Avis relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis du Conseil d'État relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution.

Le Conseil d’État (section des finances), a été saisi le 6 décembre 2024 par le Premier ministre, d’une demande d’avis relative à l’interprétation de l’article 45 de la loi organique du 
1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de déposer un projet de loi spéciale au Parlement en l’absence de possibilité de promulguer un projet de loi de finances avant le 31 décembre de l’année et dans l’attente du vote d’un tel projet. 
Le Gouvernement souhaite, en application de l'article L. 112-2 du code de justice administrative, recueillir l’avis du Conseil d’État sur les questions suivantes : 

1° Un Gouvernement démissionnaire est-il compétent pour déposer et présenter au Parlement une loi spéciale ?

2° Quelle est la portée de l’autorisation de « continuer à percevoir les impôts existants » prévue à l’article 45 de la LOLF, à savoir les dispositions que la loi spéciale peut contenir à ce titre et celles qui ne relèvent pas de son champ ? En particulier : 

a) Cette autorisation permet-elle bien, tant à l’État qu’aux autres personnes publiques de percevoir ou de se voir affecter les ressources nécessaires pour assurer la continuité de leurs missions ?  

b) Cette autorisation permet-elle bien également, tant à l’État qu’aux organismes des différents régimes de sécurité sociale, de recourir à l’emprunt ? 

c) La Constitution et la LOLF permettent-elles d’inclure dans la loi spéciale des dispositions fiscales autres que la seule autorisation de percevoir les impôts existants ? Par exemple, l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu ou encore la prolongation de la durée de vie de crédits d’impôts dont une loi de finances précédente a prévu l’extinction au 31 décembre 2024 sont-elles au nombre des mesures qui peuvent avoir leur place en loi spéciale ?

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 47 ; 

Vu la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de la sécurité sociale, notamment ses articles LO 111-3-2, LO 111-3-4 et LO 111-3-9 ; 


EST D’AVIS
de répondre dans le sens des observations suivantes :

1. En l’absence de possibilité d’aboutir à la promulgation d’un projet de loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024 et dans l’attente de l’adoption d’un tel projet par le Parlement, le Gouvernement, démissionnaire depuis l’adoption d’une motion de censure intervenue le 4 décembre 2024 dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution et le rejet, par voie de conséquence, des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, envisage de déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année, en application des dispositions du 2° de l’article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) et de l’article 47 de la Constitution. 

Sur la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 45 de la LOLF, pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution 

2. En premier lieu, d’une part, aux termes du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution : « Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés ». D’autre part, aux termes de l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances : « Dans le cas prévu au quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, le Gouvernement dispose des deux procédures prévues ci-dessous : / 1° Il peut demander à l'Assemblée nationale, avant le 11 décembre de l'année qui précède le début de l'exercice, d'émettre un vote séparé sur l'ensemble de la première partie de la loi de finances de l'année. Ce projet de loi partiel est soumis au Sénat selon la procédure accélérée ; / 2° Si la procédure prévue au 1° n'a pas été suivie ou n'a pas abouti, le Gouvernement dépose, avant le 19 décembre de l'année qui précède le début de l'exercice, devant l'Assemblée nationale, un projet de loi spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année. Ce projet est discuté selon la procédure accélérée / (…) / Après avoir reçu l'autorisation de continuer à percevoir les impôts soit par la promulgation de la première partie de la loi de finances de l'année, soit par la promulgation d'une loi spéciale, le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés. / (…) / Les services votés, au sens du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année ». 

3. En second lieu, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’« en l'absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d'ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ; qu'ils doivent, pour ce faire, s'inspirer des règles prévues, en cas de dépôt tardif du projet de loi de finances, par la Constitution et par l'ordonnance portant loi organique, en ce qui concerne tant les ressources que la répartition des crédits et des autorisations relatifs aux services votés » (CC, décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979 sur la loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts existants, point 2). Il résulte, également, de cette jurisprudence que l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances « organise des procédures d’urgence destinées, conformément au quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, à l’adoption de mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, lorsque la loi de finances de l’année ne peut être adoptée en temps utile pour être promulguée avant le début de l’année » (CC, décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, point 7). 

4. Le Conseil d’État considère que le Gouvernement est fondé à constater que les circonstances décrites au point 1 sont susceptibles de faire obstacle à la promulgation d’un projet de loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024. Il observe que ni la Constitution ni la loi organique relative aux lois de finances n’ont expressément prévu la procédure à suivre dans un tel cas. Il estime, au regard de la jurisprudence constitutionnelle citée au point 3, qu’il appartient au Gouvernement de s’inspirer des règles prévues par l’article 45 de la LOLF, aux fins d’aboutir à la promulgation, avant le 1er janvier 2025, d’une loi spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année 2025, prévue par le 2° de cet article 45, dès lors qu’il n’envisagerait pas de proposer l’adoption de la première partie du projet de loi de finances pour 2025 comme le permet le 1° du même article.

Sur la compétence d’un Gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes pour déposer et présenter au Parlement une loi spéciale 

5. Le Conseil d’État rappelle qu’en raison de la nécessité de préserver la continuité du fonctionnement de l’État et de la vie nationale, et selon un principe traditionnel du droit public (CE, Assemblée, 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie et autres, n° 86015, au Recueil), un gouvernement démissionnaire reste compétent pour prendre les décisions qui relèvent de l’expédition des affaires courantes. Dès lors que la loi spéciale autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants constitue, comme il est dit au point 3, une mesure d’ordre financier nécessaire pour assurer la continuité de la vie nationale, le Conseil d’État estime qu’un gouvernement démissionnaire demeure compétent pour soumettre à la délibération du conseil des ministres un projet de loi ayant un tel objet, le déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale et, si aucun gouvernement de plein exercice n'a été nommé avant son examen par le Parlement, en soutenir la discussion devant les assemblées parlementaires, dans les conditions énoncées ci-après.

Sur le domaine de la loi spéciale mentionnée au 2° de l’article 45 de la LOLF 

En ce qui concerne la finalité de la loi spéciale 

6. Le Conseil d’État considère qu’il résulte de la jurisprudence constitutionnelle citée au point 3 que la finalité de la loi spéciale prévue par les articles 47 de la Constitution et 45 de la LOLF, est de permettre qu’interviennent, en temps utile, c’est-à-dire avant le début de l’exercice budgétaire à venir, les seules mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, dans l’attente de l’adoption de la loi de finances initiale de l’année. Il estime que, bien que la loi spéciale ait le caractère d’une loi de finances aux termes du 5° de l’article 1er de la LOLF, la consultation du Haut Conseil des finances publiques n’est pas requise, eu égard aux compétences de ce dernier définies aux paragraphes IV et V de l’article 61 de la LOLF qui, portant sur les prévisions macroéconomiques, sur la cohérence de l’article liminaire et sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses, sont privées d’objet s’agissant d’un projet de loi spéciale, en raison de la nature de ce texte. 

En ce qui concerne la portée de l’autorisation de continuer à percevoir les impôts existants 

7. Le Conseil d’État estime que l’autorisation de continuer à percevoir les impôts existants emporte, conformément au 1° de I de l’article 34 de la LOLF, l’autorisation de percevoir, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur au 1er janvier de l’exercice concerné, d’une part, l’ensemble des ressources, notamment fiscales, de l’État et, d’autre part, des impositions de toutes natures affectées à d’autres personnes morales que celui-ci. Cette autorisation doit être regardée, pour les motifs énoncés au point 6, dont relèvent le respect des engagements européens de la France et le fonctionnement des collectivités territoriales, comme emportant, également, la reconduction des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales, soit pour un montant résultant des règles en vigueur qui leur sont applicables, soit pour celui fixé pour l'exercice précédent, en l’espèce 2024, lorsqu'il incombe, en vertu de ces règles, à la loi de finances de fixer leur montant, comme c’est notamment le cas pour la dotation globale de fonctionnement en application de l’article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales.

En ce qui concerne l’inscription en loi spéciale de dispositions fiscales autres que la seule autorisation de continuer à percevoir les impôts existants 

8. Eu égard, d’une part, aux termes mêmes des dispositions du 2° de l’article 45 de la LOLF, qui limitent aux seuls « impôts existants » l’autorisation accordée par le Parlement au Gouvernement et, d’autre part, à la finalité de la loi spéciale, qui est exclusivement d’assurer la continuité de la vie nationale dans l’attente de l’adoption d’une loi de finances initiale, le Conseil d’État considère que les mesures nouvelles d’ordre fiscal, qui ne sauraient, en tout état de cause, être regardées comme des mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, ne relèvent pas du domaine de la loi spéciale. Au demeurant, le législateur organique a prévu, selon les termes de l’article 45 de la LOLF cités au point 3, à défaut du dépôt du projet de loi de finances en temps utile, deux procédures distinctes, dont l’une, qui prévoit un vote séparé sur l'ensemble de la première partie de la loi de finances de l'année, est la seule qui pourrait aboutir à l’adoption de dispositions fiscales autres que l’autorisation de continuer à percevoir les impôts existants.
 
9. Le Conseil d’État estime qu’il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu, laquelle n’est au demeurant pas systématiquement opérée et a déjà fait l’objet de modulations par le passé, ou encore la modification du droit aux fins de prolonger la durée d’application de crédits d’impôts dont une loi de finances précédente a prévu l’extinction au 31 décembre 2024, ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale dès lors qu’elles constituent des modifications affectant les règles de détermination des impôts existants et excèdent ainsi l’autorisation de continuer à percevoir ces impôts.

En ce qui concerne l’autorisation pour l’État de recourir à l’emprunt 

10. Aux termes de l’article 26 de la loi organique relative aux lois de finances : 
« L’émission, la conversion et la gestion des emprunts sont effectuées conformément aux autorisations annuelles générales ou particulières données par la loi de finances de l’année ».

11. Le Conseil d’État estime que, eu égard à leur différence d’objet et de fondement juridique, l’autorisation de recourir à l’emprunt ne saurait être assimilée à l’autorisation de percevoir l’impôt. Toutefois, dès lors que les emprunts représentent, à l’heure actuelle, une part significative du total des ressources annuelles de l’État, cette autorisation conditionne la possibilité même pour le Gouvernement d’ouvrir par décret les crédits se rapportant aux services votés. Par conséquent, le Conseil d’État considère qu’il appartient au Gouvernement, pour se conformer aux obligations que lui impose l’article 47 de la Constitution, d’inscrire dans le projet de loi spéciale des dispositions autorisant l’État à recourir à l’emprunt, d’une part, pour financer l’écart entre les dépenses se rapportant aux services votés et le produit des impôts existants et, d’autre part, pour refinancer les emprunts venus à échéance.

En ce qui concerne l’autorisation des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement de recourir à des ressources non permanentes 

12. Aux termes du e) du 2° de l’article LO 111-3-4 du code de la sécurité sociale, la loi de financement de la sécurité sociale de l’année « arrête la liste des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement habilités à recourir à des ressources non permanentes, ainsi que les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ». Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 comportait, à l’article 13 du projet de loi initial, une telle disposition autorisant quatre organismes, au premier rang desquels l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, à recourir à des ressources non permanentes pour des montants plafonnés par cet article.

13. Le Conseil d’État constate, au vu des informations transmises par le Gouvernement, que, eu égard à leur équilibre financier actuel et en l’absence d’autorisation de recourir à des ressources non permanentes, les organismes concernés ne seraient plus en mesure d’assurer la continuité des paiements et remboursements des prestations sociales. Il considère que leur interruption serait de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels de protection de la santé et d’accès à des moyens convenables d’existence garantis par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dans des conditions telles qu’il en résulterait une atteinte à la continuité de la vie nationale. Il relève, par ailleurs, que les dispositions constitutionnelles et organiques régissant les lois de financement de la sécurité sociale ne prévoient aucun dispositif équivalent à celui institué par l’article 47 de la Constitution et qu’il résulte des articles LO 111-3-9 et LO 111 9 2 du code de la sécurité sociale qu’une disposition autorisant ces organismes à recourir à des ressources non permanentes ne saurait être adoptée dans le cadre d’une loi ordinaire. Enfin, le Conseil d’État estime que les circonstances décrites au point 1 sont également susceptibles de faire obstacle à la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 avant le 1er janvier 2025. Par suite, il considère que la loi spéciale peut comporter une disposition permettant aux organismes concernés de recourir à des ressources non permanentes et ce, conformément à sa finalité qui est de permettre de garantir la continuité de la vie nationale, sans méconnaître ni les dispositions de l’article 47 de la Constitution, ni celles de l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances. 

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’État (Commission permanente) dans sa séance du lundi 9 décembre 2024.