Mots clés : Recours en récupération Récupération sur donation Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) Assurance-vie Requalification Donation Actif successoral Précarité
Dossier no 140407
Mme X…
Séance du 26 septembre 2016
Vu le recours formé le 8 juillet 2014 par Maître PRINGAULT, représentant M. D…, contre la décision de la commission départementale daide sociale de la Nièvre du 17 juin 2014 qui a annulé, dune part, la décision du président du conseil général de la Nièvre du 4 juillet 2013 décidant la récupération de la somme de 305,07 euros sur la succession de Mme X… et, dautre part, tout en confirmant la requalification par le conseil général le 5 septembre 2013 du contrat dassurance vie dont M. D… a hérité de Mme X…, sa grand-mère, en une donation indirecte, a limité à 7 725 euros le montant de la créance du département ;
Le requérant soutient quaucune intention libérale na motivée la souscription en 2001 dudit contrat par Mme X…, contrat quil nappartient pas à linstance saisie de requalifier en une donation ; quaux termes de larticle R. 132‑12 du code de laction sociale et des familles, le recouvrement sur la succession du bénéficiaire ne peut sexercer que sur la partie de lactif net successoral qui excède 46 000 euros, quau surplus les articles D. 815‑20 à D. 815‑4 du code de la sécurité sociale indique que le montant dactifs nets à partir duquel peut se faire la récupération sur succession de lallocataire est fixé à 39 000 euros ; quil se trouve dans une situation financière précaire compte tenu de son statut dauto-entrepreneur, que son épouse est sans emploi, que le foyer a deux enfants à charge dont un enfant gravement handicapé ; il sollicite donc à titre principal que soit rapportée la décision de la commission départementale ayant limité la récupération du département de la Nièvre à 7 725 euros et, à titre subsidiaire, de la ramener à une somme plus en adéquation avec ses capacités contributives ; il sollicite également quaucune mesure dexécution forcée ne soit initiée à son encontre dans lattente de la juridiction de céans ;
Vu le mémoire en défense produit le 2 octobre 2014 par le président du conseil départemental de la Nièvre concluant au rejet de la requête aux motifs que compte-tenu de lâge de Mme X… au moment de la souscription du contrat dassurance vie et de limportance des primes versées au regard de son patrimoine, la souscription doit en lespèce être regardée comme procédant dune intention libérale ; quau demeurant seules les primes versées sont consécutives de lintention libérale ; quil doit être souligné que M. D… a fait partiellement usage des fonds alors même quil avait connaissance de la décision de recours en récupération ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de laction sociale et des familles ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010‑110 QPC du 25 mars 2011, notamment larticle 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012‑250 QPC du 8 juin 2012, notamment larticle 1er , alinéa 3, de son dispositif ;
Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles dentre elles ayant exprimé le souhait den faire usage ayant été informées de la date et de lheure de laudience ;
Après avoir entendu à laudience publique du 26 septembre 2016, Mme JOYEUX, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à lissue de la séance publique ;
Considérant que larticle 894 du code civil définit la donation entre vifs comme un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui laccepte ; quaux termes de larticle L. 132‑8 du code de laction sociale et des familles : « Des recours sont exercés (…) contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande daide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ; que, par décision du 18 mai 1998, le Conseil dEtat a jugé que la qualification donnée par les parties à un contrat ne saurait faire obstacle au droit pour ladministration de laide sociale de rétablir, sil y a lieu, sa nature exacte ; que par sa décision no 000259 du 7 mars 2002 la commission centrale daide sociale a estimé que la stipulation pour autrui constituée par le contrat dassurance-vie peut être requalifiée en donation, si ladministration de laide sociale établit lintention libérale du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire au moment de la souscription du contrat ; quenfin le Conseil dEtat a jugé, dans sa décision no 316881 du 21 octobre 2009, que lintention libérale était établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son âge et à limportance des primes versées, doit être regardée en réalité, comme sétant dépouillée de manière à la fois actuelle et irrévocable ;
Considérant quil résulte de linstruction du dossier que Mme X…, née le 21 août 1923, a souscrit au contrat dassurance-vie faisant lobjet du présent recours le 28 mars 2001, soit à lâge de 78 ans ; quelle a formulé une demande dadmission à laide sociale à lhébergement le 4 janvier 2010, quun délai de 9 ans sest donc écoulé entre la souscription dudit contrat et le dépôt de la demande dadmission à laide sociale ; que la postulante nétait propriétaire daucun bien immobilier ; quau jour de son décès son compte courant présentait un solde de 15,99 euros ; queu égard à lâge de Mme X… à la date de la souscription et à la valeur de son patrimoine, lintention libérale à légard de M. D… doit être considérée comme établie ; que cest dès lors à bon droit que la commission départementale daide sociale a retenu la qualification de donation indirecte ;
Considérant quil appartient, pour lapplication de larticle L. 132‑8 du code de laction sociale et des familles, aux juridictions de laide sociale, eu égard tant à la finalité de leur intervention quà leur qualité de juges de plein contentieux (…) de se prononcer elles-mêmes sur le bien-fondé de laction engagée par la collectivité publique daprès lensemble des circonstances de fait dont il est justifié par lune et lautre des parties à la date de leur propre décision ; quil leur revient, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, daménager les modalités de la récupération et, le cas échéant, den reporter les effets dans le temps ; quen limitant le montant de la récupération à 7 225 euros, la décision de commission départementale daide sociale na pas tenu compte de lextrême précarité financière de la situation du requérant ; que dès lors elle doit être annulée ;
Considérant que le donataire est auto-entrepreneur, quil a dégagé un chiffre daffaires de 4 816 euros en 2012 et de 4 271 euros en 2013 ; que son épouse est sans emploi et quelle perçoit à ce titre lallocation de solidarité spécifique ; que le couple a deux enfants à charge, dont un enfant lourdement handicapé ; que le montant de leurs charges mensuelles fixes sélève hors dépenses alimentaires à 367,56 euros ; quau regard de cette situation sociale délicate et des très faibles ressources du requérant, il y a lieu décarter tout recours en récupération,
Art. 1er.
Art. 2.
Art. 3.
Délibéré par la commission centrale daide sociale dans la séance non publique, à lissue de la séance publique du 26 septembre 2016 où siégeaient M. JOURDIN, président, M. MATH, assesseur, Mme JOYEUX, rapporteure.
Décision lue en séance publique le 30 novembre 2016.
La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à lexécution de la présente décision.
Le présidentLa rapporteure
Pour ampliation,
La secrétaire générale de la commission centrale daide sociale,
Marie-Christine RIEUBERNET