Conseil d'État
N° 472476
ECLI:FR:CECHR:2024:472476.20240403
Publié au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Hervé Cassara, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SARL DELVOLVE ET TRICHET, avocats
Lecture du mercredi 3 avril 2024
Vu la procédure suivante :
Le centre hospitalier Alpes-Isère a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le contrat de bail en l'état futur d'achèvement qu'il a conclu le 31 août 2017 avec la société civile immobilière Victor Hugo 21 ou, à titre subsidiaire, de résilier ce contrat. Par un jugement n° 1900740 du 31 mai 2021, ce tribunal a rejeté cette demande et a fait droit aux conclusions reconventionnelles présentées par la société Victor Hugo 21 en condamnant le centre hospitalier à lui verser la somme de 553 499,78 euros au titre des loyers dus jusqu'au 1er décembre 2020, sous déduction d'une somme de 493 277 euros déjà versée à titre de provision.
Par un arrêt n° 21MA04312 du 27 février 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du centre hospitalier Alpes-Isère, annulé ce jugement et, par la voie de l'évocation, annulé le contrat en litige et rejeté les demandes reconventionnelles présentées par la société Victor Hugo 21.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars, 23 juin 2023 et 31 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Victor Hugo 21 demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Marseille ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Alpes-Isère la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Victor Hugo 21 et à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du centre hospitalier Alpes-Isère ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier Alpes-Isère a conclu le 31 août 2017 avec la société civile immobilière Victor Hugo 21 un " bail en l'état futur d'achèvement ", qui prévoyait la location au centre hospitalier de deux bâtiments existants après l'aménagement de l'un d'eux ainsi que d'un nouveau bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans, avec une option d'achat après la douzième année. Après l'achèvement des travaux, le centre hospitalier s'est toutefois abstenu de prendre possession des locaux, a suspendu le paiement des loyers, puis a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une action en contestation de la validité de ce contrat dont il a demandé l'annulation ou, à titre subsidiaire, la résiliation. Par un jugement du 31 mai 2021, ce tribunal a rejeté sa demande et, faisant droit aux demandes reconventionnelles présentées par la société Victor Hugo 21, l'a condamné à lui verser la somme de 553 499,78 euros, sous déduction d'une provision de 493 277 euros déjà versée en application d'une ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Nancy. Sur appel du centre hospitalier, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt du 27 février 2023 contre lequel la société Victor Hugo 21 se pourvoit en cassation, annulé ce jugement et, par la voie de l'évocation, annulé le contrat en litige et rejeté les demandes reconventionnelles présentées par cette société.
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier avait soulevé, à l'appui de ses conclusions en contestation de la validité du contrat en litige dont il avait saisi le tribunal administratif de Grenoble, un moyen, qui n'était pas inopérant, tiré du caractère illicite de l'option d'achat prévue par ce contrat, que ce tribunal s'était abstenu de viser sans non plus y répondre dans les motifs de son jugement. Par suite, en jugeant que ce dernier était irrégulier pour ce motif, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au contrat en litige et repris en substance à l'article L. 1111-1 du code de la commande publique : " (...) Les marchés sont les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. (...) ". Aux termes de l'article 5 de la même ordonnance, repris à l'article L. 1111-2 du code de la commande publique : " I. - Les marchés publics de travaux ont pour objet (...) / 2° soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception (...) ". Aux termes de l'article 14 de la même ordonnance, repris à l'article L. 2512-5 du code de la commande publique : " (...) la présente ordonnance n'est pas applicable aux marchés publics passés par les pouvoirs adjudicateurs et qui présentent les caractéristiques suivantes : / (...) 2° Les marchés publics de services qui ont pour objet l'acquisition ou la location, quelles qu'en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d'autres biens immeubles, ou qui concernent d'autres droits sur ces biens ; (...) ". Le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l'objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux au sens des dispositions précitées des articles 4 et 5 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 lorsqu'il résulte des stipulations du contrat qu'il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages. Tel est le cas lorsqu'il est établi que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes de l'acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier du contrat en litige, de la notice descriptive sommaire et du cahier des prestations techniques d'aménagement et de livraison qui lui sont annexés, ainsi que de la lettre du 18 mai 2017 que le centre hospitalier a adressé à France domaine, que tant l'aménagement du bâtiment existant A que la construction et l'aménagement du nouveau bâtiment C répondent aux besoins exprimés par le centre hospitalier, visant à regrouper ses activités ambulatoires de psychiatrie infanto-juvénile ainsi que le centre d'accueil thérapeutique à temps partiel et les hôpitaux de jours consacrés à l'accueil d'enfants de moins de 12 ans, et aux exigences spécifiques qu'il a fixées relatives, d'une part, à l'implantation du nouveau bâtiment C dans la continuité du bâtiment A, d'autre part, aux nombreux aménagements intérieurs des bâtiments A et C nécessaires aux activités thérapeutiques spécifiques devant s'y dérouler. En jugeant qu'un tel contrat, dénommé par les parties " bail en l'état futur d'achèvement ", constitue, en application des dispositions des articles 4 et 5 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 citées au point 3, un marché public de travaux dès lors que l'ouvrage répondait aux besoins exprimés par le centre hospitalier, estimant nécessairement qu'il avait exercé une influence déterminante sur la conception de cet ouvrage, la cour administrative d'appel de Marseille, qui n'a relevé qu'à titre surabondant l'existence d'une clause d'option d'achat, n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
5. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa du I de l'article 60 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors en vigueur, désormais codifié à l'article L. 2191-5 du code de la commande publique : " L'insertion de toute clause de paiement différé est interdite dans les marchés publics passés par l'Etat, ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ".
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel de Marseille a, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, relevé qu'en vertu du contrat en litige, les travaux d'aménagement du bâtiment A et de construction du bâtiment C étaient rémunérés par le centre hospitalier, non par le versement immédiat d'un prix, mais par le versement de loyers ainsi que de " surloyers " d'un montant annuel de 31 852,80 euros pendant une durée de dix ans à compter de la livraison du bâtiment C. Par suite, après avoir requalifié le contrat en litige en marché public de travaux ainsi qu'il a été dit au point 4, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'une telle clause prévoyant ces versements, qui constituaient des paiements différés, était prohibée dans les marchés publics passés par les établissements publics de santé, en application des dispositions de l'article 60 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 citées au point précédent.
7. En quatrième lieu, les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation.
8. En jugeant, après avoir souverainement constaté que la clause de paiement différé mentionnée au point 6 était indivisible du reste du contrat, qu'eu égard à la nature de cette clause, le contenu du contrat présentait un caractère illicite et qu'un tel vice était de nature à justifier son annulation, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. La requérante ne peut utilement critiquer les motifs surabondants par lesquels la cour a, d'une part, relevé que le montage contractuel retenu avait pour but d'échapper aux règles de publicité et de mise en concurrence et, d'autre part, rappelé l'interdiction pour les établissements publics de santé de recourir à la procédure du marché public de partenariat.
9. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond que la cour n'a pas méconnu la portée des écritures de la société Victor Hugo 21 en relevant qu'elle n'avait pas recherché la responsabilité du centre hospitalier sur un fondement quasi-délictuel. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que dès lors que le contrat n'avait pas été résilié par le centre hospitalier mais annulé par le juge, cette société ne pouvait utilement se prévaloir des règles d'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation d'un contrat pour motif d'intérêt général.
10. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Victor Hugo 21 doit être rejeté.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Victor Hugo 21 la somme de 3 000 euros à verser au centre hospitalier Alpes-Isère au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Victor Hugo 21 au même titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société Victor Hugo 21 est rejeté.
Article 2 : La société Victor Hugo 21 versera au centre hospitalier Alpes-Isère la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Victor Hugo 21 et au centre hospitalier Alpes-Isère.
N° 472476
ECLI:FR:CECHR:2024:472476.20240403
Publié au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Hervé Cassara, rapporteur
M. Nicolas Labrune, rapporteur public
SARL DELVOLVE ET TRICHET, avocats
Lecture du mercredi 3 avril 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le centre hospitalier Alpes-Isère a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le contrat de bail en l'état futur d'achèvement qu'il a conclu le 31 août 2017 avec la société civile immobilière Victor Hugo 21 ou, à titre subsidiaire, de résilier ce contrat. Par un jugement n° 1900740 du 31 mai 2021, ce tribunal a rejeté cette demande et a fait droit aux conclusions reconventionnelles présentées par la société Victor Hugo 21 en condamnant le centre hospitalier à lui verser la somme de 553 499,78 euros au titre des loyers dus jusqu'au 1er décembre 2020, sous déduction d'une somme de 493 277 euros déjà versée à titre de provision.
Par un arrêt n° 21MA04312 du 27 février 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel du centre hospitalier Alpes-Isère, annulé ce jugement et, par la voie de l'évocation, annulé le contrat en litige et rejeté les demandes reconventionnelles présentées par la société Victor Hugo 21.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars, 23 juin 2023 et 31 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Victor Hugo 21 demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Marseille ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Alpes-Isère la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Victor Hugo 21 et à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du centre hospitalier Alpes-Isère ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier Alpes-Isère a conclu le 31 août 2017 avec la société civile immobilière Victor Hugo 21 un " bail en l'état futur d'achèvement ", qui prévoyait la location au centre hospitalier de deux bâtiments existants après l'aménagement de l'un d'eux ainsi que d'un nouveau bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans, avec une option d'achat après la douzième année. Après l'achèvement des travaux, le centre hospitalier s'est toutefois abstenu de prendre possession des locaux, a suspendu le paiement des loyers, puis a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une action en contestation de la validité de ce contrat dont il a demandé l'annulation ou, à titre subsidiaire, la résiliation. Par un jugement du 31 mai 2021, ce tribunal a rejeté sa demande et, faisant droit aux demandes reconventionnelles présentées par la société Victor Hugo 21, l'a condamné à lui verser la somme de 553 499,78 euros, sous déduction d'une provision de 493 277 euros déjà versée en application d'une ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Nancy. Sur appel du centre hospitalier, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt du 27 février 2023 contre lequel la société Victor Hugo 21 se pourvoit en cassation, annulé ce jugement et, par la voie de l'évocation, annulé le contrat en litige et rejeté les demandes reconventionnelles présentées par cette société.
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier avait soulevé, à l'appui de ses conclusions en contestation de la validité du contrat en litige dont il avait saisi le tribunal administratif de Grenoble, un moyen, qui n'était pas inopérant, tiré du caractère illicite de l'option d'achat prévue par ce contrat, que ce tribunal s'était abstenu de viser sans non plus y répondre dans les motifs de son jugement. Par suite, en jugeant que ce dernier était irrégulier pour ce motif, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au contrat en litige et repris en substance à l'article L. 1111-1 du code de la commande publique : " (...) Les marchés sont les contrats conclus à titre onéreux par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services. (...) ". Aux termes de l'article 5 de la même ordonnance, repris à l'article L. 1111-2 du code de la commande publique : " I. - Les marchés publics de travaux ont pour objet (...) / 2° soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception (...) ". Aux termes de l'article 14 de la même ordonnance, repris à l'article L. 2512-5 du code de la commande publique : " (...) la présente ordonnance n'est pas applicable aux marchés publics passés par les pouvoirs adjudicateurs et qui présentent les caractéristiques suivantes : / (...) 2° Les marchés publics de services qui ont pour objet l'acquisition ou la location, quelles qu'en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d'autres biens immeubles, ou qui concernent d'autres droits sur ces biens ; (...) ". Le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l'objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux au sens des dispositions précitées des articles 4 et 5 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 lorsqu'il résulte des stipulations du contrat qu'il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages. Tel est le cas lorsqu'il est établi que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes de l'acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier du contrat en litige, de la notice descriptive sommaire et du cahier des prestations techniques d'aménagement et de livraison qui lui sont annexés, ainsi que de la lettre du 18 mai 2017 que le centre hospitalier a adressé à France domaine, que tant l'aménagement du bâtiment existant A que la construction et l'aménagement du nouveau bâtiment C répondent aux besoins exprimés par le centre hospitalier, visant à regrouper ses activités ambulatoires de psychiatrie infanto-juvénile ainsi que le centre d'accueil thérapeutique à temps partiel et les hôpitaux de jours consacrés à l'accueil d'enfants de moins de 12 ans, et aux exigences spécifiques qu'il a fixées relatives, d'une part, à l'implantation du nouveau bâtiment C dans la continuité du bâtiment A, d'autre part, aux nombreux aménagements intérieurs des bâtiments A et C nécessaires aux activités thérapeutiques spécifiques devant s'y dérouler. En jugeant qu'un tel contrat, dénommé par les parties " bail en l'état futur d'achèvement ", constitue, en application des dispositions des articles 4 et 5 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 citées au point 3, un marché public de travaux dès lors que l'ouvrage répondait aux besoins exprimés par le centre hospitalier, estimant nécessairement qu'il avait exercé une influence déterminante sur la conception de cet ouvrage, la cour administrative d'appel de Marseille, qui n'a relevé qu'à titre surabondant l'existence d'une clause d'option d'achat, n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
5. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa du I de l'article 60 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors en vigueur, désormais codifié à l'article L. 2191-5 du code de la commande publique : " L'insertion de toute clause de paiement différé est interdite dans les marchés publics passés par l'Etat, ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ".
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel de Marseille a, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, relevé qu'en vertu du contrat en litige, les travaux d'aménagement du bâtiment A et de construction du bâtiment C étaient rémunérés par le centre hospitalier, non par le versement immédiat d'un prix, mais par le versement de loyers ainsi que de " surloyers " d'un montant annuel de 31 852,80 euros pendant une durée de dix ans à compter de la livraison du bâtiment C. Par suite, après avoir requalifié le contrat en litige en marché public de travaux ainsi qu'il a été dit au point 4, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'une telle clause prévoyant ces versements, qui constituaient des paiements différés, était prohibée dans les marchés publics passés par les établissements publics de santé, en application des dispositions de l'article 60 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 citées au point précédent.
7. En quatrième lieu, les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation.
8. En jugeant, après avoir souverainement constaté que la clause de paiement différé mentionnée au point 6 était indivisible du reste du contrat, qu'eu égard à la nature de cette clause, le contenu du contrat présentait un caractère illicite et qu'un tel vice était de nature à justifier son annulation, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. La requérante ne peut utilement critiquer les motifs surabondants par lesquels la cour a, d'une part, relevé que le montage contractuel retenu avait pour but d'échapper aux règles de publicité et de mise en concurrence et, d'autre part, rappelé l'interdiction pour les établissements publics de santé de recourir à la procédure du marché public de partenariat.
9. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juges du fond que la cour n'a pas méconnu la portée des écritures de la société Victor Hugo 21 en relevant qu'elle n'avait pas recherché la responsabilité du centre hospitalier sur un fondement quasi-délictuel. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que dès lors que le contrat n'avait pas été résilié par le centre hospitalier mais annulé par le juge, cette société ne pouvait utilement se prévaloir des règles d'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation d'un contrat pour motif d'intérêt général.
10. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Victor Hugo 21 doit être rejeté.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Victor Hugo 21 la somme de 3 000 euros à verser au centre hospitalier Alpes-Isère au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Victor Hugo 21 au même titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société Victor Hugo 21 est rejeté.
Article 2 : La société Victor Hugo 21 versera au centre hospitalier Alpes-Isère la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société civile immobilière Victor Hugo 21 et au centre hospitalier Alpes-Isère.