Mots clés : Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) Personnes handicapées Etablissement dhébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Curateur Ressources Capitaux placés
Dossier no 140301
Mme X…
Séance du 11 janvier 2016
Vu le recours formé le 22 mai 2014 par lunion départementale des associations familiales de la Gironde tendant à lannulation de la décision de la commission départementale daide sociale de la Dordogne réunie le 20 mars 2014 ayant rejeté le recours et confirmé la décision du président du conseil général de la Dordogne du 2 avril 2012 aux motifs que les ressources de Mme X… y compris ses capitaux placés lui permettent de sacquitter des frais de séjour en établissement dhébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sans recourir à laide sociale qui présente un caractère subsidiaire ;
La requérante soutient dans son mémoire en défense que lanalyse du département, qui retient que Mme X… pouvait faire face à ses frais dhébergement en EHPAD pendant quinze mois, est erronée au regard des articles L. 113‑1 et L. 132‑1 du code de laction sociale et des familles ; que Mme X… présente un déficit budgétaire ne lui permettant pas de sacquitter de ses frais dhébergement et doit bénéficier de laide sociale à lhébergement conformément au code susvisé et à la jurisprudence constante de la commission centrale daide sociale ; que cette situation perdure depuis 2012 et est aujourdhui catastrophique ; que le conseil général expose que Mme X… ayant des obligés alimentaires « lunion départementale des associations familiales [UDAF] na pas cru devoir intenter toutes les actions nécessaires à sa protection et établir la capacité de participation des enfants de sa protégée à ses frais de séjour en EHPAD » ; que le motif de refus initial indiqué dans la décision du 2 avril 2012 était « vos ressources y compris vos capitaux placés vous permettent dacquitter vos frais de séjour en EHPAD sans recourir à laide sociale qui présente le caractère subsidiaire » ; que Mme X… est sous curatelle renforcée et lUDAF doit recueillir son consentement pour lensemble des démarches notamment la saisine du juge aux affaires familiales ; que si Mme X… a pu donner son accord pour demander laide sociale à lhébergement, elle sest toujours refusée à autoriser la saisine du juge aux affaires familiales pour demander une participation à ses obligés alimentaires et refuse de prendre toute décision avant den référer à deux de ses enfants ; que le juge des tutelles a convoqué les deux enfants et lUDAF ; que le conseil général avait aussi la possibilité de proposer, ayant la liste des obligés alimentaires, une participation aux enfants et à défaut de saisir le juge aux affaires familiales ; que le motif de refus ne fait pas référence à labsence de saisine des obligés alimentaires ; que le conseil général expose que Mme X… étant usufruitière dun bien immobilier « il appartenait à lUDAF de faire fructifier le droit qui était ouvert à sa protégée » alors que des démarches ont été accomplies par Mme X… et son curateur quant à ce bien immobilier ; que M. X…, époux de Mme X… sous le régime de la communauté de biens meubles et acquêts, est décédé le 3 avril 1998 ; que la communauté comprenait lancien domicile conjugal, un immeuble dhabitation ; que Mme X… nayant pu obtenir laccord de ses deux filles, a dû engager une procédure judiciaire sur le fondement de larticle L. 815 du code civil pour vendre le bien qui nétait plus occupé et se dégradait ; que par jugement du 15 mai 2009, le tribunal de grande instance de Bergerac faisait droit à la demande de Mme X… et ordonnait les opérations de compte, liquidation et partage des biens compris dans ladite succession ainsi que la vente du bien immobilier par licitation ; que par courrier du 27 janvier 2011, lavocat de Mme X… faisait état de difficultés dans laccomplissement des formalités nécessaires à la vente sur licitation ; que par courrier du 20 décembre 2013, ce dernier indiquait que, compte tenu de létat du bien, aucun acquéreur ne sétait présenté pour porter enchère en date du 18 décembre 2013 ; que la vente du bien immobilier nest à ce jour pas possible faute denchérisseur et que cet état de fait ne relève en aucun cas dun défaut de bonne gestion du curateur ; que la situation de ce bien immobilier aurait dû être abordée lors déchanges avec le conseil général permettant de lever tout quiproquo ou jugement de valeur ; que Mme X… est fondée à solliciter le bénéfice de laide sociale à lhébergement à compter du 1er janvier 2012 pour 5 ans ; quà ce jour, ne bénéficiant pas daide sociale, elle est toujours qualifiée dhôte payant par lEHPAD et quen conséquence, des dettes saccumulent ; que le conseil général expose inutilement Mme X… au risque que lEHPAD rompe le contrat de séjour pour défaut de paiement et que Mme X… serait en droit de solliciter des dommages et intérêts pour le préjudice moral que la décision du conseil général occasionne ; quil sollicite lannulation de la décision du président du conseil général et de la commission départementale daide sociale ainsi que ladmission de Mme X… à laide sociale à compter du 1er janvier 2012 ;
Vu la décision attaquée ;
Vu, enregistré le 27 février 2015, le mémoire en défense du président du conseil départemental de la Dordogne ; il soutient que, sur largument du demandeur dune analyse erronée de la situation de Mme X…, sil est exact quen application des articles L. 132‑1 du code de laction sociale et des familles, les ressources prises en compte pour apprécier la demande daide sociale sont les revenus professionnels et la valeur en capital des biens non productifs de revenus ; que le capital lui-même na pas à être pris en compte pour lévaluation des ressources et quaux termes de larticle L. 133‑1 du code susvisé, une personne âgée doit être privée de ressources ; quelle doit avoir des ressources insuffisantes et des créances alimentaires éventuellement insuffisantes au regard de la situation globale du demandeur ; que la pratique du département de la Dordogne consiste à laisser à disposition de la personne âgée handicapée une somme de 5 000 euros permettant de faire face à ses frais dobsèques ; que cette pratique nest pas incompatible avec les dispositions de larticle L. 132‑1 du code de laction sociale et des familles dans la mesure où le département de subordonne pas ladmission de laide sociale à lépuisement total des comptes dépargne des bénéficiaires ce qui serait contraire au texte ; que le département fait prévaloir le caractère subsidiaire de laide sociale lorsquil existe des capitaux suffisants pour régler des frais dhébergement pendant une certaine période ; que loctroi de laide sociale ne doit pas avoir pour conséquence de constituer une épargne aux bénéficiaires mais de faire face au paiement de leurs frais dhébergement ; que sur largument du demandeur que « à ce jour, la situation de Mme X… devient catastrophique », il est rappelé quau jour du dépôt de la demande daide sociale, Mme X… détenait 18 479,76 euros de capital sur trois comptes différents ; que lUDAF aurait dû prendre toutes les mesures de préservation de la situation de sa protégée ; quen nutilisant pas les capitaux dont dispose Mme X… pour régler les frais dhébergement en établissement le temps de la procédure qui loppose au département de la Dordogne, lUDAF a commis un grave manquement à sa mission de protection envers Mme X… ; quen vertu de larticle 205 du code civil « les enfants doivent aliments à leur père et mère ou autre ascendant dans le besoin » ; que Mme X… a cinq obligés alimentaires dont lUDAF na pas sollicité la contribution aux frais dhébergement de leur mère ; quaux termes de larticle L. 132‑6 du code de laction sociale et des familles, « les personnes tenues à lobligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à loccasion de toute demande daide sociale, invitées à indiquer laide quelles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais » ; que pour évaluer la situation de la postulante, il faut déterminer quelles créances alimentaires elle dispose ; que pour être admise à laide sociale, une personne âgée doit être privée de ressources suffisantes pour faire face à ses frais dhébergement ; que lUDAF avait toute latitude de saisir de juge aux affaires familiales pour déterminer les possibilités contributives des enfants comme la loi le lui impose ; que Mme X… précise dans un document signé, quelle avalise toute décision prise par lUDAF en son nom, pour faire le nécessaire dans sa mission de protection ; quil est impératif que les demandes daides sociales à lhébergement soient justifiées par létat de besoin de lhébergée ce qui nest pas le cas en lespèce ; que le président du conseil général a fait le choix de la maîtrise des dépenses daide sociale pour répondre aux demandes de prise en charge des plus démunis et sans ressources suffisantes, sans patrimoine et sans famille tenue à lobligation alimentaire ; quil est demandé de confirmer les décisions du président du conseil général et de la commission départementale daide sociale ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de laction sociale et des familles ;
Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010‑110 QPC du 25 mars 2011, notamment larticle 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012‑250 QPC du 8 juin 2012, notamment larticle 1er alinéa 3 de son dispositif ;
Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles dentre elles ayant exprimé le souhait den faire usage ayant été informées de la date et de lheure de laudience ;
Après avoir entendu à laudience publique du 11 janvier 2016, Mme GOMERIEL, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à lissue de la séance publique ;
Considérant quaux termes de larticle 205 du code civil : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. » ; quaux termes de larticle 208 du même code : « Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit. » ; quen vertu de larticle L. 132‑6 du code de laction sociale et des familles : « Les personnes tenues à lobligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à loccasion de toute demande daide sociale, invitées à indiquer laide quelles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. Les enfants qui ont été retirés de leur milieu familial par décision judiciaire durant une période dau moins trente-six mois cumulés au cours des douze premières années de leur vie sont, sous réserve dune décision contraire du juge aux affaires familiales, dispensés de droit de fournir cette aide. (…) La proportion de laide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à lobligation alimentaire. La décision peut être révisée sur production par le bénéficiaire de laide sociale dune décision judiciaire rejetant sa demande daliments ou limitant lobligation alimentaire à une somme inférieure à celle qui avait été envisagée par lorganisme dadmission. (…) » ; quaux termes de larticle L. 132‑7 du même code : « En cas de carence de lintéressé, le représentant de lEtat ou le président du conseil général peut demander en son lieu et place à lautorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à lEtat ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part de laide sociale » ; que sil appartient aux seules juridictions de laide sociale de fixer le montant du concours des collectivités publiques en vue de lhébergement des personnes prises en charge au titre de laide sociale, compte tenu notamment de lévaluation quelles font des ressources des intéressés ainsi que de celle des débiteurs de lobligation alimentaire, il nappartient en revanche quau juge judiciaire, en cas de contestation sur ce point, de fixer le montant des contributions requises au titre de lune ou lautre de ces obligations ; que, par suite, en cas de contestation du montant quil est proposé de laisser à leur charge, il appartient aux obligés alimentaires de saisir le juge aux affaires familiales ; que le représentant de lEtat ou le président du conseil général peut également saisir ce dernier pour demander à lautorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant ;
Considérant quaux termes des articles L. 113‑1, L. 132‑3, R. 132‑1 et R. 231‑6 du code de laction sociale et des familles toute personne âgée de soixante-cinq ans privée de ressources suffisantes peut bénéficier, soit dune aide à domicile, soit dun placement chez des particuliers ou dans un établissement ; que pour lappréciation des ressources des postulants à laide sociale, les biens non productifs de revenu, à lexclusion de ceux constituant lhabitation principale du demandeur, sont considérés comme procurant un revenu annuel égal à 50 % de leur valeur locative sil sagit dimmeubles bâtis, à 80 % de cette valeur sil sagit de terrains non bâtis et à 3 % du montant des capitaux ; que les ressources de quelque nature quelles soient à lexception des prestations familiales, dont sont bénéficiaires les personnes placées dans un établissement au titre de laide aux personnes âgées ou de laide aux personnes handicapées, sont affectées au remboursement de leurs frais dhébergement et dentretien dans la limite de 90 % ; quaux termes de larticle L. 132‑1 du code de laction sociale et des familles : « Il est tenu compte, pour lappréciation des ressources des postulants à laide sociale, des revenus professionnels et autres et de la valeur en capital des biens non productifs de revenus qui est évaluée dans les conditions fixées par voie réglementaire. » ;
Considérant quil résulte de ces dispositions que le législateur a entendu tenir compte, pour apprécier les ressources des personnes demandant laide sociale, des seuls revenus périodiques, tirés notamment dune activité professionnelle, du bénéfice dallocations de sécurité sociale ou daide sociale et des revenus des capitaux mobiliers et immobiliers ; quà défaut de placement de ces derniers, dès lors quil ne sagit pas de limmeuble servant dusage principal dhabitation, il a prévu dévaluer fictivement les revenus que le placement de ces capitaux serait susceptible de procurer au demandeur ; quen tout état de cause, il a écarté la prise en compte du montant des capitaux eux-mêmes dans lestimation de ces ressources ;
Considérant que Mme X… réside à la maison de retraite R… depuis le 4 février 2005 ; que de février 2005 à décembre 2011, Mme X… a résidé à titre payant en sacquittant de ses factures dhébergement directement entre les mains de la maison de retraite ; quau vu de lévolution du budget de Mme X…, il a été constaté au mois de décembre 2011 que celle-ci ne disposait plus des ressources suffisantes permettant le paiement de ses frais dhébergement ; quun dossier daide sociale à lhébergement a été constitué et déposé le 4 janvier 2012 ; que par décision du 2 avril 2012, le conseil général de la Dordogne a refusé ladmission de Mme X… au titre de laide sociale à lhébergement, aux motifs que ses ressources y compris les capitaux placés lui permettent de sacquitter des frais de séjour en EHPAD sans recourir à laide sociale qui présente un caractère subsidiaire ; que par décision du 20 mars 2014, la commission départementale de la Dordogne a confirmé la décision du conseil général en concluant que Mme X… était en mesure, grâce aux capitaux détenus (19 951,75 euros) et afin de lui préserver une somme de 5 000 euros pour ses frais dobsèques, de faire face à ses frais de séjour sans recourir à laide sociale pour quinze mois, et rejeté le recours de lUDAF ;
Considérant que Mme X… dispose, au moment de la demande daide sociale, dun montant de ressources de 1 007,94 euros par mois, constitués de 900,51 euros de pensions et retraites, de 46,20 euros dintérêts des capitaux placés et de 61,23 euros dallocation logement ; que la somme laissée à disposition est de 94,67 euros et quil en résulte des ressources disponibles de 913,27 euros alors que le coût dhébergement à lEHPAD sélève à 1 768,85 euros ; il en résulte un montant non couvert de 855,59 euros par mois ; que, si Mme X… détient des capitaux : 146,67 euros de livret épargne, 2 507,04 euros de livret dépargne populaire, 15 826,05 euros dobligations-actions, soit 18 479,16 euros au total, ces capitaux ne peuvent être eux-mêmes pris en compte, mais seulement les intérêts quils produisent ou seraient susceptibles de produire ; que, si le conseil général entretient des doutes sur le risque de dilapidation du patrimoine, il lui appartient de se prémunir en saisissant les autorités compétentes ;
Considérant au surplus, que le dossier fait apparaitre que Mme X… a six obligés alimentaires mais que ceux-ci nont pas été sollicités de remplir les formulaires dobligations alimentaires ou quils ne les ont pas renvoyés ; quil appartient au conseil général, sil sy croit fondé, de saisir le juge aux affaires familiales pour que soit fixée la participation des intéressés et que celle-ci vienne en déduction de laide sociale aux personnes âgées quil incombe au département de fournir ;
Considérant quil résulte de ce qui précède que lunion départementale des associations familiales de la Gironde est fondée à soutenir que cest à tort que, par la décision attaquée, la commission départementale daide sociale de la Dordogne a rejeté son recours,
Art. 1er.
Art. 2.
Art.3 : La présente décision sera notifiée à lunion départementale des associations familiales de la Gironde, au président du conseil départemental de la Dordogne. Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Délibéré par la commission centrale daide sociale dans la séance non publique, à lissue de la séance publique du 11 janvier 2016 où siégeaient M. BELORGEY, président, M. MATH, assesseur, Mme GOMERIEL, rapporteure.
Décision lue en séance publique le 11 janvier 2016.
La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à lexécution de la présente décision.
Le présidentLa rapporteure
Pour ampliation,
La secrétaire générale de la commission centrale daide sociale,
Marie-Christine Rieubernet