Dispositions spécifiques aux différents types daide sociale |
3500 |
COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE COMPLÉMENTAIRE | ||
Mots clés : Protection complémentaire en matière de santé - Aide médicale |
Conseil dEtat statuant au contentieux
Dossier no 285576
Association Aides et autres
Séance du 10 mai 2006
Lecture du 7 juin 2006
Vu la requête, enregistrée le 28 septembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil dEtat, présentée par lassociation Aides, représentée par son président en exercice, lassociation Groupe de soutien et dinformation pour les immigrés, représentée par sa présidente en exercice, la ligue des droits de lhomme, représentée par son président en exercice, lassociation Médecins du monde, représentée par sa présidente en exercice et le Mouvement contre la racisme et pour lamitié entre les peuples, représenté par son président en exercice ; les associations requérantes demandent au Conseil dEtat dannuler pour excès de pouvoir le décret no 2005-859 du 28 juillet 2005 relatif à laide médicale de lEtat et modifiant le décret no 54-883 du 2 septembre 1954 modifié pris pour lapplication de lensemble des dispositions du décret du 29 novembre 1953 relatif à la réforme des lois dassistance, ainsi que le décret no 2005-860 du 28 juillet 2005 relatif aux modalités dadmission des demandes daide médicale de lEtat, et de mettre à la charge de lEtat le versement dune somme de 2 500,00 Euro au titre de larticle L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 mai 2006, présentée par le ministre de la santé et des solidarités ;
Vu la Constitution, notamment son article 55 ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales ;
Vu la déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944 concernant les buts et objectifs de lOrganisation internationale du travail, annexée à la constitution de lOrganisation internationale du travail ;
Vu la convention internationale du travail no 97 concernant les travailleurs migrants ;
Vu la convention internationale du travail no 118 concernant légalité de traitement des nationaux et des non-nationaux en matière de sécurité sociale ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
Vu la convention internationale relative aux droits de lenfant du 26 janvier 1990 ;
Vu la Charte sociale européenne (révisée) faite à Strasbourg le 3 mai 1996 ;
Vu le code de laction sociale et des familles, notamment ses articles L. 251-1, L. 252-3 et L. 254-1 ;
Vu le code de la sécurité sociale, notamment ses articles L. 182-1 et L. 380-1 ;
Vu la loi no 2003-1312 du 30 décembre 2003 portant loi de finances rectificative pour 2003 ;
Vu la loi no 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour légalité ;
Vu le décret no 54-883 du 2 septembre 1954 modifié pris pour lapplication de lensemble des dispositions du décret du 29 novembre 1953 relatif à la réforme des lois dassistance ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Anne Courreges, maître des requêtes ;
- les conclusions de M. Christophe Devys, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que larticle 97 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2003 a, dune part, modifié larticle L. 251-1 du code de laction sociale et des familles à leffet de subordonner à une condition de séjour ininterrompu dau moins trois mois en France loctroi de laide médicale de lEtat aux étrangers en situation irrégulière et a, dautre part, inséré dans le même code un article L. 254-1 qui prévoit la prise en charge par lEtat des soins urgents « dont labsence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de létat de santé de la personne ou dun enfant à naître », administrés par les établissements de santé aux étrangers résidant en France qui ne remplissent pas la condition de régularité de séjour susceptible de leur ouvrir droit à la couverture maladie universelle et qui ne sont pas bénéficiaires de laide médicale de lEtat ;
Considérant que, pour lapplication de la première de ces dispositions, le décret no 2005-859 du 28 juillet 2005 a notamment ajouté au décret du 2 septembre 1954 un article 44 dont le deuxième alinéa prévoit que la liste des pièces justificatives et des documents, au vu desquels est appréciée la présence ininterrompue du demandeur depuis plus de trois mois sur le territoire français, est déterminée par le décret qui, conformément au premier alinéa de larticle L. 251-3 du code de laction sociale et des familles, fixe les conditions de ladmission à laide médicale de lEtat ; que cest dans ce cadre quest intervenu le décret no 2005-860 du 28 juillet 2005 dont larticle 4 énumère les pièces de nature à justifier la présence ininterrompue du demandeur depuis trois mois ; que les associations requérantes demandent lannulation pour excès de pouvoir de ces deux décrets ;
Sur la légalité externe des décrets attaqués :
Considérant que lorganisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant lintervention dun texte doit être mis à même dexprimer son avis sur lensemble des questions soulevées par ce texte ; que, par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, lautorité compétente pour prendre le texte envisage dapporter à son projet des modifications, elle ne doit procéder à une nouvelle consultation de cet organisme que si ces modifications posent des questions nouvelles ;
Considérant que les projets des décrets attaqués ont été soumis à lavis du conseil dadministration de la Caisse nationale de lassurance maladie des travailleurs salariés en application de larticle L. 200-3 du code de la sécurité sociale, qui impose une telle consultation pour tout projet de mesure réglementaire ayant des incidences sur léquilibre financier de la branche ou entrant dans le domaine de compétence de la caisse ; que, si des modifications ont été apportées aux projets de texte après la consultation du conseil dadministration de la Caisse, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la consultation, dès lors que ces modifications ne posaient aucune question nouvelle ; quen particulier, si le projet de décret en Conseil dEtat, contrairement à sa version publiée, ne comportait pas darticle 2 prévoyant, eu égard à la réforme par le décret du régime de lagrément délivré à des associations en vue de recueillir des demandes daide médicale, des dispositions transitoires pour les associations bénéficiant, à la date de publication du décret, dun tel agrément, cette disposition ne posait pas de question nouvelle rendant nécessaire une nouvelle consultation de la Caisse nationale de lassurance maladie des travailleurs salariés ;
Sur la légalité interne des décrets contestés dans leur ensemble :
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Charte sociale européenne révisée :
Considérant, dune part, quen vertu des articles 9 et 10 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les Etats parties reconnaissent le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales, ainsi quune protection (et une assistance aussi larges que possible à la famille ; que, de même, selon les articles 11, 12, 13 et 17 de la Charte sociale européenne révisée, les parties sengagent à prendre des mesures appropriées en vue dassurer lexercice effectif, respectivement, du droit à la protection de la santé, du droit à la sécurité sociale, du droit à lassistance sociale et médicale et du droit des enfants et adolescents de grandir dans un milieu favorable à lépanouissement de leur personnalité et au développement de leurs aptitudes physiques et mentales ; que ces stipulations, qui ne produisent pas deffets directs à légard des particuliers, ne peuvent être utilement invoquées à lappui de conclusions tendant à lannulation des décrets attaqués ; quil suit de là que le moyen tiré de ce que les droits énoncés par la Charte sociale européenne révisée ne seraient pas garantis dans le respect du principe de non-discrimination prévu par larticle E de la partie V de la charte est également inopérant ;
Considérant, dautre part, que les stipulations de larticle 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lesquelles « Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. (...) », ne sont invocables que par les personnes qui soutiennent quelles sont victimes dune discrimination au regard de lun des droits civils et politiques reconnus par le pacte ; que tel nest pas le cas en lespèce ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaîtraient les stipulations de larticle 26 du pacte est inopérant et ne peut quêtre écarté ;
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de textes de lOrganisation internationale du travail :
Considérant, dune part, que la déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944 concernant les buts et objectifs de lOrganisation internationale du travail nest pas au nombre des textes diplomatiques qui, ayant été ratifiés et publiés, ont, aux termes de larticle 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, une autorité supérieure à celle de la loi interne ; quainsi, les associations requérantes ne sauraient utilement invoquer cette déclaration pour contester les dispositions législatives pour lapplication desquelles ont été pris les décrets attaqués ;
Considérant, dautre part, que si le b) de larticle 6 de la convention no 97 de lOrganisation internationale du travail relative aux travailleurs migrants stipule que les membres sengagent à appliquer, sans discrimination de nationalité, de race, de religion ni de sexe, aux immigrants un traitement qui ne soit pas moins favorable que celui quils appliquent à leurs propres ressortissants en ce qui concerne la sécurité sociale, il résulte des termes mêmes de cette stipulation quelle ne trouve à sappliquer quaux immigrants installés légalement sur le territoire des Etats parties ; que, par suite, elle ne peut-être utilement invoquée à légard des décrets du 28 juillet 2005 qui sont relatifs à laide médicale de lEtat, dispositif dont le bénéfice est réservé aux personnes en situation irrégulière ;
Considérant, enfin, que si, aux termes du 1 de larticle 3 de la convention no 118 de lOrganisation internationale du travail du 28 juin 1962, les parties doivent accorder, sur leur territoire, aux ressortissants des autres parties, légalité de traitement avec leurs propres ressortissants au regard de la législation de sécurité sociale, tant en ce qui concerne lassujettissement que le droit aux prestations, et si le 1 de larticle 4 de cette même convention précise qu« en ce qui concerne le bénéfice des prestations, légalité de traitement doit être assurée sans condition de résidence (...) », ces stipulations ne peuvent être utilement invoquées à légard de décrets régissant un dispositif dassistance médicale et non pas de sécurité sociale au sens de la convention ;
En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales :
Considérant, dune part, quaux termes de larticle 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinons politiques ou toutes autres opinions, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ; quaux termes de larticle 1er du premier protocole additionnel à cette convention « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens » ;
Considérant que, si les associations requérantes soutiennent que la différence de traitement, en termes de justifications à produire pour louverture des droits, dont font lobjet les personnes pouvant bénéficier de la couverture maladie universelle et celles relevant de laide médicale de lEtat serait discriminatoire, le législateur, en distinguant les deux régimes en cause, a entendu tenir compte de la différence de situation entre les étrangers selon quils satisfont ou non aux conditions de régularité de la résidence posées par la loi et les engagements internationaux souscrits par la France ; quil sest ainsi fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non-discrimination dans le droit au respect des biens qui résulte des stipulations combinées de larticle 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales et de larticle 1er du premier protocole additionnel à la convention doit être écarté ;
Considérant, dautre part, quen limitant laccès à laide médicale de lEtat aux étrangers en situation irrégulière qui justifient remplir une condition de séjour ininterrompue de trois mois, ce qui se traduit pour les personnes ainsi exclues de ce dispositif par la prise en charge par lEtat des seuls soins urgents énoncés à larticle L. 254-1 du code de laction sociale et des familles, larticle 97 de la loi des finances rectificative pour 2003, qui sert de fondement aux décrets attaqués, ne contrevient pas à la prohibition des traitements inhumains et dégradants prévue par larticle 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne les autres moyens :
Considérant, dune part, que, pour lapplication des dispositions législatives citées plus haut qui subordonnent à une condition de séjour ininterrompu dau moins trois mois en France loctroi de laide médicale de lEtat aux étrangers en situation irrégulière, les décrets contestés ont pu, sans méconnaître la portée de ces dispositions, ni létendue de lhabilitation donnée au pouvoir réglementaire, instituer un mécanisme de justification de cette présence ininterrompue dans lequel, au demeurant, est admise la production de tout document de nature à prouver que les conditions légales sont remplies et non un simple régime déclaratoire ;
Considérant, dautre part, que, si les associations requérantes soutiennent que les décrets contestés porteraient atteinte aux exigences de précaution qui simposent en matière de santé publique et méconnaîtraient par larticle 19 de la loi du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour légalité, aux termes duquel « en matière de protection sociale, de santé, (...) chacun a droit à un traitement égal, quelles que soient son origine nationale, son appartenance ou non-appartenance (...) à une ethnie ou une race », ces moyens ne peuvent quêtre écartés, dès lors que les dispositions attaquées se bornent à tirer les conséquences de la loi du 30 décembre 2003 ; que les associations requérantes ne sauraient davantage se prévaloir dun prétendu « principe général du droit exigeant un bilan coût-avantage satisfaisant » ;
Sur la légalité interne des décrets attaqués, en tant quils concernent les étrangers mineurs :
Considérant quaux termes de larticle 3-1 de la convention relative aux droits de lenfant du 26 janvier 1990 « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, quelles soient le fait des institutions publiques ou privées, de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, lintérêt supérieur de lenfant doit être une considération primordiale » ; que ces stipulations qui, conformément à larticle 1er de cette convention, sappliquent à « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable », interdisent que les enfants ainsi définis connaissent des restrictions dans laccès aux soins nécessaires à leur santé ; que, par suite, en tant quil subordonne laccès à laide médicale de lEtat à une condition de résidence ininterrompue dau moins trois mois en France, sans prévoir de dispositions spécifiques en vue de garantir les droits des mineurs étrangers et quil renvoie ceux-ci, lorsque cette condition de durée de résidence nest pas remplie, à la seule prise en charge par lEtat des soins énoncés à larticle L. 254-1 du code de laction sociale et des familles, cest-à-dire, ainsi quil a été dit plus haut, des seuls soins urgents « dont labsence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de létat de santé de la personne ou dun enfant à naître », larticle 97 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2003 est incompatible avec les stipulations précitées ; quil suit de là que les décrets attaqués sont illégaux en tant quils mettent en uvre cette disposition législative à légard des mineurs étrangers ;
Considérant quil résulte de tout ce qui précède que lassociation Aides, le Groupe de soutien et dinformation pour les immigrés, la Ligue des droits de lhomme, lassociation Médecins du monde et le Mouvement contre le racisme et pour lamitié entre les peuples ne sont fondés à demander lannulation des décrets du 28 juillet 2005 relatifs à laide médicale de lEtat quen tant quils mettent en uvre à légard des mineurs la condition de durée de résidence prévue à larticle L. 251-1 du code de laction sociale et des familles ;
Considérant, enfin, que, dans les circonstances de lespèce, il y a lieu de faire application des dispositions de larticle L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de lEtat le versement dune somme de 200,00 Euro à chacune de ces associations au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Décide
Art. 1er. - Les décrets du 28 juillet 2005 relatifs à laide médicale de lEtat sont annulés en tant quils mettent en uvre à légard des mineurs la condition de durée de résidence prévue à larticle L. 251-1 du code de laction sociale et des familles.
Art. 2. - LEtat versera à lassociation Aides, au Groupe de soutien et dinformation pour les immigrés, à la Ligue des droits de lhomme, à lassociation Médecins du monde et au Mouvement contre le racisme et pour lamitié entre les peuples une somme de 200,00 Euro à chacune delles en application de larticle L. 761-1 du code de justice administrative.
Art. 3. - Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Art. 4. - La présente décision sera notifiée, à lassociation Aides, au Groupe de soutien et dinformation pour les immigrés, à la Ligue des droits de lhomme, à lassociation Médecins du monde et au Mouvement contre le racisme et pour lamitié entre les peuples, au premier ministre, au de lemploi, de la cohésion sociale et du logement et au ministre de la santé et des solidarités.