Avis sur la proposition de loi portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites

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L'Assemblée nationale a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites.

CONSEIL D’ÉTAT    
Assemblée générale
Séance du jeudi 15 mars 2018
Section de l’intérieur        
N° 394422
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

1. Saisi sur le fondement du cinquième alinéa de l’article 39 de la Constitution de la proposition de loi n° 675, enregistrée le 19 février 2018 à la présidence de l’Assemblée nationale, relative à la transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, présentée par M. Raphaël Gauvain, le Conseil d’Etat, après avoir examiné le contenu de la proposition de loi, formule les observations et suggestions qui suivent.

2. Comme l’indique l’exposé des motifs, l’objet de la proposition de loi est de transposer la directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites. L’article 19 de la directive impose aux Etats membres de mettre en vigueur, au plus tard le 9 juin 2018, l’ensemble des dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour s’y conformer.

3. Pour singulière qu’elle soit, la protection reconnue au secret des affaires emprunte à celle conférée à la propriété intellectuelle ou au dispositif de réparation des dommages causés par des pratiques anticoncurrentielles. Elle est large en ce qu’elle couvre toutes informations, satisfaisant aux trois critères énoncés, ce qui inclut tant les savoir-faire que les informations technologiques ou commerciales. Elle concerne en outre aussi bien l’obtention, que l’utilisation ou la divulgation du secret des affaires. La directive définit les atteintes illicites qui doivent faire l’objet d’une réparation civile et fixe des dérogations afin d’assurer le respect des droits fondamentaux. Des garanties sont également prévues au cours de la procédure juridictionnelle introduite pour empêcher, faire cesser ou réparer une atteinte au secret des affaires afin de protéger le caractère confidentiel des informations concernées.

4. Bien que la notion de secret des affaires soit utilisée dans de nombreux textes législatifs et réglementaires et par la jurisprudence, tant judiciaire qu’administrative, dans des domaines variés, l’état actuel du droit français ne la définit pas. Par ailleurs, la protection offerte relève de l’application jurisprudentielle des règles de droit commun de la responsabilité civile ou de certaines infractions pénales qui ne permettent d’appréhender qu’imparfaitement les atteintes portées au secret des affaires. Le Conseil d’Etat constate que des dispositions législatives sont donc nécessaires pour assurer la transposition de cette directive et introduire dans le droit interne un régime juridique propre au secret des affaires.
 

Remarques générales

5. Le Conseil d’Etat observe que la transposition est très encadrée. La directive comporte, pour l’essentiel, des dispositions précises et inconditionnelles. Par ailleurs, si son article 1er permet aux Etats membres de prévoir une protection plus étendue que celle qu’elle requiert, c’est sous réserve du respect des articles 3 (obtention utilisation et divulgation licites de secrets d’affaires), 5 (dérogations), 6 (obligation générale), 7, paragraphe 1 (proportionnalité), 8 (délai de prescription), 9, paragraphe 1, deuxième alinéa (cessation du caractère confidentiel des secrets d’affaires au cours des procédures judiciaires), 9, paragraphes 3 et 4 (caractère proportionné des mesures prises au cours des procédures judiciaires et protection des données à caractère personnel), 10, paragraphe 2 (constitution de garanties), 11 et 13 (conditions d’application, mesures de sauvegarde et mesures de substitution) et 15, paragraphe 3 (caractère proportionné de la publication des décisions judiciaires).

6. En premier lieu, le Conseil d’Etat note qu’à une exception près, examinée au point 21, relative aux actions en réparation, l’auteur de la proposition de loi a fait le choix de ne pas user des rares marges de manœuvre ouvertes par la directive. Ce choix, qui relève de l’opportunité, appelle néanmoins quelques observations liminaires concernant le champ d’application de la protection reconnue.

7. La directive n’impose aux Etats membres de protéger le caractère confidentiel du secret des affaires qu’au cours des instances relatives à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret d’affaires (article 9). La proposition de loi opte pour l’harmonisation minimale requise par la directive. Il pourrait cependant être envisagé, comme l’autorise l’article 1er de la directive, d’étendre cette protection à toute procédure juridictionnelle mettant en cause le secret des affaires. Cette solution présenterait l’avantage d’harmoniser les procédures applicables devant le juge, quel que soit leur objet, ce qui va dans le sens d’une simplification et d’une plus grande lisibilité du droit ainsi que d’une protection plus effective du secret des affaires conforme aux objectifs de la directive. Le Conseil d’Etat souligne néanmoins que le dispositif prévu par la directive, qui consiste en une gradation des mesures susceptibles d’être adoptées par le juge pour protéger le secret des affaires, fait figure d’exception dans le droit positif. En effet, seules les actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles sont soumises à des mesures similaires depuis l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, qui transpose la directive n° 2014/104/UE du 26 novembre 2014. Une telle harmonisation impliquera en conséquence de faire évoluer les pratiques jurisprudentielles.

8. Le Conseil d’Etat note par ailleurs que, contrairement au choix opéré à l’occasion de précédentes initiatives parlementaires qui instauraient un délit de violation du secret des affaires, la proposition de loi s’en tient à une réparation civile, harmonisation minimale requise par la directive. Le Conseil d’Etat rappelle que, saisi en 2011 d’une demande d’avis dans le cadre d’une réflexion sur l’instauration d’un régime de protection des informations sensibles des entreprises relevant du secret des affaires, il avait souligné les obstacles juridiques auxquels se heurtaient la définition et la mise en œuvre d’une nouvelle infraction et invité le gouvernement à explorer d’autres voies «, en substitution ou en complément, en matière de responsabilité civile ou pour inciter les entreprises à renforcer les dispositifs interne de protection de leurs informations confidentielles » (Assemblée générale, 31 mars 2011, n° 384892). Il était en particulier apparu que la définition large et insuffisamment précise du secret des affaires se prêtait mal au domaine pénal compte tenu du principe d’interprétation stricte de la loi pénale et du respect du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

9. Enfin, il n’est pas davantage prévu de limiter la responsabilité des salariés envers leur employeur pour les dommages causés du fait de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation illicite d’un secret d’affaires de l’employeur, lorsqu’ils n’ont pas agi intentionnellement, comme le permet expressément l’article 14, paragraphe 1, alinéa 2, de la directive. Le Conseil d’Etat observe que cette disposition, qui semble notamment autoriser un plafonnement du montant de l’indemnisation accordée à l’employeur dans ce cas de figure, irait à l’encontre du principe de réparation intégrale du préjudice, qui découle de l’article 1240 du code civil.

10. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat relève que l’état actuel du droit français est pour partie déjà conforme à la directive. Aussi, certains de ses articles n’ont pas à faire l’objet d’une transposition expresse. Il en va ainsi des obligations à caractère général prescrites, par exemple, aux articles 6, paragraphe 2 (mesures justes et équitables, effectives et dissuasives, délais raisonnables), 7, paragraphe 1 (proportionnalité), ou 9, paragraphes 3 et 4 (respect du droit à un recours effectif, respect de la directive 95/46/CE sur la protection des données à caractère personnel). La transposition expresse de l’article 7, paragraphe 2, relatif aux abus de procédure et de l’article 8 relatif au délai de prescription ne paraît pas davantage nécessaire, le droit commun trouvant en la matière à s’appliquer. C’est donc à juste titre que la proposition de loi n’en dit mot.

11. En revanche, la proposition de loi ayant fait le choix de transposer expressément les articles 12 et 13 relatifs aux mesures prononcées par le juge au fond, il paraît plus intelligible de réserver le même sort aux articles 10 et 11 relatifs aux mesures provisoires et conservatoires, dès lors que ces deux types de mesures sont complémentaires et traités de manière similaire par la directive. La procédure contentieuse relevant du pouvoir réglementaire, l’ensemble des mesures que le juge peut prendre, que ce soit à titre provisoire ou conservatoire ou dans le cadre d’une demande au fond, pourrait être précisé par décret. Si, compte tenu de l’importance que la directive accorde à ces mesures, il était préféré de maintenir ces dispositions dans la loi, le Conseil d’Etat recommande de compléter la proposition de loi afin d’y mentionner expressément les mesures provisoires et conservatoires et, le cas échéant, de renvoyer à un décret pour les détailler.

12. En troisième lieu, la proposition de loi ne comporte pas, à ce stade, de mesures de coordination avec le droit positif. Le Conseil d’Etat souligne que la transposition de la directive implique une définition unique du secret des affaires. Il attire en conséquence l’attention sur la nécessité de procéder, dans un délai raisonnable, à un état des lieux complet afin d’assurer la cohérence de l’insertion de ce nouveau régime dans l’ordonnancement juridique. Il conviendra en priorité d’harmoniser la définition du secret des affaires et de clarifier son articulation avec des notions voisines, telles que le secret industriel et commercial mentionné à l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Cet état des lieux implique également de recenser les textes mentionnant les autres secrets protégés par la loi afin, le cas échéant, d’y inclure le secret des affaires comme c’est le cas, par exemple, pour l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 relatif à la preuve en matière de diffamation. D’autres modifications impliquent une réflexion plus poussée compte tenu de leur sensibilité. Lors de précédentes initiatives parlementaires, il avait en particulier été envisagé de modifier la loi, dite « loi de blocage », n° 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.

13. Le Conseil d’Etat relève enfin que l’insertion des dispositions de transposition de la directive dans le code de commerce est justifiée par le fait que le secret des affaires relève de l’activité commerciale générale.

 

Examen de la conformité des articles créés par la proposition de loi à la directive

14. Les nouvelles dispositions introduites par l’article 1er sont divisées en trois chapitres. Le chapitre Ier définit le secret des affaires à partir des trois critères prévus par la directive (section 1) et fixe les conditions dans lesquelles la protection est accordée en distinguant les détenteurs légitimes (section 2), les atteintes illicites susceptibles d’engager la responsabilité civile de leur auteur (section 3) et les dérogations nécessaires pour garantir le respect des droits fondamentaux (section 4). Le chapitre II prévoit les mesures pouvant être adoptées par les juridictions dans le cadre d’une action ayant pour objet la prévention, la cessation ou la réparation d’une atteinte au secret des affaires. Sont énoncées la nature et les conditions de mise en œuvre des mesures qui peuvent être prononcées par la juridiction saisie au fond de l’action. Le chapitre III précise les règles procédurales permettant de garantir la confidentialité au cours des actions en prévention, cessation ou réparation d’une atteinte au secret des affaires. La conformité de la transposition ainsi opérée appelle les remarques suivantes.

En ce qui concerne la définition du secret des affaires

15. La proposition de loi (article L. 151-1) reprend les trois critères fixés par l’article 2 de la directive tenant au nombre restreint de personnes connaissant l’information concernée ou y ayant accès, à sa valeur commerciale parce qu’elle est secrète et aux mesures raisonnables de protection dont elle fait l’objet pour en conserver le secret. La définition du secret des affaires retenue est conforme à celle donnée par la directive, sous réserve de quelques précisions. S’agissant du deuxième critère tiré de la valeur commerciale des informations, le Conseil d’Etat suggère de préciser, conformément au considérant 14 de la directive, que cette valeur commerciale peut être effective ou potentielle. Cette formulation, qui reflète mieux la conception européenne de cette notion, guidera utilement l’interprétation des juridictions internes. Le Conseil d’Etat relève en outre que la forme juridique des entreprises est indifférente pour déterminer la valeur commerciale d’une information.

En ce qui concerne les détenteurs légitimes du secret des affaires

16. La proposition de loi ne paraît pas conforme à la directive sur deux points. D’une part, l’article 3 de la directive, qui énumère les cas de détention licite, ne mentionne pas le cas d’une information relevant du secret des affaires obtenue par « l’expérience et les compétences acquises de manière honnête dans le cadre de l’exercice normal de son activité professionnelle » (mentionné au 3° de l’article L. 151-2 inséré par la proposition de loi). Il est suggéré, pour transposer l’hypothèse prévue au d) de l’article 3 de la directive qui renvoie aux pratiques conformes aux usages honnêtes en matière commerciale, d’opter pour une rédaction plus proche du droit interne en se référant, par exemple, à l’expression consacrée de comportement déloyal contraire aux usages en matière commerciale (comme le fait la proposition de loi à l’article suivant).

17. D’autre part, il résulte de la lecture combinée des articles 3 et 5 de la directive que si les personnes entrant dans le champ des dérogations à la protection du secret des affaires, au nombre desquelles les journalistes et les lanceurs d’alerte, ne peuvent voir leur responsabilité engagée lorsqu’elles portent atteinte au secret des affaires, elles n’en deviennent pas pour autant des détenteurs légitimes au sens et pour l’application de la directive. Il paraît dès lors préférable de supprimer le dernier alinéa de l’article L. 151-2 inséré par la proposition de loi qui les regarde comme des détenteurs légitimes du secret des affaires. Cette modification n’amoindrit en rien la protection juridique qui leur est reconnue en cas d’obtention, d’utilisation ou de divulgation d’une information relevant du secret des affaires. Cette protection est consacrée à l’article L. 151-6 inséré par la proposition de loi, conformément à l’article 5 de la directive, et garantit à ces personnes de ne pas pouvoir faire l’objet des mesures, procédures et réparations prévues en cas d’atteintes illicites au secret des affaires. En toute logique, conformément à la directive, il conviendrait, à l’inverse, de mentionner au nombre des cas licites, et non parmi les dérogations, l’hypothèse de l’obtention d’un secret des affaires dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et la consultation des salariés ou de leurs représentants. Le Conseil d’Etat relève à cet égard que ne sont visés par la directive que les salariés concernés par les procédures de consultation : le texte ne traite pas de la circulation de l’information au sein des organes sociaux, comme le conseil d’administration, y compris dans le cas où y siègent des administrateurs salariés.

En ce qui concerne les dérogations à la protection du secret des affaires

18. L’article L. 151-6 créé par la proposition de loi reprend fidèlement l’ensemble des dérogations prévues par l’article 5 de la directive, tel qu’éclairé par ses considérants, afin d’assurer le respect des droits fondamentaux, au nombre desquels la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse qui est un principe constitutionnellement garanti, la révélation de bonne foi d’une faute ou d’une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général ou la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national, ce qui inclut par exemple, comme le précise la proposition de loi conformément au considérant 21 de la directive, la protection de l’ordre public, la sécurité publique et la santé publique, ainsi que la protection des salariés dans les relations avec leurs représentants. Le Conseil d’Etat observe qu’une attention particulière a été portée afin d’articuler la définition des lanceurs d’alerte résultant de la directive et celle résultant de l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. La transposition procède ainsi à l’harmonisation maximale requise par la directive.

19. Par ailleurs, le premier alinéa de l’article L. 151-6 inséré par la proposition de loi prévoit que le secret des affaires n’est pas protégé lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation de ce secret est requise ou autorisée par le droit de l’Union ou le droit national. Bien que cette formulation reprenne celle de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, le Conseil d’Etat recommande une rédaction plus explicite en complétant cet alinéa d’un « notamment dans le cadre des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités administratives et juridictionnelles » ou  en s’inspirant de l’article 1er, paragraphe 2, b) et c) ou du considérant 11 qui indiquent expressément que le secret des affaires ne saurait porter atteinte aux pouvoirs conférés aux autorités publiques à des fins de recueil d’informations, y compris couvertes par le secret des affaires, dans l’exercice de leurs fonctions, ni faire obstacle à la divulgation, pour des motifs d’intérêt public, de certaines informations au public.

En ce qui concerne les actions en prévention et en cessation d’une atteinte au secret des affaires

20. Le Conseil d’Etat s’interroge sur la nécessité de préciser, au IV de l’article L. 152 2 créé par la proposition de loi, que l’auteur de l’atteinte au secret des affaires peut obtenir la « révocation » des mesures ordonnées dans une décision statuant au fond. Certes, la directive (article 13, paragraphe 2) accorde une importance particulière à ces mesures qu’elle qualifie de sauvegarde et précise les conditions auxquelles elles sont subordonnées. Toutefois, il va de soi que si les injonctions ordonnées par le juge perdent leur objet, l’auteur de l’atteinte pourra, en cas de litige et selon les règles de droit commun, demander qu’il y soit mis fin. Sur le fond, le Conseil d’Etat relève que contrairement à ce qui est prévu par la proposition de loi, la directive ne prévoit la possibilité de mettre fin aux mesures ordonnées par le juge que pour les injonctions et non pour les mesures correctrices et la destruction des biens qui ont nécessairement un caractère définitif.

En ce qui concerne les actions en réparation civile

21. Le Conseil d’Etat relève que l’article 14 de la directive n’impose la mise en œuvre d’actions en réparation civile qu’à l’encontre d’un « contrevenant qui savait ou aurait dû savoir qu’il se livrait à une obtention, une utilisation ou une divulgation illicite d’un secret d’affaires ». En ne reprenant pas ce critère d’intentionnalité, la proposition de loi (article L. 152-3) met en place une protection plus étendue, comme le lui permet l’article 1er de la directive. Par ailleurs, elle prévoit que pour évaluer les dommages et intérêts, la juridiction prend, notamment, en considération les conséquences économiques négatives subies par la partie lésée, son préjudice moral ainsi que les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires. Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions transposent convenablement l’article 14 de la directive, tel qu’éclairé notamment par son considérant 30, lequel n’impose pas l’instauration de dommages et intérêts dits punitifs. L’objectif poursuivi est de permettre une indemnisation de l’ensemble du préjudice effectivement subi, la prise en compte des bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires pouvant, dans certains cas, se révéler plus adaptée que celle des conséquences économiques négatives subies par la partie lésée. Le Conseil d’Etat relève que cette transposition n’apporte pas d’exception au principe de réparation intégrale du préjudice qui découle de l’article 1240 du code civil.

En ce qui concerne les mesures de substitution

22. Le Conseil d’Etat estime plus approprié de transférer les dispositions de la proposition de loi transposant l’article 13, paragraphe 3, de la directive relatif aux mesures de substitution (article L. 152-4 créé par la proposition de loi) dans la section 1 relative aux mesures au fond. En effet, l’indemnité dont le juge peut ordonner, à la demande de l’auteur de l’atteinte, le versement à la partie lésée, n’a pas le caractère de dommages et intérêts mais d’une mesure de substitution aux injonctions et mesures correctrices (article L. 152-2 créé par la proposition de loi). Par ailleurs, le dernier alinéa de l’article L. 152-4 créé par la proposition de loi ne paraît pas conforme à la directive en ce qu’il plafonne le montant de cette indemnité quelle que soit la mesure évitée et non seulement en substitution des injonctions que le juge peut ordonner. Le dispositif ainsi prévu est donc moins favorable pour la partie lésée que celui requis par la directive.

En ce qui concerne les mesures de publicité

23. Le Conseil d’Etat s’interroge sur la nécessité d’une transposition expresse de l’article 15, paragraphe 3, relatif aux éléments que les juridictions doivent prendre en compte avant de prononcer des mesures de publicité de la décision relative à l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret des affaires (article L. 152-5 inséré par la proposition de loi). Ces éléments relèvent en effet de l’office du juge, lequel met classiquement en balance les intérêts légitimes en présence dans le respect du principe de proportionnalité. Le droit interne étant conforme, cette précision semble inutile. Il est suggéré, le cas échéant, de faire figurer ces dispositions dans un décret en Conseil d’Etat.

En ce qui concerne les mesures de protection au cours des actions en prévention, cessation ou réparation d’une atteinte au secret des affaires

24. La proposition de loi (articles L. 153-1 et L. 153-2) transpose fidèlement l’article 9, paragraphes 2 et 1, de la directive en s’inspirant largement des dispositions applicables en matière d’actions en dommages et intérêts du fait de pratiques anticoncurrentielles (voir les articles L. 483-2 et suivants du code de commerce). Il est notamment prévu, comme à l’article L. 483-6 du code de commerce, que le juge peut prendre seul connaissance de la pièce concernée afin de lui permettre de définir les modalités les plus appropriées, dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité, pour concilier la protection du secret des affaires avec le respect du caractère contradictoire de la procédure.

25. Il est suggéré soit de réintégrer, au 3° de l’article L. 153-1 inséré par la proposition de loi, la possibilité offerte par la directive, le cas échéant, de notifier aux parties différentes versions de la décision afin qu’elles ne découvrent pas à cette occasion des informations protégées, soit de le préciser dans les décrets d’application qui seront éventuellement pris pour préciser ces dispositions, à l’instar de ce qui est prévu en matière de pratiques anticoncurrentielles (article R. 483-10 du code de commerce). L’harmonisation de l’ensemble de ces dispositions paraît particulièrement souhaitable dans l’hypothèse où il serait décidé d’étendre ces mesures à l’ensemble des procédures juridictionnelles.

26. Le Conseil recommande en outre de réfléchir aux modalités de transposition de la directive dans le code de justice administrative. Si, le plus souvent, les mesures, procédures et réparations prévues se déroulent devant le juge judiciaire, il n’est pas exclu que le juge administratif ait à connaître de telles procédures. Un renvoi exprès dans le code de justice administrative aux dispositions concernées du code de commerce pourrait s’avérer nécessaire, notamment en ce qui concerne les mesures de protection au cours des procédures juridictionnelles, à l’instar de ce qui a été fait pour le contentieux indemnitaire du fait des pratiques anticoncurrentielles à l’article L. 775-1 du code de justice administrative.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 15 mars 2018.