Dispositions communes à tous les types d’aide sociale  

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  RECOURS EN RÉCUPÉRATION  
 

Mots clés : Recours en récupération - Retour à meilleure fortune - Application de la loi dans le temps
 

Conseil d’Etat statuant au contentieux
Dossier no 253288

Mme M...
Séance du 10 septembre 2004

Lecture du 1er octobre 2004

    Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 janvier et 14 mai 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par Mme Françoise M..., tutrice de M. Bernard T..., demeurant 196, rue de la Croix-Nivert, à Paris (75015) ; Mme M... demande au Conseil d’Etat :
    1o  D’annuler la décision en date du 7 octobre 2002 par laquelle de la commission centrale d’aide sociale, après avoir annulé la décision du 7 octobre 1999 de la commission départementale d’aide sociale des Yvelines et la décision de la commission d’admission à l’aide sociale de Mantes-la-Jolie du 12 mai 1999, a décidé la récupération des prestations avancées par l’aide sociale à M. T... du 12 mars 1990 au 9 avril 1996 pour son hébergement en foyer ;
    2o  de mettre à charge du département des Yvelines la somme de 3 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu le code civil ;
    Vu le code de l’action sociale et des familles, notamment son article L. 344-5 modifié par l’article 2 de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 ;
    Vu le code de justice administrative ;
    Après avoir entendu en audience publique :
    -  le rapport de M. Nicolas Boulouis, maître des requêtes ;
    -  les observations de la SCP Parmentier, Didier, avocat de Mme M... ;
    -  les conclusions de M. Christophe Devys, commissaire du Gouvernement ;
    Considérant qu’aux termes de l’article L. 134-9 du code de l’action sociale et des familles « le demandeur, accompagné de la personne ou de l’organisme de son choix, est entendu lorsqu’il le souhaite » ; que cette disposition fait obligation à la commission centrale d’aide sociale de mettre les intéressés d’exercer la faculté qui leur est reconnue ; qu’à cet effet la commission doit, soit avertir le requérant de la date de la séance à laquelle son recours sera examiné, soit l’inviter à l’avance à lui faire connaître s’il a l’intention de présenter des explications orales pour qu’en cas de réponse affirmative de sa part elle l’avertisse ultérieurement de la date de la séance ;
    Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment de la lettre adressée par le président de la 4e section de la commission centrale d’aide sociale le 20 novembre 2002, à l’avocat de Mme M..., que la date de la séance prévue pour l’examen du recours qu’elle avait présenté en sa qualité de tutrice de M. T..., et qui avait été primitivement fixée au 23 septembre 2002, avait été reportée au 20 décembre 2002, à la demande de l’intéressée ; que, toutefois, à la suite d’une erreur du secrétariat de la commission, le recours de Mme M... a été examiné à la séance du 23 septembre 2002, sans que l’intéressée en ait été informée ; que, dans ces conditions, Mme M... est fondée à soutenir que la décision de la commission centrale d’aide sociale en date du 7 octobre 2002 a été rendue à la suite d’une procédure irrégulière ; que cette décision doit être annulée en tant qu’après avoir annulé la décision de la commission départementale d’aide sociale des Yvelines en date du 7 octobre 1999, elle a statué sur les droits du département des Yvelines à la récupération des prestations d’aide sociale avancées par celui-ci pour l’hébergement de M. T... au foyer de l’association « Les Jours heureux » à Paris (15e) pour la période du 12 mars 1990 au 9 avril 1996 ;
    Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821.2 du code de justice administrative ;
    Sur l’existence d’un droit à récupération :
    Considérant, en premier lieu, d’une part, qu’en vertu de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles des recours aux fins de récupération de prestations d’aide sociale peuvent être exercés par le département contre le bénéficiaire de ces prestations « revenu à meilleure fortune » ; d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction antérieure à la loi no 2002-303 du 4 mars 2002, « les frais d’hébergement et d’entretien des personnes handicapées dans les établissements de rééducation professionnelle et d’aide par le travail ainsi que dans les foyers et foyers-logements sont à la charge : 1o A titre principal, de l’intéressé lui-même sans toutefois que la contribution qui lui est réclamée puisse faire descendre ses ressources au-dessous d’un minimum fixé par décret et par référence à l’allocation aux handicapés adultes, différent selon qu’il travaille ou non. Ce minimum est majoré, le cas échéant, du montant des rentes viagères mentionnées à l’article 199 septies du code général des impôts ; 2o Et, pour le surplus éventuel, de l’aide sociale sans qu’il soit tenu compte de la participation pouvant être demandée aux personnes tenues à l’obligation alimentaire à l’égard de l’intéressé, et sans qu’il y ait lieu à l’application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d’aide sociale lorsque les héritiers du bénéficiaire décédé sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé » ; que le I de l’article 2 de la loi du 4 mars 2002, a ajouté à ces dispositions la phrase suivante : « Les sommes versées, au titre de l’aide sociale dans ce cadre, ne font pas l’objet d’un recouvrement à l’encontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à meilleure fortune. » ;
    Considérant que les textes applicables à une action en récupération de prestations d’aide sociale sont ceux en vigueur à la date à laquelle la situation de la personne contre laquelle cette action est exercée peut être regardée comme ayant été définitivement constituée ; que, s’agissant d’un recours exercé contre le bénéficiaire de l’aide sociale revenu à meilleure fortune, il en est ainsi lorsque l’événement constituant le retour à meilleure fortune se produit ; qu’il appartient au juge, dans ce cas, de faire application des textes en vigueur à cette date ;
    Considérant que si, par les dispositions ajoutées par l’article 2 de la loi du 4 mars 2002, à l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles, le législateur a entendu interdire toute action en récupération pour retour à meilleure fortune à compter de l’entrée en vigueur de cette loi, il n’a pas, en l’absence de disposition expresse en ce sens, modifié les règles applicables aux actions engagées à cette date à l’égard de situations définitivement constituées ; qu’ainsi, les dispositions applicables à l’action en récupération exercée, avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, contre M. T... pour retour à meilleure fortune à la suite des événements intervenus en 1990, 1994 et 1996, sont celles de l’article L. 344-5 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction antérieure à sa modification par la loi du 4 mars 2002 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les nouvelles dispositions ajoutées à l’article L. 344-5 par cette loi faisaient obstacle à l’action en récupération exercée par le département des Yvelines contre M. T... n’est pas fondé ; qu’il n’y a pas lieu, dans ces conditions, d’examiner le bien-fondé du moyen invoqué en défense par le département et tiré de l’application de l’article 9 du décret du 2 septembre 1954, permettant la révision des décisions d’admission à l’aide sociale prises sur la base de déclarations incomplètes ou erronées ainsi que la répétition de l’indu ;
    Considérant, en deuxième lieu, que la donation-partage du 22 septembre 1990, et les deux successions reçues par M. T... à la suite des décès de son père et de sa mère les 27 octobre 1994 et 10 avril 1996, ont représenté pour l’intéressé des événements constitutifs d’un retour à meilleure fortune ; que la récupération à ce titre peut être exercée sur le capital donné, même en nue-propriété, ou hérité et pas seulement sur les revenus procurés par ce capital ;
    Considérant, en troisième lieu, que les dispositions précitées de l’article L. 132-8 du code de l’action sociale et des familles sont applicables même en l’absence de réglementation départementale d’aide sociale ;
    Sur le montant du droit à récupération :
    Considérant, en premier lieu, que M. T... n’indique pas en quoi le mode de calcul de la créance d’aide sociale du département au regard des critères autres que celui relatif à la période d’hébergement à prendre en compte serait erroné ;
    Considérant, en deuxième lieu, que si le recours en récupération pour retour à meilleure fortune peut s’exercer dans la limite de la prescription trentenaire, il ne peut porter que sur les prestations avancées à la date de l’événement constituant un tel retour ; qu’ainsi, les prestations d’aide sociale avancées par le département pour la période d’hébergement du 12 mars 1990, date de l’admission de M. T... dans l’établissement, au 10 avril 1996, sont récupérables sur le montant de la donation pour celles afférentes à la période du 12 mars 1990 au 21 septembre 1990, et sur le montant des successions ouvertes les 27 octobre 1994 et 10 avril 1996, pour celles correspondantes respectivement aux périodes antérieures à chacune de ces dates ;
    Considérant, en troisième lieu, qu’il ne résulte pas de l’instruction que la situation financière de M. T... justifierait une réduction du montant de la récupération exercée à son encontre ;
    Considérant, enfin, qu’il y a lieu de renvoyer M. T... devant le président du conseil général des Yvelines pour la liquidation des droits du département à récupération de sa créance d’aide sociale conformément aux motifs de la présente décision ;
    Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de la justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des Yvelines, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande Mme M... au titre des frais engagés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu de mettre à la charge de Mme M... la somme que le département des Yvelines demande au titre des mêmes dispositions ;

Décide

    Art. 1er.  -  La décision de la commission centrale d’aide sociale en date du 7 octobre 2002, est annulée en tant qu’après avoir annulé la décision de la commission départementale d’aide sociale des Yvelines en date du 7 octobre 1999, elle a statué sur les droits du département des Yvelines à la récupération des prestations d’aide sociale avancées par celui ci pour l’hébergement de M. T... au foyer de l’association « Les Jours heureux » à Paris (15e ).
    Art. 2.  -  Il y a lieu pour le département des Yvelines à récupération des prestations d’aide sociale avancées par celui-ci à M. T... pour son hébergement au foyer susmentionné, sur la donation-partage du 22 septembre 1990, et sur les successions ouvertes les 27 avril 1994, et 10 avril 1996, dans les conditions définies dans les motifs de la présente décision.
    Art. 3.  -  Le surplus des conclusions de la requête de Mme M... devant le conseil d’Etat et de la demande de M. T... devant la commission départementale d’aide sociale est rejeté.
    Art. 4.  -  Les conclusions présentées par le département des Yvelines en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative est rejetée.
    Art. 5.  -  La présente décision sera notifiée à Mme M..., à M. T..., au département des Yvelines et au ministre de la santé et de la protection sociale.