Avis sur un projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité de la magistrature

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur un projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité de la magistrature.

1.    Le Conseil d’Etat a été saisi le 24 février 2023 d’un projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité de la magistrature. Ce projet a été modifié par deux saisines rectificatives, respectivement reçues les 2 et 8 avril. 

I- Considérations générales 

2.    Ce projet de loi, qui comprend 12 articles, modifie et complète l'ordonnance n° 58 1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, la loi n° 94 100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature ainsi que le code de l'organisation judiciaire.

Dixième réforme du cadre organique applicable au corps judiciaire depuis la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature, le projet de loi comporte un ensemble de mesures inspirées des travaux issus des Etats généraux de la justice qui se sont tenus entre octobre 2021 et avril 2022. Il s’inscrit dans le contexte d’une augmentation importante des effectifs de magistrats prévue dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice examiné le même jour par le Conseil d’Etat (Assemblée générale du 12 avril 2023, avis sur un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, n° 406855).  

Ces mesures visent, selon l’exposé des motifs du projet de loi, trois objectifs principaux : 

D’abord une plus large ouverture du corps judiciaire, par :

-    la réforme des voies d’accès à la magistrature ; 
-    l’élargissement des possibilités d’emploi de magistrats non-professionnels ;  
-    l’amélioration des conditions de réintégration des magistrats après une mobilité. 

Ensuite l’amélioration du déroulement de carrière des magistrats, et du dialogue social, par :

-    l'intégration des emplois fonctionnels supérieurs du premier grade, ainsi que de ceux actuellement classés "hors hiérarchie" dans un troisième grade nouveau, afin notamment de rendre plus attractifs les parcours professionnels en offrant de nouvelles perspectives de carrière, de favoriser les mobilités au sein du corps judiciaire, et de rapprocher les déroulements de carrière des magistrats de l'ordre judiciaire de ceux des autres corps d’agents publics de niveau comparable et de favoriser des mobilités croisées ;

-    la création d’une nouvelle priorité statutaire d’affectation ;
-    des mesures structurant le dialogue social au sein du ministère de la justice.

Enfin le développement de la responsabilisation des magistrats et de leur protection, par :

-    la création d'une évaluation dite « élargie » des chefs de juridiction, afin de mieux éclairer les autorités compétentes sur l’aptitude à l’administration, à la gestion et au pilotage des juridictions ;
-    l’amélioration du traitement des plaintes des justiciables, dont les conditions de recevabilité seront simplifiées et étendues aux cas d’abus de fonctions, et par l’extension des pouvoirs d’investigations des commissions d’admission des requêtes des justiciables ;
-    l’extension aux magistrats du bénéfice des dispositifs de signalement et de protection des lanceurs d’alerte. 

3.    L'étude d'impact répond dans son ensemble aux exigences de la loi organique. Le Conseil d’Etat estime toutefois, outre l’observation faite au point 15, qu'elle pourrait être utilement complétée d’une présentation même sommaire tant des mesures réglementaires d'application des dispositions statutaires prévues par le projet de loi, qui seules permettront d’en mesurer toute la portée, que de celles destinées à mettre en œuvre d’autres conclusions des Etats généraux de la justice, pour mieux apprécier la manière dont les pouvoirs publics entendent en tirer les conclusions.

4.    Dans le titre du projet de loi, qui est conforme à son objet, le Conseil d’Etat propose toutefois de remplacer le mot « magistrature » par l'expression « corps judiciaire », qui est définie à l'article 1er de la loi organique statutaire et qui marque plus clairement l'application du projet de loi à la magistrature judiciaire. 

La structure du texte, découpé en articles regroupant les questions par ensembles thématiques, n'appelle pas d'observations.

5.    Le Conseil d'Etat constate qu’il a été procédé à toutes les consultations obligatoires ainsi qu’à celles de plusieurs instances dont l’avis, quoique non obligatoire, est habituellement demandé en cas de modification de dispositions statutaires relatives aux magistrats : Conseil supérieur de la magistrature (CSM), commission permanente d'études du ministère de la justice, Ecole nationale de la magistrature, et conférences des chefs de cours et de tribunaux notamment. 

6.    Le Conseil d'Etat examine les dispositions du projet de loi au regard, notamment, des exigences et principes constitutionnels et conventionnels suivants : égalité d'accès aux charges et emplois publics et égalité de traitement résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, indépendance de l'autorité judiciaire, garanties de compétence, d'impartialité et d'indépendance , résultant de l'article 64 de la Constitution et de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, caractère majoritairement permanent et professionnel des fonctions judiciaires (Voir notamment, Conseil constitutionnel, décisions n° 92-305 DC du21 février 1992, n° 94-355 DC du10 janvier 1995, n°98-396 DC du 19 février 1998).

7.    Le Conseil d’Etat vérifie enfin que les dispositions du projet de loi relèvent du domaine de la loi organique en application de l’article 64 de la Constitution et que le législateur organique épuise entièrement sa compétence (Conseil constitutionnel décision n° 67 31 DC du 26 janvier 1967, cons. 4) .

Outre ces remarques liminaires, ce projet de loi appelle de la part du Conseil d’Etat les observations suivantes.

II. Dispositions du projet

Rénovation des voies d’accès à la magistrature

8.    Le projet de loi réforme les voies d’accès à la magistrature, dans le double objectif de permettre un accroissement significatif et rapide des effectifs de magistrats, tels que prévu par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice (Avis du Conseil d’Etat, n° 406855, 13 avril 2023), et de favoriser la diversification des compétences et des expériences au sein du corps judiciaire. 

A côté du recrutement par les trois concours classiques de recrutement d’auditeurs de justice (concours étudiant, interne et troisième concours dont les épreuves seront modifiées pour valoriser davantage l'expérience professionnelle antérieure des candidats), le projet crée un nouveau concours professionnel remplaçant le concours complémentaire et les multiples voies d’intégration sur titre actuelles. 

Ces recrutements permanents continueront d'être complétés par la voie de l'intégration aux fonctions supérieures du corps judiciaire (fonctions du futur 3ème grade) ouverte aux conseillers d’État, aux maîtres des requêtes au Conseil d’État justifiant d’une ancienneté dans le grade de 10 ans, aux professeurs des facultés de droit ayant une même ancienneté de 10 ans, aux avocats au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation justifiant de 20 ans d’exercice et aux avocats justifiant de 25 ans d’exercice professionnel. 

Cette voie sera également désormais accessible aux personnes justifiant de 6 années d’exercice en qualité de conseillers ou avocats généraux à la Cour de cassation en service extraordinaire. 

Parallèlement, le projet de loi crée une nouvelle voie d’intégration provisoire à temps plein, celle de magistrats en service extraordinaire pour exercer les fonctions du deuxième grade des cours d’appel et tribunaux de première instance sauf fonctions spécialisées. 

Conformément aux principes résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel visant à garantir le maintien d'un corps judiciaire professionnel stable, le nombre de ces magistrats à titre provisoire est limité au dixième de l’effectif des magistrats du siège de la juridiction à laquelle ils sont nommés et au dixième de l’effectif des magistrats du parquet près de cette juridiction. Ces magistrats pourront se porter candidats à une intégration définitive, après trois années d’exercice et sous réserve d’un avis conforme du jury d’aptitude du concours professionnel.

Les voies d'intégration définitive et temporaire resteront enfin complétées par l'accueil en détachement de fonctionnaires de niveau comparable, sur avis conforme du jury d’aptitude du concours professionnel. Ces fonctionnaires pourront intégrer le corps judiciaire après trois années de détachement, sur avis conforme du jury.

Le Conseil d’Etat estime que ces mesures améliorent la lisibilité des voies d’accès au corps judiciaire tout en préservant une diversité de ces voies, propre à permettre l'intégration au sein de la magistrature de profils et d'expériences variés et complémentaires.

Evaluation élargie des chefs de cours d’appel et de tribunaux judiciaires 

9.    Le projet de loi crée une évaluation dite « élargie » des premiers présidents, des procureurs généraux des cours d’appel, des présidents et des procureurs de la République des tribunaux judiciaires, qui sera versée à leur dossier administratif. Il confie cette évaluation à un collège d’évaluation, qui sera en charge d’apprécier les aptitudes des chefs de juridiction à l’administration et à la gestion ainsi qu’à la mise en œuvre des politiques publiques dont ils ont la charge dans le cadre de leurs fonctions et dont les orientations leur sont communiquées.

En miroir, les dispositions de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature sont modifiées pour prévoir que les formations compétentes du Conseil supérieur de la magistrature tiennent particulièrement compte des aptitudes mentionnées précédemment pour arrêter les propositions de nomination de premier président de cour d’appel et président de tribunaux judiciaires, tribunal de première instance ou de président de tribunal supérieur d’appel et pour rendre un avis sur les propositions de nomination aux fonctions de procureur général et de procureur de la République. 

De même, l’ordonnance n° 58 1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est-elle modifiée pour prévoir que le ministre de la justice, garde des sceaux, tient particulièrement compte de ces mêmes aptitudes pour arrêter le projet de nomination aux fonctions de procureur général près une cour d'appel et de procureur de la République près un tribunal judiciaire, un tribunal de première instance ou un tribunal supérieur d’appel.  

Le Conseil d’Etat relève, d’une part, que le dispositif d’évaluation envisagé exclut expressément l’appréciation de l’aptitude aux fonctions juridictionnelles des magistrats concernés et, d’autre part, que les chefs de juridiction sont investis de responsabilités administratives, qu’ils représentent l’institution judiciaire sur leurs ressorts et que les chefs de cours d’appel sont plus particulièrement en charge de s’assurer du bon fonctionnement des juridictions de leurs ressorts. 

Le projet de loi, tel que modifié par la saisine rectificative parvenue le 8 avril inspirée des travaux réalisés lors de l’examen du texte par le Conseil d’Etat, prévoit que ce collège est composé de magistrats et de personnes qualifiées ayant une compétence spécifique en matière de gestion de ressources humaines et budgétaires qui sont désignés selon des modalités garantissant leur indépendance et ne peuvent appartenir ou avoir appartenu ni au Parlement, ni au Gouvernement ni être membres du Conseil supérieur de la magistrature. Il prévoit également la communication du rapport d’évaluation au magistrat concerné et la possibilité pour celui-ci d’exercer un recours. 

Afin de renforcer les garanties statutaires relatives à la conduite de cette évaluation, dans le respect du domaine de la loi organique, le Conseil d’Etat propose que soit précisé dans le projet :
-    que les membres du collège d’évaluation sont nommés par le ministre de la justice ;
-     qu’ils exercent leurs fonctions en toute indépendance et ne peuvent recevoir d’instruction d’aucune autorité ;
-    et que le recours du magistrat contre l’évaluation s’exerce devant le collège d’évaluation.

Il suggère enfin, s’agissant de la désignation des membres du collège d’évaluation, que la condition de ne pas avoir appartenu au Parlement ou au Gouvernement se limite aux dix années précédant une désignation.

Sous ces observations, outre les améliorations de rédaction qu’il suggère, le Conseil d’Etat considère que cette mesure du projet de loi, qui peut contribuer à une bonne administration de la justice, ne se heurte à aucun obstacle d’ordre conventionnel ou constitutionnel.  

Réforme de la structure du corps judiciaire

L’article 3 comporte un ensemble de mesures qui visent à modifier la structure du corps judiciaire, à consolider l’indépendance de l’autorité judiciaire, à favoriser la mobilité des magistrats dans leur parcours professionnel, ainsi qu’à renforcer les moyens propres à mieux assurer la continuité du service de la justice dans les juridictions sur l’ensemble du territoire national. Il met par ailleurs en cohérence le régime applicable aux magistrats de l’ordre judiciaire avec celui des fonctionnaires et des autres magistrats concernant le recul de la limite d’âge d’activité.

10.    Il prévoit de redéfinir la structure hiérarchique du corps judiciaire, avec la création d’un troisième grade qui remplace et reconfigure l’actuelle liste des emplois dits « hors hiérarchie ». Il vise à renommer accessoirement l’ordre actuel des deux grades pour faire de l’actuel deuxième grade qui est le grade plancher, le premier grade tandis que l’actuel premier grade devient le deuxième grade.  

Outre les actuels emplois classés hors hiérarchie, le nouveau troisième grade intègre des emplois actuellement classés au nouveau second grade qui correspondent à des fonctions d’encadrement et des fonctions juridictionnelles. Le nombre des magistrats pouvant être promus à ce troisième grade sera fixé selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’Etat. 

L’accès au troisième grade est subordonné à l’inscription à un tableau d’avancement, réservée aux magistrats du second grade ayant occupé deux emplois, en position d’activité ou de détachement depuis leur nomination au deuxième grade. L’accès aux plus hautes fonctions auxquelles ce troisième grade permet de prétendre est en outre soumis à une double condition, l’une liée à une ancienneté de trois ans acquise dans ce grade et l’autre tenant à la réalisation d’une mobilité statutaire d’une durée d’au moins deux ans. Le projet de loi prévoit également la possibilité d’un accès par voie directe de nomination à des fonctions de chef de cour d’appel et de tribunal judiciaire (ou de chef d’un tribunal de première instance ou supérieur d’appel en outremer) par décret du Président de la République, sur proposition ou après avis du Conseil supérieur de la magistrature selon qu’il s’agit de magistrat du siège ou du parquet. Cette voie est également ouverte pour la nomination des conseillers et avocats généraux référendaires aux fonctions de conseiller ou d’avocat général de la Cour de cassation. 
 
Le Conseil d’Etat constate en premier lieu que cette voie d’accès direct à certaines fonctions du troisième grade obéit aux mêmes conditions d’ancienneté et de mobilité que pour la promotion dans le troisième grade après l’inscription au tableau d’avancement, et que les nominations sont également subordonnées à l’intervention préalable du Conseil supérieur de la magistrature en application de l’article 64 de la Constitution.

Il considère en second lieu que l’élargissement du choix de l’autorité compétente pour pourvoir aux emplois supérieurs de la cour suprême de l’ordre judiciaire et à ceux de chefs de juridiction que permet cette voie d’accès trouve sa justification dans les qualités particulières qu’exigent ces fonctions, comparées aux autres fonctions du troisième grade. Il relève en outre, pour les emplois de chefs de juridiction, l’intérêt plus grand encore que pour les autres fonctions du troisième grade, qui s’attache à ce que les vacances de poste soient les plus réduites possibles, ce que la mesure a pour objet de faciliter.

Dans ces conditions le Conseil d’Etat estime que ces dispositions du projet ne soulèvent pas d’objection au regard du principe d’égalité de traitement des magistrats dans le déroulement de leur carrière.    

11.    Afin de renforcer les garanties d’indépendance et d’impartialité des magistrats, deux dispositions du projet de loi encadrent dans des délais la mobilité des magistrats au sein d’une même juridiction. 

Le projet de loi prévoit d’une part qu’un magistrat du siège ayant exercé durant plus de neuf ans des fonctions spécialisées ne peut être de nouveau nommé dans la même juridiction pour exercer ces mêmes fonctions spécialisées avant un délai de cinq ans. En considération de ce que l’exercice de ces fonctions spécialisées revêt une particulière sensibilité au regard du principe d’impartialité objective, il considère que le projet du Gouvernement répond à un objectif de bonne administration de la justice et ne se heurte à aucune objection au regard du principe d’égalité de traitement entre les magistrats. 

Le projet de loi prévoit d’autre part qu’un magistrat du siège ne peut exercer des fonctions de magistrat du parquet au sein de la même juridiction avant l’expiration d’un délai de cinq ans et que de la même manière, un magistrat du parquet ne peut exercer de fonctions de magistrat du siège au sein de la même juridiction avant l’expiration de ce même délai. Cette règle est d’ores et déjà appliquée par le Conseil supérieur de la magistrature et le ministère de la justice pour leurs propositions de nominations. 

Le Conseil d’Etat observe que si les dispositions actuelles limitent l’exercice de certaines fonctions à une certaine durée, elles ne fixent aucun délai avant de permettre un retour dans la juridiction pour y exercer les mêmes fonctions. Les mesures envisagées visent ainsi à conforter le principe de l’impartialité objective des magistrats.

12.    Le projet de loi prévoit la limitation à sept ans de la durée d’exercice des fonctions d’inspecteur général, chef de l’inspection générale de la justice et la limitation à dix ans de la durée d’exercice des fonctions d’inspecteur général de la justice et d’inspecteur de la justice.

Ces durées sont ainsi alignées sur celle applicable à l’exercice des fonctions de chefs de juridiction et aux magistrats exerçant des fonctions spécialisées. 

Le projet de loi organise par ailleurs les modalités de cessation des fonctions des membres de l’Inspection générale de la justice en encadrant dans des délais les demandes de postes qu’ils peuvent formuler et dans lesquels ils peuvent être affectés à l’expiration de leurs fonctions. Il intègre par ailleurs la nomination de l’inspecteur général, chef de l’inspection générale, dans la procédure dite de la transparence qui instaure la diffusion des projets de nomination, dont il était jusqu’à présent exclu.  

Le Conseil d’Etat considère que la limitation de la durée d’exercice des fonctions ainsi envisagée ne se heurte à aucun obstacle d’ordre conventionnel ou constitutionnel, étant rappelé que le principe de l’inamovibilité ne s’applique pas aux magistrats exerçant à l’inspection générale de la justice. 

Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes 

13.    Le projet de loi inscrit dans le statut de la magistrature le principe d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, en vue, comme l'indique l'étude d'impact, de favoriser l’accès des femmes aux plus hautes responsabilités. Pour mieux traduire l’intention du Gouvernement le Conseil d’Etat propose une rédaction inversant celle du projet de loi, qui fait, conformément au principe d’égalité, de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes une exigence stricte, et, au regard des difficultés et complexité de la gestion des postes, de l’égal accès aux plus hautes responsabilités, un objectif contraignant. 

Dialogue social, commission d'avancement, Conseil supérieur de la magistrature

14.    L’article 10-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 dispose que le droit syndical est garanti aux magistrats qui peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats. Le projet de loi y ajoute des dispositions prévoyant la participation des magistrats aux comités sociaux d’administration du ministère de la justice selon des modalités analogues à celles des fonctionnaires de l’Etat. Ces dispositions autorisent également les organisations syndicales de magistrats, dans les mêmes conditions que celles des fonctionnaires de l’Etat à négocier, signer et rendre applicables aux magistrats des accords collectifs prévus par les dispositions relatives au dialogue social du code général de la fonction publique. 

Le Conseil d’Etat observe que ces dispositions consolident, au travers de garanties statutaires, l’exercice par les magistrats de la liberté syndicale, qui figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et des libertés fondamentales que protège la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. 

Il considère qu’elles ne soulèvent pas d’objection au regard du domaine que l’article 64 de la Constitution réserve à la loi organique dès lors qu’elles excluent, compte tenu des domaines de l’article L. 222 3 du code général de la fonction publique dans lesquels ils peuvent intervenir, que des accords collectifs portant sur des domaines ou comportant des dispositions relevant des règles statutaires du corps judiciaire soient rendus applicables aux magistrats. L’article L. 222 3 du même code renvoie en outre à l’article L. 222 1 de ce code qui prévoit que les accords portant sur un des domaines mentionnés à l'article L. 222 3 ne peuvent porter sur des règles que la loi a chargé un décret en Conseil d'Etat de fixer, ni modifier des règles fixées par un décret en Conseil d'Etat ou y déroger. 

Pour tenir compte des modifications apportées aux modalités d’exercice du dialogue social dans la magistrature et à celles de l’évaluation individuelle des magistrats, le projet de loi modifie l’organisation et le fonctionnement de la commission d’avancement. Il modifie également le mode de scrutin pour l’élection des représentants des magistrats des premier au troisième grade à cette commission en substituant à leur élection par le collège des magistrats une élection au scrutin proportionnel de liste. Il adapte de manière analogue les modalités d’élection des représentants des magistrats des premier au troisième grade au Conseil supérieur de la magistrature, prévues par la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature.

Le Conseil d’Etat observe que ces modifications n’ont pas pour effet de porter atteinte aux garanties qu’apportent le Conseil supérieur de la magistrature et la commission d’avancement sur l’évolution de la carrière des magistrats, ni aux prérogatives dont disposent les membres de ces organes pour l’exercice de leur compétence, telle que la possibilité d’accéder aux dossiers des magistrats dans la limite du besoin d’en connaître. Il estime qu’eu égard à la nature de ces garanties et à la compétence nouvelle confiée à la commission d’avancement, de connaître des questions relatives au statut des magistrats de l’ordre judiciaire, la règle de répartition des sièges à l’issue du scrutin proportionnel de liste, qui revêt un caractère déterminant pour la composition de ces organes, relève de la loi organique. Le Conseil d’Etat propose donc de préciser dans le projet de loi, en accord avec le Gouvernement, que ces sièges sont répartis suivant la règle du plus fort reste.

Expérimentation portant sur un premier concours spécial d'accès à la magistrature

15.    A l'instar des expérimentations conduites depuis 2021 par d'autres grandes écoles du service public, le projet de loi prévoit une expérimentation portant sur un premier concours spécial d'accès à la magistrature, afin de poursuivre les efforts de diversification et d’ouverture du corps judiciaire pour qu’il soit mieux représentatif de la société française. Ainsi, jusqu’au 31 décembre 2026, ce concours spécial pour le recrutement d’auditeurs de justice sera ouvert aux personnes qui suivent ou ont suivi un cycle de formation préparant au premier concours et accessible sur critères sociaux, à l’issue d’une procédure de sélection ("Prépas Talents"). Le projet de loi précise que le programme, les épreuves et le jury seront identiques à ceux du premier concours et que le nombre de places offert ne pourra être supérieur à 15 % du nombre des places offertes au premier concours. Il prévoit enfin qu’un rapport d’évaluation sera adressé au Parlement en juin 2026.

Le Conseil d’Etat constate que si l’étude d’impact détaille le contenu de cette évaluation, elle ne comporte aucune précision sur les modalités de pilotage de l’expérimentation et de conduite de son évaluation. Il invite le Gouvernement à la compléter sur ces points en s’inspirant des propositions de son étude « Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ? », réalisée à la demande du Premier ministre en 2019. Le Conseil d’Etat propose également que la disposition prévoyant un décret en Conseil d’Etat d’application de cette mesure expérimentale soit modifiée dans le même sens. 

Autres dispositions du projet

16.    Le projet de loi comporte d’autres dispositions relatives :

-    à la modification des conditions de réintégration des magistrats après une mobilité et au relèvement de deux ans de la limite d’âge d’activité des magistrats, sur leur demande et sous réserve de leur aptitude et de la nécessité du service ; 
-    à la création, en contrepartie de l’affectation dans un emploi connaissant des difficultés particulières d’une priorité statutaire d’affectation sur un poste de sortie ; 
-    à l’encadrement et l’élargissement des dispositifs d’affectation temporaire des magistrats dans une juridiction autre que celle à laquelle ils sont nommés, afin d’assurer dans les juridictions d’affectation la continuité et la bonne administration du service de la justice ; 
-    au recours aux magistrats à titre temporaire et aux magistrats honoraires pour concourir aux travaux juridictionnels des cours et tribunaux ; 
-    à l’amélioration du traitement des plaintes des justiciables devant le CSM, au renforcement de la responsabilité et de la protection des magistrats, à l’application des dispositions du statut général des fonctionnaires concernant les lanceurs d’alerte aux magistrats, à l’égalité de traitement à l’égard des magistrats handicapés ; 
-    à la modification de certains articles de l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature et de la loi organique relative au CSM en matière de déclaration d’intérêts et de situation patrimoniale, à la gestion dématérialisée du dossier administratif des magistrats. 

Ces dispositions n’appellent pas d’observations particulières de la part du Conseil d’Etat, sous réserve d’améliorations de rédaction qu’il suggère au Gouvernement de retenir.

Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 13 avril 2023.