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Dispositions communes à tous les types d'aide sociale

Recours en récupération

Récupération sur succession

Mots clés : Recours en récupération – Récupération sur succession – Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) – Hébergement – Assurance-vie – Requalification – Donation – Recevabilité

Dossier no 140608

Mme X…

Séance du 30 novembre 2016

Décision lue en séance publique le 30 novembre 2016

Vu le recours formé le 14 novembre 2014 par Maître Alain DERAMUT représentant les intérêts de Mme M… tendant à l’annulation de la décision de la commission départementale d’aide sociale du Nord réunie le 7 octobre 2014 ayant confirmé la décision du président du conseil général du Nord du 24 juin 2009 décidant la récupération des frais d’hébergement à la résidence « R… » et au foyer « F… » dans le Nord, dont a bénéficié sa tante, Mme X…, pour la période du 16 décembre 2001 au 30 août 2007 pour un montant de 43 125,23 euros, et ce sur la bénéficiaire des contrats d’assurance-vie dans la limite du montant des contrats au décès de l’intéressée ;

Le requérant conteste la décision au motif que, premièrement, sur les dispositions de l’article L. 132‑8 du code de l’action sociale et des familles, Mme X… a sollicité l’admission à l’aide sociale le 9 novembre 2005 et que les contrats d’assurance-vie ont été souscrits les 14 mai 1993 et 9 mars 1995 ; que la demande d’aide sociale a donc été effectuée plus de dix ans après les contrats d’assurance-vie ; que les contrats d’assurance-vie ne sont donc pas assimilables à une donation, laquelle permet d’exercer un recours ; que, sur le bien-fondé du recours, la jurisprudence du Conseil d’Etat no 254797 département de l’Allier du 5 novembre 2014 conditionne la requalification d’un contrat d’assurance-vie à une donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il relève d’une intention libérale du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire de se dépouiller au profit de ce dernier de manière à la fois actuelle et non aléatoire, ayant ainsi un droit de créance du bénéficiaire sur l’assureur dépourvu de tout aléa ; que l’absence d’aléa a été analysé notamment par la comparaison de la proximité de la date de souscription de l’épargne au regard de la date du décès ; que les contrats d’assurance-vie, souscrits les 14 mai 1993 et 9 mars 1995, et le décès de Mme X… datant du 2 juillet 2008, ils ont été souscrits plus de quinze ans après la souscription du premier contrat et treize ans après le second, démontrant ainsi que Mme X… ne s’est pas dépouillée en raison de ces longues périodes ; que, par ailleurs, Mme X… avait la libre disposition du capital puisqu’elle a effectué divers retraits sur les supports assurance-vie, notamment une somme de 20 000 francs le 7 décembre 2001 afin de régler les frais d’hébergement à l’établissement « R… », 800 euros et 1 800 euros les 10 mars 2005 et 9 décembre 2005 ; que la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur d’un donataire qui l’accepte, et ne correspond pas aux contrats d’assurance-vie susvisés dans la mesure où il s’agissait de permettre à Mme X… de récupérer et retrouver son argent à tout moment et donc non irrévocable ; que, par ailleurs, les deux contrats d’assurance-vie prévoyaient des bénéficiaires différents, Mme M… pour le contrat de 1993 et Mme D… et Mme M… pour le contrat de 1995, et que ce n’est qu’au décès de Mme X… le 2 juillet 2008 qu’il n’a été possible de dire définitivement que Mme M… était réellement bénéficiaire ; qu’elle ne s’est donc pas dépouillée « actuellement » selon l’article 894 du code civil ; que, troisièmement, sur l’absence d’égalité de traitement des citoyens devant la loi, Mme D…, bénéficiaire du capital décès, se devait d’être concernée par le recours du département mais ce dernier a seulement agi contre Mme M… ; que le département soutient que Mme D… serait décédée, sans en demander la preuve, alors qu’elle se trouve actuellement pensionnaire en établissement dans le Nord ; qu’en s’abstenant de diriger son recours contre les deux bénéficiaires, le département du Nord a méconnu le principe d’égalité de traitement des citoyens devant la loi ; que, quatrièmement, sur le droit à un procès dans un délai raisonnable, la requête de Mme M… a été présentée le 29 juin 2009 et n’a été traitée que cinq ans et demi plus tard par la décision du 7 octobre 2014, ce qui contrevient à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ; que, cinquièmement, l’escroquerie au jugement consiste à établir des manœuvres tendant à tromper le juge, sanctionnées sur le fondement d’un délit à l’article L. 313‑3 du code pénal ; que les productions du département du Nord, une déclaration sur l’honneur et une signature sur les conséquences de l’admission à l’aide sociale ne portent pas l’écriture de Mme X… et comporte une signature fausse et différente de celle figurant sur les contrats d’assurance-vie ; qu’il est donc demandé la transmission du dossier et des annexes à M. le procureur de la République pour que toute suite judiciaire soit ordonnée ; qu’à titre subsidiaire, Mme M… a renoncé à la succession ; que Mme X… était titulaire d’un compte courant auprès du Crédit Mutuel faisant figurer au décès une solde créditeur de 3 310,65 euros, somme qui n’a pas été réclamée par le département ; que Mme M… n’a perçu du groupe d’assurances qu’une somme de 8 204 euros au titre de l’assurance-vie ;

Vu le mémoire en défense produit par le président du conseil général du Nord en date du 17 février 2015 ; qu’il soutient que la requête de Maître DERAMAUT doit être, sous peine d’irrecevabilité, accompagnée de la décision attaquée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que, sur la légalité de la décision, le président du conseil général du Nord n’a fait qu’exercer son droit à récupération prévue par les articles L. 132‑8 et R. 132‑11 du code de l’action sociale et des familles, l’article 894 du code civil et la jurisprudence précitée du Conseil d’Etat du 5 novembre 2004 ; que l’acceptation du ou des bénéficiaires intervenant avant ou après le décès du souscripteur a pour effet de permettre au département de le regarder comme un donataire pour permettre la récupération des créances d’aide sociale ; que le Conseil d’Etat a, dans sa décision du 19 novembre 2004 requalifié deux contrats d’assurance-vie de huit ans souscrits par une mère de 89 ans, bénéficiaire d’une prestation d’aide sociale au bénéfice de ses deux fils en cas de décès avant terme, en donations ; que l’article L. 132‑8 susvisé ne prévoit pas de seuil en matière de récupération des sommes versées au titre d’une prise en charge des frais de séjour qui s’élèvent en l’espèce à 43 125,23 euros ; que ces contrats ont été conclus dans les dix ans précédant la demande d’aide sociale formulé le 10 décembre 2001 ; que Mme X… disposait d’un livret A de 156,50 euros et d’un compte courant de 803,80 euros, ce qui, au regard de l’âge de la souscriptrice et de l’importance des primes versées par rapport à l’actif disponible, permet d’établir son intention libérale vis-à-vis des bénéficiaires de l’assurance-vie ; que, sur l’absence de recours envers Mme D…, les services départementaux ont été informés du décès de Mme D… par courrier de l’association tutélaire A… du 11 avril 2006 et que l’absence de recours contre l’une des bénéficiaires du contrat est sans incidence sur la légalité des décisions rendues par le président du conseil général du Nord et la commission départementale du Nord dans la mesure où Mme M… a, en effet, bénéficié de l’épargne acquise par la conclusion des contrats d’assurance-vie ; que, sur le délai de jugement devant la commission départementale d’aide sociale, la tardiveté de la réponse de cette dernière est sans incidence sur la légalité des décisions rendues par M. le président du conseil général du Nord et par la commission départementale d’aide sociale du Nord ; que sur le remboursement des frais irrépétibles, compte tenu du sort réservé aux conclusions aux fins d’annulation, ce moyen ne peut qu’être rejeté ;

Vu le mémoire en réplique de Mme M… en date du 26 octobre 2016 persistant dans les moyens de sa requête ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de l’action sociale et des familles ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010‑110 QPC du 25 mars 2011, notamment l’article 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012‑250 QPC du 8 juin 2012, notamment l’article 1er, alinéa 3, de son dispositif ;

Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles d’entre elles ayant exprimé le souhait d’en faire usage ayant été informées de la date et de l’heure de l’audience ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 30 novembre 2016 Mme GOMERIEL, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;

Considérant, d’une part, qu’en vertu des dispositions du 2o de l’article L. 132‑8 du code de l’action sociale et des familles, une action en récupération est ouverte au département « contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d’aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ; qu’aux termes de l’article 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » ; qu’un contrat d’assurance-vie soumis aux dispositions des articles L. 132‑1 du code des assurances, par lequel il est stipulé qu’un capital ou qu’une rente sera versé au souscripteur en cas de décès du souscripteur avant cette date n’a pas, en lui-même, le caractère d’une donation, au sens de l’article 894 du code civil ;

Considérant toutefois que l’administration de l’aide sociale est en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier l’engagement d’une action en récupération ; que le même pouvoir appartient aux juridictions de l’aide sociale, sous réserve, en cas de difficulté sérieuse, d’une éventuelle question préjudicielle devant les juridictions de l’ordre judiciaire ; qu’à ce titre, un contrat d’assurance-vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour l’essentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que l’intention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à l’importance des primes versées par rapport à son patrimoine, s’y dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance d’un droit de créance sur l’assureur ; que, dans ce cas, l’acceptation du bénéficiaire, alors même qu’elle n’interviendrait qu’au moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à l’administration de l’aide sociale de le regarder comme un donataire, pour l’application des dispositions relatives à la récupération des créances d’aide sociale ;

Considérant qu’est joint au recours formé le 14 novembre 2014 la décision attaquée ; qu’il y a lieu de constater la recevabilité du recours ;

Considérant que le fait pour le conseil général du Nord de diriger son recours en récupération contre l’une, l’autre ou la totalité des bénéficiaires ne méconnaît pas le principe d’égalité des citoyens devant la loi ;

Considérant que la commission centrale d’aide sociale n’est pas le relais naturel des services du procureur de la République ; qu’il appartient au requérant d’informer selon lui de l’existence d’un délit et de saisir la juridiction compétente ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que, d’une part, Mme X… née le 22 décembre 1925, a bénéficié pour la période allant du 16 décembre 2001 au 31 août 2007 de la prise en charge de ses frais d’hébergement à la résidence « R… » et au foyer « F… » dans le Nord pour un montant total de 43 125,23 euros ; qu’elle est décédée le 2 juillet 2008 ; que, plusieurs années auparavant, Mme X… a souscrit en 1993, alors qu’elle était âgée de 68 ans, et en 1995, alors qu’elle était âgée de 70 ans, deux contrats d’assurance-vie au profit de sa nièce, Mme M…, pour le contrat souscrit en 1993 et au profit de Mme M… et Mme D… ; que ces souscriptions sont respectivement intervenues huit et six ans avant sa demande d’admission à l’aide sociale le 10 décembre 2001 ; que le capital décès résultant du contrat d’assurance-vie souscrit à l’âge de 68 ans par Mme X… pour Mme M… et Mme D… s’élevait à 9 491,23 euros et le capital du second contrat souscrit à l’âge de 70 ans pour Mme M… s’élevait à 3 197 euros ; qu’ainsi, au décès de Mme X… le 2 juillet 2008, le montant du capital décès perçu par Mme M… s’élevait à 8 204 euros ; que ce montant doit être apprécié avec l’actif net successoral de Mme X… qui s’élevait à environ 1 000 euros ;

Considérant, sans ignorer l’âge de Mme X… à la date de souscription des contrats d’assurance-vie ainsi que la relative importance des primes qui y ont été versées au regard de ses revenus, il n’en reste pas moins que ces contrats d’assurance-vie, souscrits à l’âge de 68 et 70 ans, soit huit et six ans avant sa demande d’admission à l’aide sociale et environ quinze ans avant son décès, traduit avant tout la volonté de Mme X… de placer son argent dans les meilleures conditions possibles ; qu’il ressort des pièces du dossier que Mme X… ne présentait aucun signe de troubles de santé particuliers au moment de la signature du contrat d’assurance-vie et que la souscription de ce contrat semble correspondre à un simple acte de gestion patrimoniale ; que l’ensemble des éléments présentés par Mme M…, sa nièce, ne permettent pas de considérer qu’il y ait eu une réelle intention libérale et une volonté de se dépouiller « actuellement » de son patrimoine au profit des bénéficiaires ;

Considérant que les conditions permettant à l’administration de l’aide sociale de requalifier un contrat d’assurance-vie en donation indirecte ne sont pas réunies dans la présente instance, qu’il y a lieu, en conséquence, d’annuler les décisions attaquées et les recours en récupération sur donation décidés,

Décide

Art. 1er Ensembles sont annulées les décisions du président du conseil général du Nord du 24 juin 2009 et de la commission départementale d’aide sociale du Nord du 7 octobre 2014.

Art. 2.  La présente décision sera notifiée à Maître Alain DERAMUT, au président du conseil départemental du Nord. Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales et de la santé.

Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 30 novembre 2016 où siégeaient M. JOURDIN, président, Mme GUIGNARD-HAMON, assesseure, Mme GOMERIEL, rapporteure.

Décision lue en séance publique le 30 novembre 2016.

La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le présidentLa rapporteure

Pour ampliation,

La secrétaire générale de la commission centrale d’aide sociale,

Marie-Christine RIEUBERNET