Dispositions communes à tous les types daide sociale |
2320 |
RECOURS EN RÉCUPÉRATION | ||
Mots clés : Personnes handicapées - Recours en récupération - Succession |
Dossier no 061668
M. Q... Yves
Séance du 27 avril 2007
Décision lue en séance publique le 21 mai 2007
Vu, enregistrée au secrétariat de la commission centrale daide sociale en date du 8 novembre 2006, la requête présentée par M. le président du conseil général du Rhône tendant à ce quil plaise à la commission centrale daide sociale annuler la décision par laquelle la commission départementale daide sociale du 20 juin 2006 a exonéré Mme Geneviève Q... de récupération sur sa part de succession et limité la récupération sur succession à un tiers de la part de lactif net successoral revenant à Mme Edith W... et M. Didier Q... aux motifs que par sa décision du 24 mars 2004 la commission dadmission à laide sociale de Lyon 9e a prononcé la récupération sur la succession de M. Yves Q... des avances consenties au titre de laide sociale pour la prise en charge de ses frais dhébergement et de lallocation compensatrice ; que la récupération ne peut seffectuer que dans la limite de la créance départementale, soit 287 418,9 euros, et de lactif net successoral, soit 87 623,52 euros ; que par conséquent le département pouvait exercer une récupération sur succession de la créance à hauteur de 87 623,52 euros ; que la non-récupération simpose en application de la loi no 2005-102 du 11 février 2005 puisque la décision de récupération de la commission dadmission à laide sociale de Lyon 9e ne revêt pas de caractère définitif en raison de lappel formé dans le délai des deux mois et non en raison du montant de la créance inférieure à 46 000 euros ; quen ce qui concerne la récupération des avances consenties au titre des frais dhébergement lexonération de Mme Geneviève Q... en raison de sa qualité de personne ayant assumé la charge effective et constante de M. Yves Q... nest pas remise en cause ; que seule la réduction de la récupération de la créance à un tiers de la part de lactif net successoral revenant à Mme Edith W... et à M. Didier Q... est contestée afin que la récupération sur la totalité de la part leur revenant soit exercée en application de larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles ;
Vu le mémoire en défense de Mme Edith W... et de M. Didier Q... en date du 29 janvier 2007 qui conclut au rejet de la requête par les moyens que larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles précise dans son 2e alinéa « Les frais dhébergement et dentretien des personnes handicapées dans les établissements de rééducation professionnelle et daide par le travail ainsi que dans les foyers et foyers logements [...] et sans quil y ait lieu à lapplication des dispositions relatives au recours en récupération des prestations daide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé de façon effective et constante la charge du handicapé » ; quainsi cet article prévoit une exception à la récupération sur succession lorsque les héritiers ont assumé la charge effective et constante du handicapé ; quici la qualité de personne qui a effectué de façon effective et constante la charge du handicapé a été reconnue en partie à Mme W... et M. Didier Q... par la commission départementale daide sociale puisquelle a réduit le montant de la récupération de la créance que devait effectuer le département du Rhône ; que la commission a ainsi pris en compte toute la dimension « daccompagnement et de soutien affectif qui ont été témoignés à M. Yves Q... par sa sur et son frère tout au long de ces quinze années » ; quelle a également souligné le lien étroit et permanent existant entre Yves Q... et sa famille ainsi que leur rôle actif dans sa prise en charge par les intéressés, tous les week-ends et toutes les vacances scolaires de 1988 à 2003 ; quà ce titre Mme W... et son frère M. Didier Q... confirment et apportent diverses preuves (témoignages écrits, plannings de prise en charge hebdomadaire de leur frère à leur domicile respectif les week-ends et vacances scolaires (Mme W... était enseignante), afin de lui offrir une vie de famille, lemmenaient en vacances une semaine en février, une semaine à Pâques, une à Noël et quatre ou cinq semaines en été ; que ceci correspondait à plus de cent trente jours par an, soit un tiers de lannée au sein de sa famille ; que dailleurs une chambre lui était réservée tant au domicile de sa sur que celui de son frère où se sont imposés après les dernières années de sa maladie des travaux de remise en état (changement de literie, moquettes, tapisserie qui ont occasionnés des frais importants) ; quil est également à noter quaprès laggravation de son état de santé M. Yves Q... a dû quitter le foyer dhébergement et être placé à titre payant en maison de retraite avec dérogation dâge, en labsence de structure agréée par laide sociale susceptible de laccueillir ; que lassistante sociale du foyer témoigne dailleurs de la présence constante et du dévouement de la famille durant toutes ces années, ainsi que linfirmière du foyer ; que, de plus, les deux dernières années de sa carrière, Mme W... a travaillé à mi-temps pour veiller quotidiennement sur son frère gravement malade après une grave opération au cerveau et une longue convalescence ; quen effet les services hospitaliers nétant pas équipés pour accueillir un handicapé mental, la présence constante dune personne proche était indispensable ; que ceci a eu pour conséquence non seulement une diminution de salaire mais a aussi supprimé sa promotion de fin de carrière et réduit le montant de sa retraite de 2 % comme le prouve les justificatifs ci-joints ; que toutefois le département du Rhône argue que sagissant dune prise en charge en établissement accompagnée dune participation financière de laide sociale, la notion de charge effective et constante de M. Yves Q... par ses proches ne peut être retenue, alors que larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles évoque précisément ce cas de figure, et se place uniquement dans le cadre de frais dhébergement et dentretien des personnes handicapées placées en établissement ; que, par ailleurs, le Conseil dEtat dans un arrêt du 29 mars 1991 dispose que « La circonstance quun handicapé ait été placé et quune partie des frais de séjour ait été supportée par laide sociale ne saurait à elle seule, contrairement à ce qua jugé la commission daide sociale, priver du bénéfice de la non-récupération un héritier, autre que le conjoint ou les enfants, qui aurait assumé de façon effective et constante la charge du handicapé » ; que lappel du jugement de la commission départementale daide sociale le 21 décembre 2006 est motivé, selon le courrier du département du Rhône, « par un souci déquité entre les bénéficiaires daide sociale » ; que toutefois cet argument ne prend pas en considération lengagement continu manifesté par les intéressés tout au long de la vie de leur frère handicapé, labnégation dont ils ont fait preuve envers lui, parfois même au détriment de leur vie familiale et professionnelle ; quainsi le rôle joué par le frère et la sur durant quinze ans, par leur présence régulière auprès de leur frère handicapé, permet de mettre en évidence dans ce dossier, sans équivoque possible, « la façon effective et constante » évoquée par larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles dans la charge de leur frère, bien que celui-ci ait été accueilli, dans le même temps, dans une structure spécialisée ; quen outre, pour expliquer lévolution financière dYves Q..., un tableau en annexe résume ses recettes et dépenses durant quatre périodes à titre dexemple en 1986 où il vivait encore chez sa mère jusquen septembre 1988, en 1996 hébergé au foyer et travaillant en CAT de 1988 à 1998, en 2000 inactif de 1998 à 2001 et en 2002 sans prise en charge par laide sociale de 2002 à 2003 ; quil est à remarquer les économies volontairement réalisées par la famille afin de constituer un pécule lui permettant de faire face après lâge de soixante ans, à la suppression, encore en vigueur à cette époque, de lallocation aux adultes handicapés et de labsence de maison de retraite adaptée à son état et conventionnée par laide sociale ; quenfin dans la succession de M. Yves Q... figure sa part sur un bungalow au Barcarès acheté en 1970 par les parents ; que cétait le lieu de vacances de la famille chaque année, où Yves avait sa chambre, ses repères, ses habitudes ; que cest un lieu auquel la famille est très attachée sentimentalement et quelle se verrait dans lobligation de vendre si la récupération du département sexerçait dans sa totalité ;
Vu le courrier de lAssociation lyonnaise de gestion détablissement pour personnes déficientes en date du 14 mars 2007 attestant que Mme Edith W... et M. Didier Q... se sont toujours occupés de façon exemplaire de leur frère ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de laction sociale et des familles ;
Vu le code de la famille et de laide sociale ;
Vu le code civil ;
Vu la lettre du 23 janvier 2007 invitant les parties à faire connaître au secrétariat de la commission centrale daide sociale si elles souhaitent être entendues à laudience ;
Après avoir entendu à laudience publique du 27 avril 2007 Mlle Erdmann, rapporteure, Mme Edith W... et M. Didier Q... en leurs observations, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à lissue de la séance publique ;
Considérant dabord que lorsque sappliquent les dispositions de larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles relatives à la non-récupération contre la personne qui a assuré la charge effective et constante de la personne handicapée la dispense de récupération est de droit et le juge commet une erreur de droit en accordant une exonération partielle ; dautre part que par contre le juge de la remise ou de la modération statuant sur la partie « gracieuse » du litige relatif à laide effective et constante de lhéritier peut tenir compte de ces circonstances pour accorder non seulement une remise mais encore une modération de la créance ; quenfin quelles que puissent être les difficultés à préciser la distinction entre « légalité » et « bien-fondé » de la récupération lapplication de la condition de dispense de ladite récupération prévue à larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles relève de la « légalité » de la récupération ; la prise en compte, parmi dautres, de circonstances de la nature de celles que cet article exige, sans quil puisse être appliqué en lespèce, pour, néanmoins, remettre ou modérer la créance relevant, quant à elle, du « bien-fondé » de la récupération ;
Considérant que par la décision attaquée la commission départementale daide sociale du Rhône a :
1o Statuant sur la légalité de la décision de récupération, en application de larticle 95-I de la loi du 11 février 2005, constaté que les arrérages dallocation compensatrice pour tierce personne (44 975 euros) nétaient pas récupérables ; que cette partie de sa décision nest pas critiquée ; quen toute hypothèse les frais dhébergement avancés demeurant légalement récupérables étaient supérieurs au montant de lactif net successoral ;
2o Statuant sur le « bien-fondé » de laction en récupération déchargé Mme Geneviève Q... de toute récupération des frais dhébergement comme ayant assuré la charge effective et constante de son fils ; que cette décharge qui relève en réalité de la légalité de la récupération nest pas davantage contestée ;
3o Statuant sur le bien-fondé, exonéré à hauteur dun tiers de chacune de leurs créances au prorata de leurs parts dans la succession Mme Edith W... et M. Didier Q..., sur et frère de lassisté ; quà la différence de la récupération à lencontre de la mère cette dernière ne peut être regardée que comme procédant non de la légalité de la décision de récupération mais du bien-fondé de la créance, dès lors que, comme il a été dit, en faisant application de larticle L. 344-5 pour décharger (et non modérer) la créance le juge ne statue pas sur le bien-fondé mais sur la légalité, alors que lorsquil modère la créance en raison de circonstances, même de la nature de celles prises en compte par larticle L. 344-5, il peut être regardé comme statuant à titre gracieux ;
Considérant il est vrai que cette interprétation constitue une reconstruction dautant que le premier juge a commis une erreur de droit en admettant que la charge effective et constante du handicapé au sens de larticle L. 344-5 consisterait en la qualité de tierce personne de celui-ci et non en laccompagnement affectif, matériel et moral de lintéressé, alors que seule cette dernière situation est prise en compte pour apprécier la charge dont sagit ; quen toute hypothèse lexonération de Mme Geneviève Q... nest pas contestée ; que sagissant du frère et de la sur le premier juge na pas considéré quils avaient la charge effective et constante de leur frère, mais, seulement, quils justifiaient de circonstances de nature à entraîner une modération de la créance « laccompagnement et le soutien affectif [...] pour leur frère » ; que sil en était autrement il aurait commis une nouvelle erreur de droit en ne déchargeant pas totalement les intéressés mais quen toute hypothèse aucun recours incident nest formulé à cet égard et que linterprétation retenue ci-avant paraît la mieux appropriée compte tenu de lambiguïté, à tout le moins, de la rédaction de la décision des premiers juges ;
Considérant que seule cette partie de la décision exonérant des deux tiers de leurs dettes M. Q... et Mme W... est contestée en appel, étant du reste ajouté que linterprétation de la décision des premiers juges est elle-même rendue plus difficile par labsence au dossier de la déclaration de succession permettant détablir les parts respectives de Mme Geneviève Q..., dune part, de M. Didier Q... et Mme Edith W..., dautre part, dans la succession ;
Considérant quau soutien de sa contestation le président du conseil général appelant se borne à énoncer :
« afin que la récupération sur la totalité de la part leur [à Mme W... et à M. Q...] revenant soit assurée en application de larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles » cela « afin dassurer une équité entre les bénéficiaires de laide sociale » ;
Mais considérant quil résulte de ce qui précède dune part quen ce qui concerne les deux intimés la décision attaquée ne peut être regardée comme fondée sur les dispositions de larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles mais sur le pouvoir déquité du juge de la remise ou de la modération de la créance ;
Considérant dautre part que dans ce cadre il appartient au juge dapprécier dans les circonstances particulières de chaque espèce compte tenu notamment tant de la situation financière de chacun des héritiers que/ou que des soins et des aides prodigués par chacun de ceux-ci à la personne handicapée de son vivant, sil y a lieu à remettre ou modérer la créance ; quainsi « léquité » nimpose nullement que dans tous les cas laide apportée soit appréciée identiquement, lapplication de larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles nétant à ce stade pas en cause ; quainsi lunique moyen du président du conseil général appelant tiré de ce que larticle L. 344-5 du code de laction sociale et des familles imposerait la récupération de la totalité de la part de lactif successoral net de chacun des assistés dans la succession de M. Yves Q... ne peut être que rejeté ;
Considérant en conséquence que quelle que puisse être la difficulté pour le juge dappel à juger un appel qui ne conteste pas la motivation des premiers juges elle-même entachée selon lanalyse qui précède derreur de droit et dambiguïté et soulève un seul moyen inopérant la requête du président du conseil général du Rhône sera rejetée, étant ajouté pour la moralité des débats que la réalité des soutiens importants et constants des deux intimés à leur frère ressort très clairement de lensemble des pièces du dossier et quainsi dans la mesure où le premier juge sest comme il a été envisagé ci-dessus bien placé pour les exonérer des deux tiers de leur créance sur le terrain de la modération gracieuse il na pas fait une inexacte appréciation des circonstances de laffaire en labsence même dans les circonstances particulières de lespèce déléments fournis sur les revenus des deux intéressés,
Décide
Art. 1er. - La requête du président du conseil général du Rhône est rejetée.
Art. 2. - La présente décision sera transmise au ministre de lemploi, de la cohésion sociale et du logement, au ministre de la santé et des solidarités à qui il revient den assurer lexécution.
Délibéré par la commission centrale daide sociale dans la séance non publique, à lissue de la séance publique du 27 avril 2007 où siégeaient M. Levy, président, M. Reveneau, assesseur, Mlle Erdmann, rapporteure.
Décision lue en séance publique le 21 mai 2007.
La République mande et ordonne au ministre de lemploi, de la cohésion sociale et du logement, au ministre de la santé et des solidarités, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à lexécution de la présente décision.
Le président La rapporteure
Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale daide sociale,
M. Defer