Avis sur un projet de loi et un projet de loi organique d'urgence pour faire face à l'épidémie de COVID-19

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Le Gouvernement a décidé de rendre public les avis rendus par le Conseil d’État sur un projet de loi et un projet de loi organique d'urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

1. Avis sur le projet de loi organique
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2. Avis sur le projet de loi
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CONSEIL D’ETAT    
Commission permanente
_________

Séance du mercredi 18 mars 2020
N° 399873

EXTRAIT DU REGISTRE DES DELIBERATIONS

AVIS SUR UN PROJET DE LOI

d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19

1.    Le Conseil d’Etat (commission permanente), a été saisi le 17 mars 2020 d’un projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Ce projet a fait l’objet d’une saisine rectificative le même jour.

2.    Motivé par la crise sanitaire majeure que connaît la France en raison du caractère pathogène et contagieux du virus Covid-19, il comprend trois titres :

  • le titre I organise les modalités de report du deuxième tour des élections municipales qui devait se dérouler le dimanche 22 mars ;

  • le titre II instaure un dispositif d’urgence sanitaire ;

  • le titre III est relatif aux mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie et comporte une série d’habilitations à légiférer dans des domaines variés.

3.    L’étude d’impact du projet satisfait aux exigences de la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009.

Dispositions électorales

Sur le report du second tour des élections municipales

4.    Le Conseil d’Etat constate, au vu des éléments figurant dans l’étude d’impact, qu’à l’issue du premier tour des élections municipales organisées dans 35 065 communes ou secteurs le 15 mars 2020, les conseils municipaux ont été intégralement renouvelés dans 30 143 d’entre elles. Dans 3 253 communes, seule une partie du conseil municipal a pu être élue ; il n’y a eu aucun élu dans 1 669 communes ou secteurs. Malgré le début de la crise sanitaire, ces opérations se sont, de manière générale, déroulées dans des conditions satisfaisantes. Le projet de loi prend acte de ces résultats et des élections acquises au premier tour dans la très grande majorité des communes de France. Mais, dans le contexte de la crise sanitaire aigüe qui sévit depuis quelques jours, il reporte le second tour de ces élections au plus tard au mois de juin 2020.

5.     Le report du second tour d’un scrutin politique est sans précédent dans notre histoire politique contemporaine. Si aucune norme de valeur supralégislative ne l’interdit en soi, la jurisprudence constitutionnelle veille, s’agissant notamment de la prorogation des mandats électifs, à ce que des mesures de cette nature soient toujours justifiées par un motif d’intérêt général suffisant. Les exigences constitutionnelles d’égalité devant le suffrage, de sincérité du scrutin ainsi que de périodicité raisonnable d’exercice du suffrage ne peuvent en outre qu’encadrer particulièrement l’hypothèse, inédite dans son principe et dans ses proportions, de suspension d’une élection entre deux tours de scrutin.

6.    Le Conseil d’Etat estime qu’une mesure de suspension et de report d’un deuxième tour de scrutin n’est admissible que dans des cas exceptionnels, pour des motifs d’intérêt général impérieux et à la condition que le report envisagé ne dépasse pas, eu égard aux circonstances qui le justifient, un délai raisonnable.

7.    Au regard de cette grille d’analyse, le Conseil d’Etat constate, en premier lieu, que le report du second tour des élections municipales prévu le 22 mars 2020 est justifié par les circonstances exceptionnelles nées de la propagation du virus Covid-19 et des mesures qu’il est nécessaire de mettre urgemment en œuvre pour faire face efficacement au danger qu’il représente pour la santé publique. Eu égard à la nature et à la gravité du risque, qui rendent nécessaires des mesures de confinement et imposent en particulier d’interdire la tenue de rassemblements publics et de limiter les contacts entre les personnes, ce motif doit être regardé comme impérieux. Enfin, le report envisagé est strictement encadré dans le temps, puisque le second tour doit se tenir dans un délai de trois mois. Il est, en outre, assorti de garanties puisque le projet prévoit que la représentation nationale se verra communiquer au plus tard le 10 mai 2020 par le Gouvernement un rapport émanant de scientifiques lui permettant d’évaluer l’évolution de l’épidémie et les risques sanitaires attachés.  Le Conseil d’Etat observe que si la crise persiste à cette échéance, contraint à prolonger les mesures d’urgence sanitaire et rend impossible l’organisation du deuxième tour avant l’été, il appartiendra aux pouvoirs publics de reprendre l’ensemble des opérations électorales dans les communes où les conseils municipaux sont incomplets.

8.    En l’état et eu égard aux circonstances qui le justifient, le délai de report du second tour apparaît proportionné et justifie, à titre exceptionnel, de ne pas reprendre l’ensemble des opérations électorales là où l’élection n’a pas été acquise.

Sur la prorogation du mandat de certains élus sortants en l’absence de conseil municipal complet à l’issue du premier tour

9.    Le projet de loi énonce que les candidats élus dès le premier tour prennent leurs fonctions sans attendre l’issue du second tour. Toutefois, par dérogation, dans les communes de moins de 1 000 habitants où moins de la moitié des conseillers municipaux ont été désignés, ceux-ci n’entreront en fonctions qu’à l’issue du second tour, le mandat des conseillers municipaux et communautaires actuels étant alors prorogé jusqu’au second tour.

10.    Le Conseil d’Etat estime que cette mesure, qui porte une atteinte limitée à l’expression du suffrage, poursuit, eu égard aux circonstances qui la dictent et à sa finalité, qui est de permettre d’assurer la continuité du fonctionnement des collectivités concernées lorsque celles-ci ne disposent pas encore du nombre d’élus requis pour composer le conseil municipal, un motif d’intérêt général suffisant et n’appelle donc pas d’objection.

Sur le fonctionnement des exécutifs des communes et EPCI pendant la période transitoire jusqu’au second tour

11.    Le projet de loi définit le fonctionnement des organes délibérants des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jusqu’au second tour. Dans les communes de moins de 1 000 habitants où le conseil municipal n’a pas été élu au complet, le maire et les adjoints seront élus de façon temporaire. De même, certains EPCI verront cohabiter des conseillers communautaires dont le mandat a été prorogé avec des conseillers nouvellement élus ; le président et les vice-présidents de ces EPCI seront élus temporairement jusqu’à l’issue du second tour.
De telles modalités, qui tirent les conséquences du report du second tour du scrutin en veillant à concilier l’expression la plus récente du droit de suffrage avec les impératifs de continuité du fonctionnement des institutions n’appellent pas de remarques de la part du Conseil d’Etat.

Sur le calendrier des opérations électorales en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française

12.    Le Conseil d’Etat constate que les dispositions particulières relatives à la tenue du second tour des élections municipales en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française n’ont pas été soumises à l’avis des organes statutaires normalement compétents pour examiner les projets de loi portant adaptation des mesures législatives dans ces territoires. Les circonstances exceptionnelles ne justifiant pas, eu égard à la portée des dispositions envisagées, l’absence de consultation de ces instances, le Conseil d’Etat ne les retient pas, alors au demeurant que les dispositions du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures d’adaptation de l’organisation du second tour du scrutin dans ces territoires sont suffisantes pour adopter à terme les règles qui paraîtront nécessaires au vu de leur situation particulière.

Sur le report des élections consulaires pour les Français de l’étranger

13.    Pour des motifs identiques à ceux qui justifient le report des élections municipales, le projet de loi prévoit le report des élections consulaires pour les Français de l’étranger. Un tel motif, pour lequel la marge d’appréciation des autorités est d’autant plus grande qu’il leur revient, pour ce qui concerne cette élection, d’apprécier le risque au niveau mondial, justifie également le report de ce scrutin qui, contrairement aux élections municipales, n’était pas en cours. A soi seul, le fait que le vote par internet soit possible pour cette élection ne paraît pas de nature, eu égard aux limites propres à cette modalité de vote, à remettre en cause la mesure envisagée.

Sur les autres dispositions

14.    Les dispositions du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre toutes mesures relevant du domaine de la loi en vue de l’organisation du second tour du scrutin, n’appellent pas d’observations particulières du Conseil d’Etat.

Etat d’urgence sanitaire

Utilité d’un nouveau cadre juridique

15.    Le Conseil d’Etat souscrit à l’objectif du Gouvernement visant à donner un cadre juridique spécifique aux mesures de police administrative nécessaires en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie. En effet, si  la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles a pu fonder le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 pris par le Premier ministre sur le fondement de ses pouvoirs de police générale et si l’article L. 3131-1 du code de la santé publique a donné leur base juridique aux mesures prises par le ministre de la santé, comme son arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus, l’existence d’une catastrophe sanitaire rend utile un régime particulier de l’état d’urgence pour disposer d’un cadre organisé et clair d’intervention en pareille hypothèse.

Modalités de déclenchement et de déroulement

16.    Le Conseil d’Etat estime que les conditions du déclenchement et de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire - déclaration par décret motivé en conseil des ministres, prorogation au-delà d’un certain délai - par la loi inspirées de la loi du 3 juin 1955, sont adaptées aux situations envisagées, elles-mêmes définies avec une précision suffisante, et à la mise en œuvre de pouvoirs exceptionnels.

17.    Eu égard à la nature d’une catastrophe sanitaire le Conseil d’Etat propose toutefois de substituer au délai de douze jours prévu pour l’intervention du Parlement un délai d’un mois, Il propose de supprimer la disposition du projet selon laquelle la loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale, et de la remplacer par une disposition prévoyant qu’il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en conseil des ministres avant l'expiration du délai fixé par la loi prorogeant l’état d’urgence.

18.    Le Conseil d’Etat propose également de supprimer la disposition imposant au Gouvernement la transmission d’informations relatives à la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire car elle constitue une injonction du Parlement au Gouvernement et ne relève pas du domaine de la loi.

19.    Le Conseil d’Etat veille à assurer la cohérence entre « l’état d’urgence sanitaire » et les dispositions en vigueur du code de la santé publique relatives aux crises sanitaires (titre III du livre Ier de la troisième partie). Il propose de codifier ce nouveau dispositif dans un nouveau chapitre Ier bis du titre III de ce code, s’ajoutant au chapitre Ier relatif aux seules menaces sanitaires. De la sorte est créée une gradation en fonction de la gravité des crises : la menace sanitaire permet au seul ministre de la santé de prendre les mesures réglementaires et individuelles exigées (art. L. 3131-1), sous réserve des réquisitions réservées au Premier ministre et aux préfets (art. L. 3131-8 et L. 3131-9) ; l’état d’urgence sanitaire, caractérisé non plus par une menace mais par une catastrophe sanitaire avérée, ouvre quant à lui au Premier ministre la possibilité de prendre les mesures les plus restrictives pour les libertés et de procéder aux réquisitions.

20.    Le Conseil d’Etat propose également de rendre applicables dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire les mesures connexes aux mesures de police prévues en cas de menace sanitaire grave : exonération de responsabilité des professionnels de santé en cas de dommages résultant des mesures administratives, prise en charge de l’indemnisation des préjudices par l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux (art. L. 3131-3 et L. 3131-4), recueil de données concernant les victimes (art. L. 3131-9-1), mesures de protection des réservistes (art. L. 3131-10) et dispositions sur l’appel aux volontaires (art. L. 3131-10-1). Le Conseil d’Etat propose de modifier le projet en conséquence.

21.    Il souligne enfin que les autres dispositions en vigueur du titre III du livre Ier de la troisième partie, notamment les conditions de recours à la réserve sanitaire, sont rédigées de telle sorte qu’elles seront applicables de plein droit en cas de déclenchement de l’état d’urgence sanitaire (voir notamment les art. L. 3132-1 et L. 3134-1).

Nature des mesures susceptibles d’être prises

22.    Le projet de loi prévoit que toutes ces mesures sont proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il donne au Premier ministre le pouvoir de prendre par décret les mesures générales limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tous biens et services. Le Conseil d’Etat propose de préciser que ces mesures règlementaires peuvent inclure l’interdiction du déplacement de toute personne hors de son domicile dans la zone géographique qu’elles déterminent. Le projet prévoit que le ministre de la santé a compétence pour prendre des mesures complémentaires dans son champ de compétence et que les préfets peuvent être habilités par le Premier ministre ou le ministre à prendre des mesures dans leur ressort.

23.    Afin de garantir l’effectivité des mesures prescrites, le Conseil d’Etat propose d’ajouter une disposition selon laquelle l'autorité administrative peut assurer leur exécution d’office nonobstant l'existence des dispositions pénales en réprimant la violation. Il considère que les sanctions pénales prévues ne sont pas disproportionnées.

Mesures d’urgence économique et adaptation à la lutte contre l’épidémie de Covid-19

24.    Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre, dans un délai de trois mois, une série d’ordonnances pour faire face à l’urgence sanitaire. Le Conseil d’Etat relève que l'urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l'article 38 de la Constitution (CC, n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, cons. 13).

Faire face aux conséquences économiques, financières et sociales

25.    Le projet de loi habilite d’abord le Gouvernement à prendre des ordonnances ayant pour finalité de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de l’épidémie.

26.    Il prévoit, en premier lieu, l’adoption, au profit des entreprises dont la viabilité est mise en cause, de mesures de soutien à la trésorerie ainsi que le versement d’aides, notamment par la mise en place d’un fonds dont le financement sera partagé avec les régions. Le Conseil d’Etat relève que si de telles aides présentent le caractère d’aides d’Etat au sens de l’article 107 § 1er du TFUE, leur mise en place est autorisée par le b du § 2 du même article, dont il résulte que sont compatibles avec le marché intérieur les « aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d'autres événements extraordinaires ».

27.    Le projet de loi habilite, en deuxième lieu, le Gouvernement à prendre plusieurs séries de mesures en matière de droit du travail et de droit de la sécurité sociale :

  • en facilitant le recours à l’activité partielle mentionnée à l’article L. 5122-1 du code du travail, en prévoyant notamment son extension à de nouvelles catégories de bénéficiaires, comme les particuliers employeurs, l’augmentation du volume horaire pouvant être indemnisé à ce titre et la réduction du reste à charge versé par l’employeur ;

  • en adaptant les modalités d’attribution de l’indemnité complémentaire, prévue à l’article L. 1226-1 du code du travail, dont peuvent bénéficier, sous certaines conditions, les salariés en cas d'absence au travail justifiée par l'incapacité résultant de maladie ou d'accident ;

  • en modifiant les conditions d’acquisition de congés payés et en permettant à l’employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation applicables définis par le code du travail ainsi que par les accords collectifs ;

  • en permettant aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger de droit aux règles du code du travail et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ;

  • en modifiant les dates limites et les modalités de versement des sommes versées au titre de l’intéressement et de la participation ;

  • en permettant d’adapter l’organisation de l’élection, prévue à l’article L. 2122-10-1 du code du travail, visant à mesurer l'audience des organisations syndicales auprès des salariés des entreprises de moins de onze salariés, qui est organisée tous les quatre ans et qui permet la désignation des conseillers prud'hommes ainsi que des membres des commissions paritaires régionales interprofessionnelles ;

  • en adaptant les dispositions du code du travail relatives à la santé au travail ;

  • en modifiant les modalités d’information et de consultation du comité social et économique ;

  • en adaptant, dans le contexte de la crise sanitaire, les dispositions du code du travail relatives à la formation professionnelle et à l’apprentissage.

28.    En ce qui concerne plus spécifiquement la possibilité de dérogation aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical, ainsi que les conditions d’acquisition des congés payés et d’utilisation du compte épargne-temps du salarié, le Conseil d’Etat rappelle qu’il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que « le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » (Décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, Ct 17) et que le juge administratif retient également une telle approche (CE, Ass, 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d'Olivet, n° 271737).

Il considère que s’il appartiendra au Gouvernement, lors de la préparation de l’ordonnance à intervenir, de veiller à ce qu’une atteinte excessive ne soit pas portée aux contrats en cours, les impératifs d’intérêt général en lien avec la crise sanitaire actuelle sont susceptibles de justifier des mesures applicables à ces contrats, de sorte que la conformité à la Constitution de ces dispositions d’habilitation ne peut être mise en cause. Il rappelle en outre que le Gouvernement devra également veiller à ce que les dérogations envisagées à la durée du travail respectent les dispositions de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

29.    Le projet de loi habilite, en troisième lieu, le Gouvernement à modifier les obligations des entreprises à l’égard de leurs clients et fournisseurs, notamment en termes de délais et pénalités et de nature des contreparties. Il prévoit à cet égard des mesures particulières en ce qui concerne les contrats de vente de voyages et de séjours mentionnées au II et au III de l’article L.211-14 du code de tourisme.

Il prévoit, en outre, l’adaptation des règles de délais de paiement, d’exécution et de résiliation prévues par les contrats publics et le code de la commande publique, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles. Il permet encore, au bénéfice des petites et moyennes entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie, diverses mesures relatives à l’étalement du paiement des factures d’eau et d’énergie. Le Conseil d’Etat estime que l’intérêt général qui s’attache à la prévention de la défaillance d’entreprises causée par la crise sanitaire actuelle est susceptible de justifier une atteinte aux contrats en cours.

30.     Le projet de loi habilite, en quatrième lieu, le Gouvernement à apporter des modifications au droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté. Il l’habilite enfin, au titre de l’année 2020, à allonger les périodes, expirant chacune au 31 mars, au cours desquelles, d’une part, il est sursis à toute mesure d'expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année et, d’autre part, les fournisseurs ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l'interruption de la fourniture d'électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles pour non-paiement des factures. Le Conseil d’Etat estime que l’atteinte ainsi portée au droit de propriété et à la liberté contractuelle du fait du report de ces périodes est susceptible d’être justifiée par un intérêt général suffisant au regard de la crise sanitaire actuelle.

Faire face aux conséquences de nature administrative ou juridictionnelle résultant de la crise sanitaire

31.    Le projet comporte une série de mesures destinées à traiter des conséquences administratives ou en matière de procédures juridictionnelles des mesures prises pour faire face à l’épidémie.

32.    Il modifie en premier lieu en les prolongeant les délais dans lesquels des demandes et des avis préalables à la prise d’une décision par des autorités administratives doivent être formulés. Le Conseil d’État complète ces dispositions afin de permettre la modification des délais dans lesquels les décisions prises sur ces demandes ou avis doivent intervenir. Les délais de réalisation par les entreprises ou les particuliers de contrôles, travaux et prescriptions sont également susceptibles d’être prolongés. Le Conseil d’État modifie le texte pour excepter les contrôles, travaux ou prescriptions qui résulteraient d’une décision de justice.

33.    En deuxième lieu, le texte autorise l’adaptation, l’interruption, la suspension ou le report des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, cessation d’une mesure ou déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation, à l’exception des mesures privatives de liberté ou des sanctions.  Le projet du gouvernement prévoyait que ces mesures prendraient effet au 14 mars 2020. Toutefois au regard de l’ampleur des mesures destinées à juguler la crise sanitaire déjà entrées en vigueur le 12 mars, le Conseil d’État propose de retenir cette date et de préciser qu’elles ne pourront excéder de plus de trois mois la fin des mesures de police administrative prises pour lutter contre l’épidémie par le Gouvernement.

34.    En troisième lieu, le projet autorise des adaptations procédurales en matière de compétence territoriale, de composition des formations de jugement, de délais de procédure et de jugement, de publicité et de tenue des audiences ou de recours à la visioconférence pour les juridictions autres que pénales. Le Conseil d’État propose de retenir une rédaction permettant de préserver l’ensemble des participants aux instances et non seulement les justiciables et les membres des juridictions. Il rappelle que ces adaptations ne pourront porter atteinte à la substance même des différentes garanties constitutionnelles ou conventionnelles qui régissent la conduite du procès.

35.    En quatrième lieu, s’il peut s’avérer nécessaire, au regard des exigences de la lutte contre le virus, de modifier les règles relatives au déroulement de la garde à vue, au déroulement et à la durée de détention provisoire et des assignations à résidence sous surveillance électronique, ce ne peut être qu’aux seules fins de mettre en œuvre trois catégories d’adaptation : l’intervention à distance de l’avocat, le différé limité de la présentation devant les magistrats compétents en cas d’impossibilité de les faire intervenir au regard des exigences de la santé publique, et l’allongement des délais d’audiencement, que le Conseil d’État enserre dans des limites de durée à défaut desquelles les garanties fondamentales nécessaires ne pourraient être regardées comme suffisamment données.

36.    Les autres habilitations, concernant l’aménagement des règles d’affectation des détenus et des mesures de placement ou autres mesures éducatives concernant les mineurs, pour limiter la propagation du virus, l’assouplissement des règles d’approbation des comptes, de fonctionnement des organes collégiaux de toutes les personnes morales, et des assemblées de copropriétaires, prolongeant les mandats de l’ensemble des organes collégiaux de la mutualité sociale agricole, et permettant d’assurer la continuité du déroulement des examens, des concours, afin de permettre la délivrance de diplômes et notamment les recrutements de la fonction publique, n’appellent pas d’observations particulières.

Permettre aux parents de pouvoir faire garder leurs jeunes enfants, en particulier dans le contexte de fermeture des structures d’accueil du jeune enfant

37.     Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures destinées à faciliter les conditions dans lesquelles les parents pourront faire garder leurs jeunes enfants, dans le contexte de la fermeture des crèches en raison de la situation d’urgence sanitaire. Il permet, d’une part, d’adapter, dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, le nombre d’enfants qu’un assistant maternel agréé au titre de l’article L. 421-4 du code de l’action sociale et des familles est autorisé à accueillir simultanément. Il prévoit, d’autre part, la possibilité d’organiser les « transmissions et échanges d’information nécessaires à la connaissance par les familles de l’offre d’accueil et de sa disponibilité afin de faciliter l’accessibilité des services aux familles en matière d’accueil du jeune enfant ». Le Gouvernement envisage ainsi à cet égard la création d’un site internet regroupant les places en crèches disponibles ainsi que les disponibilités d'accueil des assistants maternels.

38.    Le Conseil d’Etat, qui relève que le Conseil constitutionnel avait censuré dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, une disposition ayant ce même objet, au motif qu’elle ne relevait pas du domaine de la loi de financement (décision n° 2019-795 DC du 20 décembre 2019, pt 71), observe que si une telle mesure s’avère utile dans le contexte de la présente crise sanitaire, elle aura néanmoins vocation à s’appliquer de manière pérenne, en dehors même de ce contexte. Il estime que, lors de l’élaboration de l’ordonnance, il y aura lieu de limiter les données mises en ligne aux informations strictement nécessaires à la bonne gestion du service public de l’accueil de la petite enfance.
Assurer la continuité de l’accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap et des personnes âgées vivant à domicile ou dans un établissement ou service social et médico-social, des mineurs et majeurs protégés et des personnes en situation de pauvreté

39.    Le projet de loi habilite le Gouvernement à assurer la continuité de l’accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap et des personnes âgées vivant à domicile ou dans un établissement ou service social et médico-social, des mineurs et majeurs protégés et des personnes en situation de pauvreté, dans un contexte où l’augmentation prévisible des taux d’absentéisme des professionnels de ces structures et la fermeture des externats pour enfants et adultes en situation de handicap vont nécessiter l’adaptation de leurs modalités d’organisation et de fonctionnement. Il prévoit également des mesures destinées à permettre aux établissements et services sociaux et médico-sociaux d’adapter leurs conditions d’organisation et de fonctionnement et de leur permettre de dispenser des prestations ou de prendre en charge des publics destinataires figurant en dehors de leur acte d'autorisation. Ces dispositions n’appellent pas d’observation particulière.

Assurer la continuité des droits des assurés sociaux et leur accès aux soins

40.    Le projet de loi habilite le Gouvernement à adapter les conditions d’ouverture, de reconnaissance ou de durée des droits relatifs à la prise en charge des frais de santé et aux prestations en espèces des assurances sociales ainsi que des prestations familiales, des aides personnelles au logement, de la prime d’activité et des droits à la protection complémentaire en matière de santé. Le Conseil d’Etat estime que cet ensemble de mesures répond à une nécessité impérieuse dans la situation créée par l’épidémie.   

Assurer la continuité de l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux

41.    Le projet de loi habilite le Gouvernement à adapter les règles d’instruction des demandes et d’indemnisation des victimes par l’Office national d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux et par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante pour assurer la continuité de l’indemnisation des victimes, dans le contexte de la crise sanitaire en cours. Le Conseil d’Etat estime que cette mesure n’appelle pas d’observation particulière. Le projet de loi permet également d’adapter les conditions d’ouverture ou de prolongation des droits ou de prestations aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées. Le Conseil d’Etat estime que cet ensemble de mesures répond à une nécessité impérieuse dans la situation créée par l’épidémie.

Assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l’exercice de leurs compétences, ainsi que la continuité budgétaire et financière des collectivités territoriales et des établissements publics locaux

42.    Les dispositions du projet de loi tendant à habiliter le Gouvernement à prendre toutes mesures relevant du domaine de la loi en vue d'assurer la continuité des institutions locales, s'agissant notamment des règles de fonctionnement, d'exercice des compétences et budgétaires applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics répondent à une nécessité avérée, n’appellent pas d’observations particulières du Conseil d’Etat.

Autres dispositions

43.    Le texte propose de prolonger de quatre mois les délais dans lesquels le Gouvernement a été autorisé à prendre par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, des mesures relevant du domaine de la loi. De même sont prolongés de quatre mois les délais fixés pour le dépôt de projets de loi de ratification d’ordonnances publiées avant la date de publication de la loi.  La réduction des capacités d’action des administrations centrales et la concentration des pouvoirs publics sur la lutte contre l’épidémie justifient la mesure envisagée.  

44.    Le projet du gouvernement proroge les mandats des instances dirigeantes des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel qui viennent d’arriver à échéance ou vont y arriver d’ici le 31 juillet 2020 jusqu’à une date fixée au plus tard au ler janvier 2021. Cette prorogation d’une durée mesurée permet, dans l’impossibilité temporaire d’organiser les élections, d’assurer le bon fonctionnement des établissements et la continuité du service public qu’ils assurent. Le Conseil d’Etat estime que l’intérêt général justifie la rétroactivité de quelques jours donnée à cette mesure en la rendant applicable aux mandats déjà échus depuis le 15 mars.

45.    La prolongation prévue par le texte, dans la limite de cent quatre-vingt jours, de la durée de validité des visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demande de titre de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile qui ont expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020 est une mesure opportune qui n’appelle pas d’observations particulière.

Il en va de même de l’aménagement des conditions d’exploitation en vidéo des œuvres cinématographiques qui faisaient encore l’objet d’une exploitation en salles de spectacles cinématographiques au 14 mars 2020.

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’État en Commission permanente dans sa séance du 18 mars 2020.