Mots clés : Recours en récupération Récupération sur donation Aide sociale aux personnes âgées (ASPA) Donation Assurance-vie Requalification Date deffet Erreur Compétence juridictionnelle Preuve
Dossier no 130358
M. Y…
Séance du 15 octobre 2015
Vu le recours formé en date du 24 septembre 2012 par Mme X…, tendant à lannulation de la décision du 26 juin 2012 par laquelle la commission départementale daide sociale du Puy-de-Dôme a confirmé la décision en date du 9 février 2012 par laquelle le président du conseil général du Puy-de-Dôme a requalifié en donation le contrat assurance-vie souscrit par M. Y…, père de Mme X…, et prononcé la récupération à lencontre de cette dernière, bénéficiaire du contrat, du montant perçu à la suite de la liquidation de ce contrat, soit 1 034,21 euros ;
La requérante soutient que sa situation financière extrêmement précaire ne lui permet pas de rembourser la somme réclamée qui a été utilisée pour lui permettre de sinstaller en tant quauto-entrepreneur, que son compagnon dont le salaire nexcède pas celui du SMIC assume seul lensemble des charges du foyer alors même quils ont deux enfants à charge ; elle sollicite ainsi la bienveillance de la commission centrale daide sociale à lexamen de son recours ;
Vu le mémoire en défense produit par le président du conseil général du Puy-de-Dôme en date du 28 mars 2013 qui conclut au rejet de la requête aux motifs que ladministration et les juridictions de laide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier lengagement dune action en récupération, quà ce titre, un contrat dassurance-vie peut-être requalifié en donation, si compte tenu des circonstances dans lesquelles il a été souscrit, il révèle une intention libérale du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire, quen vertu dune jurisprudence du Conseil dEtat en date du 19 novembre 2004, un contrat dassurance-vie peut être assimilé à une donation de fait et par conséquent récupérable dans les conditions prévues par les articles L. 132‑8 et R. 132‑11 du code de laction sociale et des familles ; que le moyen soulevé par la donataire sur sa situation économique ne suffit pas à faire obstacle à lexercice du recours en récupération du contrat en cause ; et enfin que le caractère davance des prestations servies par laide sociale ne permet pas que soit accordée une quelconque modération ou exonération de la dette à légard de la donataire ;
Vu le supplément dinstruction ordonné par la commission centrale daide sociale en date du 24 septembre 2014 par lequel cette dernière souhaitait savoir sur quels critères sétait fondé le président du conseil général du Puy-de-Dôme pour requalifier un contrat dassurance-vie en donation et si ces critères correspondaient bien à ceux énoncés par le Conseil dEtat ;
Vu le mémoire communiqué en date du 16 octobre 2014 par le président du conseil général du Puy-de-Dôme en réponse au supplément dinstruction exposant, dune part, que linterprétation du fondement de la récupération na pas été soulevée par la requérante qui sest contentée dinvoquer sa situation économique aux fins dêtre exonérée de la récupération du capital libéré au titre de lassurance-vie et, dautre part, quil ressort de lensemble du dossier que la bénéficiaire désignée a accepté de manière expresse la stipulation faite à son profit intervenue après le décès de M. Y…, ce qui a eu pour effet de permettre au département de la regarder comme une donataire par application de larticle L. 132‑8 du code de laction sociale et des familles et de la jurisprudence du Conseil dEtat du 19 novembre 2004 ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de laction sociale et des familles ;
Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010‑110 QPC du 25 mars 2011, notamment larticle 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012‑250 QPC du 8 juin 2012, notamment larticle 1er alinéa 3 de son dispositif ;
Vu lacquittement de la contribution pour laide juridique dun montant de 35 euros due par toute personne saisissant la commission centrale daide sociale entre le 1er octobre 2011 et le 31 décembre 2013 en application de larticle 1635 bis Q du code général des impôts ;
Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles dentre elles ayant exprimé le souhait den faire usage ayant été informées de la date et de lheure de laudience ;
Après avoir entendu à laudience publique du 15 octobre 2015 Mme DERVIEU, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à lissue de la séance publique ;
Considérant quaux termes des dispositions de larticle L. 132‑8, 2o, du code de laction sociale et des familles : « des recours sont exercés par ladministration (…) contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande daide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ; quaux termes de larticle R. 132‑11 du code précité : « Les recours prévus à larticle L. 132‑8 sont exercés, dans tous les cas, dans la limite du montant des prestations allouées au bénéficiaire de laide sociale » ;
Considérant, par ailleurs, quaux termes de larticle 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donateur qui laccepte » ; quun contrat dassurance vie soumis aux dispositions des articles L. 132‑1 et suivant du code des assurances, par lequel il est stipulé quun capital ou une rente sera versé au souscripteur en cas de vie à léchéance prévue par le contrat, et à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés en cas de décès du souscripteur avant cette date, na pas en lui-même le caractère dune donation, au sens de larticle 894 du code civil ;
Considérant que ladministration et les juridictions de laide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier lengagement dune action en récupération, sous réserve, en cas de difficulté sérieuse, dune éventuelle question préjudicielle devant les juridictions judiciaire ; quà ce titre, un contrat dassurance vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle pour lessentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire ; que lintention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à limportance des primes versées par rapport à son patrimoine, sy dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance dun droit de créance sur lassureur ; que, dans ce cas, lacceptation du bénéficiaire, alors même quelle ninterviendrait quau moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à ladministration de laide sociale de le regarder comme un donataire, pour lapplication des dispositions relatives à la récupérations des créances daide sociale ;
Considérant quil résulte de linstruction que M. Y… a bénéficié de laide sociale à lhébergement pour son accueil à lEHPAD E… du 27 mars 2000 au 7 avril 2010, date de son décès ; que les sommes avancées par le département au titre de laide sociale à lhébergement se sont élevées au total à 97 275,24 euros, que M. Y…, née le 18 mars 1924, avait souscrit le 1er septembre 1998 un contrat dassurance vie dont le montant sest élevé à une valeur totale de 1034,21 euros ;
Considérant, et sans quil soit besoin de statuer sur les autres moyens, quen se fondant uniquement sur le fait que la bénéficiaire du contrat dassurance-vie ait accepté de manière expresse la stipulation faite à son profit au moment du versement effectif du capital après le décès de son père pour requalifier le contrat dassurance-vie en donation, sans même chercher à déterminer en vertu des critères déterminés par la jurisprudence énoncée ci-dessus sil y avait eu une intention libérale de la part de M. Y… afin de justifier cette requalification, le président du conseil général du Puy-de-Dôme a commis une erreur manifeste de droit, quen effet, ni lâge, ni lespérance de vie, ni limportance des primes versées ne permettaient de conclure au dépouillement par le souscripteur de son patrimoine au profit du bénéficiaire ;
Considérant quil résulte de ce qui précède quen labsence de preuve dintention libérale de la part M. Y…, le contrat dassurance-vie souscrit par ce dernier ne saurait être requalifié en donation, et quil ne saurait donc être procédé à la récupération du montant de cette assurance-vie sur la requérante ; quil y a lieu en conséquence, dannuler les décisions attaquées en ce quelles requalifient le contrat dassurance vie en donation indirecte,
Art. 1er.
Art. 2.
Délibéré par la commission centrale daide sociale dans la séance non publique, à lissue de la séance publique du 15 octobre 2015 où siégeaient M. BELORGEY, président, Mme GUIGNARD-HAMON, assesseure, Mme DERVIEU, rapporteure.
Décision lue en séance publique le 15 octobre 2015.
La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à lexécution de la présente décision.
Le présidentLa rapporteure
Pour ampliation,
La secrétaire générale de la commission centrale daide sociale,
M.-C. Rieubernet