agriculteurs et les subventions au paiement des primes ou cotisations d’assurance

6. Le projet de loi modifie l’article L. 361-4 du code rural et de la pêche maritime pour porter de 65 à 70 % le taux maximal de la prise en charge par le FNGRA de la cotisation d’assurance afférente à certains risques climatiques en agriculture et ajouter aux facteurs de variation de la cotisation déjà pris en compte, à savoir l’importance des risques et la nature des productions, celui du type et des modalités du contrat d’assurance souscrit. Il précise, par ailleurs, que les cotisations d’assurance ne sont éligibles à la subvention que si le contrat prévoit une franchise au moins égale à 20 % de la moyenne de la production annuelle de l’exploitant, au lieu de 30 % à l’heure actuelle.

Le projet crée, en outre, un dispositif de solidarité nationale auquel le texte adopté par le Conseil d’État consacre un article spécifique, en insérant dans le code rural et de la pêche maritime un nouvel article L. 361-4-1. Ce dispositif prévoit l’intervention du FNGRA à compter d’un seuil de pertes fixé en fonction du type de contrat souscrit et de la nature de la production et qui ne peut être inférieur à 30 % de la moyenne de la production annuelle de l’exploitant.

Le projet précise que les indemnisations au titre d’un contrat subventionné ou de la solidarité nationale sont complémentaires et que, hors le cas des calamités agricoles non assurables qui relèvent d’une autre logique d’intervention, l’indemnisation versée au titre de la solidarité nationale à un agriculteur qui aurait fait le choix de ne pas s’assurer est plafonnée à 50 % de l’indemnisation moyenne perçue, pour les mêmes pertes, par un agriculteur assuré.

7. Le Conseil d’État observe en premier lieu que le Gouvernement a fait le choix de reporter au 1er janvier 2023 l’entrée en vigueur des dispositions présentées. À cette date, en l’état actuel des textes existants, ni les lignes directrices dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales, ni le Règlement (UE) n° 702/2014 de la Commission du 25 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides, dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales, compatibles avec le marché intérieur, en application des articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui sont applicables jusqu’au 31 décembre 2022, ne seront plus en vigueur. Il n’y a donc pas lieu, pour le Conseil d’État, de considérer qu’une obligation de notification préalable auprès de la Commission européenne au titre des lignes directrices ou d’information de cette dernière au titre du règlement d’exemption incombe, à ce stade, au Gouvernement.

8. Le Conseil d’État note, en second lieu, que les dispositions présentées ne méconnaissent pas le droit de la Politique agricole commune, tel qu’il résulte en particulier des articles 36 à 38 du Règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le FEADER. Il souligne à cet égard que ces dispositions respectent les conditions posées par ces articles pour faire obstacle à toute surcompensation des pertes subies ainsi qu’à tout dépassement du taux maximal de l’aide admissible.

Obligations mises à la charge des assureurs

9. Le projet de loi prévoit que l’indemnisation au titre de la solidarité nationale pourra être versée via un réseau d’interlocuteurs agréés agissant pour le compte de l’État et destiné à permettre d’offrir aux agriculteurs un guichet unique d’indemnisation. Ce réseau devra faire application de référentiels, de méthodologies d’évaluation des pertes et de modalités d’indemnisation similaires à ceux applicables aux contrats d’assurance bénéficiant de subventions.

Le projet de loi habilite par ailleurs le Gouvernement, aux fins « d’assurer la résilience des systèmes de production agricole dans un contexte de changement climatique », à mettre par ordonnance à la charge des entreprises d’assurance tout ou partie des obligations suivantes : partager les données relatives aux contrats et aux sinistres, proposer, sur demande de l’agriculteur, un produit d’assurance éligible à la subvention du FNGRA, prévoir une tarification technique commune des risques climatiques couverts, encadrer les procédures d’évaluation des pertes, de gestion des sinistres et d’indemnisation, mutualiser tout ou partie des risques couverts et certaines activités relatives à la conception, à la commercialisation et à la gestion de ces produits, et enfin, participer aux missions du réseau d’interlocuteurs agréés agissant pour le compte de l’État dans le cadre de l’indemnisation fondée sur la solidarité nationale.

L’article d’habilitation autorise, en outre, la création d’un groupement chargé de la mise en œuvre de tout ou partie de ces obligations et auquel la caisse centrale de réassurance pourrait prêter son concours. Il permet enfin de faire peser des obligations déclaratives sur les agriculteurs non assurés demandant une indemnisation au titre de la solidarité nationale et d’introduire dans la loi des modalités de contrôle et de sanction administrative de l’ensemble des obligations nouvelles qu’il prévoit.

10. Le Conseil d’État prend acte de ce que, comme l’indique l’étude d’impact, il est possible que le projet d’ordonnance à venir n’épuise pas le champ de l’habilitation. Il estime que cet article d’habilitation, qui précise la finalité des mesures que le Gouvernement se propose de prendre et détaille les domaines d’intervention envisagés, répond aux exigences découlant de l’article 38 de la Constitution. Il propose toutefois de modifier la rédaction de cet article, d’une part, en précisant la finalité générale de ces mesures – qui consiste à permettre aux systèmes de production agricole de surmonter durablement les aléas climatiques et à garantir un large accès des agriculteurs à un régime d’assurance contre ces risques −, d’autre part, en réduisant le degré de précision de la description de ces mesures, qui excède les exigences constitutionnelles.

11. Le Conseil d’État considère que les dispositions présentées au point 9 poursuivent un but d’intérêt général, d’une part en ce qu’elles tendent à accompagner les mutations de l’agriculture face au changement climatique en préservant les capacités de production des entreprises agricoles et l’emploi du secteur, d’autre part, en ce qu’elles visent à rendre davantage prévisible et soutenable l’utilisation des deniers publics pour indemniser les dommages résultant des aléas climatiques, en créant les conditions d’une meilleure couverture assurantielle des risques correspondants.

Il estime qu’au regard de cet intérêt général, l’appréciation du caractère proportionné de l’atteinte que pourront porter ces dispositions à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne pourra être faite qu’à la lecture des dispositions qui figureront dans le texte du projet d’ordonnance, et sera fonction du degré de contrainte qu’elles créeront effectivement.

12. De la même manière, le Conseil d’État observe que ce n’est qu’au stade de la présentation du projet d’ordonnance qu’il sera possible d’apprécier, compte tenu de l’intérêt général caractérisé au point 11, les restrictions concrètement apportées, par le nouveau dispositif envisagé, à la concurrence dans le secteur de l’assurance contre les risques climatiques en agriculture, en particulier au regard de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Comité d’orientation et de développement des assurances récolte

13. Au sein du Comité national de la gestion des risques en agriculture créé par l’article 26 de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche – codifié à l’article L. 361-8 du code rural et de la pêche maritime –, organisme consultatif qui réunit des représentants de l’État, du secteur agricole et du secteur de l’assurance, le projet de loi institue une formation restreinte, le Comité d’orientation et de développement des assurances récolte, pour aider au pilotage du nouveau dispositif.

Le Conseil d’État observe que les dispositions de cet article ne relèvent pas du domaine de la loi, tout comme au demeurant les dispositions existantes de l’article L. 361-8 au sein desquelles il s’insère. Il suggère par conséquent d’en alléger la rédaction.

Dispositions relatives à l’outre-mer

14. Outre l’article écarté pour les motifs exposés au point 4, le projet comporte un article habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance, dans un délai de deux ans à compter de la publication de la loi pour préciser les principes d’organisation et d’intervention du fonds de secours pour l’outre-mer (FSOM) mentionné à l’article L. 371-13 du code rural et de la pêche maritime. Les particularités tant géographiques qu’économiques des départements d’outre-mer n’ont en effet pas permis de faire fonctionner le fonds de garantie des calamités agricoles dans les départements d’outre-mer. De fait, le fonds de secours pour l’outre-mer (FSOM) mentionné à l’article L. 371-13 du même code pourvoit aux indemnisations nécessaires sur le seul fondement d’une circulaire. L’ordonnance projetée a donc pour objet de consolider le régime juridique du FSOM et de déterminer les conditions dans lesquelles les exploitants agricoles ultramarins peuvent accéder au FNGRA, moyennant les adaptations rendues nécessaires par les spécificités des territoires concernés.

15. Le Conseil d’État considère que la rédaction de cet article d’habilitation, qui précise la finalité des mesures que le Gouvernement se propose de prendre et les domaines d’intervention de l’ordonnance à intervenir, répond aux exigences constitutionnelles. Il observe en outre que le délai de deux ans de l’habilitation est justifié par l’ampleur du chantier législatif à mener.

Modification du régime de la garantie contre les effets du vent (article L. 122-7 du code des assurances)

16. Depuis la loi n° 90-509 du 25 juin 1990 qui l’a créé, l’article L. 122-7 du code des assurances prévoit, dans un but de solvabilisation de la couverture assurantielle contre le risque de tempête, que tous les contrats garantissant les dommages d’incendie ou les dommages aux véhicules ouvrent automatiquement droit à une garantie contre le risque de tempête. Le projet de loi complète ces dispositions pour permettre que, pour les biens professionnels, l’assurance contre le risque d’incendie et celle contre le risque de tempête puissent donner lieu à des tarifications et à des indemnisations contractuellement différentes. L’étude d’impact précise qu’il s’agit de faire échec à une jurisprudence de la Cour de cassation établie depuis 2006 (2e chambre civile, 19 octobre 2006, pourvoi n° 05-19.094), par laquelle la deuxième chambre civile a jugé qu’en vertu des dispositions impératives de l’article L. 122-7, la garantie tempête ne peut être ni exclue, ni réduite, ni rendue plus onéreuse que la garantie incendie pour les mêmes biens.

17. Le Conseil d’État observe que s’il est évidemment loisible au Gouvernement de proposer au législateur de modifier l’état du droit applicable tel qu’interprété par la jurisprudence, l’étude d’impact doit en exposer clairement la nécessité, de manière suffisamment documentée pour éclairer le Parlement sur les motivations et les effets attendus d’une telle mesure. À cet égard, le Conseil d’État invite le Gouvernement à compléter, en vue des débats parlementaires sur cet article, l’étude d’impact sur les points suivants :

  • l’évolution de l’état de la pratique au cours de la période de quinze années qui s’est écoulée depuis l’arrêt de la Cour de cassation, et qui justifierait à présent l’intervention du législateur ;

  • les éléments chiffrés soutenant l’assertion selon laquelle la modification projetée permettrait « d’éviter une hausse des primes d’assurance », pour la couverture du risque incendie et pour celle du risque tempête ;

  • les impacts de cette mesure générale sur les secteurs autres que l’agriculture et sur les biens autres que les bâtiments.

En outre, le Conseil d’État propose de modifier la rédaction de cet article pour préciser, conformément à l’intention du Gouvernement, qu’il ne porte que sur les biens à usage exclusivement professionnel. Il relève enfin que, dans le silence du texte, la disposition proposée ne pourra pas s’appliquer aux contrats en cours.

18. Les diverses dispositions de coordination au sein du code rural et de la pêche maritime et du code des assurances que contient le projet de loi n’appellent pas d’observations du Conseil d’État.

N’en appelle pas davantage le choix de la date d’entrée en vigueur de la loi au 1er janvier 2023 qui coïncide avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation européenne.

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 25 novembre 2021.