Avis sur la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale

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L'Assemblée nationale a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale.

Le Conseil d’État a été saisi par le président de l’Assemblée nationale, sur le fondement du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, de la proposition de loi n° 2936 portant réforme de la prescription en matière pénale, présentée par MM. Alain Tourret et Georges Fenech, députés, dont les objectifs sont, d’une part, de redonner à cette matière sa lisibilité et sa cohérence et, d’autre part, d’assurer un meilleur équilibre entre l’exigence de répression des infractions et l’impératif de sécurité juridique. Cette proposition de loi est issue des travaux et conclusions de la mission d’information qui a été conduite par ses auteurs et qui a permis de mener une réflexion globale, approfondie et nourrie par de nombreuses auditions et une analyse du droit comparé.

Le Conseil d’État a relevé, tout d’abord, que ni la Constitution, ni la Convention européenne des droits de l’homme, ne comportent de disposition expresse relative à la prescription en matière pénale.

Dans sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 relative au Traité portant statut de la Cour pénale internationale, le Conseil constitutionnel a retenu qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité « des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ». L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé dans son arrêt du 20 mai 2011, que « la prescription de l'action publique ne revêt pas le caractère d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République et ne procède pas des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du
26 août 1789, ni d'aucune disposition, règle ou principe de valeur constitutionnelle ». Le Conseil d’État estime, dans le même sens, qu’aucun principe constitutionnel n’impose au législateur de prévoir un délai de prescription de l’action publique ou de la peine pour les infractions dont la nature n’est pas d’être imprescriptible.

Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont rappelé que le législateur, lorsqu’il fixe des délais de prescription de l’action publique et de la peine ou précise des modalités de computation de ces délais, ne doit pas méconnaître le droit à un recours effectif et le principe d’égalité devant la procédure pénale. Il lui appartient aussi de veiller au respect des exigences de sécurité juridique et de conservation des preuves propres aux faits que réprime la loi pénale.

Le Conseil d’État a souligné que, dans le cadre constitutionnel et conventionnel ainsi rappelé, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider du principe et des modalités de la prescription de l’action publique et de la peine.

Après avoir examiné l’ensemble des articles de cette proposition, le Conseil d’État présente les observations suivantes.

I. - Sur l’article 1er

L’article 1er de la proposition de loi modifie les dispositions du code de procédure pénale relatives à la prescription de l’action publique.

A - Le délai de prescription de droit commun (art. 7, 8 et 9 C. proc. pen.)

En matière criminelle, l’article 1er de la proposition de loi porte de dix à vingt ans le délai de prescription de droit commun. Il double également le délai de prescription de droit commun en matière délictuelle, le portant de trois à six ans. En revanche, il maintient à un an le délai de prescription des contraventions.

Le Conseil d’État prend, tout d’abord, acte du choix des auteurs de la proposition de loi de maintenir en droit français une prescription de l’action publique des infractions dont le rôle principal est aujourd’hui, selon ces auteurs, d’assurer la sanction de l’exercice tardif du droit de punir. Ce choix n’appelle pas d’observation.

Le Conseil d’État constate, ensuite, que l’allongement des délais de droit commun de prescription de l’action publique est, selon les auteurs de la proposition de loi, justifié par un motif d’intérêt général. Il est en particulier fondé sur les conditions contemporaines de rétablissement de la paix sociale telles qu’elles sont appréciées par le Parlement, lesquelles retardent l’acceptation de l’oubli de l’infraction. Il prend également en compte l’allongement de la durée de la vie humaine ainsi que les nouvelles méthodes et techniques d’investigation, de recueil et de conservation des preuves, notamment génétiques, lesquelles peuvent permettre l’identification tardive de coupables. Par suite, un tel allongement ne traduit pas un déséquilibre, entre les nécessités de la répression, d’une part, et les exigences de sécurité juridique et de conservation des preuves propres aux faits que réprime la loi pénale, d’autre part, qui soit de nature à soulever une question de constitutionnalité.

Le Conseil d’État note également que l’allongement des délais de prescription de l’action publique conduit à les rapprocher des délais prévus dans la plupart de ceux des pays de l’Union européenne qui connaissent l’institution de la prescription pénale.

Si les nécessités tenant à l’effectivité de la répression ne sont pas les mêmes selon les infractions, les objectifs de simplification et de lisibilité du droit de la prescription pénale justifient d’avoir privilégié une augmentation des délais de droit commun à une multiplication de délais spécifiques dont la cohérence serait difficile à assurer durablement.

B - Les délais dérogatoires existants (art. 7 et 8 C. proc. pen.)

La proposition de loi ne modifie pas l’ensemble des délais dérogatoires existant tant en matière criminelle que délictuelle mais rassemble au sein des articles 7 et 8 du code de procédure pénale les délais dérogatoires aujourd’hui disséminés dans le code de procédure pénale et le code pénal. Une telle modification est de nature à améliorer l’accessibilité et la lisibilité du droit de la prescription en matière pénale.

Cette disposition appelle deux remarques.

D’une part, la justification et la proportionnalité de chacun des délais dérogatoires existants et des différences de traitement qui en résultent ne peuvent être appréciées qu’au regard des infractions concernées, de l’ensemble du régime juridique dans lequel elles prennent place et des objectifs que le législateur entend poursuivre dans chaque cas. Le Conseil d’État a estimé, par suite, que l’examen de la proposition de loi ne pouvait pas le conduire à se prononcer sur la pertinence des délais dérogatoires existants, y compris dans le nouveau cadre juridique tracé par la proposition de loi.

D’autre part, les délais dérogatoires prévus dans d’autres codes ou lois ne sont pas mentionnés dans les listes établies par la proposition de loi aux articles 7 et 8 du code de procédure pénale. Si ces délais sont en nombre limité, le choix réalisé n’apparaît pas injustifié. En effet, il s’agit de délais fortement abrégés et s’inscrivant dans des régimes juridiques dont il est utile de conserver l’unité formelle.

En ce qui concerne la rédaction des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, tels que la proposition de loi entend les modifier, le Conseil d’État formule les observations qui suivent :

- Il n’apparait pas utile de rappeler, au deuxième alinéa de l’article 7, que l’action publique des crimes mentionnés aux articles 706-47 du code de procédure pénale et 222-10 du code pénal se prescrit par vingt ans, dès lors qu’il s’agit du délai de droit commun mentionné à l’alinéa précédent. Seul le point de départ du délai est dérogatoire.

Le deuxième alinéa de l’article 7 pourrait être ainsi rédigé : « Le délai de prescription des crimes mentionnés aux articles 706-47 du présent code et 222-10 du code pénal commis sur des mineurs court à compter de la majorité de ces derniers ».

- Comme dans les dispositions actuelles de l’article 8 du code de procédure pénale, il est prévu un délai de prescription de dix ans pour les délits mentionnés à l’article 706-47 du code de procédure pénale et un délai de vingt ans pour ceux prévus aux articles 222-29-1 et 227-26 du code pénal. Or, les délits prévus aux articles 222-29-1 et 227-26 du code pénal sont également compris dans la liste des délits mentionnés à l’article 706-47 du code de procédure pénale.

En conséquence, la rédaction des alinéas 4 et 5 de l’article 8 pourrait ainsi être précisée : « L’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code commis sur des mineurs se prescrit par dix années révolues à compter de la majorité de ces derniers, à l’exception des délits prévus aux articles 222-29-1 et 227-26 du code pénal pour lesquels elle se prescrit par vingt ans. / L’action publique des délits mentionnés à l’article 222-12 du code pénal commis sur des mineurs se prescrit par vingt années révolues à compter de la majorité de ces derniers. »

C - L’imprescriptibilité des crimes de guerre (art. 8 dernier alinéa C. proc. pen.)

En application de l’article 213-5 du code pénal, les seules infractions imprescriptibles en France sont le crime de génocide et les autres crimes contre l’humanité, visés aux articles 211-1, 212-1, 212-2 et 212-3 du code pénal. La proposition de loi tend à rendre imprescriptibles les crimes de guerre visés au livre IV bis du code pénal au même titre que les crimes contre l’humanité.

1) Le cadre juridique

Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à l’instauration de l’imprescriptibilité des crimes de guerre mentionnés au livre IV bis du code pénal.

Certes, il ne découle d’aucun engagement international de la France, et notamment pas du Statut de la Cour pénale internationale, que les crimes de guerre prévus en droit français devraient être imprescriptibles. Et la Cour de cassation, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont souligné que les crimes de guerre ne sont pas de même nature que les crimes contre l’humanité dont l’impunité affecterait l’ensemble de la communauté internationale. L’imprescriptibilité des crimes de guerre remettrait ainsi en cause la spécificité jusqu’alors reconnue en droit français des crimes contre l’humanité.

Mais le Conseil d’État a constaté qu’aucune exigence juridique supérieure ne conditionne la décision du Parlement en matière de prescription des crimes de guerre et le choix qui serait le sien de rendre ces crimes imprescriptibles.

2) Le champ de la mesure

Les crimes de guerre mentionnés au livre IV bis du code pénal présentent une grande hétérogénéité et sont soumis à des peines allant de quinze ans de réclusion criminelle à la réclusion criminelle à perpétuité, peine également encourue pour les crimes contre l’humanité.

Le délai d’extinction de l’action publique permettant de satisfaire l’objectif d’intérêt général de rétablissement de la paix sociale, il a semblé au Conseil d’État que l’imprescriptibilité d’infractions pénales ne devrait être envisagée que lorsqu’elle concourt elle-même au rétablissement de la paix sociale.

En conséquence, le Conseil d’État suggère de n’appliquer la mesure qu’aux seuls crimes de guerre punis des mêmes peines que celles encourues pour crime contre l’humanité.

3) Les conditions d’entrée en vigueur

- Le Conseil d’État rappelle que l’article 112-2 du code pénal, qui prévoit l’application immédiate des lois de prescription de l’action publique, a été conçu pour régir l’entrée en vigueur des dispositions législatives modifiant les délais de prescription des infractions ou leurs modalités de computation. La question de la détermination des conditions d’entrée en vigueur d’une disposition prévoyant l’imprescriptibilité de crimes est dès lors inédite. En conséquence, et eu égard à l’importance du changement résultant de cette mesure, le Conseil d’État invite les auteurs de la proposition de loi à définir expressément les modalités d’application dans le temps d’une disposition de cette nature.

- Si cette mesure devait s’appliquer à des faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi, en raison de son caractère de loi de procédure immédiatement applicable, le Conseil d’État a souligné qu’elle viserait, d’une part, les faits qualifiés de crimes de guerre par les dispositions du livre IV bis du code pénal issues de la loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale et commis postérieurement à la date d’entrée en vigueur de cette loi et, d’autre part, les faits antérieurs à cette date, incriminés par le code pénal ou le code de justice militaire lors de leur commission et pouvant être qualifiés de crimes de guerre au regard des dispositions du livre IV bis du code pénal. Par ailleurs, ces faits ne devraient pas être prescrits à la date d’entrée en vigueur de la loi.

Le Conseil d’État constate que cette disposition ne pourrait dès lors s’appliquer qu’à des faits passés commis durant une période récente, des lois d’amnistie faisant, au demeurant, obstacle à l’incrimination d’actes anciens commis sur certains théâtres de guerre.

- Si les auteurs de la proposition de loi envisageaient de ne prévoir l’application de la disposition rendant les crimes de guerre imprescriptibles qu’à ceux commis après son entrée en vigueur, la proposition de loi devrait être complétée par un article 4 dont la rédaction suivante est suggérée :

« I. - L’imprescriptibilité de l’action publique des crimes réprimés par le livre IV bis du code pénal, telle qu’elle est prévue au sixième alinéa de l’article 1er de la présente loi, s’applique aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur.

« II. - L’imprescriptibilité des peines prononcées pour les crimes réprimés par le même livre, telle qu’elle est prévue au sixième alinéa de l’article 2 de la présente loi, s’applique aux condamnations définitives prononcées pour des faits commis postérieurement à son entrée en vigueur. »

D - Le point de départ du délai de prescription (art. 7, 8 et 9 C. proc. pen.)

Le point de départ du délai de prescription est fixé par le code de procédure pénale au jour de la commission de l’infraction. Cette règle est réaffirmée par la proposition de loi aux articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale.

Comme pour les délais, la proposition de loi entend, d’une part, prévoir la possibilité de déroger à la règle générale et, d’autre part, rassembler au sein des articles 7 à 9 les points de départ spécifiques qui sont aujourd’hui prévus par différentes dispositions du code de procédure pénale et du code pénal. Toutefois, en raison du caractère très spécifique et difficilement divisible de l’article 6-1 du code de procédure pénale ainsi que de sa proximité des articles 7 à 9, il n’a pas semblé justifié de déplacer la mention du point de départ particulier que cette disposition comporte.

Les autres codes ou lois comportent de nombreux points de départ spécifiques auxquels il est renvoyé de manière générale. Une telle disposition n’appelle pas d’observation.

E - Les cas de report du point de départ du délai de prescription (art. 7 et 8 C. proc. pen.)

La proposition de loi ne modifie pas les dispositions législatives relatives au report du point de départ dans certains cas (infractions commises sur les mineurs, crime de clonage reproductif).

En revanche, elle supprime le troisième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale reportant le point de départ du délai de prescription de l’action publique d’une série d’infractions commises contre des personnes vulnérables au jour où l’infraction apparaît à la victime. Cette suppression est justifiée, selon les auteurs de la proposition de loi, par des motifs de sécurité juridique en raison des indéterminations et incohérences affectant cette disposition. Elle n’appelle pas d’observation du Conseil d’État.

 F - Les infractions occultes et dissimulées (art. 9-2 nouveau C. proc. pen.)

La proposition de loi entend également donner un fondement légal au report du point de départ du délai de prescription des infractions occultes ou dissimulées au jour où elles apparaissent. Elle consacre dans un nouvel article 9-2 du code de procédure pénale ces deux catégories jurisprudentielles d’infractions.

Cette disposition appelle deux remarques.

1) Le Conseil d’État observe que les définitions de l’infraction occulte et de l’infraction dissimulée élaborées par les auteurs de la proposition de loi reprennent les principes et raisonnements qui fondent la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. Elles sont destinées à s’appliquer, s’agissant plus particulièrement des infractions dissimulées, à toutes les infractions. Toute infraction devrait donc pouvoir entrer dans le champ de l’article 9-2 dès lors que, dans les circonstances de l’espèce, l’auteur de l’infraction aurait accompli délibérément une « manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ».

2) Le Conseil d’État estime, d’une part, que cette disposition définissant le point de départ du délai de prescription pour deux catégories d’infraction, il pourrait être opportun de déplacer le contenu de cet article à l’article 9-1 immédiatement après les articles 7 à 9 qui définissent quel est, en principe, le point de départ du délai de prescription et déterminent des points de départ spécifiques à certaines infractions et, d’autre part, que l’expression « l’exercice des poursuites » pourrait être remplacée par celle plus englobante « la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique », au 19ème alinéa de l’article 1er. Une modification similaire pourrait être faite au dernier alinéa du même article.

G - Les actes interruptifs du délai de prescription (art. 9-1 nouveau C. proc. pen.)

1) Le champ des actes interruptifs (alinéa 1er de l’article 9-1)

La proposition de loi tend à définir avec précision, dans un nouvel article 9-1 du code de procédure pénale, les conditions d’interruption de la prescription : elle ajoute, à la suite de la jurisprudence, les actes d’enquête à la liste des actes interruptifs, précise que ces actes doivent avoir « effectivement » pour finalité la constatation des infractions ou la recherche, la poursuite ou le jugement de leurs auteurs, donne un fondement légal à la règle jurisprudentielle selon laquelle ces actes, lorsqu’ils émanent de la personne exerçant l’action civile, sont également interruptifs, et confère un caractère interruptif aux « plaintes » simples adressées au procureur de la République ou à un service de police judiciaire.

Les observations qui suivent tendent à préciser la portée de cette disposition.

- Le code de procédure pénale comporte d’autres dispositions donnant expressément un effet interruptif à certains actes, en matière de transaction ou de composition pénale. Plusieurs autres codes ou lois prévoient également que les actes tendant à la mise en œuvre ou à l’exécution d’une transaction pénale sont interruptifs de prescription. Il est proposé, en conséquence, d’ajouter au début du 16ème alinéa de l’article 1er les mots : « Sans préjudice d’autres causes prévues par la loi, ».

- Aujourd’hui réservé aux seules plaintes avec constitution de partie civile, l’effet interruptif de prescription est reconnu aux plaintes des victimes mais ne s’étend pas aux dénonciations, conformément à la distinction entre ces actes résultant des articles 17 et 40 du code de procédure pénale. L’effet interruptif de la plainte simple est soumis à la seule condition que celle-ci tende effectivement à la constatation des infractions, ainsi qu’à la recherche, à la poursuite et au jugement de leurs auteurs. Le Conseil d’État rappelle, à cette occasion, l’obligation incombant aux officiers de police judiciaire, en application de l’article 15-3 du code de procédure pénale, de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale.

- Par ailleurs, comme le rappelle l’article 1er du code de procédure pénale, la mise en mouvement de l’action publique est assurée par le ministère public mais également, pour certaines infractions, par « les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi ». L’énumération des personnes pouvant recevoir les plaintes pourrait donc être utilement complétée.

- Par conséquent, la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 9-1 pourrait être rédigée comme suit :

« Interrompent également la prescription, lorsqu’ils ont les mêmes finalités, les plaintes adressées par la victime à un service de police judiciaire, au procureur de la République ou à un fonctionnaire auquel la mise en mouvement de l’action publique est confiée par la loi et les actes qui émanent de toute personne exerçant l’action civile ».

- Enfin, le Conseil d’État attire l’attention des auteurs de la proposition de loi sur la nécessité de tirer les conséquences de cette disposition sur celles de l’article 85 du code de procédure pénale afin d’en assurer la coordination.

2) La sanction de l’écoulement du délai de prescription (alinéa 2 de l’article 9-1)

L’article 1er de la proposition de loi prévoit, en matière délictuelle et criminelle, que tout acte interruptif fait courir un nouveau délai de prescription d’une durée égale à la moitié du délai initial fixé par les articles 7 et 8 du code de procédure pénale soit, pour le droit commun, trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes.

Dans sa rédaction actuelle, cette disposition pourrait remettre en cause la cohérence de l’objectif poursuivi par les auteurs de la proposition.

En effet, le doublement des délais de prescription entend répondre aux exigences et évolutions précédemment rappelées au point I-A. Or, en raison de son caractère mécanique et inconditionné, l’application du deuxième alinéa de l’article 9-1 conduirait à diviser par deux le délai de prescription dès le premier acte interruptif, alors même que celui-ci pourrait intervenir très tôt après la commission de l’infraction. Cet effet serait amplifié par la reconnaissance du caractère interruptif des plaintes simples.

En outre, le dispositif retenu en l’état produirait des effets qui dépasseraient ceux recherchés par les auteurs de la proposition. En effet, s’il peut être jugé approprié de diviser par deux le délai de prescription recommençant à courir à titre de sanction de l’inaction des autorités judiciaires, une telle sanction paraît inappropriée lorsqu’elle n’est pas fondée sur le constat préalable d’une inertie prolongée.

Le Conseil d’État estimerait préférable de ne pas maintenir cette disposition.

Dans l’hypothèse où les auteurs de la proposition de loi souhaiteraient la maintenir, il serait nécessaire d’en préciser la portée afin d’atteindre l’objectif recherché sans affecter la cohérence de l’ensemble de la réforme.

Il faut ajouter que pour éviter une source de complexité nouvelle dans le droit de la prescription pénale ainsi que pour tenir compte des prérogatives qui sont aujourd’hui reconnues à la partie civile dans le cadre de la procédure pénale, le dispositif devrait s’appliquer tant aux actes des autorités publiques qu’à ceux des victimes et parties civiles.

Il pourrait ainsi être prévu que :

« Lorsque tout acte mentionné au premier alinéa du présent article intervient après l’écoulement d’une période égale à la moitié du délai prévu aux articles 7 et 8, cet acte ainsi que tous les actes postérieurs de même nature font courir un nouveau délai de prescription d’une durée égale à la moitié de ce délai ».

Enfin, le Conseil d’État attire l’attention des auteurs de la proposition de loi sur la difficulté qu’il y aurait, au regard du principe d’égalité devant la procédure pénale, à réserver l’application de cette disposition aux seuls délais de prescription fixés par les articles 7 et 8 du code de procédure pénale, alors que des délais de prescription identiques sont prévus par d’autres dispositions législatives.

3) La portée de l’acte interruptif (dernier alinéa de l’article 9-1)

Le dernier alinéa de l’article 9-1 du code de procédure pénale, prévu au 18ème alinéa de l’article 1er de la proposition de loi, prévoit que les règles prévues aux alinéas précédents s’appliquent « également aux personnes qui ne seraient pas visées par l’un des actes mentionnés aux deux alinéas précédents ».

Cette disposition appelle deux remarques.

- Il est proposé de lui substituer la formulation plus explicite suivante :

« Tout acte interruptif de prescription interrompt également la prescription à l’égard des personnes qui, sans être visées par cet acte, se révèleraient auteurs ou complices de l’infraction ».

Dès lors qu’il s’agit de préciser la portée de l’acte interruptif, cet alinéa pourrait également être placé immédiatement après le premier alinéa de l’article 9-1.

- Dans le prolongement de la démarche des auteurs de la proposition de loi tendant à déterminer dans la loi de manière complète et cohérente le régime de la prescription de l’action publique, il serait opportun de préciser dans cette disposition que l’acte interruptif produit son effet non seulement dans le cadre de la répression de l’infraction principale, mais également à l’égard des infractions connexes, comme le juge de manière générale la Cour de cassation. Il conviendrait, par suite, d’ajouter à la fin de la phrase proposée les mots : « ou d’infractions connexes ».

H - La suspension du délai de prescription (art. 9-3 nouveau C. proc. pen.)

La proposition de loi tend à inscrire dans le code de procédure pénale les causes générales de suspension du délai de prescription de l’action publique telles que la jurisprudence de la Cour de cassation les a identifiées : soit un obstacle de droit, soit un obstacle de fait insurmontable, rendant impossible l’exercice des poursuites. Plusieurs dispositions du code de procédure pénale ainsi que des dispositions contenues dans d’autres textes prévoient de manière ponctuelle que la prescription de l’action publique est suspendue. S’il s’agit dans tous les cas d’obstacles de droit rendant impossible l’exercice des poursuites, il n’est pas proposé de les supprimer dès lors qu’elles constituent d’utiles explicitations. Cette disposition n’appelle pas d’autre observation.

II. - Sur l’article 2 (art. 133-2, 133-3 et 133-4 C. pen.)

Les règles générales relatives à la prescription des peines sont fixées par les articles 133-2 à 133-4 du code pénal. Le délai de prescription des peines criminelles est fixé à vingt ans, soit le double du délai actuel de prescription de l’action publique des crimes. La prescription des peines délictuelles est acquise au terme d’un délai de cinq ans et celle des peines contraventionnelles au bout de trois ans.

L’article 2 de la proposition de loi porte de cinq à six ans le délai de prescription des peines délictuelles et laisse inchangés les délais dérogatoires applicables à certaines peines délictuelles (terrorisme, trafic de stupéfiants…). Elle ne modifie ni les délais de prescription des peines criminelles, qu’ils soient de droit commun ou dérogatoires, ni le délai de prescription des peines contraventionnelles fixé à trois ans.

L’alignement des délais de prescription de l’action publique et des peines souhaité par les auteurs de la proposition de loi résulte, en matière criminelle, du doublement envisagé du délai de prescription de l’action publique. L’augmentation limitée du délai de prescription des peines délictuelles tend également à assurer une telle harmonisation.

Deux remarques peuvent être faites à cet égard.

- Le Conseil d’État prend acte de ce que la modification proposée répond à un souci de simplification et de plus grande lisibilité des règles applicables.

- L’alignement recherché n’est pas complet puisque les délais de prescription de l’action publique et de la peine demeurent distincts pour les contraventions. Toutefois, un tel alignement n’apparaît pas souhaitable dès lors, d’une part, que la réduction du délai de prescription de la peine contraventionnelle ne permettrait pas d’assurer l’effectivité du recouvrement des amendes et, d’autre part, que l’allongement du délai de prescription de l’action publique des contraventions serait inutile, la caractérisation de la plupart de ces infractions étant immédiate.

La proposition de loi tend à regrouper, au sein des articles 133-2 à 133-4 du code pénal les délais de prescription des peines de droit commun et dérogatoires aujourd’hui prévus par différentes dispositions du code pénal et du code de procédure pénale.

Le Conseil d’État a constaté, en revanche, que la proposition de loi n’a pas entendu rassembler au sein du chapitre III du titre III du livre I du code pénal l’ensemble des règles applicables à la prescription des peines, notamment celles relatives à la computation des délais de prescription. Les dispositions relatives à l’exécution des peines relevant du code de procédure pénale, ce choix n’apparaît pas injustifié.

Enfin, la proposition de loi tend à rendre imprescriptibles les peines réprimant les crimes de guerre au même titre que celles réprimant les crimes contre l’humanité. Cette mesure ne paraît soulever aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel. C’est au stade du prononcé de la peine et de son exécution que la situation personnelle et l’état de santé de l’auteur de l’infraction doivent être pris en compte afin de ne pas méconnaître les exigences constitutionnelles et conventionnelles, découlant notamment du principe de nécessité des peines et du principe du respect de la dignité humaine.

III. - Sur l’article 3 (art. L. 212-37 et L. 212-38 C. just. mil.)

Cet article procède à diverses coordinations dans le code pénal, le code de procédure pénale et le code de justice militaire.

Pour assurer une pleine coordination des dispositions du code de procédure pénale et du code de justice militaire, il serait utile de supprimer les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 212-37 qui sont aujourd’hui obsolètes et contradictoires avec celles prévues aux articles 7 et 8 du code de procédure pénale.

En conséquence, les 10ème et 12ème alinéas de l’article 3 de la proposition de loi, modifiant les articles L. 212-37 et L. 212-38 du code de justice militaire, devraient être ainsi rédigés :

« L’action publique des crimes se prescrit selon les règles prévues à l’article 7 et aux articles 9-1 à 9-3 du code de procédure pénale ».

« L’action publique des délits se prescrit selon les règles prévues à l’article 7 et aux articles 9-1 à 9-3 du code de procédure pénale ».

L’article 3 n’appelle pas d’autre observation.

IV. - Sur l’application dans le temps de la proposition de loi

La proposition de loi ne comporte pas de disposition précisant les conditions de son application dans le temps. Celles-ci résulteront, en conséquence, de l’application de l’article 112-2 du code pénal aux termes duquel « Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : … 4° lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines ».

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé, dans sa décision Coëme c. Belgique du
22 juin 2000, que l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut être interprété comme empêchant, par l'effet de l'application immédiate d'une loi de procédure, un allongement des délais de prescription lorsque les faits reprochés n'ont jamais été prescrits. Dans le même sens, la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions de l’article 112-2 du code pénal, en permettant l’application immédiate de lois de procédure allongeant le délai de prescription de l’action publique, méconnaîtraient les principes de légalité criminelle et de nécessité des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dès lors, le Conseil d’État n’a pas vu d’obstacle à l’application du 4° de l’article
112-2 du code pénal.

•    En ce qui concerne l’allongement des délais de droit commun

Les dispositions de la proposition de loi allongeant les délais de prescription pourraient, en application de l’article 112-2 du code pénal, être d’application immédiate à toutes les procédures dans lesquelles la prescription n’est pas acquise.

•    En ce qui concerne la suppression du report du point de départ du délai de prescription de certaines infractions commises sur des personnes vulnérables

La suppression de la disposition relative au report du point de départ de la prescription de l’action publique de certains délits commis sur des personnes vulnérables aurait pour effet de soumettre à nouveau la prescription de ces délits aux règles générales de computation des délais.

L’application immédiate d’une telle mesure à des infractions non prescrites pour lesquelles le droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi n’a pas fait du jour de la commission des faits le point de départ du délai de prescription pose une question inédite au regard des effets de l’application immédiate des lois de procédure. Dans un souci de sécurité juridique, le Conseil d’État invite les auteurs de la proposition de loi à préciser les conditions d’entrée en vigueur de cette disposition particulière.

•    En ce qui concerne l’effet interruptif de la plainte simple

Enfin, la disposition conférant désormais un effet interruptif à la plainte simple de la victime ne s’appliquerait, dans les affaires dans lesquelles la prescription n’est pas acquise, qu’aux plaintes déposées postérieurement à son entrée en vigueur. Elle serait sans incidence sur la portée des plaintes déposées antérieurement au regard de l’écoulement du délai de prescription.

Les effets dans le temps de la proposition de loi, ainsi précisés, n’appellent pas d’autre observation du Conseil d’État.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi 1er octobre 2015.