Le Conseil d'État se prononce sur la responsabilité de l'Etat dans la déportation résultant des persécutions antisémites

Décision de justice
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Par un avis rendu le 16 février 2009, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État, la plus haute formation de jugement de cette institution, s'est prononcée sur la responsabilité de l'État dans la déportation résultant des persécutions antisémites pendant la seconde guerre mondiale.

Le Conseil d'État a estimé que les actes et agissements de l'État ayant concouru à la déportation de personnes considérées comme juives par le régime de Vichy constituaient des fautes et engageaient sa responsabilité. La réparation appelait une indemnisation individuelle des victimes ainsi qu'une reconnaissance solennelle de la responsabilité de l'Etat et du préjudice collectivement subi. Selon cet avis, les différentes mesures prises depuis la fin de la seconde guerre mondiale, tant sur le plan indemnitaire que symbolique, ont réparé, autant qu'il était possible, l'ensemble des préjudices.

La fille d'une personne morte en déportation avait demandé au tribunal administratif de Paris réparation, d'une part, du préjudice subi par son père à raison des conditions de sa déportation et de sa mort dans le camp d'Auschwitz et, d'autre part, des préjudices matériels et moraux qu'elle avait personnellement subis durant et depuis l'Occupation.

Il ne revenait cependant pas au Conseil d'État de juger de cette demande spécifique, mais d'éclairer les juridictions, actuellement saisies de plus de quatre cents dossiers similaires, sur les règles à appliquer. Le tribunal administratif de Paris avait estimé nécessaire de requérir l'avis de la haute juridiction avant de statuer sur l'affaire, selon une procédure prévue par le code de justice administrative.

Le Conseil d'État reconnaît la faute et la responsabilité de l'État en raison des dommages causés par les agissements qui, ne résultant pas d'une contrainte directe de l'occupant, ont permis ou facilité la déportation à partir de la France de personnes victimes de persécutions antisémites. Engagent en particulier cette responsabilité les arrestations, internements et convoiements qui ont abouti à la déportation de 76 000 personnes, dont 11 000 enfants, 3 000 d'entre elles seulement étant revenues des camps. Ces persécutions, en rupture absolue avec les valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et par la tradition républicaine, ont provoqué des dommages exceptionnels et d'une gravité extrême.

Le Conseil d'État a ensuite passé en revue les mesures prises pour compenser ces préjudices matériels et moraux subis par les victimes de la déportation et leurs ayants droit. Il estime que, prises dans leur ensemble, et bien qu'elles aient procédé d'une démarche très graduelle et reposé sur des bases largement forfaitaires, ces mesures ont permis, autant qu'il a été possible, l'indemnisation des préjudices de toute nature causés par les actions de l'Etat qui ont concouru à la déportation. Il précise que ces mesures sont comparables, tant par leur nature que dans leur montant, à celles adoptées par les autres Etats européens dont les autorités ont commis des agissements semblables. Il souligne que cette indemnisation est conforme aux exigences de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Cet avis comporte une innovation juridique. Le Conseil d'État estime en effet que la réparation de ces souffrances exceptionnelles ne pouvait se borner à des mesures d'ordre financier : elle appelait la reconnaissance solennelle du préjudice collectivement subi par ces personnes, du rôle joué par l'État dans leur déportation ainsi que du souvenir que doit à jamais laisser, dans la mémoire de la nation, leurs souffrances et celles de leurs familles. L'avis prend acte de ce que cette reconnaissance a été accomplie par les actes et initiatives des autorités publiques françaises que sont :

  • la loi du 26 décembre 1964 qui prévoit l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité ;

  • la déclaration faite le 16 juillet 1995 par le Président de la République reconnaissant, à l'occasion de la commémoration de la grande rafle du « Vel d'Hiv », la responsabilité de l'Etat au titre des préjudices exceptionnels causés par la déportation ; 

  • en dernier lieu, la déclaration d'utilité publique, par le décret du 26 décembre 2000, de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.

Conseil d'Etat, Assemblée, 16 février 2009, Avis, 315499> Lire l'avis

16 février 2009