Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Aide sociale aux personnes handicapées (ASPH) - Recours en récupération - Récupération sur donation - Procédure - Conditions relatives au recours - Contradictoire
 

Dossier no 120170

Mme X...
Séance du 14 décembre 2012

Décision lue en séance publique le 17 janvier 2013

    Vu, enregistrée à la direction départementale de la cohésion sociale de la Drôme, le 20 février 2012, l’appel par lequel Mme Y..., demeurant dans la Drôme, demande à la commission centrale d’aide sociale d’annuler la décision en date du 8 décembre 2011 de la commission départementale d’aide sociale de la Drôme confirmant le recours en récupération exercé par le département de la Drôme sur la succession de Mme X..., sa sœur, dont les frais de placement au foyer S... d’un montant total de 407 451,17 euros ont été pris en charge par l’aide sociale, et ce par le moyen qu’elle aurait assumé « la charge effective et constante » de l’assistée au sens de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles ;
    Vu la décision attaquée ;
    Vu enregistré au secrétariat de la commission centrale d’aide sociale le 19 novembre 2012, le mémoire en défense du président du conseil général de la Drôme tendant au rejet de la requête par les motifs qu’il a scrupuleusement respecté les dispositions combinées des articles L. 132-8 et L. 241-4 du code de l’action sociale et des familles ; que les relations entre les deux sœurs n’étant nullement mises en cause, il est primordial de connaitre le niveau d’implication de la requérante auprès de sa sœur pour déterminer si oui ou non il constitue une prise en charge effective et constante au sens donné par la loi et la jurisprudence, notamment (CCAS, 23 octobre 2006) ; qu’il s’agit d’une notion rigoureuse qui dépasse de beaucoup la relation fraternelle, même fortement impliquée ; que les deux attestations produites témoignent, en ce qui concerne celle du docteur C... de relations affectives naturelles entre frères et sœurs qui ne permettent pas d’établir l’effectivité et la constance de la prise en charge et qu’en ce qui concerne celle de M. D..., il est permis d’émettre des réserves par rapport à la qualité même de la personne qui l’a produite, lui-même, directeur des établissements et services de l’ADAPEI de la Drôme et M. et Mme Y... étant tous deux adhérents et membres actifs de l’ADAPEI ; que sans mettre son authenticité, il est permis et même « sain »... de l’écarter au motif qu’elle a été produite par une personne qui peut être n’aurait pu s’y soustraire ne serait ce que par un intérêt d’ailleurs parfaitement légitime ou tout simplement pour des raisons d’ordre relationnel ; que ces déclarations ne suffisent donc pas à établir au regard des critères jurisprudentiels la prise en charge effective et constante en ce qui concerne la première et en ce qui concerne la seconde, non seulement n’apporte pas la garantie d’une neutralité suffisante, mais encore ne répond pas aux critères dégagés par le juge ;
    Vu, enregistré le 4 décembre 2012, le mémoire en réplique présenté par Mme Y... persistant dans les conclusions de sa requête par les mêmes moyens et les moyens qu’on lui réclame 407 451,17 euros au lieu de 202 000,00 euros en premier ressort ; que l’actif successoral allégué n’est pas exact puisqu’il fait état d’un capital d’assurance vie de 8 215,54 euros, or une ordonnance du juge des tutelles du 10 novembre 2009 précisait la clause du contrat ; qu’elle a accueilli sa sœur pour six semaines de vacances annuelles car elle supportait très mal les séjours avec d’autres handicapés ; qu’une année où elle était partie passer quinze jours en Ardèche, elle a été obligée de venir la rechercher en urgence suite à un appel téléphonique de la directrice du foyer de vacances dont elle mettait en péril le fonctionnement ; qu’elle a changé d’habitation pour pouvoir accueillir sa sœur et qu’elle a dû faire preuve de diplomatie pour ne pas perturber l’équilibre de sa famille ; que la charge a donc bien été effective et constante ; que les choix de gestion de ses parents avaient déstabilisés l’équilibre financier antérieur et que pendant deux ans elle a reçu sa sœur chez elle chaque fin de semaine pour que son époux l’accompagne au CAT le lundi matin ; qu’elle a visité six fois par semaine sa sœur hospitalisée à 63 km de son domicile, soit 2 270 km pour aller lui tenir compagnie lui ménageant des sorties des soins palliatifs lorsque son état le permettait ; qu’elle a, en neuf mois, passé 190 après-midi à son chevet ; que le défendeur n’évoque que deux des rapports sur les trois fournis ; que la mise en cause d’un rapport de l’un des trois attestataires est faire injure à l’impartialité de celui-ci ; qu’elle ne demande pas d’annuler la dette en totalité mais si cela est possible de la diminuer dans une certaine proportion pour lui permettre de l’honorer rapidement ;
    Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles, notamment les articles L. 134-2 et L. 134-6 ;
    Vu les décisions du Conseil constitutionnel no 2010-110 QPC du 25 mars 2011, notamment l’article 1er de son dispositif et ses considérants 7 et 10, et no 2012-250 QPC du 8 juin 2012, notamment l’article 1er alinéa 3 de son dispositif ;
    Après avoir entendu à l’audience publique du 14 décembre 2012, M. GOUSSOT, rapporteur, Mme Y..., en ses observations, M. François PALADINO, pour le département de le Drôme, en ses observations, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à l’issue de la séance publique ;
    Considérant que si dans son dernier mémoire enregistré le 4 décembre 2012, Mme Y... en vient à ne pas demander « d’annuler la dette en totalité mais si cela (...) est possible de la diminuer dans une certaine proportion pour (lui) permettre de l’honorer rapidement », un tel parti, qui s’explique d’ailleurs par l’état dans laquelle a pu la mettre le déroulement prolongé des instances contentieuses, ne saurait en toute hypothèse interdire à la commission de faire droit aux conclusions initiales tendant à la décharge de la récupération, alors que la requérante n’a pas chiffré le quantum de la modification que dorénavant elle sollicitait et alors que depuis le début des instances elle fait valoir et persiste à faire valoir qu’elle remplit bien les conditions légales prévues par l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles pour bénéficier d’une entière décharge - et non remise - de la récupération ;
    Considérant qu’aux termes de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles, les frais d’hébergement et d’entretien des personnes handicapées adultes pris en charge au titre de l’aide sociale ne donnent pas lieu « (...) à l’application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d’aide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants, ses parents ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé (...) » ; que le séjour de ce dernier dans un établissement n’est pas, à lui seul, de nature à priver de toute portée la notion de charge effective et constante de l’intéressé, laquelle procède des responsabilités assumées envers lui et des manifestations d’intérêt à son égard, en vue de pourvoir à son confort matériel et psychologique, à l’occasion de séjours en famille, notamment, lors des fêtes ou sous la forme de nombreuses visites ;
    Considérant qu’en l’espèce Mme X... était atteinte d’un handicap mental d’origine congénitale ; qu’elle a vécu chez ses parents jusqu’en 1987, année de son admission au centre d’aide par le travail et au foyer d’hébergement dans la Drôme ; que le juge des tutelles, par ordonnance du 30 novembre 1998, a désigné sa sœur, Mme Y..., en qualité de tutrice en remplacement de sa mère, Mme L..., décédée en 2007 ; que Mme X... a été hospitalisée du 29 décembre 2009 au 18 septembre 2010 à l’unité de soins palliatifs du centre hospitalier où elle est décédée ;
    Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme Y... a manifesté un attachement profond et constant à sa sœur, plus jeune qu’elle de seize ans ; qu’elle a secondé très tôt sa mère pour pourvoir aux besoins de l’assistée ; que durant la période pendant laquelle la tutelle de Mme X... était assurée par sa mère, Mme Y... recevait notamment sa sœur à son domicile pour faciliter son retour au foyer et au centre d’aide par le travail le lundi matin ; qu’à compter de 1999 elle a rendu chaque semaine visite à Mme X... sur son lieu d’hébergement et « (l’) accueillait fréquemment à son domicile pendant les vacances courtes ou longues et chaque fois que Mme X... désirait y aller pour un week-end », comme le souligne, dans une note du 16 février 2012 le directeur des établissements et services de l’association départementale des parents d’enfants inadaptés (ADAPEI) de la Drôme dans laquelle Mme Y... s’est d’ailleurs beaucoup investie et dont, ce nonobstant, l’attestation peut être prise en compte ; que cette dernière a visité pratiquement chaque jour sa sœur lors de son hospitalisation de trois semaines au centre hospitalier spécialisé, éloigné de 35 km de son domicile ; qu’elle a eu le même comportement lorsque Mme X... a séjourné de longs mois à l’Unité de soins palliatifs, éloigné de 63 km, comme l’atteste un praticien y étant affecté dans un certificat du 7 septembre 2011 ; que d’autres éléments du dossier confirment l’attention constante portée par Mme Y... à sa sœur handicapée ;
    Considérant qu’il suit de ce qui précède que Mme Y..., compte tenu de la durée, de l’ampleur et de la nature des efforts qu’elle a effectués en faveur de Mme X..., doit être regardée comme ayant assumé la charge effective et constante de sa sœur handicapée au sens de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles ; qu’ainsi, il n’y a pas lieu d’exercer un recours sur la succession de Mme X... dont Mme Y... est l’unique héritière ; qu’il doit être ajouté, compte tenu de ce que le service avait dans des notes internes versées au dossier assimilé la situation de Mme Y... à celle de M. D... sur laquelle il a été statué par décision no 111040 du 21 septembre 2012, qu edans cette instance la seule pièce produite par la personne prétendant à l’exonération litigieuse était une attestation du directeur du foyer se bornant à indiquer qu’il avait apporté une aide de la nature de celles prise en compte par les dispositions précitées sans explicitation et sans production d’autres pièces quelles qu’elles soient par le requérant ; que dans la présente instance la situation est clairement différente ; que d’une part, l’attestation du directeur du foyer n’est pas produite sur le mode de l’allégation mais explicite de façon précise les modalités d’intervention de Mme Y... auprès de sa sœur ; que d’autre part, cette attestation est corroborée par d’autres attestations suffisamment circonstanciées et concordantes ; qu’enfin les pièces mêmes produites au dossier dans lesquelles Mme Y... détaille son « parcours de vie » avec sa sœur, Mme X..., sont suffisamment précises et, bien qu’émanant de la requérante, plausibles pour corroborer les autres attestations qu’elle produit et font état d’interventions dont la nature, la durée et la constance contribuent à justifier d’une « charge effective et constante du handicapé » au sens et pour l’application de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles ; que le discernement, qui, davantage que l’abstraction juridique, conduit à qualifier les situations de la sorte dans chaque cas particulier, implique de discriminer entre les deux situations qui avaient été rapprochées par le service ;
    Considérant que le remboursement du droit de timbre n’est pas sollicité et qu’en l’état de la jurisprudence du Conseil d’Etat, il n’appartient pas à la commission centrale d’aide sociale d’ordonner un tel remboursement alors même que le droit de timbre est partie des dépens,

Décide

    Art. 1er.  -  La décision de la commission départementale d’aide sociale de la Drôme en date du 8 décembre 2011 est annulée.
    Art. 2.  -  La succession de Mme X... ne donne lieu à aucun recours au sens de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles.
    Art. 3.  -  La présente décision sera transmise à la ministre des affaires sociales et de la santé, à qui il revient d’en assurer l’exécution.
    Délibéré par la commission centrale d’aide sociale dans la séance non publique, à l’issue de la séance publique du 14 décembre 2012 où siégeaient M. LEVY, président, Mme AOUAR, assesseure, M. GOUSSOT, rapporteur.
    Décision lue en séance publique le 17 janvier 2013.
    La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Le président Le rapporteur

Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale d’aide sociale,
M. Defer