Avis portant sur la mise en conformité des dispositions du code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie

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Le Conseil d’Etat a été saisi par le Premier ministre de la demande d’avis suivante portant sur la mise en conformité des dispositions du code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie :

La Cour de cassation, par plusieurs décisions en date du 13 septembre 2023, a mis en exergue la non-conformité du droit français avec le droit européen en matière de congés payés. Cette non-conformité est apparue à la suite de plusieurs décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La Cour de cassation a fait prévaloir le droit de l’Union européenne sur les dispositions contraires du droit national en s’appuyant sur la jurisprudence de la CJUE qui a retenu que le droit de tout travailleur à une période annuelle de congés, consacré par l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne constituait un principe essentiel du droit de l’Union. 

En application du droit de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de cassation, les salariés doivent acquérir des congés en arrêt maladie, quelle que soit l’origine de la maladie (professionnelle ou non). Par ailleurs, la jurisprudence considère que le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où l’employeur a mis le salarié en mesure de prendre ses congés payés. 

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité a jugé dans sa décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024 que les dispositions prévues actuellement au 5° de l’article L. 3141-5 du code du travail étaient conformes à la Constitution. Il a en effet estimé que ces dispositions, qui permettent d’assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d’absence du salarié pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d’une telle assimilation aux périodes d’absence pour cause de maladie non-professionnelle et en limitant cette assimilation à une durée ininterrompue d’un an, ne portent pas atteinte au droit au repos. Elles ne portent pas non plus atteinte au principe d’égalité car les salariés en arrêt pour motif professionnel sont dans une situation différente des salariés en arrêt pour motif non-professionnel et car cette différence est en rapport avec l’objet de la loi qui était de compenser une perte de droit résultat de l’exécution du contrat de travail lui-même.

Dans ce cadre, le Gouvernement souhaite proposer un amendement permettant de rendre le droit du travail français conforme avec le droit de l’Union européenne dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, qui doit être examiné en première lecture à l’Assemblée nationale au cours du mois de mars 2024 après avoir été adopté par le Sénat en décembre 2023. 

Le Gouvernement souhaite recueillir l’avis du Conseil d’Etat sur le projet d’amendement ainsi que sur les questions suivantes : 

1° Existe-t-il des obstacles constitutionnels ou conventionnels qui empêcheraient de prévoir que les salariés en arrêt maladie d’origine non-professionnelle acquièrent des congés dans la limite de quatre semaines et qui imposeraient donc que ces derniers acquièrent cinq semaines de congés payés ?

2° S’il est admis qu’il est possible de prévoir que les salariés en arrêt maladie d’origine non-professionnelle acquièrent des congés dans la limite de quatre semaines, est-il possible de considérer pour le passé que le droit à congés payés acquis pendant les congés de maladie non professionnelle n’a jamais excédé quatre semaines et de fixer cette interprétation dans la loi ? 

3° Serait-il possible de prévoir un délai de report des congés inférieur à quinze mois au regard du droit de l’Union européenne ? 

4° Quel doit être le point de départ du délai de report des congés acquis au titre de l’arrêt maladie ? 

5° Est-il possible de prévoir deux délais de report différents selon que les congés ont été acquis avant l’arrêt maladie ou au titre de l’arrêt maladie ? 

6° Au regard de la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d'un temps de repos, serait-il possible d’appliquer de manière rétroactive aux situations passées la durée maximale de report des congés ? 

7° Une loi de validation qui viserait à éteindre les contentieux des salariés demandant l’indemnisation au titre des congés qui auraient dû être générés dans leurs arrêts maladie passés présente-elle des risques constitutionnels et conventionnels ?  

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ouvert à la signature à New York le 19 décembre 1966 ;

Vu la charte sociale européenne révisée, signée à Strasbourg le 3 mai 1996 ;

Vu le traité sur l’Union européenne ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Vu la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

Vu la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ;

Vu la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

EST D’AVIS DE REPONDRE DANS LE SENS DES OBSERVATIONS QUI SUIVENT :

1.    En application de l’article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur, sans que la durée totale du congé exigible ne puisse excéder trente jours.
2.    Pour l’application de cette disposition, l’article L. 3141-5 du même code assimile à des périodes de travail effectif certaines périodes, en particulier, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, les périodes pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle. En revanche, les périodes au cours desquelles le contrat de travail d’un salarié est suspendu en raison d’une maladie ou d’un accident non professionnels ne sont pas prises en compte pour la détermination de ses droits à congés annuels.
3.    Cette absence de prise en compte, pour la détermination des droits à congés, des périodes au cours desquelles le salarié a bénéficié d’un arrêt de maladie d’origine non professionnelle s’est toutefois heurtée à des dispositions plus favorables, issues des directives 93/104/CE du 23 novembre 1993 et 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et de la portée que leur a donnée la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
4.    Aux termes du premier paragraphe de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, qui reprend les termes de l’article 7 de la directive 93/104/CE : « Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévue par les législations et/ou pratiques nationales ». Le délai de transposition de la directive 93/104/CE, auquel se réfère la directive 2003/88/CE, expirait le 25 novembre 1996, sous réserve d’une période transitoire de trois ans permettant aux Etats membres de porter de trois à quatre semaines la durée minimale de congé annuel payé. Interprétant ces dispositions, la Cour de justice de l’Union européenne a, d’une part, précisé que ce droit à quatre semaines de congé annuel payé ne pouvait pas faire l’objet d’exception, une législation nationale ne pouvant avoir pour effet d’en restreindre la portée (26 juin 2001, BECTU, C 173/99). Elle a jugé, d’autre part, par deux arrêts du 10 février 2009, Schultz-Hoff e.a. (C-50/06 et C 520/06) et du 24 janvier 2012, Dominguez (C-282/10), qu’étaient contraires au droit de l’Union européenne des dispositions nationales pouvant aboutir, en conséquence d’une interruption de travail à raison d’un congé de maladie de quelque nature que ce soit, à priver un travailleur de son droit à un congé annuel payé d’au moins quatre semaines prévu à l’article 7 de la directive 2003/88/CE. Ces arrêts établissaient ainsi l’incompatibilité du droit français avec les objectifs de cette directive, dans la mesure où, sauf accord d’entreprise ou convention de branche plus favorable, un salarié en arrêt de maladie pour une cause non-professionnelle pendant plus de quinze semaines et deux jours au cours de la période annuelle d’acquisition des droits, acquiert, par application des articles L. 3141-3, L. 3141-6 et L. 3141-7 du code du travail, moins de quatre semaines (ou vingt-quatre jours ouvrables) de congés payés.
5.    Le caractère précis et inconditionnel des dispositions de l’article 7 de la directive du 4 novembre 2003 leur conférait un effet direct de nature à permettre leur invocation par un agent public (voir, pour une autre conséquence de l’application de l’article 7, l’avis contentieux du 26 avril 2017, Ministre de l’intérieur c/ M. A, n° 406009, Rec. p. 138). En revanche, en l’absence d’effet direct « horizontal », la Cour de cassation avait relevé que ces seules dispositions ne pouvaient permettre d’écarter, dans un litige entre des particuliers, les effets des dispositions contraires du code du travail (Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-22.285, Bull. civ. V, n° 73).
6.    L’entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 a toutefois conféré, à compter de cette date, la même valeur que les Traités à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont l’article 31, paragraphe 2, dispose : « Tout travailleur a droit (…) à une période annuelle de congés payés ».
7.    Par des arrêts du 6 décembre 2018 (Bauer et autres, C-596/16 et C-570/16; Max Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C-684/16), la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu l’applicabilité directe de ces dispositions, en fixant leur portée à la lumière des dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, qui « reflète et concrétise le droit fondamental à une période annuelle de congés payés, consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte » (8 septembre 2020, Commission et Conseil c. Carreras Sequeros, C-119/19). Faisant ainsi évoluer sa jurisprudence, elle a jugé qu’en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale, saisie d’un litige entre particuliers, devait laisser cette réglementation nationale inappliquée et veiller à ce que le travailleur puisse se voir octroyer, à la charge de son employeur, le bénéfice des droits à congé annuel payé acquis en vertu de ces mêmes dispositions. 
8.    Le Conseil d’Etat constate que l’état du droit applicable aux conditions d’acquisition de droits à congés annuels pendant les périodes de suspension du contrat à raison d’un arrêt de travail justifié par une maladie non professionnelle, a connu deux étapes successives depuis le 25 novembre 1996, date de première échéance du délai de transposition de la directive 93/104/CE :
•    Du 25 novembre 1996 au 30 novembre 2009, l’obligation de transposer la garantie de disposer d’au moins quatre semaines de congés payés annuels, même en cas d’absence pour maladie, s’imposait à l’Etat. Mais seuls les travailleurs employés par des personnes ayant la qualité d’autorité publique au sens du droit de l’Union européenne étaient susceptibles d’invoquer directement le bénéfice de cette garantie dans leurs relations avec leur employeur. Pour les relations de travail entre particuliers, seule était susceptible d’être engagée la responsabilité de l’Etat à raison du préjudice pouvant résulter du défaut de transposition ;
•    Depuis le 1er décembre 2009, tous les travailleurs sont susceptibles d’invoquer, directement à l’égard de leur employeur, un droit à congés payés d’au moins quatre semaines par an, sans que puisse y faire obstacle la circonstance qu’ils ont été, pour quelque motif que ce soit, absents pour maladie au cours de l’année d’acquisition des droits à congés.

Sur la première question relative à l’existence d’un obstacle constitutionnel ou conventionnel à la possibilité de limiter à quatre semaines les congés acquis au cours d’un congé pour une maladie non-professionnelle :

9.    Dans un arrêt du 13 septembre 2023 statuant sur les pourvois nos 22-17.340 à 22 17.342, la Cour de cassation (chambre sociale) a écarté, aux fins d’assurer le respect du droit de l’Union européenne, « l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail en tant qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non-professionnelle ». Cette décision a pour effet d’aboutir à un décompte, pour le salarié en question, de droits à congés à hauteur de deux jours et demi ouvrables par mois résultant de l’application de l’article L. 3141-3 du code du travail une fois écartée la condition de travail effectif, même en période d’arrêt de maladie non professionnelle. La conséquence en est qu’un salarié peut alors, par l’effet des droits acquis pendant une période de congés de maladie non-professionnelle, acquérir jusqu’à cinq semaines de congés par an.
Pour répondre à la première question du Gouvernement relative à la faculté de limiter à quatre semaines la durée des congés susceptibles d’être acquis au titre d’une période de congés de maladie non-professionnelle, il convient d’apprécier la constitutionnalité et la conventionnalité d’une telle limite au regard, d’une part, du droit à congé annuel et de sa durée minimale et, d’autre part, des principes d’égalité ou de non-discrimination qui peuvent s’imposer entre les salariés absents en raison d’un arrêt pour une maladie non-professionnelle et les salariés qui sont, soit en situation de travail effectif, soit absents en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, lesquels ont droit à trente jours ouvrables (cinq semaines) de congés annuels.

S’agissant des exigences relatives à la durée minimale d’un congé annuel :

Sur les exigences de droit interne quant à la durée minimale d’un tel congé :

10.    Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 3141-5 du code du travail qui ne prévoit l’acquisition de droit à congés pendant une période de maladie que pour les absences liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle, à l’exclusion des maladies à caractère non-professionnel, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, en écartant les griefs tirés de la méconnaissance, vis-à-vis des salariés en arrêt de maladie non-professionnelle, du droit au repos garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024). 
11.    Le Conseil d’Etat estime que le même principe constitutionnel n’impose dès lors au législateur aucune durée minimale de droits à congés, s’il entend prévoir que des périodes de maladie non-professionnelle permettent d’en acquérir.

Sur les exigences du droit de l’Union européenne quant à la durée minimale du congé :

12.    La Cour de justice de l’Union européenne a, dans l’arrêt TSN (19 novembre 2019, C-609/17 et C-610/17), jugé que les Etats membres qui accordent aux travailleurs des droits à des jours de congé annuel payé excédant la période minimale de quatre semaines prévue à l’article 7 de la directive 2003/88/CE ne « procèdent pas à une mise en œuvre de cette directive, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union ». Il s’ensuit que le droit de l’Union européenne, ne peut être interprété comme imposant des droits à congés payés annuels de plus de quatre semaines. 

Sur les autres exigences conventionnelles relative à la durée minimale du congé :

13.    Le Conseil d’Etat rappelle que la convention n° 132 de l’OIT du 24 juin 1970, concernant les congés annuels payés, qui ne protège l’acquisition de tels congés que dans la limite de trois semaines, n’a, en tout état de cause, pas été ratifiée par la France. Il constate que le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1996 ne fixe pas de durée minimale de congés annuels payés et que les stipulations de l’article 2 de la Charte sociale européenne révisée garantissent également un droit à congé annuel payé de quatre semaines. Il en résulte qu’aucune règle de droit européen ou international ne reconnaît un droit à un congé annuel supérieur à quatre semaines.

S’agissant de la différence introduite entre le salarié absent en raison d’une maladie non-professionnelle et les autres salariés :

Sur les principes constitutionnels :

14.    Par sa décision déjà mentionnée n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article L. 3141-5 du code du travail, en ce que les seules périodes de congés qu’elles assimilent à des périodes de travail effectif sont les absences pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, ne méconnaissent pas le principe d’égalité par la différence de traitement qu’elles introduisent, pour l’acquisition des droits à congé annuel payé, selon le motif de suspension du contrat de travail.
15.    Le Conseil d’Etat considère qu’il se déduit de cette décision que la différence de traitement, plus circonscrite, qui résulte du projet d’amendement envisagé par le Gouvernement ne méconnaît pas le principe constitutionnel d’égalité, ni pour celle qu’il introduit avec les salariés en activité professionnelle, ni pour celle qu’il introduit avec les salariés absents en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Sur les exigences du droit de l’Union européenne :

16.    En premier lieu, ainsi que le juge également la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Dominguez déjà cité au point 4, l’article 7 de la directive 2003/88/CE ne fait pas obstacle « à une disposition nationale prévoyant, selon l’origine de l’absence du travailleur en congé de maladie, une durée de congé payé annuel supérieure ou égale à la période minimale de quatre semaines garantie par cette directive ». 
17.    Plus généralement, en ce qui concerne l’interdiction des discriminations garantie par le droit de l’Union européenne, le Conseil d’Etat relève qu’il résulte des termes de l’article 1er de la directive 2000/78/CE du Conseil du 17 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail que ce cadre général, qu’elle introduit, ne vise que les discriminations fondées sur la religion ou les convictions, l’âge, l’orientation sexuelle ou le handicap. Ces dispositions n’ont donc pas pour objet de prohiber, s’agissant de la détermination des droits à congé annuel payé, les différences de traitement à raison de l’état de santé du travailleur. 
18.    Par ailleurs, si l’article 21, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux est directement invocable dans les relations entre particuliers (CJUE, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, C-176/12 ; CJUE, 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16), il ne saurait avoir pour effet d’étendre le champ d’application du droit de l’Union européenne en matière de discrimination en matière d’emploi et de travail, tel que défini par la directive 2000/78/CE et ne mentionne d’ailleurs, même si c’est à titre indicatif, que les seules discriminations prohibées par la directive 2000/78/CE. 
19.    Le Conseil d’Etat note ainsi que les dispositions envisagées par le Gouvernement ne sont, en tout état de cause, pas susceptibles d’entrer dans le champ des discriminations interdites par le droit de l’Union européenne. 
20.    Le Conseil d’Etat estime ainsi qu’il résulte des points 10 à 19 que le législateur n’est pas tenu, pour assurer la conformité de la loi française à la Constitution et au droit de l’Union européenne, de conférer aux périodes d’absence pour maladie le même effet d’acquisition de droits à congés que les périodes de travail effectif ou les périodes de suspension du contrat de travail liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Seule s’impose à lui l’obligation de garantir que les dispositions relatives aux absences en raison d’une maladie non-professionnelle n’ont pas, faute de permettre l’acquisition de droits à congés, pour conséquence de priver un salarié d’au moins quatre semaines de congés annuels.
21.    Le Conseil d’Etat observe que le projet d’amendement envisagé par le Gouvernement, qui prévoit l’acquisition de deux jours ouvrables de congés par mois pendant les périodes au cours desquelles le contrat de travail est suspendu à raison d’une maladie non professionnelle, répond à l’exigence rappelée au point précédent et peut même permettre au salarié dans certains cas, par exemple lorsqu’il est absent pour une période de congé de maladie plus courte que celle envisagée au point 4, d’acquérir des congés allant au-delà des vingt-quatre jours requis par le droit de l’Union européenne. 
22.    Mais, ainsi que le juge de manière constante la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt TSN, précité), la directive 2003/88/CE ne s’oppose pas à des dispositions nationales accordant un droit à congé annuel payé d’une durée supérieure aux quatre semaines prévues à l’article 7 de cette directive. Il est donc loisible au législateur d’instaurer un mécanisme conduisant à l’acquisition de tels droits au-delà de quatre semaines. 

Sur la deuxième question relative à la possibilité d’appliquer aux situations passées la limite de quatre semaines de congés par une disposition législative d’effet rétroactif :

23.    Le Conseil d’Etat rappelle qu’en vertu du principe de primauté du droit de l’Union européenne, les Etats membres sont tenus, à l’issue du délai de transposition d’une directive, de mettre leur droit national en conformité avec les objectifs de celle-ci. Il en résulte, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, que les mesures de transposition doivent, en principe, être applicables dès l’échéance du délai de transposition (CJCE, 16 décembre 1960, Humblet c/ Belgique, 6/60 ; CJCE, 12 juillet 1973, Commission c/ Allemagne, 70/72 ; CJCE, 15 juillet 2004, Gerekens, C-459/02). A défaut, l’Etat engage sa responsabilité du fait de ce retard (CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci, C-6/90 et C-9/90). En revanche, en cas de retard de transposition, les dispositions d’adaptation du droit national n’ont pas de ce seul fait, sauf à vouloir prévenir l’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait des dommages résultant de ce retard, à être rétroactives.
24.    En l’espèce, le délai de transposition accordé aux Etats membres par la directive 93/104/CE, auquel se réfère la directive 2003/88/CE, expirait dans les conditions mentionnées au point 4.
25.    Toutefois, comme cela a été indiqué au point 8, le Conseil d’Etat estime que la faculté, depuis le 1er décembre 2009, d’invoquer directement entre particuliers la règle imposant une période de congé payé annuel d’une durée de quatre semaines, prévue par l’article 7 de la directive 2003/88/CE, impose de considérer deux périodes distinctes, dont il convient de tenir compte pour apprécier le bien-fondé de la rétroactivité envisagée par le Gouvernement.
26.    Ainsi, en tant qu’elles couvriraient la période du 25 novembre 1996 au 30 novembre 2009, les dispositions du projet d’amendement du Gouvernement s’analysent comme une transposition d’effet rétroactif des directives 93/104/CE et 2003/88/CE.
Il n’en va pas de même, en revanche, s’agissant de l’entrée en vigueur de ces mêmes dispositions à compter du 1er décembre 2009 puisque, depuis cette date tout travailleur ayant connu des absences en raison d’une maladie non-professionnelle pendant l’année d’acquisition de ses droits à congés peut invoquer le bénéfice d’au moins quatre semaines de congés annuels payés auprès de son employeur, quel que soit le statut de ce dernier, en se fondant directement, devant les juridictions nationales, sur le droit de l’Union européenne. 
27.    Toute disposition d’effet rétroactif relative à l’acquisition de droits à congés pendant une période de maladie qui serait moins favorable aux salariés que ce que prévoit le droit de l’Union européenne méconnaîtrait, en tant qu’elle s’appliquerait à compter du 25 novembre 1996, l’interdiction d’adopter des dispositions contraires aux objectifs d’une directive et, à compter du 1er décembre 2009, les stipulations d’effet direct de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
28.    En sens contraire, toute disposition d’effet rétroactif relative à l’acquisition de droits à congés pendant une période de maladie qui serait plus favorable aux salariés que ce que requiert le droit de l’Union européenne, introduirait, en défaveur de l’employeur, une modification rétroactive de la règle de droit qui était directement applicable à la relation de travail depuis le 1er décembre 2009 et porterait atteinte aux droits de ce dernier. 
29.    S’agissant de cette dernière hypothèse, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la garantie des droits de l'article 16 de la Déclaration de 1789 que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c'est à la condition que cette modification respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général (décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, cons. 3 ; décision n° 2022 843 DC du 12 août 2022, paragr. 45 à 48).
30.    Or, en l’absence d’invocation d’un motif impérieux d’intérêt général pouvant le justifier, il n’est pas possible, pour le passé, d’introduire rétroactivement, en défaveur des employeurs, des dispositions plus favorables aux salariés que celles expressément requises par le droit de l’Union européenne qui étaient, ainsi qu’il a été dit au point 8, déjà directement applicables à la relation de travail. En particulier, l’introduction de telles dispositions ne relèverait pas de l’exigence constitutionnelle de transposition des directives.
31.    Il estime que, dès lors, le législateur ne peut, sur la période débutant le 1er décembre 2009, s’écarter des dispositions qui étaient déjà, sur la même période, applicables en raison de l’effet direct du droit de l’Union européenne. Prévoir des dispositions plus favorables aux droits à congés des travailleurs méconnaîtrait, à l’égard des employeurs, ainsi qu’il est dit aux points 28 à 30, la garantie des droits de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Prévoir, à l’inverse, des dispositions moins favorables méconnaîtrait directement, ainsi qu’il est dit aux points 26 et 27, des dispositions du droit de l’Union européenne déjà directement applicables et invocables dans les relations entre particuliers. La disposition « rétroactive » envisagée par le Gouvernement ne peut donc avoir d’effet normatif. 
32.    En conséquence, le Conseil d’Etat considère que le dispositif de calcul des droits à congés acquis au cours d’une période d’absence pour maladie non-professionnelle, tel que l’envisage le Gouvernement, ne peut, sauf à méconnaître la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789, être appliqué pour le passé sans que ses effets mentionnés au point 21 ne soient encadrés, aux fins de ne pas excéder, s’agissant des droits à congés déjà acquis à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ce que requiert le droit de l’Union européenne.
33.    A cette fin, le Conseil d’Etat propose de compléter le dispositif envisagé par le Gouvernement pour que le calcul des droits à congés non définitivement acquis, c’est-à-dire, ainsi que le juge la Cour de cassation (Soc., 26 juin 1986, pourvoi n° 83-46.049, Bull. civ. V, n° 344 ; Soc., 26 octobre 1988, pourvoi n° 86-40.718, Bull. civ. V, n° 553), des droits qui peuvent résulter d’absences pour maladies non-professionnelles survenues lors de périodes de référence déjà expirées à la date d’entrée en vigueur de la loi, soit, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, assorti d’un mécanisme tel que le salarié ne se voie reconnaître, au titre de ces absences, que le nombre de jours de congés supplémentaires lui permettant, s’il n’a pas déjà atteint au moins vingt-quatre jours de congé annuel payé au titre de périodes de travail effectif, ou de périodes que la loi y assimilait déjà, d’atteindre ce nombre, sans pouvoir le dépasser.
34.    Enfin, s’agissant de la période antérieure au 1er décembre 2009, le Conseil d’Etat considère qu’une entrée en vigueur rétroactive des nouvelles dispositions ne s’impose pas, ainsi qu’il a été dit au point 26, tant au regard du droit interne que du droit de l’Union européenne. 

Sur les troisième à sixième questions relatives au report des congés acquis avant ou pendant un arrêt de maladie :

35.    Pour assurer la pleine effectivité des droits résultant de l’article 7 de la directive 2003/88/CE, la Cour de justice de l’Union européenne a développé une abondante jurisprudence relative à « l’exercice effectif » de son droit à congé par le salarié, lorsque, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, ce congé n’a pu être pris, ni au cours de la « période de référence » correspondant à la période d’acquisition des droits et de leur utilisation normale, ni, lorsque la législation nationale le prévoit, lors d’une « période de report » débutant à l’issue de la période de référence.
36.    La Cour de justice de l’Union européenne juge qu’une législation nationale ne peut prévoir l’extinction automatique des droits à congé annuel acquis par le salarié, à l’issue de la période de référence ou de la période de report, si l’intéressé n’a pas été en mesure de les utiliser (arrêt Schultz-Hoff, cité au point 4 ; 29 novembre 2017, King, C-214/16 ; 6 novembre 2018, Kreuziger, C-619/16). L’expiration de la durée de la période de référence ou, si elle existe, de la période de report, ne peut pas conduire à l’extinction de tout ou partie des droits acquis par le salarié si, en raison de son absence pour maladie au moment où cette période expire, il n’est pas en mesure d’utiliser les droits dont il dispose (CJCE, 10 septembre 2009, Vicente Pereda, C-277/08).
37.    Ainsi, s’agissant de droits acquis antérieurement à une absence pour cause de maladie, le principe selon lequel le travailleur doit avoir été en mesure d’exercer effectivement son droit à congé, fait obstacle à ce que ces droits puissent s’éteindre définitivement pendant cette période d’absence (CJUE, 22 septembre 2022, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, C-518/20 et C-727/20). Une période de report d’exercice de ces droits à congés non utilisés doit être prévue, dans des conditions garantissant que l’employeur met le salarié « en mesure d’exercer de manière effective son droit à congé ». 
38.    Il en résulte, en premier lieu, que la période de report ne débute qu’à la reprise effective du travail. En deuxième lieu, l’employeur doit, au moment de ce retour, informer le salarié de ses droits et notamment du nouveau délai de report dans lequel il pourra les exercer. Enfin, ce délai de report doit être d’une durée suffisante pour permettre au salarié d’échelonner et de planifier l’ensemble de ses congés, lesquels comportent aussi ceux correspondant aux droits qui sont nés pendant son absence pour maladie.
39.    Ces trois règles sont également applicables aux congés acquis au cours de l’absence du salarié en raison d’une maladie. Toutefois, la Cour de justice de l’Union européenne leur a apporté une exception limitée dans la « situation spécifique » d’un salarié absent pour maladie pendant une très longue durée, correspondant à plusieurs périodes de référence consécutives. Afin d’éviter qu’une telle circonstance ne permette l’acquisition de droits à congé s’additionnant de manière illimitée et ne répondant plus aux finalités du congé annuel, elle admet que les droits acquis lors d’une absence pour maladie et dont la période de report expire alors que le salarié est encore absent à raison de cette maladie, soient définitivement perdus pour ce dernier, alors même qu’il n’a pas été en mesure de les exercer et que son employeur n’a pu lui fournir, en raison de la suspension de son contrat de travail, aucune information. Cette exception n’est toutefois admise par la Cour de justice qu’à la condition que la période de report, calculée à partir de la fin de la période de référence, soit « substantiellement » plus importante que celle-ci (CJUE, 22 novembre 2011, KHS, C 214/10 ; 9 novembre 2023, Keolis Agen, C-271/22 à C-275/11). Pour l’application de cette jurisprudence, la Cour de justice a reconnu que le droit de l’Union européenne ne s’oppose pas, s’agissant d’une période de référence d’un an, à ce que cette durée soit fixée à quinze mois (arrêt KHS, précité).
40.    En raison du lien entre le report, soit de congés acquis lors d’une période de maladie, soit de congés qui n’ont pu être pris à raison d’une période de maladie, et l’acquisition de droits à congés lors d’une maladie, le Gouvernement entend régir par la loi deux situations particulières :
•    Premièrement, celle du report des droits à congés qui n’ont pu être utilisés partiellement ou intégralement pendant la période de prise des congés prévue à l’article L. 3141-13 du code du travail, en raison de ce que cette période a expiré pendant un arrêt de maladie, celui-ci étant en outre, désormais, générateur de droits à congés.
Sur ce premier point, le Gouvernement envisage d’ouvrir un droit à une période de report de quinze mois, débutant à la reprise du travail, sous réserve que l’employeur ait informé le salarié de ses droits.
•    Deuxièmement, celle des droits à congés qui naissent pendant de très longs arrêts de maladie, s’étageant sur plusieurs périodes consécutives d’acquisition des droits.
Sur ce second point, le Gouvernement envisage un délai de report des droits acquis pendant une absence pour maladie qui débute, non pas à la reprise du travail, mais à la fin de la période d’acquisition des droits. Les droits à congés expireraient définitivement au terme de ce délai, également fixé à quinze mois, même si le salarié est encore absent en raison de sa maladie et que l’employeur n’a pu, en raison de la suspension du contrat de travail, l’informer de ses droits.
41.    Le Gouvernement interroge également le Conseil d’Etat sur les conditions dans lesquelles ces principes pourraient s’appliquer pour les droits à congés qui seraient nés à raison d’absences pour maladie lors de périodes de référence antérieures à l’entrée en vigueur du nouveau texte.

Sur la troisième question relative à la possibilité de prévoir une période d’une durée inférieure à quinze mois de report des congés annuels payés acquis au cours d’un arrêt maladie :

42.    Au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne mentionnée au point 39 requérant une durée de report « substantiellement » supérieure à celle de la période de référence pour l’acquisition des droits à congé annuel payé, le Conseil d’Etat estime qu’il n’est pas possible de fixer, au regard de la durée d’un an retenue par le droit national pour la période d’acquisition des congés, une durée de la période de report des congés acquis au cours d’un arrêt maladie qui soit inférieure à quinze mois.
43.    Il rappelle que cette durée de quinze mois a déjà servi de référence pour la fixation de la durée de la période de report des congés non pris par les agents publics, en l’absence de disposition législative ou réglementaire applicable (avis de la section du contentieux du Conseil d’Etat, Ministre de l’intérieur c/ M. A, cité au point 5). 

Sur les quatrième et cinquième questions relatives au point de départ du délai de report des congés annuels payés acquis avant l’arrêt maladie et au titre de celui-ci :

44.    Le Conseil d’Etat estime qu’il résulte du cadre jurisprudentiel rappelé aux points 37 et 38 que, s’agissant de droits à congé acquis antérieurement à la suspension du contrat de travail pour maladie et dont la période d’exécution expire à un moment où le salarié est encore en arrêt de maladie, le début de la période de report doit être postérieur à la date de la reprise du travail, ainsi qu’à celle à laquelle l’employeur aura, après son retour, informé le salarié des droits à congés dont il dispose et du délai dans lequel ces congés doivent être pris.
45.    S’agissant des droits à congé acquis au cours d’une période d’absence en raison d’une maladie, il considère que la période de report peut, en application de l’exception jurisprudentielle rappelée au point 39 et par dérogation à la règle indiquée au point précédent, débuter à la fin de la période d’acquisition des droits, si le salarié n’est pas encore revenu dans l’entreprise. La durée prévue par le Gouvernement (quinze mois) étant substantiellement supérieure à la période de référence, son expiration éteindrait ainsi les droits acquis et non utilisés. Le Conseil d’Etat estime en effet que la jurisprudence précitée admet en particulier que cette extinction ait lieu même si l’employeur n’a, en raison de la suspension du contrat de travail, jamais pu fournir d’information sur les droits à congés qui étaient acquis.
46.    Il considère toutefois qu’il en va autrement si l’employeur est en mesure de fournir cette information avant que les droits n’arrivent à extinction, c’est-à-dire si le salarié revient dans l’entreprise, certes postérieurement à la fin de la période de référence, mais avant l’expiration de la période de report de quinze mois. Dans ce cas, le point de départ de la fraction restante de cette période de report devrait être la date à laquelle l’employeur a délivré l’information qui lui incombe.

Sur la sixième question relative à la possibilité d’appliquer de manière rétroactive une période maximale de report des congés annuels payés ainsi acquis :

47.    La question porte sur la manière dont devront être calculés, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, les droits à congés acquis par les salariés au titre de périodes d’absence en raison d’une maladie non-professionnelle antérieures à cette entrée en vigueur. Ainsi qu’il a été dit au point 33, il s’agit des droits résultant d’absences pour maladies non-professionnelles survenues lors de périodes de référence déjà expirées à la date d’entrée en vigueur de la loi.
48.    Le Conseil d’Etat estime qu’aucune règle de droit de l’Union européenne ne fait obstacle à ce que les durées maximales de report des congés annuels payés soient calculées de la même manière pour les droits acquis avant et après l’entrée en vigueur de la loi. En revanche, ainsi qu’il a été dit aux points 37 et 38, le point de départ d’une période de report de congés n’ayant pu être pris à raison d’un arrêt de maladie ne peut en principe être antérieur à l’information donnée, par l’employeur, sur l’étendue de ces droits à congés et la durée au cours de laquelle ils peuvent être exercés.
49.    Il peut toutefois en aller autrement, ainsi qu’il a été dit au point 39, pour les droits à congés acquis au titre d’une absence en raison d’un congé de maladie, pour lesquels, afin d’éviter les accumulations illimitées lorsque la maladie s’étend sur plusieurs périodes de référence, la loi peut prévoir que leur période de report débute, sous réserve que le salarié soit encore en arrêt de maladie à ce moment-là, au terme de la période de référence. Le Conseil d’Etat estime que cette règle, ainsi que la règle selon laquelle le droit à congés acquis au cours de cette période de référence s’éteint si le salarié est toujours absent à la fin du délai de report, peuvent trouver à s’appliquer pour les droits à congés nés au cours de périodes antérieures à l’entrée en vigueur de la loi.
50.    Sans pouvoir préjuger de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sur des cas qui ne se sont pas encore présentés à elle, le Conseil d’Etat estime que l’application des principes qui ont présidé à son arrêt KHS de 2011 (cité au point 39, principes repris par les arrêts cités au même point et aux points 36 et 37 King, Fraport et St. Vincenz-Krankenhaus, et Keolis Agen) pourrait permettre d’admettre comme ne méconnaissant pas le droit de l’Union européenne des dispositions répondant à d’autres « circonstances spécifiques » que celles correspondant à l’arrêt KHS, alors même qu’elles auraient été suscitées par le très long dépassement du délai de transposition des directives 93/104/CE et 2003/88/CE. Il pourrait en aller ainsi de situations de cumul de droits sur une durée très longue, ou de report de droits depuis une période très ancienne, dont l’exécution sous forme de jours de congé n’obéirait plus aux finalités du droit à une prise effective du congé payé consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Sur d’autres éléments à prendre en compte dans la reconnaissance des droits à congés nés lors d’une absence pour de maladie avant l’entrée en vigueur de la loi :

51.    Le Conseil d’Etat rappelle que les dispositions de l’article L. 3245 1 du code du travail, qui s’appliquent aux actions en paiement d’indemnité compensatrice de congés payés (Soc., 4 décembre 1996, pourvoi n° 93-46.418, Bull. civ. V, n° 416 ; Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-17.409, Bull. civ. V, n° 271), disposent que celles-ci se prescrivent par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. L’action en paiement peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
52.    Par suite, dans le cas où le salarié n’est plus lié à son employeur, à raison d’un départ volontaire, d’un licenciement ou d’un départ à la retraite, la prescription triennale prévue à l’article L. 3245-1 du code du travail est susceptible d’être soulevée, faisant obstacle aux actions des salariés ayant quitté leur employeur depuis plus de trois ans. Ces dispositions sont ainsi de nature à faire obstacle aux actions, en cours ou à venir, engagées par des salariés ou des agents de droit public ayant quitté leur employeur plus de trois ans avant de saisir le juge de la relation de travail.
53.    Par ailleurs, le Conseil d’Etat estime que, s’agissant des salariés qui sont encore liés à leur employeur au moment de leur demande et qui, par suite, ne sont susceptibles de voir leurs droits à congés se traduire que par la prise de ces congés, à l’exclusion de toute indemnité, la loi pourrait, à titre transitoire, faire obstacle à ce qu’en cas d’absence d’information du salarié par son employeur sur l’étendue de ses droits, le point de départ du délai de report des congés antérieurement acquis soit indéfiniment repoussé.
54.    Le Conseil d’Etat observe en effet que la Cour de justice de l’Union européenne admet, compte tenu du motif impérieux d’intérêt général de maintien des droits acquis, qu’un Etat membre puisse, dans le cadre de l’adaptation, y compris pour le passé, de sa législation nationale aux règles issues du droit de l’Union européenne, prévoir des dispositions transitoires qui limitent, par un délai de prescription ou de forclusion, la possibilité d’intenter une action sur ce fondement, sous réserve que ce délai ne soit pas moins favorable que celui concernant des recours similaires de nature interne en droit du travail et que la fixation du point de départ à partir duquel ce délai commence à courir ne rende pas impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits ainsi conférés par le droit de l’Union européenne (CJCE, 24 septembre 2002, Grundig Italiana, C-255/00 ; CJCE, 12 février 2008, Kempter, C 2/06 ; CJUE, 8 juillet 2010, Bulicke, C-246/09).
55.    Par suite, il estime possible de prévoir que l’action du salarié qui est encore dans l’entreprise et qui demande le droit de prendre des congés au titre des dispositions introduites dans le droit national par la loi de transposition, soit soumise à un délai de forclusion de deux années à compter de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives, applicable même en l’absence de démarche d’information de l’employeur. Un tel délai de deux ans paraît suffisant au regard des exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 (Conseil constitutionnel, décision n° 2017-685 QPC du 12 janvier 2018, point 18). Il respecte par ailleurs le principe d’équivalence du droit de l’Union européenne puisqu’il s’agit du même délai que celui de la prescription prévue par l’article L. 1471-1 du code du travail pour les actions portant sur l’exécution du contrat de travail.

Sur la septième question relative au recours à une loi de validation :

56.    Le Conseil d’Etat constate qu’une loi de validation ayant pour objet de faire obstacle à l’application de la jurisprudence récente de la Cour de cassation porterait nécessairement sur des droits acquis pendant la période postérieure au 1er décembre 2009, qui est celle à laquelle cette jurisprudence s’applique.
57.    Au demeurant, une loi de validation portant sur la période antérieure, c’est-à-dire du 25 novembre 1996 au 30 novembre 2009, au cours de laquelle seules les responsabilités de l’Etat, pour défaut de transposition, ou des employeurs publics, au titre de l’effet direct vertical des deux directives, sont susceptibles d’être engagées, se heurterait à un obstacle constitutionnel. Outre que l’ampleur de cette responsabilité pécuniaire de l’Etat et des employeurs publics est de nature à être fortement limitée par la mise en œuvre de la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968, une telle circonstance, exclusivement tirée des incidences sur le budget de l’Etat, ne peut constituer à elle seule un motif impérieux d’intérêt général.
58.    Ainsi qu’il a été dit au point 31, si une telle loi de validation venait écarter, sur tout ou partie de la période écoulée depuis le 1er décembre 2009, dans un sens défavorable aux salariés, les principes indiqués au point 20, le Conseil d’Etat considère qu’elle violerait le droit de l’Union européenne en faisant obstacle à l’application de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, telle qu’elle résulte d’arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne auxquels celle-ci n’a pas donné d’effet différé dans le temps. 
59.    En revanche, ainsi qu’il résulte de la réponse aux questions précédentes, le Conseil d’Etat estime que, sans revêtir le caractère d’une loi de validation, plusieurs dispositions législatives pourraient être envisagées qui, portant sur la période allant du 1er décembre 2009 à la date de leur entrée en vigueur, se conformeraient strictement au droit de l’Union européenne tout en limitant l’ampleur du rattrapage des droits à congés qui, nés lors d’arrêts de maladie, n’auraient pas été reconnus dans le passé.
60.    En premier lieu, ainsi qu’il a été dit aux points 32 et 33, le Conseil d’Etat note que le législateur peut, pour le passé comme pour l’avenir, mais le cas échéant seulement pour le passé, assurer une stricte application du droit de l’Union européenne en limitant à quatre semaines le total des droits à congés susceptibles d’être acquis en tenant compte des périodes d’absence pour maladie.
61.    Il précise, en deuxième lieu, ainsi qu’il a été dit au point 49, que le législateur peut prévoir l’application, pour le calcul des droits issus de périodes d’absence en raison d’une maladie s’étendant sur plusieurs périodes d’acquisition successives dans le passé, de la même règle d’extinction automatique des droits en fin de période de report que celle qui serait applicable à l’avenir.
62.    Il ajoute, en troisième lieu, que s’agissant des salariés encore liés à leur employeur, le législateur a, ainsi qu’il a été dit au point 55, la faculté d’imposer une forclusion faisant obstacle à ce que des demandes puissent être présentées sans délai à des employeurs qui n’auraient pas su, ou pas pu, procéder aux informations nécessaires sur l’étendue des droits à congés de leurs salariés.
63.    Le Conseil d’Etat suggère au Gouvernement de compléter par ces propositions le projet d’amendement envisagé.
 
Cet avis a été délibéré et adopté par l’Assemblée générale et la Commission permanente du Conseil d’Etat dans leurs séances des jeudi 7 et lundi 11 mars 2024.