Mots clés : Recours en récupération Récupération sur succession Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) Hébergement Actif successoral Recours Procédure Régularité Moyen de légalité
Conseil constitutionnel statuant au contentieux
Dossier no CC 2016-592 QPC
Mme B…
Séance 20 octobre 2016
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 juillet 2016 par le Conseil dEtat (décision no 400336 du même jour), dans les conditions prévues à larticle 61‑1 de la Constitution, dune question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme B…. par la SCP Levy-Soussen, avocat au barreau de Paris, et la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat au Conseil dEtat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le no 2016‑592 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de larticle L. 132‑8 du code de laction sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi no 2001‑647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte dautonomie des personnes âgées et à lallocation personnalisée dautonomie, et de larticle L. 344‑5 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi no 2005‑102 du 11 février 2005 pour légalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Au vu des textes suivants :
Au vu des pièces suivantes :
Après avoir entendu Maître Françoise Thouin-Palat, avocat au Conseil dEtat et à la Cour de cassation, pour la requérante, Maître Régis Froger, avocat au Conseil dEtat et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. X…, désigné par le Premier ministre, à laudience publique du 13 octobre 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL SEST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Larticle L. 132‑8 du code de laction sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 juillet 2001 mentionnée ci-dessus, détermine les conditions dans lesquelles les prestations daide sociale peuvent faire lobjet dun recours en récupération par la collectivité qui les a financées. Il prévoit : « Des recours sont exercés, selon le cas, par lEtat ou le département :
« 1o Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ;
« 2o Contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande daide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande ;
« 3o Contre le légataire.
« En ce qui concerne les prestations daide sociale à domicile, de soins de ville prévus par larticle L. 111‑2 et la prise en charge du forfait journalier, les conditions dans lesquelles les recours sont exercés, en prévoyant, le cas échéant, lexistence dun seuil de dépenses supportées par laide sociale, en deçà duquel il nest pas procédé à leur recouvrement, sont fixées par voie réglementaire.
« Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de laide sociale à domicile ou de la prise en charge du forfait journalier sexerce sur la partie de lactif net successoral, défini selon les règles de droit commun, qui excède un seuil fixé par voie réglementaire ».
2. Larticle L. 344‑5 du code de laction sociale et des familles, dans sa rédaction résultant de la loi du 11 février 2005 mentionnée ci-dessus, prévoit : « Les frais dhébergement et dentretien des personnes handicapées accueillies, quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés au b du 5o et au 7o du I de larticle L. 312‑1, à lexception de celles accueillies dans les établissements relevant de larticle L. 344‑1, sont à la charge :
« 1o À titre principal, de lintéressé lui-même sans toutefois que la contribution qui lui est réclamée puisse faire descendre ses ressources au-dessous dun minimum fixé par décret et par référence à lallocation aux handicapés adultes, différent selon quil travaille ou non. Ce minimum est majoré, le cas échéant, du montant des rentes viagères mentionnées à larticle 199 septies du code général des impôts ainsi que des intérêts capitalisés produits par les fonds placés sur les contrats visés au 2o du I de larticle 199 septies du même code ;
« 2o Et, pour le surplus éventuel, de laide sociale sans quil soit tenu compte de la participation pouvant être demandée aux personnes tenues à lobligation alimentaire à légard de lintéressé, et sans quil y ait lieu à lapplication des dispositions relatives au recours en récupération des prestations daide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants, ses parents ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ni sur le légataire ni sur le donataire. Les sommes versées, au titre de laide sociale dans ce cadre, ne font pas lobjet dun recouvrement à lencontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à meilleure fortune ».
3. Selon la requérante, ces dispositions méconnaissent le droit de propriété et le principe de solidarité nationale consacré par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 en ce quelles instituent un recours en récupération contre la succession de la personne handicapée bénéficiaire de laide sociale. Elles portent aussi atteinte aux principes dégalité devant la loi et devant les charges publiques en ce quelles établissent une différence de traitement sans rapport avec lobjet de la loi, dune part, entre les héritiers du bénéficiaire de laide sociale, dautre part, entre les personnes handicapées et les personnes âgées et, enfin, entre les personnes handicapées selon la structure qui les accueille.
4. Au sein des dispositions renvoyées seuls les mots « quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés au b du 5o et au 7o du I de larticle L. 312‑1, à lexception de celles accueillies dans les établissements relevant de larticle L. 344‑1 », figurant au premier alinéa de larticle L. 344‑5, instituent une différence de traitement entre les personnes handicapées et les personnes âgées ainsi quentre les personnes handicapées selon la structure qui les accueille. Au sein du 2o de larticle L. 344‑5 seule la première phrase institue un recours en récupération sur la succession des personnes handicapées et distingue pour celui-ci entre les héritiers. La question prioritaire de constitutionnalité porte donc sur ces dispositions.
5. La requérante reproche aux dispositions contestées détablir une différence de traitement, pour lexemption du recours en récupération, dune part, entre les frères et sœurs du bénéficiaire de laide sociale et certains de ses héritiers, dautre part, entre les personnes handicapées et les personnes âgées et, enfin, entre les personnes handicapées elles-mêmes selon leur lieu dhébergement. Cette différence de traitement méconnaîtrait les principes dégalité devant la loi et devant les charges publiques.
6. Selon larticle 6 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit quelle protège, soit quelle punisse ». Ce principe dégalité ne soppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce quil déroge à légalité pour des raisons dintérêt général, pourvu que, dans lun et lautre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec lobjet de la loi qui létablit.
7. Selon larticle 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour lentretien de la force publique, et pour les dépenses dadministration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de larticle 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe dégalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts quil se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de légalité devant les charges publiques.
8. Le législateur a entendu conférer à laide sociale un caractère subsidiaire. En effet, elle nest versée que pour compléter les ressources propres du demandeur en cas de carence des débiteurs de la créance daliments préalablement sollicités. Les prestations fournies à ce titre font lobjet, en application de larticle L. 132‑8 du code de laction sociale et des familles, dun recours en récupération par la personne publique ayant attribué laide sociale. Selon ces dispositions, le recours est exercé contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune, contre sa succession ou contre le donataire et le légataire.
9. Larticle L. 344‑5 du même code fixe les conditions financières de la prise en charge des frais dhébergement et dentretien des personnes handicapées accueillies dans les établissements sociaux et médico-sociaux mentionnés au b du 5o et au 7o du paragraphe I de larticle L. 312‑1 de ce code. Ces frais sont à la charge, en premier lieu, de lintéressé et, pour le surplus éventuel, de laide sociale. Le 2o de larticle L. 344‑5 précise que cette aide sociale est versée sans sollicitation préalable des droits alimentaires et prévoit un recours en récupération limité sur le patrimoine du bénéficiaire et sur sa succession. Ainsi, le recours en récupération est exclu non seulement à légard du bénéficiaire revenu à meilleure fortune mais aussi à légard de certains de ses héritiers : son conjoint, ses enfants, ses parents, ses légataires ou donataires et toute autre personne ayant assumé de façon effective et constante sa prise en charge.
10. En premier lieu, en exemptant certaines personnes du recours en récupération instauré par larticle L. 132‑8 du code de laction sociale et des familles, le législateur a entendu tenir compte dune part, de laide apportée à la personne handicapée bénéficiaire de laide sociale et, dautre part, de la proximité particulière des personnes exemptées avec elle. Il a distingué, parmi les héritiers, ceux qui ont effectivement assumé la prise en charge de lintéressée, ceux, parents, enfants ou conjoint, qui peuvent être présumés lavoir fait, parce quils sont tenus à son égard par une obligation alimentaire légale, et ceux, donataires ou légataires, qui lui sont liés par une proximité particulière que manifeste la gratification quelle leur a consentie. La distinction ainsi opérée avec les autres héritiers repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec lobjet de la loi.
11. En deuxième lieu, les personnes handicapées nétant pas placées dans la même situation que les personnes âgées au regard des exigences de leur prise en charge par laide sociale, le législateur pouvait, sans méconnaître le principe dégalité, prévoir des modalités différentes de récupération de laide sociale dans lun et lautre cas.
12. En dernier lieu, larticle L. 344‑5-1 du code de laction sociale et des familles étend aux personnes handicapées hébergées dans des établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes ou des unités de soins de longue durée le régime dexemption de recours en récupération prévu à larticle L. 344‑5 dans deux situations : lorsque les intéressées étaient précédemment hébergées dans un établissement dédié au handicap ou lorsque leur incapacité a été reconnue au moins égale à un pourcentage fixé par décret avant leurs soixante-cinq ans. Les personnes handicapées âgées peuvent être prises en charge au titre de laide sociale, soit en raison de leur handicap, soit en raison de leur âge.
En faisant prévaloir, selon le cas, lâge ou le handicap, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec lobjet de la loi.
13. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance des principes dégalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés.
14. La requérante estime que le recours en récupération sur la succession des personnes handicapées est contraire au principe de solidarité à légard des personnes handicapées. Ce principe sopposerait, en effet, à ce que lEtat ou les collectivités publiques fassent assumer la charge de la solidarité quils mettent en œuvre par dautres queux. Elle estime également que ces dispositions méconnaissent le droit de propriété en ce quelles font peser sur la succession de la personne une dette à laquelle celle-ci nétait pas nécessairement tenue de son vivant.
15. En premier lieu, en assurant à lintéressé le bénéfice de laide sociale tant que dure son état de nécessité, et en prévoyant, afin den garantir le financement, quun recours en récupération pourra être exercé au décès du bénéficiaire, contre sa succession, les dispositions contestées ont mis en œuvre, sans la méconnaître, lexigence de solidarité nationale.
16. En second lieu, le recours en récupération sexerçant à la fois dans la limite du montant des prestations allouées au bénéficiaire de laide sociale et dans la limite de lactif net successoral, il nentraîne ni privation du droit de propriété ni atteinte à ce droit.
17. Les griefs tirés de la méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de 1946 et des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés.
18. Par conséquent les mots « quel que soit leur âge, dans les établissements mentionnés au b du 5o et au 7o du I de larticle L. 312‑1, à lexception de celles accueillies dans les établissements relevant de larticle L. 344‑1 » figurant au premier alinéa de larticle L. 344‑5 du code de laction sociale et des familles et la première phrase du 2o de cet article, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Art. 1er.
Art. 2.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 21 octobre 2016.
JORF no 0248 du 23 octobre 2016 texte no 39
ECLI : FR : CC : 2016 : 2016 592.QPC