Dispositions communes à tous les types daide sociale |
2300 |
RECOURS EN RÉCUPÉRATION | ||
Mots clés : Recours en récupération - Donation - Assurance vie - Qualification |
Conseil dEtat statuant au contentieux
Dossier n° 274521
M. D...
Séance du 15 mai 2007
Lecture du 6 juin 2007
Vu la requête, enregistrée le 23 novembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil dEtat, présentée par le département de la Dordogne, représenté par le président du conseil général ; le département de la Dordogne demande au Conseil dEtat dannuler la décision du 19 août 2004 par laquelle la commission centrale daide sociale, après avoir annulé la décision du 11 avril 2002 de la commission départementale daide sociale de la Dordogne décidant de surseoir à statuer et de formuler une question préjudicielle devant le juge judiciaire concernant la qualification dun contrat dassurance vie, a annulé la décision du 4 décembre 2001 de la commission cantonale dadmission à laide sociale de Montagrier ayant décidé de récupérer à lencontre de M. Marcel D... les sommes versées au titre de la prestation spécifique dépendance à son épouse Mme Augusta D..., pour la période du 30 octobre 1997 au 7 janvier 2000 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code civil, notamment son article 894 ;
Vu le code de laction sociale et des familles, notamment son article L. 132-8 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Eric Berti, chargé des fonctions de maître des requêtes ;
- les conclusions de M. Christophe Devys, commissaire du Gouvernement ;
Considérant, dune part, quen vertu des dispositions du 2o de larticle L. 132-8 du code de laction sociale et des familles une action en récupération est ouverte au département, notamment contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande daide sociale ;
Considérant, dautre part, quaux termes de larticle 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui laccepte » ; quun contrat dassurance vie soumis aux dispositions des article L. 132-1 et suivants du code des assurances, par lequel il est stipulé quun capital ou une rente sera versé au souscripteur en cas de vie à léchéance prévue par le contrat, et à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés en cas de décès du souscripteur avant cette date, na pas en lui-même le caractère dune donation, au sens de larticle 894 du code civil ;
Considérant, toutefois, que ladministration et les juridictions de laide sociale sont en droit de rétablir la nature exacte des actes pouvant justifier lengagement dune action en récupération ; quà ce titre un contrat dassurance vie peut être requalifié en donation si, compte tenu des circonstances dans lesquelles ce contrat a été souscrit, il révèle, pour lessentiel, une intention libérale de la part du souscripteur vis-à-vis du bénéficiaire et après que ce dernier a donné son acceptation ; que lintention libérale doit être regardée comme établie lorsque le souscripteur du contrat, eu égard à son espérance de vie et à limportance des primes versées par rapport à son patrimoine, sy dépouille au profit du bénéficiaire de manière à la fois actuelle et non aléatoire en raison de la naissance dun droit de créance sur lassureur ; que, dans ce cas, lacceptation du bénéficiaire, alors même quelle ninterviendrait quau moment du versement de la prestation assurée après le décès du souscripteur, a pour effet de permettre à ladministration de laide sociale de le regarder comme un donataire, pour lapplication des dispositions relatives à la récupération des créances daide sociale ;
Considérant quil résulte du dossier soumis aux juges du fond que Mme Augusta D..., née le 15 avril 1918, a bénéficié de la prestation spécifique dépendance à domicile du 30 octobre 1997 au 7 janvier 2000, date à laquelle elle est décédée ; que le montant des sommes versées au titre de laide sociale sélève à 13 385,03 euros ; quelle a souscrit un contrat dassurance vie le 9 décembre 1997, contrat dont le bénéficiaire en cas de décès était son époux, M. Marcel D... ; quà ce titre ce dernier, qui a accepté dêtre bénéficiaire dudit contrat, a reçu 24 689,35 euros ; que, par une décision en date du 4 décembre 2001, la commission cantonale dadmission à laide sociale de Montagrier a requalifié le contrat dassurance vie en donation indirecte et a décidé la récupération de la somme versée selon les modalités prévues au 2o de larticle L. 132-8 du code de laction sociale et des familles ; que, par la décision attaquée du 19 août 2004, la commission centrale daide sociale après avoir, par des motifs non contestés par le pourvoi, annulé la décision de la commission départementale daide sociale du 11 avril 2002 posant à lautorité judiciaire une question préjudicielle et décidé dévoquer, a annulé la décision cantonale dadmission à laide sociale de Montagrier ;
Considérant que, pour annuler cette décision au motif quelle ne pouvait requalifier le contrat dassurance vie en donation, la commission centrale daide sociale sest bornée à relever que le caractère résiliable des contrats dassurance vie ne permettait pas de regarder le contrat souscrit par Mme D... comme une donation au sens de larticle 894 du code civil ; quen statuant ainsi alors, notamment, que le département se prévalait de lintention libérale de la présumée donataire, eu égard notamment à lâge avancé de celle-ci au moment de la souscription du contrat et du montant des primes versées en regard de son patrimoine, la commission centrale daide sociale na pas légalement justifié sa décision ; que celle-ci doit, par suite, être annulée ;
Considérant quil y a lieu, dans les circonstances de lespèce, de régler laffaire au fond en application des dispositions de larticle L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant quil résulte des circonstances relatées ci-dessus dans lesquelles Mme D..., a souscrit le 9 décembre 1997, alors quelle était âgée de 79 ans, un contrat dassurance vie pour un montant de plus de 20 000 euros, soit une part importante de son patrimoine, en faveur de son époux, M. D..., qui après le décès de Mme D... en a accepté le bénéfice, lintention libérale de Mme D... à légard de son époux doit, dans les circonstances de lespèce, être regardée comme établie ; que, par suite, cette donation pouvait donner lieu à la récupération par le département de la Dordogne de sa créance daide sociale sélevant à 13 385,03 euros ;
Considérant cependant quil appartient aux juridictions de laide sociale, en leur qualité de juges de plein contentieux, de se prononcer sur le bien-fondé de laction en récupération daprès lensemble des circonstances de fait dont il est justifié par lune ou lautre partie à la date de leur propre décision ; quà ce titre elles ont la faculté, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, daménager les modalités de cette récupération ; queu égard aux circonstances de la présente affaire, et notamment à la situation financière de M. D..., il y a lieu de limiter à 5 000 euros le montant récupérable par le département,
Décide
Art. 1er. - La décision de la commission centrale daide sociale en date du 19 août 2004 est annulée en tant quelle annule la décision de la commission cantonale dadmission à laide sociale de Montagrier du 4 décembre 2001.
Art. 2. - La somme que le département de la Dordogne est autorisé à récupérer à lencontre de M. D... est fixée à 5 000 euros.
Art. 3. - La décision de la commission cantonale dadmission à laide sociale de Montagrier du 4 décembre 2001 est réformée en ce quelle a de contraire à la présente décision.
Art. 4. - La présente décision sera notifiée au département de la Dordogne, à M. Marcel D... et au ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité.