Avis sur la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques

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L'Assemblée nationale a rendu public l'avis du Conseil d'État sur la proposition de loi organique (n° 4110 rectifié) relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et sur la proposition de loi (n° 4113 rectifié) portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l’information du Parlement sur les finances publiques

1. Le Conseil d’État a été saisi le 10 mai 2021 par le président de l’Assemblée nationale, sur le fondement de l’article 39, alinéa 5, de la Constitution et de l’article 4 bis de l’ordonnance no 58 1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de la proposition de loi organique (n° 4110 rectifié) relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et de la proposition de loi (n° 4113 rectifié) portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et à l’information du Parlement sur les finances publiques, présentées par M. Eric Woerth et M. Laurent Saint-Martin, députés.

Ces deux textes, qui ont pour ambition de moderniser le cadre de gouvernance des finances publiques, s’inscrivent dans le prolongement direct d’un rapport, publié en septembre 2019 et dont les auteurs sont les mêmes que ceux des propositions de loi, réalisé dans le cadre des travaux d’une mission d’information, dite « MILOLF », constituée par la Commission des finances de l’Assemblée nationale pour suivre la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, la LOLF. La proposition de loi organique met en œuvre la plupart de celles des préconisations de ce rapport qui nécessitent une modification de la LOLF ou de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Les évolutions qui sont ainsi proposées apparaissent, par ailleurs, le plus souvent convergentes avec celles que recommandent deux autres documents récents, l’un issu de la Cour des comptes (novembre 2020, « Les finances publiques : pour une réforme du cadre organique et de la gouvernance »), l’autre de la commission pour l’avenir des finances publiques (mars 2021, « Nos finances publiques post-Covid 19 : pour de nouvelles règles du jeu »).

2. Les textes dont le Conseil d’Etat est saisi ne bouleversent pas le cadre de gouvernance de nos finances publiques, ce qui serait au demeurant impossible sans préalablement modifier la Constitution, mais leur adoption impliquera, néanmoins, des évolutions non négligeables de la LOLF, pour la première fois depuis son adoption. Si, en effet, celle-ci a déjà été modifiée à quatre reprises, en 2005, 2009, 2012 et 2013, ces précédentes modifications étaient ponctuelles, voire opérées à de simples fins de coordination, contrairement à celles qui sont proposées.

3. Trois lignes de force se dégagent de l’intention des auteurs des textes transmis au Conseil d’Etat.

Ils souhaitent, en premier lieu, dans un contexte où la dette publique est à son plus haut depuis la dernière guerre mondiale, faciliter un pilotage des finances publiques par la dépense, qui s’inscrive dans une dimension pluriannuelle et opère dans un cadre de référence « toutes administrations publiques » confondues, avec une attention particulière portée à la dépense d’investissement.

Ils entendent, ensuite, renforcer le rôle du Haut Conseil des finances publiques et circonscrire, sinon éliminer, les pratiques qui sont susceptibles d’altérer la transparence des finances publiques, à l’instar des affectations de taxes, des prélèvements sur recettes ou du développement des dépenses fiscales.

Enfin, le souci de rationaliser et d’améliorer le travail parlementaire en matière de finances publiques constitue la troisième ligne de force.

La fusion de la LOLF et de la loi organique du 17 décembre 2012

4. La proposition de loi organique abroge la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques et insère, dans la LOLF, l’ensemble du contenu de ce texte, à l’exception de celles de ses dispositions que le Conseil constitutionnel a regardées comme relevant de la loi ordinaire, qui font l’objet de la proposition de loi. Cette insertion se traduit par la création de deux titres nouveaux au sein de la LOLF : un titre préliminaire « Dispositions relatives à la programmation des finances publiques » et un titre VI « Dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et au mécanisme de correction », qui remplacerait l’actuel titre VI consacré aux dispositions transitoires d’entrée en vigueur de la LOLF qui ont épuisé leurs effets et peuvent, sans difficulté, être ainsi implicitement abrogées.

L’intégration de la loi organique de 2012 dans la LOLF permettra de regrouper en un texte unique les dispositions régissant les lois de programmation des finances publiques et les lois de finances et améliorera, donc, la lisibilité d’ensemble de notre dispositif de gouvernance financière publique.

La proposition de loi organique ne propose pas de modifier l’intitulé de la loi organique du 1er août 2001, qui resterait « loi organique relative aux lois de finances ». Ceci a pour inconvénient que le contenu du texte et son titre ne seront plus en totale adéquation. Une solution serait de compléter ce titre par tout ou partie de celui de l’actuelle loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, mais elle aurait pour inconvénient de déboucher sur un intitulé lourd, qui ferait de plus disparaître l’acronyme « LOLF », aujourd’hui consacré. Le Conseil d’Etat ne propose donc pas aux auteurs de la proposition de revenir sur le parti qu’ils ont retenu.

En revanche, il relève que le remplacement de l’actuel titre VI de la LOLF par de nouvelles dispositions fait disparaître le texte de son article 68, qui prévoit que d’éventuels décrets pris pour l’application de la loi le sont en Conseil d’Etat. Pour y remédier, il propose de créer dans la LOLF un titre VII « Application de la loi organique », reprenant le contenu de cet article.

La programmation des finances publiques et l’article liminaire des lois de finances (article 1er de la proposition de loi organique, insérant des articles 1er A à 1er J dans la LOLF)

5. L’article 1er de la proposition de loi organique reprend à droit constant la plupart des dispositions de la loi organique du 17 décembre 2012 relatives au contenu des lois de programmation des finances publiques et de l’article liminaire des lois de finances. Le Conseil d’Etat rappelle que ces dispositions ont été adoptées pour traduire, en droit interne, nos engagements résultant du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance du 2 mars 2012, dit TSCG : le choix de ne pas les bouleverser doit donc être approuvé.

6. La principale innovation consiste à prescrire qu’à l’avenir les lois de programmation des finances publiques contiennent, pour chaque année de la programmation, un objectif d’évolution en volume des dépenses des administrations publiques, qui serait décliné par sous-secteur des administrations publiques. Compte tenu d’hypothèses d’inflation, cette programmation en volume s’accompagnerait d’une prévision des dépenses des administrations publiques exprimée en euros courants, elle aussi déclinée par sous-secteur.

Cette innovation, inscrite au futur article 1er B de la LOLF, est destinée à faciliter un pilotage du redressement de nos finances publiques, une fois la crise sanitaire passée, par la maîtrise de la dépense publique, conformément aux recommandations déjà évoquées de la Cour des comptes et de la commission pour l’avenir des finances publiques. D’autre part, elle offrira la possibilité de mieux comparer les prévisions des lois de programmation et des lois financières annuelles dont toutes les données sont exprimées en euros courants, pour autant que soient fournies par le Gouvernement les clés détaillées qui permettent de passer des conventions de la comptabilité nationale, selon lesquelles sont présentées les dépenses des administrations publiques, à celles de la comptabilité budgétaire.

Le Conseil d’Etat recommande d’ajuster la rédaction proposée, en réservant le terme « d’objectif » aux évolutions en volume et d’utiliser de préférence celui de « prévision » pour les évolutions en euros courants, qui dépendent de la combinaison de l’objectif en volume et des prévisions de taux d’inflation.

7. En cohérence avec la création de ce nouvel outil de pilotage au sein des lois de programmation des finances publiques, la proposition de loi organique complète le contenu prescrit pour l’article liminaire des lois de finances par le futur article 1er G de la LOLF, en prévoyant d’y insérer, aux côtés d’une prévision de solde effectif et de solde structurel déjà prévue par la loi organique de 2012, une prévision de dépense des administrations publiques en euros courants. Le Conseil d’Etat, outre les mêmes ajustements rédactionnels que ceux mentionnés au point précédent, recommande de remplacer les mots « et pour chacune des années à venir de la programmation... » par les mots « en rappelant les prévisions de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) en vigueur pour l’année en question », afin de supprimer une mention qui pourrait laisser à penser que la programmation devrait, chaque année et de façon glissante, être révisée pour l’avenir au sein de l’article liminaire, ce qui ne correspond pas à l’objet de cet article.

8. Enfin, le Conseil d’Etat suggère de réintroduire, au sein du rapport annexé aux lois de programmation des finances publiques, d’une part, l'estimation des dépenses d'assurance vieillesse et des dépenses d'allocations familiales sur la période de programmation, d’autre part, les perspectives de recettes, de dépenses et de solde des régimes complémentaires de retraite et de l’assurance chômage, qui semblent avoir été soustraites par une erreur de plume du champ de ce rapport.

Les dispositions relatives à l’affectation de recettes (article 3 de la proposition de loi organique, article 2 de la LOLF)

9. Outre des conditions de procédure, l’article 2 de la LOLF prévoit qu’un tiers ne peut se voir affecter une imposition qu’à raison des missions de service public qui lui sont confiées. Ces dispositions, si elles requièrent que l’affectataire soit chargé d’une mission de service public, n’ont en revanche pas été entendues comme impliquant l’existence d’un lien entre la nature de la recette affectée et celle du service rendu à l’usager. En pratique, les affectations ont été nombreuses, que ce soit au profit de personnes privées, à l’occasion de la disparition des anciennes taxes parafiscales lors de l’entrée en vigueur de la LOLF, de personnes publiques, opérateurs de l’Etat ou de fonds sans personnalité juridique.

10. Les auteurs de la proposition de loi organique entendent resserrer le champ de la fiscalité affectée. A cet effet, ils proposent de consacrer, au niveau organique, la doctrine d’emploi des taxes affectées prévue à l’article 18 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

Si la disposition selon laquelle une imposition ne peut être affectée qu’à raison d’une mission de service public subsisterait, une affectation à des tiers autres que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale ne pourrait, en outre, être instituée ou maintenue que si elle répond à l’un des critères suivants :

- la ressource assure le financement d'un service rendu par l'affectataire à un usager et son montant doit pouvoir s'apprécier sur des bases objectives ;

- la ressource finance, au sein d'un secteur d'activité ou d'une profession, des actions d'intérêt commun ;

- la ressource finance des fonds nécessitant la constitution régulière de réserves financières.

11. Le Conseil d’Etat considère que le maintien du critère préexistant d’affectation à raison des missions de service public confiées à un tiers, qui se combinerait désormais avec ces trois critères alternatifs, comporte un risque de contradiction s’agissant des deux derniers d’entre eux. En effet, les ressources affectées à l’un ou l’autre de ces deux titres sont susceptibles de couvrir des activités qui ne relèvent pas de missions de service public.

Par ailleurs, quant au deuxième critère, le Conseil d’Etat rappelle la position qui avait déjà été la sienne en 2000 dans le cadre de son avis sur la réforme de la loi organique relative aux lois de finances, dans lequel il indiquait que s’« il est loisible d’affecter une imposition de toute nature à un établissement public industriel ou commercial ou à une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, (…) on ne saurait en revanche envisager de percevoir une telle imposition au profit d’une personne privée qui ne poursuit, conformément à son objet, qu’un intérêt propre à un secteur d’activité ou à une profession ».

12. Afin d’éviter une potentielle contradiction des critères encadrant le mécanisme de l’affectation de recettes à des tiers, le Conseil d’Etat recommande, pour les motifs exposés ci dessus, de renoncer à inscrire dans la loi organique la doctrine d’emploi issue de la LPFP pour les années 2018 à 2022. Il formule toutefois, pour traduire l’intention des auteurs de la proposition de loi organique de préciser et de resserrer les possibilités existantes d’affectation, deux observations et une proposition.

13. En premier lieu, la condition, prévue par l’article 2 de la LOLF, relative à l’existence d’une mission de service public, peut être présumée remplie pour les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale, qui ne sont d’ailleurs, à juste titre, pas concernés par l’encadrement souhaité par les auteurs de la proposition de loi organique.

En deuxième lieu, s’agissant des tiers autres que les affectataires précités, le Conseil d’Etat relève que le parti retenu par la proposition de loi organique, qui entend encadrer non seulement les créations de mécanismes d’affectation, mais aussi leur simple maintien, est d’ores et déjà de nature, en le combinant au critère actuel tiré de l’existence d’une mission de service public, à entraîner un resserrement des affectations existantes. L’introduction d’une telle exigence pour le maintien de ces dernières permet en effet de restreindre leur périmètre actuel, à la faveur d’une revue générale des ressources affectées à ce jour. Dans cette hypothèse, en effet, se verraient exclus du bénéfice de recettes affectées ceux des affectataires actuels qui ne seraient pas chargés d’une mission de service public.

En troisième lieu, l’encadrement plus strict de la pratique de l’affectation pourrait également passer par la réaffirmation du principe selon lequel les affectations de recettes ne peuvent s’opérer qu’au profit de tiers dotés de la personnalité morale, à l’exclusion des fonds sans personnalité juridique, dont certains bénéficient en pratique aujourd’hui de taxes affectées, pratique qui est en contradiction avec l’esprit de la LOLF.

Le Conseil d’Etat estime que, compte tenu de l’impact que sont susceptibles d’avoir les mesures exposées ci-dessus, leur entrée en vigueur devrait être différée à 2025 au plus tôt.

14. Dans l’hypothèse, enfin, où le législateur organique souhaiterait néanmoins aller encore plus loin dans la restriction des possibilités d’affectation, le Conseil d’Etat appelle l’attention sur le fait qu’un tel resserrement, qui pourrait par exemple consister à introduire une condition de lien strict entre la mission de service public confiée à un tiers et la recette qui lui est affectée à ce titre, emporterait des effets massifs sur un nombre important d’affectataires actuels, ce qui supposerait d’en décaler encore davantage la date d’entrée en vigueur.

Les dispositions relatives aux prélèvements sur recettes (article 4 de la proposition de loi organique, article 6 de la LOLF)

15. Les auteurs de la proposition de loi entendent également encadrer la pratique des prélèvements sur recettes, qui constitue une exception au principe d’universalité budgétaire.

L’existence des prélèvements sur recettes, qui a été consacrée par la LOLF, avait déjà été admise par le Conseil constitutionnel à deux reprises dans ses décisions n° 82-154 DC du 29 décembre 1982 et n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, qui les a analysés comme « une rétrocession directe d’un montant déterminé de recettes de l’Etat au profit des collectivités locales ou des communautés européennes en vue de couvrir des charges qui incombent à ces bénéficiaires et non à l’Etat ». Leur constitutionnalité a néanmoins été soumise à quatre conditions : l’existence de bénéficiaires limitativement énumérés, en l’occurrence les collectivités territoriales et l’Union européenne ; la stricte circonscription de leur objet et l’interdiction d’y recourir pour la couverture de charges permanentes de l’Etat ; la définition distincte et précise de leur montant et de leur destination ; la justification financière de ce montant.

16. L’article 4 de la proposition de loi organique vise, en premier lieu, à améliorer l’information du Parlement, en créant un rapport sur la situation des finances publiques locales, qui serait annexé au projet de loi de finances de l’année et comporterait une évaluation de « l’efficacité » des prélèvements sur recettes affectés aux collectivités territoriales. Compte tenu de l’objectif poursuivi, qui est de mesurer l’impact de ces prélèvements en matière de péréquation, le Conseil d’Etat recommande de préciser que telle est la finalité de l’évaluation proposée.

La proposition de loi organique prévoit également de faire entrer la « définition » des prélèvements sur recettes dans le domaine réservé des lois de finances à l’article 34 de la LOLF. Le Conseil d’Etat observe que l’utilisation de ce terme pourrait conduire à basculer dans la première partie des dispositions qui relèvent en toute rigueur de la seconde partie, en particulier les modalités de répartition de la dotation globale de fonctionnement. Il préconise donc de remplacer le verbe « définit » par le verbe « institue ».

Enfin, la proposition de loi a pour ambition de restreindre le périmètre de ces prélèvements en précisant qu’ils « ne peuvent servir à couvrir des charges incombant à l’Etat ou être assortis d’un objectif déterminé dans le cadre d’une politique dont ce dernier a la charge ».

Cette rédaction reprend en partie la jurisprudence constitutionnelle de 1982 précitée qui, en interdisant la couverture de charges incombant à l’Etat, entendait prohiber la débudgétisation de charges par nature de celui-ci assortie de leur financement au moyen de prélèvements sur recettes. Elle la complète, en interdisant que ces prélèvements soient assortis d’un objectif déterminé dans le cadre d’une politique dont l’Etat a la charge.

Toutefois, la restriction du périmètre des bénéficiaires de prélèvements sur recettes aux seules collectivités territoriales et à l’Union européenne par la LOLF, postérieurement à la jurisprudence de 1982, permet déjà d’atteindre l’objectif poursuivi d’interdire les débudgétisations de charges par nature de l’Etat. La formulation retenue pourrait, en outre, conduire à remettre en cause des prélèvements sur recettes existants, qui correspondent à des compétences que l’Etat, qui en assumait auparavant la charge financière, a transférées aux collectivités territoriales en leur rétrocédant un montant de recettes déterminé, comme c’est le cas avec la dotation générale de décentralisation, depuis son intégration dans la dotation globale de fonctionnement.

17. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil d’Etat suggère de renoncer aux dispositions envisagées eu égard, notamment, au fait que la proposition de loi organique prévoit par ailleurs le principe de la définition et de l’évaluation précise et distincte des prélèvements sur recettes, dans leur montant et leur destination, dans le cadre de la loi de finances, ce qui reprend la jurisprudence constitutionnelle et répond efficacement à la volonté d’encadrer ce mécanisme.

Les modifications apportées au contenu de la loi de finances de l’année (article 5 de la proposition de loi organique, article 34 de la LOLF)

18. L’article 34 de la LOLF recense les dispositions qui figurent en lois de finances de l’année. Ces dispositions sont de trois types : celles qui doivent figurer en loi de finances (domaine exclusif obligatoire), celles qui ne peuvent figurer qu’en loi de finances (domaine exclusif facultatif), celles qui peuvent figurer en loi de finances (domaine partagé, par construction facultatif). La place qu’elles occupent au sein de la loi de finances est également régie par cet article : sur les vingt-deux rubriques qu’il comporte, dix correspondent à des dispositions figurant en première partie, douze à des dispositions relevant de la seconde partie. L’article 34 a donc une triple fonction : il fixe la liste des votes émis par le Parlement sur la loi de finances, régit la structure et le contenu de cette loi et, enfin, par a contrario, détermine les dispositions qui constituent des cavaliers budgétaires et sont, dès lors, susceptibles d’être annulées d’office par le Conseil constitutionnel. Les auteurs de la proposition de loi organique y apportent de nombreuses modifications, qui peuvent être regroupées sous sept rubriques.

1° S’agissant des ressources, notamment fiscales, les champs des première et seconde parties seraient modifiés

19. L’article 34 actuel limite le champ de la première partie aux seules dispositions qui affectent l’équilibre et, donc, induisent des pertes ou des gains de ressources, notamment en matière fiscale. Cette limitation est contrôlée par le Conseil constitutionnel, qui censure les dispositions placées en première partie dépourvues d’impact sur l’équilibre (décision n° 2015-725 DC du 29 décembre 2015, point 15). Corrélativement, la seconde partie peut contenir toute disposition n’affectant pas l’équilibre relative à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature, y compris lorsqu’est en cause la fiscalité d’Etat.

La proposition de loi organique étend le champ de la première partie à toutes les dispositions concernant la fiscalité d’Etat, qu’elles aient ou non une incidence sur l’équilibre de l’année. La seconde partie serait, corrélativement, limitée aux dispositions relatives aux impôts affectés à des personnes autres que l’Etat, par construction sans incidence sur cet équilibre. L’intention des auteurs est d’éviter que les mêmes débats fiscaux, à la seule date d’effet près, se répètent lors des discussions de la première partie puis des articles non rattachés de la seconde partie.

La mesure proposée n’altère pas le principe selon lequel toutes les dispositions ayant une incidence sur l’équilibre figurent en première partie. Par ailleurs, il faut également prendre acte de la difficulté qu’il y a à classer certaines dispositions fiscales ayant un impact très faible ou difficile à quantifier. Au total, la modification proposée n’étant pas de nature à altérer la clarté et la sincérité du débat parlementaire et la jurisprudence de 2015 précitée du Conseil constitutionnel se fondant sur le texte actuel de la LOLF et non sur un principe constitutionnel, le Conseil d’Etat n’émet pas d’objection à ce qui est proposé.

2° Le Parlement examinerait, en première partie, toutes les affectations d’impositions de toutes natures à des personnes autres que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et la sécurité sociale

20. La proposition de loi organique prévoit que la loi de finances, en première partie, « présente » les impositions en question. L’intention des auteurs est de permettre au Parlement d’avoir une vue exhaustive de l’ensemble des taxes affectées, pour, le cas échéant, remettre en cause certaines affectations dans leur principe ou en modifier le quantum, dans l’un et l’autre cas au bénéfice du budget général. Il s’agit donc, à la fois, de donner une base organique à la pratique du plafonnement de certaines taxes, suivie depuis une dizaine d’années, et d’élargir potentiellement son champ à toutes les taxes affectées. Concrètement, la loi de finances contiendrait un tableau recensant ces taxes, en mentionnant pour chacune d’entre elles l’affectataire et le produit prévisionnel. Les lignes du tableau ne donneraient pas lieu à vote, mais pourraient constituer l’occasion d’amendements pour, le cas échéant, attribuer à l’Etat tout ou partie du produit des taxes concernées.

Cette proposition ne pose pas de difficulté de principe. Le Conseil d’Etat suggère de compléter son texte en y précisant expressément la possibilité qui sera ouverte au législateur financier de réallouer tout ou partie du montant des taxes en question au profit du budget général, ce qui correspond bien à l’intention des auteurs. Seule cette dernière partie du dispositif adopté chaque année aura, au demeurant, une portée normative : les lignes du tableau pour lesquelles aucune modification de l’affectation préexistante ne sera décidée, en effet, auront valeur de simple information, compte tenu de l’utilisation du verbe « présenter ». Il n’est pas proposé de remplacer ce dernier par le verbe « confirmer », eu égard aux difficultés qui s’ensuivraient, si tel était le choix retenu, quant à la possibilité de poursuivre la perception des taxes qui auraient, le cas échéant, été omises dans le tableau.

Par ailleurs, la proposition de loi précise expressément, s’agissant du champ des dispositions fiscales de seconde partie, que celle-ci peut contenir toute disposition relative aux affectations. Cette possibilité doit être articulée avec le dispositif de première partie exposé ci-dessus : les dispositions créant de nouvelles affectations, ou bien augmentant ou diminuant le produit de taxes sans impact sur la part attribuée à l’Etat par la première partie, seront celles qui pourront être débattues en seconde partie. Mais pour garantir l’exactitude du tableau adopté en première partie quant aux montants prévisionnels des différentes taxes, ce tableau devra, en ce cas, être rappelé pour coordination en fin de débat, sans impact sur l’équilibre.

3° L’article d’équilibre serait présenté en distinguant fonctionnement et investissement

21. Le tableau d’équilibre serait présenté en deux sections, l’une présentant les dépenses et les recettes de fonctionnement, l’autre les dépenses et les recettes d’investissement. La proposition de loi organique, en se fondant sur les différentes catégories prévues aux articles 3 et 5 de la LOLF, prévoit ce qui relève des unes et des autres.

Cette modification peut sembler faire double emploi avec une information dont la communication est déjà prévue par l’article 51 de la LOLF, qui prescrit d’annexer au projet de loi de finances une présentation du budget en une section de fonctionnement et une section d’investissement. Toutefois, le tableau en question n’est appelé à figurer que dans une annexe au projet de loi et pas dans la loi adoptée par le Parlement : il n’est, ainsi, pas formellement débattu par les parlementaires. La proposition formulée a donc une portée, et ne pose aucune difficulté de principe, pour autant que soit supprimée la référence faite par le texte de la proposition de loi organique aux obligations et bons du trésor émis par l’Etat, qui constituent une ressource du tableau de financement et pas du tableau d’équilibre.

4° Les objectifs de l’action de l’Etat et les indicateurs de performance mesurant leur atteinte feraient l’objet de votes au Parlement

22. L’insertion, dans les documents annexés au projet de loi de finances, d’un appareillage de mesure de la performance a constitué l’une des grandes innovations de la LOLF. Les éléments correspondants figurent dans les projets annuels de performance, documents présentant les crédits des missions et programmes, qui ont un caractère informatif.

La proposition de loi organique franchit un nouveau palier, en prévoyant que les objectifs et indicateurs puissent être votés et, en conséquence, amendés par le Parlement. Les auteurs en attendent une plus grande appropriation de la performance par le Parlement et, en retour, une prise en compte mieux affermie de celle-ci par les gestionnaires.

Le Conseil d’Etat considère que cette modification ne méconnaît pas les prérogatives que tient le Gouvernement de l’article 20 de la Constitution, dans la mesure où, même voté par le Parlement, ce cadre de mesure de la performance ne saurait entraver son action et être regardé comme une injonction qui lui serait faite, le vote portant, au demeurant, sur le choix des indicateurs et non sur la cible fixée par le Gouvernement dans le projet annuel de performance.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat estime que la modification proposée ne méconnaît pas la disposition de l’article 34 de la Constitution aux termes de laquelle : « des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’Etat », dans la mesure où les objectifs et indicateurs dont sont assortis les crédits du budget ne sont pas de même nature que ceux que sont susceptibles de contenir les lois de programmation sectorielles, lesquelles ont une dimension pluriannuelle marquée, peuvent fixer des objectifs de politique publique dépourvus de caractère financier et ne couvrent pas nécessairement tous les domaines de l’action de l’Etat.

La disposition proposée, enfin, se rattache à l’objet des lois de finances tel que prévu par l’article 34 de la Constitution, qui est de déterminer les charges de l’Etat (ainsi que ses ressources), car la mesure de la performance entretient des liens certains avec la budgétisation des crédits, qui pourraient d’ailleurs se renforcer grâce à la disposition proposée.

5° Un nouvel état, retraçant toutes les ressources affectées aux politiques publiques financées par les missions budgétaires, serait présenté en loi de finances

23. Prenant acte de ce que l’état B, qui retrace les crédits des missions, ne donne qu’une vue tronquée de la réalité des ressources qui leur sont affectées, la proposition de loi organique demande que soient présentés, pour chaque mission, dans un nouvel état, non seulement les crédits, mais aussi les ressources issues des dépenses fiscales, des taxes affectées, des comptes spéciaux, des prélèvements sur recettes et des « moyens dont disposent les fonds sans personnalité juridique », qui concourent au financement des politiques publiques de la mission.

Concrètement, un nouvel état serait donc créé, mais il n’ouvrirait pas de droits à dépenser contrairement aux crédits de l’état B et les sommes qui y apparaîtraient seraient non fongibles ; cet état serait donc dépourvu de portée normative. L’intention des auteurs est, sur ce point, claire et la solution inverse serait, au demeurant, impossible à mettre en œuvre, compte tenu de la diversité de régime juridique des sources de financement en question. Bien que rompant avec la logique actuelle de l’article 34 de la LOLF, qui est de recenser des domaines de compétence de la loi de finances appelant des votes parlementaires et, donc, l’adoption de dispositions normatives, la proposition améliorera l’information des parlementaires et aura comme conséquence que le nouvel état figurera dans la loi adoptée.

Le Conseil d’Etat suggère deux modifications : d’une part, l’utilisation du verbe « récapitule », qui marque mieux la portée indicative de ce nouvel état, d’autre part, la suppression de la référence aux « moyens des fonds sans personnalité juridique » qui, outre qu’elle consacrerait dans la loi organique une pratique qui, en réalité, est contraire à ses principes, fausserait le montant réel des ressources des missions, dans la mesure où ces fonds sont alimentés soit par des taxes affectées soit par des subventions budgétaires, ce qui provoquerait des doubles comptes si leurs « moyens » étaient retenus.

Enfin, le Conseil d’Etat propose d’intégrer au nouvel état la distinction des crédits d’investissement et des autres crédits et de ne pas modifier l’état B en y isolant les crédits d’investissement, comme le proposent également les auteurs de la proposition. L’information souhaitée serait ainsi apportée, sans que soit perturbée la logique actuelle de l’état B, dont tous les chiffres correspondent à des montants limitatifs et sont susceptibles d’être amendés lors des débats, ce qui ne serait plus le cas si on y mentionnait, pour information, la part correspondant à des crédits d’investissement, sauf à rendre limitative cette part, ce qui ne correspond pas à l’intention des auteurs.

6° La seconde partie pourrait contenir des dispositions « affectant les dépenses », sans qu’il soit besoin qu’il s’agisse des dépenses « de l’année »

24. Le domaine facultatif des lois de finances comprend, aujourd’hui, les dispositions de nature à affecter directement le niveau des dépenses, soit à la baisse soit à la hausse, pour autant qu’il s’agisse des dépenses de l’année concernée par la loi de finances en débat, en application du b) du 7° du II de l’article 34 de la LOLF (en seconde partie, la loi de finances de l’année peut « comporter des dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année »). De ce fait, seules peuvent y être insérées des dispositions assorties d’un impact identifié sur les crédits ouverts au titre de l’année considérée, qu’elles aient par ailleurs un caractère ponctuel ou un caractère permanent. En revanche, des dispositions portant sur une année autre que celle en débat sont censurées par le Conseil constitutionnel (décision n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018, points 66 et 67).

La proposition de loi élimine cette restriction, ce qui est de nature à élargir le champ des lois de finances.

Cette modification peut trouver une justification dans le souci des auteurs de mieux prendre en compte la dimension pluriannuelle des finances publiques. Elle permettrait au législateur financier, comme c’était le cas sous l’empire de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959, d’adopter des dispositions affectant directement les dépenses de l’Etat sans qu’il soit en outre nécessaire d’établir dans tous les cas, de façon parfois artificielle, une incidence sur l’année en cause.

Elle appelle cependant des réserves de la part du Conseil d’Etat.

Les lois de finances sont en effet soumises à des règles de procédure spéciales, qui enserrent la discussion parlementaire dans un cadre temporel contraint et confèrent au Gouvernement des prérogatives qu’il n’a pas dans le cadre de l’examen des lois ordinaires. En exigeant une incidence sur les dépenses « de l’année », la restriction apportée par le législateur organique en 2001 a permis de limiter le risque que les lois de finances servent de vecteur à des réformes susceptibles de soulever des questions délicates dont l’examen n'est pas compatible avec les délais et les règles de procédure régissant ces lois. La modification proposée n’est donc pas, en l’absence de jurisprudence du Conseil constitutionnel explicite sur la question en cause, dépourvue de risque constitutionnel.

Sans doute l’insertion en loi de finances de dispositions fiscales dépourvues d’impact sur les recettes de l’année n’a-t-elle pas été remise en cause par la LOLF, sans que ceci appelle de critique de la part du Conseil constitutionnel lorsqu'il l'a examinée. Mais le champ de la fiscalité est, par lui-même, circonscrit, alors que des dispositions législatives susceptibles d’avoir une incidence directe sur les dépenses peuvent concerner l’ensemble des politiques publiques.

Le Conseil d’Etat estime dans ces conditions préférables de ne pas étendre le champ de ces dispositions au-delà de celles qui ont un impact sur les crédits de l’année, le maintien d’une telle condition étant au demeurant plus cohérent avec le principe d’annualité budgétaire, issu des article 34 et 47 de la Constitution selon les termes du point 21 de la décision du 9 août 2012 du Conseil constitutionnel.

7° La LOLF prévoirait expressément le vote de plafonds d’autorisation des emplois des opérateurs, des autorités administratives et publiques indépendantes et des établissements à autonomie financière

25. Cette adjonction donne un fondement juridique à la pratique suivie et n’appelle pas d’observation. Au demeurant, le plafonnement des emplois en question, s’il ne trouvait, jusqu’à présent, aucune assise dans la LOLF, entretient néanmoins un lien avec le montant des crédits pour tous ceux des opérateurs qui bénéficient de subventions de l’Etat. Le Conseil d’Etat suggère une modification rédactionnelle, destinée à corriger une erreur de plume et à préciser que le plafond est, pour les établissements à autonomie financière, un plafond global et non un plafond pour chaque établissement, ce qui ne serait pas cohérent avec le fait que les emplois concernés sont au nombre de seulement un peu plus de 3 000 au total.

Les dispositions relatives aux lois de finances de fin de gestion (articles 2 et 6 de la proposition de loi organique, article 35 de la LOLF)

26. Conformément aux préconisations de la MILOLF, la proposition de loi organique entend cantonner le « collectif budgétaire » de fin d’année aux seules opérations de fin de gestion, à l’exclusion de toute disposition fiscale nouvelle. A cet effet, les articles 2 et 6 instaurent une nouvelle catégorie de lois de finances, les lois de finances de fin de gestion, que la proposition de loi organique vise à restreindre aux seuls « articles de chiffres », en excluant une série de dispositions relevant du champ traditionnel des lois de finances rectificatives, tel que défini par l’article 35 de la LOLF.

Seraient ainsi exclus des lois de finances de fin de gestion l’ensemble du domaine facultatif des lois de finances, en particulier toute disposition relative aux ressources de l’Etat ou à de la fiscalité affectée, ainsi que toute disposition relative aux dépenses budgétaires, à la seule exception de celles affectant directement l’année en cours. Serait également exclue une partie du domaine exclusif des lois de finances, à savoir, d’une part, les dispositions relatives à l’évaluation des recettes budgétaires et à la fixation des plafonds de dépenses et des plafonds d’emplois, d’autre part, les dispositions relatives à l’autorisation de l’octroi des garanties de l’Etat et de la prise en charge de dettes de tiers.

27. Le Conseil d’Etat observe, en premier lieu, que l’interdiction de comporter des dispositions relatives à l’évaluation des recettes budgétaires et à la fixation des plafonds de dépenses et d’emplois, qui correspondent à la raison d’être d’une loi de finances rectificative, a fortiori de fin d’année, relève d’une erreur de plume qui doit être corrigée.

Il considère, en deuxième lieu, que l’exclusion des dispositions relevant du domaine facultatif des lois de finances, qui conduit en pratique à interdire au Gouvernement d’introduire des mesures fiscales nouvelles dans une loi de finances de fin de gestion, n’est pas incompatible avec l’article 20 de la Constitution, aux termes duquel le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, dès lors d’une part, qu’il reste loisible au Gouvernement de soumettre au Parlement de nouvelles mesures dans le cadre d’une loi ordinaire présentée en fin d’année et que, d’autre part, le Gouvernement n’est pas tenu par le texte de la proposition de loi organique de présenter un projet de loi de finances de fin de gestion, auquel il pourra, le cas échéant, préférer un projet de loi de finances rectificative de droit commun. Il lui sera même loisible, aucune interdiction n’étant formulée à cet égard, de déposer un projet de loi de finances rectificative quand bien même il aurait déjà soumis auparavant au Parlement un projet de loi de finances de fin de gestion.

Toutefois, il importe de prévenir une telle situation. A cet effet, le Conseil d’Etat suggère que les mesures, relevant du domaine exclusif, que sont l’autorisation de l’octroi de garanties de l’Etat et la prise en charge de dettes de tiers, soient réintroduites dans le champ des dispositions pouvant figurer au sein d’une loi de finances de fin de gestion, de façon à permettre de traiter au sein d’une telle loi l’hypothèse de circonstances exceptionnelles exigeant, notamment, la création d’un mécanisme de garantie.

En conséquence, seul le domaine facultatif de la loi de finances serait exclu du champ des lois de finances de fin de gestion. Si cette modification du texte impliquera de renoncer à l’interdiction totale de tout « article de lettres » au sein des lois de finances de fin de gestion, elle permettra néanmoins de répondre à l’objectif principal poursuivi, qui est d’empêcher que des mesures fiscales soient présentées au Parlement en fin d’année, dans des conditions précipitées.

28. Le Conseil d’Etat observe, enfin, que l’interdiction, par l’article 6 de la proposition de loi organique, faite aux lois de finances rectificatives et aux lois de finances de fin de gestion, de comporter toute disposition autre que celles prévues au I et au II de l’article 34 de la LOLF, apparaît inutile, dès lors que l’article 34, auquel renvoie l’article 35, limite déjà strictement le champ d’intervention possible des lois de finances.

Les dispositions relatives au calendrier budgétaire parlementaire et à l’information du Parlement (articles 1, 7, 8, 9 et 10 de la proposition de loi organique)

29. Dans un souci de rationalisation et de consolidation du rôle de contrôle et d’évaluation du Parlement, la proposition de loi organique entend renforcer le mécanisme de « chaînage vertueux » entre l’exécution et la prévision, en engageant une réforme du calendrier budgétaire parlementaire autour de deux séquences annuelles :

- la première, au printemps, qui débuterait au 30 avril avec le dépôt, avant cette date, d’un rapport du Gouvernement sur le programme de stabilité, qui serait désormais concomitant du dépôt du projet de loi de règlement, dont la date est avancée au 1er mai. Cette séquence, qui inclurait le « printemps de l’évaluation » issu de la pratique parlementaire, se clôturerait au 15 juillet avec le dépôt d’un rapport du Gouvernement indiquant notamment les plafonds de crédits envisagés par mission dans la perspective du projet de loi de finances de l’année suivante. Cette dernière mesure correspondrait à la pratique actuelle du « tiré à part » du rapport en vue du débat d’orientation des finances publiques ;

- la seconde, à l’automne, qui s’accompagnerait du dépôt, avant le début de la session ordinaire, d’un rapport du Gouvernement sur la dette publique, préalablement à l’examen des lois financières.

Ces modifications sont apportées par différentes dispositions de la proposition de loi organique.

30. Le Conseil d’Etat prend acte de la volonté des auteurs de celle-ci de rationaliser le travail parlementaire par une meilleure organisation des débats en amont et en aval des textes financiers et de leur souci de disposer de l’information la plus pertinente pour éclairer ces débats.

Il appelle néanmoins l’attention sur les contraintes qu’une telle réorganisation est susceptible d’engendrer en termes de délais pour le Gouvernement, la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques, qui sont le plus souvent tenus de joindre leurs propres rapports ou avis aux textes ou rapports gouvernementaux. Il observe, ainsi, que la Cour des comptes serait conduite à rendre son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques avant le 30 avril, soit près de deux mois avant la remise actuelle de ce rapport, qui intervient traditionnellement à la fin du mois de juin, tout en restant soumise à l’obligation de remettre avant le 1er mai son rapport conjoint au dépôt du projet de loi de règlement.

Il suggère ensuite, de supprimer la disposition prévoyant que le rapport prévu par l’article 1er J du futur texte de la LOLF une fois modifié, qui devra désormais être déposé avant le 30 avril, doit contenir « une évaluation à moyen terme des ressources de l’Etat ainsi que de ses charges ventilées par grandes fonctions ». Cette disposition, reprise du droit existant, est en effet désormais satisfaite par l’obligation de fournir, dans le « tiré à part » de juillet, que consacre la proposition de loi organique, les plafonds envisagés pour les différentes missions du budget, la notion de « grandes fonctions » correspondant à une nomenclature ancienne, beaucoup plus agrégée. Il suggère, également, que ce soit ce même rapport devant être remis avant le 15 juillet qui fournisse la liste des missions, programmes et indicateurs, plutôt que celui remis avant le 30 avril, un tel calendrier étant, à cet égard, préférable.

Enfin, le Conseil d’Etat note que l’article 8 de la proposition de loi organique prévoit qu’une semaine réservée au contrôle parlementaire puisse être consacrée prioritairement au contrôle de l’exécution des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Sans être contraire à l’article 48, alinéa 4, de la Constitution, qui dispose qu’« Une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l'ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques », ces dispositions établissent une procédure pour laquelle la Constitution ne prévoit pas de renvoi à une loi organique. Le Conseil d’Etat ne peut donc que recommander sa suppression.

31. L’article 10 de la proposition de loi complète la liste, déjà longue, des informations que le Gouvernement, en vertu des articles 50 et 51 de la LOLF, doit fournir au Parlement sous forme de documents annexés au projet de loi de finances.

32. La modification la plus importante consiste à prescrire l’insertion, dans les fascicules bleus retraçant les moyens des missions et des programmes, ainsi que les données relatives à la performance, d’une trajectoire, pour chaque programme, des crédits des deux années qui suivent celle de la loi de finances en débat. Cette information, purement indicative, ne contrevient en rien au principe d’annualité et est de nature à conforter la démarche de budgétisation pluriannuelle qu’entendent, depuis plus de dix ans, promouvoir les autorités budgétaires de l’Etat. Il conviendra toutefois, pour remplir cette nouvelle obligation d’information, que les arbitrages rendus chaque année au début de l’été prennent pleinement en compte le « triennal » au lieu des seuls crédits de l’année à venir.

33. Une deuxième modification prescrit une présentation des différentes actions des programmes qui identifie les crédits d’investissement. Cette modification paraît inutile, puisque la présentation par actions, lesquelles sont des subdivisions indicatives des programmes, s’opère déjà par titre, ce qui permet d’identifier l’effort d’investissement pour chaque action.

34. Les autres modifications portent sur les dépenses fiscales et n’appellent pas de commentaire particulier, hormis la disposition prescrivant que soit justifiée, dans le fascicule des « voies et moyens », « l’opportunité de la reconduction des dépenses fiscales dont la création ou l’extension résulte de la loi de finances afférente à l’année précédente ou est prévue par le projet de loi de finances de l’année, ainsi que de celles dont, aux termes de la disposition législative qui les a instituées, l’application cessera au cours de l’année ». Ceci fait double emploi avec les évaluations préalables du projet de loi de finances ou du projet de l’année précédente. Quant aux dépenses fiscales dont le terme échoit au cours de l’année à venir, soit elles font l’objet d’une reconduction par le projet de loi de finances, où cette reconduction doit être justifiée par l’évaluation préalable de la disposition correspondante, soit il est prévu de ne pas les reconduire, cas auquel il n’y a rien à justifier.

Les dispositions relatives aux pouvoirs de contrôle du Parlement sur les finances publiques (article 11 de la proposition de loi organique)

35. L’article 11 de la proposition de loi organique, qui porte sur les pouvoirs de contrôle parlementaire sur les finances publiques, procède à trois modifications.

36. La première consiste à restreindre le champ des questionnaires budgétaires adressées au Gouvernement avant le 10 juillet en vue de l’examen du projet de loi de finances de l’année aux seules demandes de renseignements d’ordre budgétaire.

Le Conseil d’Etat appelle l’attention sur le risque de restriction excessive du périmètre des questionnaires budgétaires que comporte une telle disposition. Ces questionnaires, en effet, ne pourraient plus porter sur les dépenses fiscales, fussent-elles rattachées au programme de la mission dont les rapporteurs spéciaux auraient la charge.

37. Si la deuxième modification, qui vise à préciser que les domaines d’attribution des rapporteurs spéciaux sont définis par les commissions des finances de chacune des chambres, ne pose pas de difficulté, la troisième et dernière mesure, qui entend autoriser les commissions des finances de chaque chambre à solliciter les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes, appelle les observations suivantes.

Conformément à son article 57, la LOLF accorde d’ores et déjà des pouvoirs étendus aux membres des commissions des finances pour procéder « à toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu'ils jugent utiles » dans leur champ de compétences. A ce titre, une autorité administrative indépendante ou une autorité publique indépendante peut donc être entendue et faire l’objet d’un contrôle relatif à ses crédits, au même titre qu’un responsable de programme. Des lois ordinaires ouvrent par ailleurs des modes de saisine spécifiques de ces autorités par les assemblées parlementaires.

En revanche, les dispositions existantes ne permettent pas aux commissions des finances de consulter une autorité administrative indépendante ou une autorité publique indépendante pour obtenir des informations qui relèvent du champ de compétences de cette dernière. La mesure proposée élargit donc le pouvoir de sollicitation de ces autorités par les commissions des finances de chaque chambre.

Le Conseil d’Etat estime que cette disposition, qui concerne des autorités indépendantes du Gouvernement, ne se heurte à aucun obstacle juridique dès lors qu’elle serait limitée à l’obtention d’informations incluses dans le strict périmètre de compétence des commissions des finances. Il préconise, pour éviter toute ambiguïté, que le champ de cette sollicitation soit donc explicitement circonscrit aux seules informations relevant des compétences de ces commissions, à savoir les finances publiques.

Les dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques (article 12 de la proposition de loi organique)

38. L’article 12 de la proposition de loi organique transfère dans la LOLF les chapitres 3 et 4 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, respectivement consacrés aux missions du Haut Conseil des finances publiques et au mécanisme de correction qui doit être enclenché en cas d’écart important à la trajectoire de solde structurel de la dernière loi de programmation au moment du dépôt du projet de loi de règlement. Les dispositions relatives au HCFP que le Conseil constitutionnel a considéré comme relevant du domaine de la loi ordinaire sont, pour leur part, reprises à l’identique dans la proposition de loi ordinaire, qui n’appelle aucun commentaire particulier du Conseil d’Etat.

Le dispositif organique reprend, lui aussi, en grande partie l’existant, mais apporte néanmoins plusieurs modifications importantes.

En particulier, il élargit le champ des missions du Haut Conseil des finances publiques en le rendant compétent pour apprécier :

- la cohérence de l’article liminaire du projet de loi de finances de l’année et du projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année au regard des orientations pluriannuelles de dépense des administrations publiques définies dans la LPFP ;

- le réalisme des recettes et des dépenses des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale, des projets de loi de finances rectificative et des projets de loi de financement rectificatives de la sécurité sociale ;

- à la demande du Gouvernement, les conséquences financières de toute disposition figurant dans ces quatre catégories de textes.

39. L’article 3 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) signé à Bruxelles le 2 mars 2012, prévoit que : « Les parties contractantes mettent en place, au niveau national, le mécanisme de correction visé au paragraphe 1, point e), sur la base de principes communs proposés par la Commission européenne et concernant en particulier la nature, l'ampleur et le calendrier des mesures correctives à mettre en œuvre, y compris en cas de circonstances exceptionnelles, ainsi que le rôle et l'indépendance des institutions chargées, au niveau national, de vérifier le respect des règles énoncées au paragraphe 1 ». Conformément au a) du point 1 de l’article 2 du règlement (UE) n° 473/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les Etats membres de la zone euro, les organismes indépendants chargés de surveiller le respect des règles budgétaires européennes doivent notamment être « structurellement indépendants » ou jouir « d'une autonomie fonctionnelle par rapport aux autorités budgétaires de l'Etat membre », cette indépendance passant en particulier par « l’interdiction de prendre des instructions des autorités budgétaires de l’Etat membre concerné ou de tout autre organisme public ou privé », « la capacité de communiquer publiquement en temps utile », ainsi que « des ressources suffisantes et un accès approprié à l’information afin de mener à bien leur mission ».

L’attribution au Haut Conseil de la mission d’apprécier le réalisme des recettes et des dépenses des lois financières vient renforcer significativement les capacités de ce dernier pour assumer sa mission de surveillance de la trajectoire des finances publiques et de suivi de la cohérence du scénario macroéconomique.

S’agissant de la possibilité pour le Gouvernement de demander au Haut Conseil des finances publiques d’apprécier les conséquences financières de telle ou telle mesure nouvelle inscrite dans un projet de loi financier, le Conseil d’Etat observe qu’une telle modalité de saisine du Haut Conseil ne correspond pas, selon les standards européens, aux missions traditionnelles qui incombent aux comités budgétaires indépendants, lesquels ont vocation à se prononcer à échéances programmées, sur un cadre et des dispositions répondant à un format normalisé. Pour autant, ces dispositions ne sont pas de nature à nuire à l’indépendance du Haut Conseil, dès lors que l’examen des mesures nouvelles auquel il se livrerait à la demande du Gouvernement ne remet pas en cause le plein accès à l’information dont il dispose par ailleurs pour l’exercice général de ses missions.

40. Ces nouvelles missions confiées au Haut Conseil des finances publiques conduisent également, compte tenu de l’ampleur des travaux qu’elles impliquent, à s’interroger sur le maintien d’un délai d’une semaine entre la transmission par le Gouvernement au HCFP des éléments nécessaires des projets de lois financières ou des projets de LPFP, et la saisine du Conseil d’Etat sur ces textes. Si un tel délai peut se justifier pour les projets de lois financières, tel n’est pas le cas pour les lois de programmation des finances publiques. Ce délai paraît, enfin, encore moins justifiable pour la saisine du Haut Conseil des finances publiques sur les dispositions des projets de loi de programmation sectoriels ayant une incidence sur les finances publiques.

41. Le Haut Conseil serait également, en vertu de l’article 12 de la proposition de loi organique, tenu de rendre un avis sur le rapport sur la trajectoire, les conditions de financement et la soutenabilité de la dette, que le Gouvernement doit remettre au Parlement avant le début de la session ordinaire, dans la perspective d’un éventuel débat parlementaire. Cette mesure est cohérente avec le souci de renforcer le contrôle sur la soutenabilité des finances publiques à moyen et long termes.

42. L’article 12 de la proposition de loi organique rend également le Haut Conseil compétent pour apprécier les dispositions des projets de loi de programmation sectoriels ayant une incidence sur les finances publiques. Cette disposition contribue opportunément à consolider l’évaluation et le suivi au long cours par le Haut Conseil de la compatibilité de l’ensemble des politiques publiques mises en œuvre avec les objectifs de dépenses inscrits dans la LPFP.

43. Le mécanisme de correction en cas de constatation, au stade du projet de loi de règlement, d’écarts importants entre les résultats de l’exécution de l’année écoulée avec les orientations pluriannuelles de solde structurel qui figurent dans la LPFP est repris pour l’essentiel à l’identique par la proposition de loi organique.

Néanmoins, le texte proposé renforce le suivi par le Haut Conseil du mécanisme de correction. Lorsque celui-ci identifie un écart important en amont du dépôt du projet de loi de règlement, le Gouvernement est actuellement simplement tenu d’exposer les raisons de cet écart lors de l’examen parlementaire de ce texte. Il serait désormais également tenu, dès ce stade, d’indiquer les mesures de correction envisagées, celles-ci n’étant pour l’heure apportées que dans la prochaine loi de finances ou loi de financement de l’année.

A l’occasion de la reprise à l’identique des dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles, définies à l’article 3 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) signé à Bruxelles le 2 mars 2012, de nature à justifier les écarts constatés, le Conseil d’Etat observe que la procédure de saisine du Haut Conseil des finances publiques pour constater qu’une situation de circonstances exceptionnelles est constituée ou que de telles circonstances n’existent plus, mériterait d’être clarifiée, la rédaction, inchangée, figurant au IV de l’article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et la gouvernance des finances publiques, étant peu claire sur la portée de l’avis du Haut Conseil et la marge de manœuvre laissée au Gouvernement dans un tel contexte.

44. L’article 12 prévoit également une mesure de nature à renforcer le suivi ex post du respect des règles budgétaires et des engagements pluriannuels, en prescrivant que l’avis du Haut Conseil des finances publiques joint au projet de loi de règlement porte désormais également sur le respect des objectifs de dépenses des administrations publiques et, au moins une fois tous les quatre ans, sur les écarts entre les prévisions macroéconomiques de recettes et de dépenses des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale et leur réalisation. Dès lors que la proposition de loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale n° 4111 crée un projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, le Conseil d’Etat recommande que l’avis du Haut Conseil, qui porte également sur les recettes et les dépenses des administrations de sécurité sociale (ASSO) soit également joint à ce projet.

45. Le Conseil d’Etat suggère, enfin de compléter les dispositions relatives à la saisine du HCFP dans le cadre des lois financière rectificatives, pour étendre cette saisine aux lois de finances de fin de gestion.

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 1er juillet 2021.