Avis relatif à l’usage de dispositifs aéroportés de captation d’images par les autorités publiques

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis relatif à l’usage de dispositifs aéroportés de captation d’images par les autorités publiques.

CONSEIL D’ÉTAT    
Section de l’intérieur
Séance du mardi 20 septembre 2020
N° 401 214

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

Le Conseil d’État (section de l’intérieur), a été saisi par le Premier ministre des questions suivantes :

Afin de réaliser plus efficacement leurs missions et d’assurer la sécurité de leurs interventions en tous lieux du territoire national, certaines autorités publiques recourent à la captation d’images au moyen de dispositifs aéroportés, qu’il s’agisse d’outils conventionnels – avions ou hélicoptères dotés de caméras – ou de dispositifs innovants comme les aéronefs circulant sans personne à bord, couramment appelés « drones ».

Sur le plan opérationnel et au regard de l’intérêt public qui s’attache aux finalités poursuivies, notamment la sécurité publique ainsi que la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite d’infractions, l’utilité du recours à ces technologies n’est pas contestable. Elles se révèlent particulièrement efficaces dans la lutte contre la délinquance comme pour le maintien de l’ordre, en limitant notamment les contacts des forces de l’ordre avec les personnes concernées. Sur le plan juridique, ces dispositifs ne sont toutefois encadrés que de manière parcellaire. Les règles existantes concernent principalement les conditions d’emploi et de circulation aux fins d’assurer la sûreté aérienne, domaine pour lequel seul l’usage des drones civils a fait l’objet d’un encadrement législatif spécifique.

Outre la réglementation relative à l’aviation civile, il n’existe pas de fondement juridique permettant explicitement l’usage de ces dispositifs ainsi que l’exploitation des images captées par les autorités publiques concernées, qu’il s’agisse de l’État (police nationale, gendarmerie nationale, personnels chargés de la sécurité civile, etc.) ou encore des collectivités territoriales (polices municipales notamment). (…)

L’usage de ces dispositifs en tous lieux et par de nombreuses autorités, y compris à des fins de surveillance, soulève ainsi des enjeux en termes de garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ou, s’agissant des situations comportant une dimension judiciaire, conduit à s’interroger sur l’encadrement nécessaire en matière de procédure pénale.

Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, l’utilisation de drones par les services de l’État a soulevé, de manière inédite, la question du cadre juridique et des garanties applicables en la matière. Par une ordonnance du 18 mai 2020, le juge des référés du Conseil d’État a ainsi enjoint à l’État de cesser les mesures de surveillance des règles de sécurité sanitaire par drone. Le juge a en effet considéré que le dispositif en question constituait un traitement de données à caractère personnel au sens de la règlementation applicable et que, en l’absence de moyens techniques rendant impossible l’identification des personnes ou de dispositions règlementaires encadrant ce traitement, une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie privée était caractérisée. (…)

Par ailleurs, dans cette décision, le juge des référés du Conseil d’État ne se prononce pas sur les autres garanties qui pourraient être nécessaires pour encadrer les atteintes portées au droit au respect de la vie privée de nature à affecter, à des degrés variables selon le cas d’usage concerné, l’exercice des libertés publiques. De même, la situation de l’espèce ne comportant pas d’usage des drones à des fins judiciaires, le juge des référés n’a pas abordé la question du rattachement des images captées à la procédure pénale.

Dès lors, au regard de cette jurisprudence et afin d’assurer la sécurité juridique des dispositifs existants ou envisagés, le Gouvernement s’interroge sur les conditions de recours à ces outils de captation d’images par les autorités concernées. En particulier, il souhaiterait savoir si l’application des garanties en matière de protection des données à caractère personnel – notamment l’autorisation préalable par un acte réglementaire pris sur le fondement de l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978 – est suffisante pour permettre de poursuivre la mise en œuvre de ces dispositifs. Le cas échéant, le Gouvernement souhaiterait connaître les autres garanties qu’il convient de fixer en la matière.

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 8 et 11 ;
Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
Vu le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE ;
Vu la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive-cadre 2008/977/JAI du Conseil ;
Vu le code de l’aviation civile ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la sécurité intérieure ;
Vu le code des transports ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu la loi n° 2016-1428 du 24 octobre 2016 relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils ;

EST D’AVIS DE REPONDRE DANS LE SENS DES OBSERVATIONS QUI SUIVENT :

1. Le présent avis porte sur l’emploi par les autorités publiques de caméras embarquées sur des avions, des hélicoptères ou des drones. S’agissant de ces derniers, leur maniement est assuré par un télépilote qui procède au guidage de l’appareil à partir de son écran vidéo ou en effectuant un vol à vue pour atteindre la zone surveillée. La caméra peut comporter un zoom optique activé par le télépilote. Il peut être procédé à un enregistrement des images filmées si le drone est équipé d’une carte mémoire. Les images peuvent également être retransmises en temps réel, notamment à un centre de commandement. La durée de captation des images va de quelques minutes à quelques heures selon les usages.

Par ailleurs, plusieurs technologies peuvent être associées à une caméra aéroportée. Il en est ainsi, par exemple, des logiciels de reconnaissance faciale ou de reconnaissance de plaques minéralogiques, des capteurs thermiques ou de vision nocturne ou des microphones et systèmes d’enregistrement audio.

2. Les caméras aéroportées ont vocation à être utilisées par les autorités publiques pour des finalités multiples. Par rapport aux caméras fixes de vidéoprotection (art. L. 251-1 et suivants du code de la sécurité intérieure) et aux caméras mobiles (art. L. 241-1 et suivants du même code), elles offrent, dans la limite de leur autonomie, des capacités de captation plus importantes et plus dynamiques que ces deux outils.

Elles peuvent être notamment employées dans le cadre de missions de police administrative générale intéressant la sécurité publique (prévention de la délinquance, maintien de l’ordre, police des attroupements) et pour des missions de sécurité civile (secours, lutte contre l’incendie). Dans le prolongement d’une mission de police administrative, les caméras aéroportées peuvent également être utilisées à des fins de police judiciaire, pour collecter des éléments de preuve de la commission d’une infraction. Le présent avis porte sur l’encadrement de ces usages, qui résulte aujourd’hui de simples doctrines d’emploi élaborées et mises en œuvre par les différentes autorités administratives employant des drones équipés de caméras. Il ne concerne pas leur emploi pour l’exercice de polices administratives spéciales, qui appelle une réflexion distincte et propre à chacune de ces polices pour en apprécier la nécessité et la proportionnalité, ni l’utilisation de caméras aéroportées par les armées et les services de renseignement.

3. Il y a d’abord lieu de vérifier si la captation d’images par des caméras aéroportées peut être regardée comme un traitement de données à caractère personnel au sens du règlement général de protection des données et de la directive susvisée du 27 avril 2016 et, par suite, au sens de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dont l’article 3 se réfère aux définitions données par le règlement.

Cette captation, qu’elle donne lieu à un visionnage des images filmées en temps réel sans conservation ou à un enregistrement, présente le caractère d’un traitement au sens de ces textes, le traitement étant défini comme « toute opération ou tout ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliqués à des données à caractère personnel ou des ensembles de données à caractère personnel telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation la structuration, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation , le communication, la diffusion ou tout autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, la limitation, l’effacement ou la destruction » (art. 3.2 de la directive et 4.2 du règlement).

Par ailleurs, les images où apparaissent des personnes livrent des informations relatives notamment à leur présence à un endroit et un moment déterminés et doivent, par suite, être regardées comme des données personnelles si ces personnes sont identifiables (art. 3.1 de la directive et 4.1 du règlement). Les deux textes précisent que, « pour déterminer si une personne physique est identifiable, il convient de prendre en considération l'ensemble des moyens raisonnablement susceptibles d'être utilisés par le responsable du traitement ou par toute autre personne pour identifier la personne physique directement ou indirectement » et que, pour se prononcer sur ce point, « il convient de prendre en considération l'ensemble des facteurs objectifs, tels que le coût de l'identification et le temps nécessaire à celle-ci, en tenant compte des technologies disponibles au moment du traitement et de l'évolution de celles-ci » (considérant 21 de la directive et 26 du règlement).

Eu égard notamment aux technologies actuellement disponibles et à leur évolution et aux moyens matériels dont disposent les autorités publiques, le Conseil d’État estime que les images de personnes captées au moyen de caméras aéroportées par ces autorités dans le cadre de missions de sécurité publique ou de sécurité civile doivent, en principe, être regardées comme des données personnelles et que, par suite, la collecte et l’utilisation de ces images sont soumises au respect des textes rappelés ci-dessus. Il pourrait toutefois en aller autrement en cas d’emploi dans des conditions particulières excluant l’existence de possibilités raisonnables d’identifier des personnes, ou dans l’hypothèse où seraient mis en œuvre des dispositifs techniques empêchant l’identification.

En vertu de l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l’État qui, notamment, intéressent la sécurité publique ou ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales doivent être autorisés, après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, soit par arrêté du ou des ministres compétents, soit, s’ils portent sur des données mentionnées au I de l’article 6, par décret en Conseil d’État. Ces données sont celles qui révèlent, notamment, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale d'une personne physique. L’emploi de caméras dans des conditions où elles sont susceptibles de collecter de telles données, en particulier lors de manifestations sur la voie publique, exige, par suite, un décret en Conseil d’État.

Au regard de son impact sur les libertés et les droits garantis, la mise en œuvre du traitement ne pourra d’abord s’envisager, avant même la rédaction de l’acte l’autorisant qu’au terme d’une analyse d’impact, qui devra identifier précisément les risques et dangers de la mise en œuvre du traitement font courir, et apprécier les manières d’y remédier. Au-delà des règles traditionnellement reprises par l’acte d’autorisation (finalités, informations recueillies, durées de conservation, personnes accédant au traitement et destinataires des données, droits des personnes concernées, …) l’analyse devra aussi formuler les bases nécessaires à la définition notamment de méthodes d’emplois, de règles de sécurisation des matériels et des données, de certification et de contrôle des matériels, de formation des personnels.

4. Cependant, l’intervention d’un acte réglementaire autorisant le traitement des données personnelles collectées par une caméra aéroportée employée dans des missions de police générale ou à des fins de police judiciaire ne peut fournir une base légale suffisante à la captation d’images voire de sons par les autorités publiques au moyen de ce procédé.

Celui-ci est en effet susceptible, par le survol rapproché et mobile de lieux publics ou de lieux privés qu’il permet, de porter atteinte à la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui implique le respect de la vie privée. Il est par suite de nature à affecter les garanties apportées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Le procédé peut, par ailleurs, être utilisé aux fins de recueillir des preuves à l’appui de poursuites judiciaires et se rattache alors à la procédure pénale. A ce double titre, cette captation relève de matières réservées au législateur par l’article 34 de la Constitution, celui-ci pouvant seul, en en fixant les éléments principaux, définir les conditions permettant d’assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public, comme il l’a fait pour la vidéoprotection et les caméras individuelles. Le Conseil d’État estime donc qu’il est nécessaire de fixer un cadre législatif d’utilisation des caméras aéroportées par les forces de sécurité et les services de secours.

5. Il appartiendra à la loi de définir les finalités justifiant l’emploi de caméras aéroportées et les garanties propres à assurer son caractère proportionné et adapté au regard des objectifs poursuivis. Il lui incombera de préciser et d’encadrer leurs usages de manière à limiter les atteintes portées au respect de la vie privée. La loi devra désigner les autorités publiques et les personnes susceptibles d’avoir recours à cette technique de surveillance, comme les modalités de conservation et de destruction des enregistrements, lorsqu’ils seront autorisés.

En l’absence de recueil du consentement des personnes filmées, il importe également que la loi prévoie les modalités de leur information. La mise en œuvre de technologies associées, permettant d’augmenter les potentialités des caméras aéroportées, si elle est autorisée, devra faire l’objet de dispositions spécifiques fixant les garanties nécessaires.

6. Dès lors que la loi aura, parmi les finalités assignées au recours de caméras aéroportées, retenu celle de la recherche des auteurs d’infractions, les images filmées dans le cadre d’une opération de police administrative dans des lieux publics pourront être versées dans la procédure pénale si des poursuites judiciaires sont engagées à la suite de l’opération de police.

Si cette technique est utilisée dans le cadre d’une procédure déjà engagée pour constituer des preuves d’une infraction en permettant une identification des personnes, les dispositions du code de procédure pénale, telles qu’interprétées par la Cour de cassation (Crim., 11 décembre 2018, n°18-82.365, Crim.18 juin 2019, n°18-86-421), imposent que cette utilisation fasse l’objet d’une autorisation, le cas échéant orale, du magistrat compétent et soit limitée à une courte durée. La prolongation de la mesure doit être autorisée par un juge qui en contrôle l’exécution.

La captation d’images d’un lieu privé par une caméra aéroportée à des fins judiciaires doit être expressément autorisée par le législateur. Il lui appartient de définir le champ des infractions pour lesquelles le recours à cette technologie est regardé comme justifié et proportionné ainsi que les garanties procédurales permettant d’éviter qu’il soit porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée des personnes concernées.

7. A l’occasion du présent avis, le Conseil d’État invite le Gouvernement à réexaminer les différents régimes existants de captation d’images auxquels ont recours les autorités publiques, dans le cadre de leur mission de police administrative ou judiciaire, notamment au regard des exigences du règlement général pour la protection des données et de la directive du 27 avril 2016, à s’assurer de leur cohérence et de la couverture légale exhaustive de leurs usages actuels et à étudier la possibilité de concevoir, à l’instar de ce qui a été fait dans d’autres pays européens, un régime juridique commun de l’encadrement de l’emploi de caméras complété le cas échéant par des dispositions adaptées aux  spécificités de certains modes de captation.

Cet avis a été délibéré par la section de l’intérieur du Conseil d’État dans sa séance du mardi 20 octobre 2020.