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Dispositions spécifiques aux différents types d'aide sociale

Revenu minimum d'insertion (RMI)

Mots clés : Revenu minimum d’insertion (RMI) – Indu – Recours – Procédure – Impartialité – Pension alimentaire – Déclaration – Compétence juridictionnelle – Prescription – Prélèvement pour répétition de l’indu – Légalité

Dossier no 160559

Mme X…

Séance du 12 janvier 2018

Décision lue en séance publique le 19 avril 2018

Vu le recours, enregistré au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale en date du 2 novembre 2016, présenté par Maître Stéphanie TRAN, conseil de Mme X…, qui demande l’annulation de la décision en date du 5 juillet 2016 par laquelle la commission départementale d’aide sociale du Nord a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision en date du 19 juillet 2013 du président du conseil général qui a refusé toute remise gracieuse sur un indu de 14 086,03 euros, résultant d’un trop-perçu d’allocations de revenu minimum d’insertion détecté pour la période de mai 2006 à mai 2009 ;

Maître Stéphanie TRAN, conseil de Mme X…, conteste la décision en faisant valoir :

 que la paierie départementale du Nord, alors que l’affaire était pendante devant la commission départementale d’aide sociale, a notifié à sa cliente une opposition à tiers détenteur le 6 novembre 2015, puis a opéré une saisie sur son compte bancaire le 22 février 2016 ;

 que la règle d’impartialité de la commission départementale d’aide sociale n’a pas été respectée, à tout le moins lors de la séance du 5 juillet 2016, puisque l’accès aux personnes extérieures aux parties était exclu alors que les séances sont publiques, et que le représentant du département du Nord est resté présent lors des délibérés, tandis que les requérants et leurs conseils étaient invités à quitter la salle d’audience ; que ce manque d’impartialité contrevient gravement aux dispositions de l’article 6‑1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 que la demande de remise gracieuse a été examinée par le directeur de la caisse d’allocations familiales du Nord, autorité incompétente pour en connaître, et qui ne justifiait en outre d’aucune délégation ;

que la caisse d’allocations familiales du Nord a procédé à une compensation d’un montant de 8 090,07 euros sur les prestations sociales dues à Mme X… de janvier 2010 à décembre 2013 ;

que Mme X… était de bonne foi puisqu’elle a renseigné la pension alimentaire perçue de ses parents sur sa déclaration fiscale de revenus ;

Maître Stéphanie TRAN, conseil de Mme X…, demande :

l’annulation ou à tout le moins la décharge de l’indu d’allocations de revenu minimum d’insertion de 14 086,03 euros assigné à Mme X…, ainsi que la compensation entre l’indu litigieux et la créance détenue par sa cliente à l’égard du département du Nord d’un montant au moins égal à 8 090,07 euros ;

de condamner le département du Nord à verser la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles dans le cas où son conseil renoncerait à percevoir la part contributive de l’Etat, et de lui verser cette somme dans l’hypothèse où Mme X… ne serait pas admise à l’aide juridictionnelle ;

Vu les pièces desquelles il ressort que la requête a été communiquée au président du conseil départemental du Nord qui n’a pas produit d’observations en défense ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celle d’entre elles ayant exprimé le souhait d’en faire usage ayant été informée de la date et de l’heure de l’audience ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 12 janvier 2018 M. BENHALLA, rapporteur, Maître Stéphanie TRAN en ses observations, et après en avoir délibéré hors la présence des parties à l’issue de la séance publique ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 262‑41 du code de l’action sociale et des familles : « Tout paiement indu d’allocations ou de la prime forfaitaire instituée par l’article L. 262‑11 est récupéré par retenue sur le montant des allocations ou de cette prime à échoir ou par remboursement de la dette selon des modalités fixées par voie réglementaire. Toutefois, le bénéficiaire peut contester le caractère indu de la récupération devant la commission départementale d’aide sociale dans les conditions définies à l’article L. 262‑39. Les retenues ne peuvent dépasser un pourcentage déterminé par voie réglementaire. La créance peut être remise ou réduite par le président du conseil général en cas de précarité de la situation du débiteur, sauf en cas de manœuvre frauduleuse ou de fausse déclaration » ; qu’aux termes de l’article R. 262‑44 du même code : « Le bénéficiaire de l’allocation de revenu minimum d’insertion est tenu de faire connaître à l’organisme payeur toutes informations relatives à sa résidence, à sa situation de famille, aux activités, aux ressources et aux biens des membres du foyer tel que défini à l’article R. 262‑1 ; il doit faire connaître à cet organisme tout changement intervenu dans l’un ou l’autre de ces éléments (…) » ; qu’aux termes de l’article R. 262‑3 du même code : « Les ressources prises en compte pour la détermination du montant de l’allocation de revenu minimum d’insertion comprennent (…), l’ensemble des ressources, de quelque nature qu’elles soient, de toutes les personnes composant le foyer (…) » ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 262‑40 du même code : « L’action du bénéficiaire pour le paiement de l’allocation (…) se prescrit par deux ans. Cette prescription est également applicable, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration, à l’action intentée par un organisme payeur en recouvrement des sommes indûment payées » ;

Considérant que Maître Stéphanie TRAN, conseil de Mme X…, soutient, sans être contredite, que la règle d’impartialité de la commission départementale d’aide sociale du Nord n’a pas été respectée lors de la séance du 5 juillet 2016, l’accès aux personnes extérieures aux parties et à la commission étant exclu, alors même que les séances sont publiques ; que, de surcroît, le représentant du département du Nord est resté présent lors des délibérés, tandis que les requérants ou leurs conseils étaient invités à quitter la salle d’audience à l’issue de l’exposé des observations ou des plaidoiries ; que ces éléments constituent de graves manquements au principe d’impartialité des juridictions et sont contraires à l’article 6‑1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, la décision en date du 5 juillet 2016 de la commission départementale d’aide sociale du Nord est irrégulière et encourt, par suite, l’annulation ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que par décision en date 4 novembre 2010, la caisse d’allocation familiales a mis à la charge de Mme X… le remboursement de la somme de 14 086,03 euros, à raison d’allocations de revenu minimum d’insertion indûment perçues pour la période de mai 2006 à mai 2009, au motif que l’intéressée avait omis de mentionner sur ses déclarations trimestrielles de ressources, la pension alimentaire, reconnue fiscalement, versée par ses parents ; que cet indu, qui procède du défaut de prise en compte de ladite pension dans le calcul du montant de l’allocation de revenu minimum d’insertion est, dans son principe, fondé en droit ; qu’un titre exécutoire a été émis le 13 novembre 2012 ;

Considérant que Mme X… a formulé une première demande de remise gracieuse le 13 décembre 2010, restée sans réponse, puis une seconde en date du 21 mai 2013 auprès du président du conseil général qui l’a refusée par décision en date du 19 juillet 2013 au motif de la tardiveté de la demande ; que, saisie d’un recours contre cette décision, le tribunal administratif de Lille, par ordonnance en date du 11 juin 2014, a transmis la requête de Mme X… à la commission départementale d’aide sociale du Nord qui, par décision en date du 5 juillet 2016, l’a rejeté au motif que l’intéressée « avait établi de fausses déclarations » ;

Considérant, d’une part, qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 262‑39 et L. 262‑41 du code de l’action sociale et des familles qu’il appartient aux commissions départementales d’aide sociale puis, le cas échéant, à la commission centrale d’aide sociale, d’apprécier si le paiement indu de l’allocation de revenu minimum d’insertion trouve son origine dans une manœuvre frauduleuse ou une fausse déclaration, laquelle implique une intention délibérée de percevoir sans droit le revenu minimum d’insertion ; qu’en l’espèce, aucun élément du dossier n’indique que Mme X… ait sciemment omis de déclarer la pension alimentaire versée par ses parents ; que, dès lors, l’assignation de l’indu de 14 086,03 euros au titre de l’allocation de revenu minimum d’insertion aurait dû tenir compte de la prescription biennale énoncée par l’article L. 262‑40 du code de l’action sociale et des familles susvisé ; qu’ainsi, si l’indu est, ainsi qu’il a été dit plus haut, fondé dans son principe, il ne l’est pas dans son intégralité ;

Considérant, d’autre part, qu’il ressort de l’article L. 262‑42 du code de l’action sociale et des familles que, dès qu’une demande de remise de dette est déposée et qu’un contentieux se développe, le recours est suspensif et la procédure de recouvrement doit être suspendue jusqu’à l’épuisement de la procédure devant les juridictions du fond ; que tout prélèvement pour répétition de l’indu revêt un caractère illégal ; qu’en l’espèce, la paierie départementale du Nord a notifié à Mme X… une opposition à tiers détenteur en date du 6 novembre 2015, suivie d’une saisie de son compte bancaire le 22 février 2016 dans des conditions contraires à la loi ;

Considèrent qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu de renvoyer Mme X… devant le président du conseil départemental du Nord pour un nouveau calcul de l’indu d’allocations de revenu minimum d’insertion tenant compte de la prescription biennale, et d’enjoindre celui-ci de procéder au remboursement des sommes illégalement récupérées au titre de l’indu d’allocations de revenu minimum d’insertion ;

Considèrent enfin que les demandes de Maître Stéphanie TRAN relatives à une compensation d’un montant de 8 090,07 euros sur les prestations dues à Mme X… et au versement par le département du Nord de la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles dans le cas où son conseil refuserait la part contributive de l’Etat ainsi que le versement de cette somme directement à celui-ci dans l’hypothèse où Mme X… ne serait pas admise à l’aide juridictionnelle sont rejetées,

Décide

Art. 1er La décision en date du 5 juillet 2016 de la commission départementale d’aide sociale du Nord, ensemble la décision en date du 19 juillet 2013 du président du conseil général, sont annulées.

Art. 2.  Mme X… est renvoyée devant le président du conseil départemental du Nord pour un nouveau calcul de l’indu d’allocations de revenu minimum d’insertion à porter à son débit, conformément aux motifs de la présente décision.

Art. 3.  Il est enjoint au président du conseil départemental du Nord de restituer à Mme X… les sommes qui ont été prélevées illégalement sur son compte bancaire au titre de l’indu d’allocations de revenu minimum d’insertion.

Art. 4.  Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Art. 5.  La présente décision sera notifiée à Mme X…, à Maître Stéphanie TRAN, au président du conseil départemental du Nord. Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 12 janvier 2018 où siégeaient Mme HACKETT, présidente, M. VIEU, assesseur, M. BENHALLA, rapporteur.

Décision lue en séance publique le 19 avril 2018.

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

La présidenteLe rapporteur

Pour ampliation,

La secrétaire générale de la commission centrale d’aide sociale,

Marie-Christine RIEUBERNET