Dispositions communes à tous les types daide sociale |
2320 |
RECOURS EN RÉCUPÉRATION | ||
Mots clés : Recours en récupération - Récupération sur donation - Assurance-vie - Requalification - Age |
Dossier no 140111
Mme X...
Séance du 19 mars 2015
Décision lue en séance publique le 20 mars 2015
Vu le recours formé en date du 11 février 2014 par Maître Aude REBIERE-LATHOUD en sa qualité de conseil de Mme Y... tendant à lannulation de la décision en date du 10 décembre 2013 par laquelle la commission départementale daide sociale de la Charente a partiellement révisé la décision du président du conseil général de la Charente en date du 30 juillet 2012 décidant dun recours en récupération après requalification de deux contrats dassurance-vie en donation pour un montant de 4 278,51 euros, en ce quelle a confirmé la requalification en donation des sommes versées au titre de deux contrats dassurance-vie souscrits par Mme X... mais a limité le montant de la récupération par le président du conseil général de la Charente à 2 567,07 euros ;
La requérante soutient à titre principal, dans un premier temps que le faisceau dindices pouvant permettre de prouver lintention libérale, à savoir lâge du souscripteur et limportance des primes versées, ne permet pas ici de révéler lintention libérale, quen effet les deux contrats ont été souscrits par Mme X... à lâge de 78 ans alors même que lespérance de vie en 2011 des femmes âgées de 60 ans est de 87,3 ans, quil convient donc dexclure la requalification des contrats dassurance-vie en donation indirecte, que la souscription de tels contrats doit ainsi être vue comme sinscrivant dans la cadre de la gestion courante du patrimoine de Mme X..., dans un deuxième temps que la souscription à ces contrats procédait dune intention rémunératoire de lintéressée en contrepartie des soins prodiguées par Mme Y... à sa grand-mère, quen vertu dune jurisprudence du Conseil dEtat (CE, 6 février 2006, req. no 262312) il y a ainsi lieu décarter la requalification en donation, dans un troisième temps que les sommes placées représentent moins de 40 euros de dépôt par mois, que les circonstances de fait ne permettent donc pas détablir la volonté irrévocable du souscripteur de se dépouiller de son patrimoine au profit de Mme Y... ; à titre subsidiaire que si la requalification des contrats dassurance-vie venait à être confirmée, une modération de la dette au regard de la précarité de la situation de sa cliente devra être opérée ; elle soutient enfin quil serait inéquitable de laisser à la charge de lexposante lensemble des frais exposés par la présente instance, quil pourra lui être accordé une somme de 1 500 euros au titre de larticle L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu la décision attaquée ;
Vu le mémoire en défense produit par le président du conseil général de la Charente enregistré en date du 14 août 2014 qui conclut au rejet de la demande aux motifs que lâge retenu pour requalifier un contrat dassurance-vie en donation indirecte est soumis à lappréciation de ladministration sous le contrôle du juge, que le Conseil dEtat a ainsi déjà admis lintention libérale chez des personnes âgées de 80 et 79 ans au moment de la conclusion de tels contrats ; que le fait de désigner un bénéficiaire dans le contrat dassurance-vie caractérise sans équivoque possible lintention de donner à ce tiers le capital souscrit, que cette volonté est ici dautant moins contestable que le 9 septembre 2004, Mme X... a légué pour testament le tiers de tous ses biens à Mme Y..., confirmant ainsi son intention de la favoriser, que lintention de donner est par ailleurs confirmée par la requérante lorsquelle indique, dans sa requête quil « sagit de façon évidente dune simple rémunération de lexposante, en contrepartie de laide apportée à Mme X... à compter du décès de son époux », que la souscription à ces contrats ne peut donc être considéré comme un simple acte de gestion de patrimoine, que si ces éléments permettent détablir la volonté de donner de Mme X..., rien ne prouve quelle souhaitait rémunérer les bons soins que lui aurait prodigués la requérante, quenfin le caractère manifestement exagéré des primes, soit près de 8 800 euros, qui sapprécie au regard des ressources mensuelles (1 171 euros) combiné à labsence de patrimoine permettent de conclure incontestablement au dépouillement de lintéressée au profit de Mme Y... ;
Vu le mémoire en réplique produit par le requérante en date du 23 septembre 2014 par lequel elle persiste dans ses conclusions précédentes en précisant que le montant des sommes perçues par Mme Y... sélève à 4 278,51 euros et non 8 880 euros, et en ajoutant quhandicapée à 80 %, ses seuls revenus sont constitués de la perception de lallocation adulte handicapée et que le paiement dune somme de 4 278,51 euros au département de la Charente la mettrait en grande difficulté ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de laction sociale et des familles ;
Vu le code de la famille et de laide sociale ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010-110 QPC du 25 mars 2011, notamment larticle 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012-250 QPC du 8 juin 2012, notamment larticle 1er alinéa 3 de son dispositif ;
Les parties ayant été régulièrement informées de la faculté qui leur était offerte de présenter des observations orales, et celles dentre elles ayant exprimé le souhait den faire usage ayant été informées de la date et de lheure de laudience ;
Après avoir entendu, à laudience publique du 19 mars 2015, Mme DERVIEU, rapporteure, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à lissue de la séance publique ;
Considérant quaux termes des dispositions de larticle L. 132-8, 2o, du code de laction sociale et des familles : « des recours sont exercés par ladministration (...) contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande daide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande » ; quaux termes de larticle R. 132-11 du code précité : « Les recours prévus à larticle L. 132-8 sont exercés, dans tous les cas, dans la limite du montant des prestations allouées au bénéficiaire de laide sociale » ;
Considérant par ailleurs, quaux termes de larticle 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui laccepte » ; quun contrat dassurance vie soumis aux dispositions des articles L. 132-1 et suivant du code des assurances, par lequel il est stipulé quun capital ou une rente sera versé au souscripteur en cas de vie à léchéance prévue par le contrat, et à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés en cas de décès du souscripteur avant cette date, na pas en lui-même le caractère dune donation, au sens de larticle 894 du code civil ;
Considérant cependant que ladministration et les juridictions de laide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier lengagement dune action en récupération, sous réserve, en cas de difficulté sérieuse, dune éventuelle question préjudicielle devant les juridictions de laide judiciaire ; quà ce titre, un contrat dassurance vie peut être requalifié en donation, si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle pour lessentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que lintention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à limportance des primes versées par rapport à son patrimoine, sy dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance dun droit de créance sur lassureur ; que, dans ce cas, lacceptation du bénéficiaire, alors même quelle ninterviendrait quau moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à ladministration de laide sociale de le regarder comme un donataire, pour lapplication des dispositions relatives à la récupérations des créances daide sociale ;
Considérant quil résulte de linstruction que Mme X... a bénéficié de laide sociale à lhébergement pour son hébergement dans la maison de retraite M... du 22 février 2010 au 14 janvier 2012, date de son décès, que les sommes avancées par le département au titre de laide sociale à lhébergement se sont élevées à 11 882,79 euros ; que Mme X... à lâge de 78 ans a souscrit deux contrats dassurance-vie au bénéfice de Mme Y..., sa petite-fille, au cours de lannée 2003, soit 7 ans avant quelle ne soit admise en maison de retraite, quau moment de cette souscription, létat de santé de lintéressée ne laissait pas présager quelle ne percevrait pas les fonds souscrits à léchéance du contrat, que contrairement à ce quavance le président du conseil général, le fait de désigner un bénéficiaire du contrat dassurance-vie en cas de décès ne caractérise aucunement lintention de donner « sans équivoque possible » à ce tiers le capital souscrit, quil peut sagir dune simple précaution pour bénéficier des avantages juridiques et fiscaux quoffrent de tels contrats, que par ailleurs le montant des sommes présentes sur les contrats dassurance-vie à la date du décès de Mme X... sélevait à 4 278,51 euros, que les primes versées se sont étalées sur une période de 9 ans pour un montant mensuel qui na jamais excédé 45 euros, que le montant des primes versées ne représentait donc quune faible part des ressources de lintéressée, quon peut dès lors difficilement établir la volonté irrévocable de Mme X... de sêtre dépouillée de son patrimoine au profit de Mme Y... ;
Considérant, et sans quil soit besoin de statuer sur les autres moyens, que les conditions permettant à ladministration de laide sociale de requalifier un contrat dassurance-vie en donation indirecte ne sont pas réunies dans la présente instance, quil y a lieu en conséquence, dannuler les décisions attaquées en ce quelles requalifient les contrats dassurance-vie en donation indirecte ;
Sur les frais exposés non compris dans les dépens :
Considérant que Mme Y... ne peut être regardée comme partie perdante dans la présente instance, que les conclusions de Maître Aude REBIERE-LATHOUD tendant à ce quil lui soit versé 1 500 euros sur le fondement prétendu de larticle L. 761-1 du code de justice administrative - en réalité sur celui de larticle 75-1 de la loi du 10 juillet 1991 - ne peuvent être que rejetées,
Décide
Art. 1er. - La décision en date 10 décembre 2013 de la commission départementale daide sociale de la Charente et la décision du président du conseil général de la Charente en date du 30 juillet 2012 sont annulées.
Art. 2. - Le recours en récupération est annulé ainsi que la requalification de lassurance-vie en donation indirecte.
Art. 3. - La présente décision sera notifiée à Maître Aude REBIERE-LATHOUD, à Mme X..., au président du conseil général de la Charente. Copie en sera adressée à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Délibéré par la commission centrale daide sociale dans la séance non publique, à lissue de la séance publique du 19 mars 2015 où siégeaient M. SELTENSPERGER, président, Mme GUIGNARD-HAMON, assesseure, Mme DERVIEU, rapporteure.
Décision lue en séance publique le 20 mars 2015.
La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à lexécution de la présente décision.
Le président | La rapporteure |
Pour ampliation,
La secrétaire générale
de la commission centrale daide sociale,
M.-C. Rieubernet