Mots clés : Recours en récupération Récupération sur succession Aide sociale aux personnes handicapées (ASPH) Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) Conseil dEtat Conseil constitutionnel Actif successoral Personnes âgées Etablissement Charge effective et constante
Dossier no 140323 bis
Mme Y…
Séance du 25 janvier 2017
Vu la requête introduite le 21 mai 2014 devant la commission centrale daide sociale, pour Mme Z…, par Maître Jean-Paul LEVY contre la décision de la commission départementale daide sociale de Paris en date du 6 décembre 2013 notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception daté du 22 avril 2014, qui a rejeté son recours tendant à réformer la décision en date du 17 juillet 2012 du président du conseil de Paris relative à la récupération sur la succession de Mme Y… décédée le 16 janvier 2011, des prestations daide sociale accordées à cette dernière ;
Vu les mémoires complémentaires présentés les 15 avril 2016, 3 mai 2016, 20 mai 2016, et 23 mai 2016, par Maître THOUIN-PALAT, avocat au Conseil dEtat et à la Cour de cassation ;
La requérante soutient que la charge invoquée par larticle L. 344‑5 du code de laction sociale et des familles nest pas nécessairement une charge matérielle mais peut être affective ; quelle a ainsi assumé durant des années cette charge auprès de sa sœur handicapée, et demande une modération sur la somme relative à la récupération demandée ;
Vu la décision attaquée ;
Vu le mémoire en défense présenté par le département de Paris en date du 28 novembre 2014 qui conclut au rejet de la requête ;
Vu la décision no 140323 en date du 25 mai 2016 rendue par la commission centrale daide sociale transmettant au Conseil dEtat la question prioritaire de constitutionnalité dont était assortie la requête ;
Vu la décision en date du 27 juillet 2016 du Conseil dEtat transmettant la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ;
Vu la décision en date du 21 octobre 2016 du Conseil constitutionnel rejetant la question prioritaire de constitutionnalité ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de laction sociale et des familles ;
Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles dentre elles ayant exprimé le souhait den faire usage ayant été informées de la date et de lheure de laudience ;
Après avoir entendu à laudience publique du 25 janvier 2017 M. BENHALLA, rapporteur, Maître THOUIN-PALAT et Maître Jean-Paul LEVY en leurs observations, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à lissue de la séance publique ;
Considérant quaux termes de larticle L. 134‑4 du code de laction sociale et des familles : « Tant les recours devant la commission départementale que les recours et les appels devant la commission centrale peuvent être formés par le demandeur, ses débiteurs daliments, létablissement ou le service qui fournit les prestations, le maire, le président du conseil général, le représentant de lEtat dans le département, les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole intéressés ou par tout habitant ou contribuable de la commune ou du département ayant un intérêt direct à la réformation de la décision » ; quaux termes de larticle L. 132‑8 du code susvisé : « Des recours sont exercés, selon le cas, par lEtat ou le département : Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ; (…). Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de laide sociale à domicile ou de la prise en charge du forfait journalier sexerce sur la partie de lactif net successoral, défini selon les règles de droit commun, qui excède un seuil fixé par voie réglementaire » ; quaux termes de larticle R. 132‑11 du code susvisé : « Les recours prévus à larticle L. 132‑8 sont exercés, dans tous les cas, dans la limite du montant des prestations allouées au bénéficiaire de laide sociale. (…) Le président du conseil général ou le préfet fixe le montant des sommes à récupérer. Il peut décider de reporter la récupération en tout ou partie (…) » ;
Considérant quaux termes de larticle L. 344‑5 du code de laction sociale et des familles : « Les frais dhébergement et dentretien des personnes handicapées accueillies, quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés au b du 5o et au 7o du I de larticle L. 312‑1, à lexception de celles accueillies dans les établissements relevant de larticle L. 344‑1, sont à la charge : 1o A titre principal, de lintéressé lui-même sans toutefois que la contribution qui lui est réclamée puisse faire descendre ses ressources au-dessous dun minimum fixé par décret et par référence à lallocation aux handicapés adultes, différent selon quil travaille ou non (…) ; 2o Et, pour le surplus éventuel, de laide sociale sans quil soit tenu compte de la participation pouvant être demandée aux personnes tenues à lobligation alimentaire à légard de lintéressé, et sans quil y ait lieu à lapplication des dispositions relatives au recours en récupération des prestations daide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants, ses parents ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé (…) » ; quaux termes de larticle L. 344‑5-1 du même code : « Toute personne handicapée qui a été accueillie dans un des établissements ou services mentionnés au 7o du I de larticle L. 312‑1 bénéficie des dispositions de larticle L. 344‑5 lorsquelle est hébergée dans un des établissements et services mentionnés au 6o du I de larticle L. 312‑1 du présent code et dans les établissements de santé autorisés à dispenser des soins de longue durée (…) ;
Considérant quil résulte de linstruction que Mme Y…, née le 15 février 1948 a, à la suite dune vaccination antivariolique, été victime dune encéphalite entraînant dimportants désordres moteurs et cérébraux, à la suite desquels elle a été reconnue handicapée à 100 % ; quelle a, à partir de 18 ans, été accueillie dans une structure sui generis dédiée aux jeunes adultes handicapés, puis dans un centre daide par le travail (CAT), enfin dans un centre dinitiation au travail et aux loisirs (CITL), ainsi que, parallèlement, après la mort de son père en 1997, et de sa mère en 2000, dans un foyer pour personnes handicapées, le foyer D…dans les Hauts-de-Seine, puis, après la fermeture de ce foyer en 2008, dans une maison de retraite en Seine-et-Marne ; quaprès le décès de Mme Y… intervenu le 16 janvier 2011, le département de Paris a informé, par lettre du 26 janvier 2012, Mme Z… de son intention dexercer un recours sur le fondement de larticle L. 132‑8 du code de laction sociale et des familles, dans la limite de lactif net (98 213,43 euros) de la succession de la défunte, à raison de deux créances, lune au titre de laide sociale pour placement en foyer pour personnes handicapées dun montant de 165 061,60 euros, pour la période du 1er décembre 1998 au 30 novembre 2008, lautre au titre de laide sociale pour un hébergement en établissement pour personnes âgées dun montant de 45 263,60 euros pour la période du 1er décembre 2008 au 16 janvier 2011 ; que cette intention était confirmée par décision du 17 juillet 2012 du président du conseil de Paris ; que, saisie dun recours contre cette dernière par Mme Z…, la commission départementale daide sociale de Paris la rejeté par décision du 6 décembre 2013 ;
Considérant que, pour dénier le bénéfice de la non-récupération de créances daide sociale, le président du conseil de Paris soutient que la requérante ne peut être regardée comme ayant assumé de façon effective et constante la charge de sa sœur handicapée ;
Considérant que la charge effective et constante à laquelle se réfère le deuxièmement de larticle L. 344‑5 du code de laction sociale et des familles nest pas nécessairement une charge exclusivement matérielle, mais quil peut sagir de celle résultant dun engagement personnel constant, principalement dordre affectif et moral, pour apporter au proche handicapé, serait-il placé en établissement, le soutien dont il conserve le besoin ;
Considérant quil ressort des pièces du dossier que Mme Z…, sœur de BOS, tout en souhaitant que la curatelle de celle-ci soit exercée par un tiers, ce qui a fait lobjet dune ordonnance du 28 mars 2001, a, de façon continue, dès avant le décès de sa mère et plus encore après celui-ci, et jusquà la disparition de Mme Y…, de concert avec ses enfants, assuré une présence affective régulière auprès de celle-ci ; quelle la régulièrement visitée dans les établissement où elle était accueillie, a fait obstacle au choix quavait originellement fait en 2008, après la fermeture du foyer D…, la curatrice, de placer Mme Y… dans un établissement de Belgique ; quelle a, au surplus, régulièrement pourvu de ses propres deniers à divers besoins, notamment dhabillement, de sa sœur quelle accueillait chez elle pour les fêtes traditionnelles et familiales ; que cela est établi par une demi-douzaine de témoignages, notamment de professionnels de santé avec qui elle était en contact permanent, et qui ne sauraient être regardés comme de complaisance ;
Considérant quil ne saurait être contesté que Mme Y… ayant été, dès 18 ans, reconnue handicapée avec un taux dinvalidité de 100 %, ayant été accueillie pendant près de quarante ans dans des établissements dédiés aux personnes handicapées, et ne layant été, en 2008, dans un établissement pour personnes âgées que faute dautre possibilité, lensemble des frais dentretien, y compris dans cette dernière structure, sont bien au nombre de ceux visés au premier paragraphe de larticle L. 344‑5 du code de laction sociale et des familles précité, ainsi que le Conseil constitutionnel la dailleurs relevé, comme de nature à justifier le rejet de la question prioritaire de constitutionnalité dont il était saisi, la circonstance que le régime dexemption prévu à larticle L. 344‑5-1 du code de laction sociale et des familles susvisé sétende aux personnes âgées handicapées précédemment hébergées en établissement pour personnes handicapées ou reconnues atteintes dune incapacité au moins égale à un pourcentage fixé par décret avant leur 65 ans le conduisant à estimer que le législateur, pour limiter quant au reste lexemption, a retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec lobjet de la loi ;
Considérant quil résulte de ce qui précède, sans quil soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, quil y a lieu de limiter la récupération sur la succession de Mme Y… à la somme de 15 000 euros ; que, par voie de conséquence, tant la décision attaquée de la commission départementale daide sociale de Paris, que la décision en date du 17 juillet 2012 du président du conseil de Paris doivent être annulées,
Art. 1er.
Art. 2.
Art. 3.
Art. 4.
Délibéré par la commission centrale daide sociale dans la séance non publique, à lissue de la séance publique du 25 janvier 2017 où siégeaient M. BELORGEY, président, Mme PEREZ-VIEU, assesseure, M. BENHALLA, rapporteur.
Décision lue en séance publique le 5 juillet 2017.
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à lexécution de la présente décision.
Le présidentLe rapporteur
Pour ampliation,
La secrétaire générale de la commission centrale daide sociale,
Marie-Christine RIEUBERNET