Avis relatif aux conditions de cumul dans le temps du mandat de président de la Polynésie française

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État sur une question relative aux conditions de cumul dans le temps du mandat de président de la Polynésie française.

Le Conseil d’Etat (section de l’intérieur), a été saisi le 7 septembre 2022 par la Première ministre de la question suivante :

Le président de la Polynésie française est élu au scrutin secret par l'assemblée de la Polynésie française parmi ses membres (article 69 de la loi organique n° 2004 192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française) et « reste en fonction jusqu'à l'expiration du mandat de l'assemblée qui l'a élu » (article 72 de la loi organique).

L’article 74 de la loi organique prévoit que le président de la Polynésie française et les autres membres du gouvernement doivent satisfaire aux conditions requises pour l'élection des représentants à l'assemblée de la Polynésie française (premier alinéa) et que le président de la Polynésie française ou tout autre membre du gouvernement qui, pour une cause survenue au cours de son mandat, se trouverait dans une situation contraire aux dispositions du premier alinéa ou serait frappé de l'une des incapacités qui font perdre la qualité d'électeur ou d'éligible est déclaré démissionnaire par arrêté du haut-commissaire (deuxième alinéa).

L’article 71 de la loi organique prévoit qu’en cas de vacance, l'assemblée de la Polynésie française élit le président de la Polynésie française dans les quinze jours qui suivent la constatation de la vacance (deuxième alinéa). Il résulte de ces dispositions, combinées à celles de l’article 74, que, dans une telle situation, la durée du mandat de président, qui prend fin à l’expiration du mandat de l’assemblée qui l’a élu, est inférieure à cinq ans.

Le troisième alinéa de l’article 74, introduit par l’article 6 de la loi organique n° 2011 918 du 1er août 2011, est pour sa part rédigé comme suit : « Le président de la Polynésie française ne peut exercer plus de deux mandats de cinq ans successifs ».

Si, en principe, la durée du mandat du président de la Polynésie française et la durée du mandat de l’assemblée qui l’a élu, qui est de cinq ans (article 104), coïncident, tel n’est pas le cas dans certaines circonstances telles que l’élection du président faisant suite à la démission d’office de son prédécesseur.

Dans le cas où ce président, élu consécutivement à la démission d’office de son prédécesseur pour un mandat nécessairement inférieur à cinq ans, serait par la suite réélu dans des conditions de droit commun, il se trouverait en situation d’avoir exercé deux mandats consécutifs, le premier d’une durée inférieure à cinq ans, le suivant d’une durée de cinq ans.

Se poserait alors la question de savoir si les dispositions du troisième alinéa de l’article 74, limitant à « deux mandats consécutifs de cinq ans successifs » la possibilité d’exercer la présidence, feraient ou non obstacle à ce qu’il brigue un troisième mandat consécutif. 

En conséquence, le Gouvernement souhaite recueillir l’avis du Conseil d’Etat sur l’interprétation qui doit être donnée à la rédaction du troisième alinéa de l’article 74, dans l’hypothèse où un président de la Polynésie française, qui aurait effectué deux mandats consécutifs, dont l’un inférieur à cinq années, souhaiterait briguer un troisième mandat.

Vu la Constitution ;

Vu la loi organique n° 2004 192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, dans sa rédaction issue de la loi organique n° 2011 918 du 1er août 2011 ; 

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2011 637 DC du 28 juillet 2011 ;


EST D’AVIS DE REPONDRE DANS LE SENS DES OBSERVATIONS QUI SUIVENT :

1. Aux termes des dispositions des articles 69, 72, 74, 104 et 156 de la loi organique n° 2004 192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, les membres de l’assemblée de la Polynésie française, élus au suffrage universel direct pour 5 ans, élisent en leur sein le président de la Polynésie française dont le mandat s’achève en principe avec celui de l’assemblée qui l’a élu, sauf démission d’office, empêchement ou vote d’une motion de défiance.

Si aucune limitation du nombre de mandats successifs que peuvent effectuer les membres de l’assemblée n’est prévue, le troisième alinéa de l’article 74 de la loi organique dispose que : « Le président de la Polynésie française ne peut exercer plus de deux mandats de cinq ans successifs ». 

2. Le Gouvernement interroge le Conseil d’Etat sur l’interprétation qu’il convient de donner à ces dispositions. Interdisent-elles à une personne qui a exercé les fonctions de président de la Polynésie française au cours de deux mandats successifs de l’assemblée, quelle qu’ait été la durée de cet exercice, de briguer un troisième mandat ? Ou cette interdiction ne s’applique-t-elle que lorsque l’intéressé a exercé deux mandats successifs et complets de cinq ans en qualité de président de la Polynésie française ?

3. Les dispositions du dernier alinéa de l’article 74 ont été introduites dans la loi organique de 2004 par l’article 22 de la loi organique n° 2011 918 du 1er août 2011 relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française.

4. Dans la version dont le Conseil d’Etat avait été saisi, l’article était ainsi rédigé : « Le président et le vice-président de la Polynésie française ne peuvent exercer plus de deux mandats consécutifs. Cette interdiction s’applique à un élu ayant effectué soit deux mandats successifs de président ou de vice-président de la Polynésie française, soit l’un puis l’autre de ces mandats. ». Dans son avis du 14 avril 2011 (Assemblée générale, n° 385134) le Conseil d’Etat a estimé ne pas pouvoir retenir de telles dispositions au motif qu’en limitant la présidence à deux mandats, quelle qu’en soit la durée, elles paraissaient susceptibles de donner lieu à des manœuvres d’empêchement et peu compatibles avec l’objectif d’améliorer le fonctionnement des institutions alors caractérisé par une forte instabilité politique (treize gouvernements entre 2004 et 2011 présidés à tour de rôle par trois présidents pour des durées souvent inférieures à un an). L’avis indique ainsi que : « Une telle limitation ne peut se concevoir que dans le cas d’un mandat dont la durée, fixée à l’avance, n’est pas susceptible d’être interrompue par la mise en jeu de la responsabilité de son titulaire devant une assemblée, telle qu’elle est prévue en ce qui concerne le président de la Polynésie française. Cette disposition ne pourrait d’ailleurs qu’inciter à certaines manœuvres la détournant de l’objectif recherché et portant ainsi une atteinte excessive au droit de se porter candidat aux fonctions en cause ».

5. Devant le Parlement, le Gouvernement a entendu tirer les conséquences de cet avis en précisant que la limitation s’applique « à deux mandats de cinq ans successifs ». 

L’examen des travaux parlementaires ne laisse aucun doute sur la portée de ces dispositions, si tant est qu’elles ne soient pas claires. Les rapporteurs de la loi organique, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale ont en effet l’un et l’autre déclaré qu’« il va de soi que les deux mandats successifs s’entendent comme deux mandats complets ». Bien que dans les commissions des interrogations se soient fait jour sur la pertinence d’une telle règle pour améliorer la stabilité institutionnelle « alors qu’aucun président (de la Polynésie française) n’a pu se maintenir plus de deux ans consécutivement à ce poste » et que « si de telles situations venaient à se reproduire, la limitation envisagée ne trouverait pas à s’appliquer », les dispositions ont été adoptées sans modification en commission et en séance. 

Il s’en déduit que la disposition s’entend comme limitant à deux mandats successifs de cinq ans complets l’exercice de la présidence de la Polynésie et qu’une personne ayant exercé deux mandats successifs, dont l’un est inférieur à cinq années, peut légalement briguer un troisième mandat.
 

6. Cette interprétation est au demeurant la seule conforme à la lecture stricte qu’il convient d’avoir des règles d’inéligibilité dont le Conseil constitutionnel juge de manière constante que le législateur ne peut les édicter que « dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur » (voir notamment décision n° 2011 628 DC du 12 avril 2011, Loi organique relative à l’élection des députés et des sénateurs, cons.5). 

Cet avis a été délibéré par la section de l’intérieur du Conseil d’Etat dans sa séance du mardi 18 octobre 2022.