Dispositions communes à tous les types daide sociale |
2330 |
RECOURS EN RÉCUPÉRATION | ||
Mots clés : Recours en récupération - Donation - Assurance vie |
Dossier no 011579
Mme R...
Séance du 28 octobre 2002
Décision lue en séance publique le 13 novembre 2002
Au nom du peuple français, la commission centrale daide sociale,
Vu le recours formé le 8 mars 2001 par M. Jean R... et M. François R..., tendant à ce quil plaise à la commission centrale daide sociale annuler la décision du 5 décembre 2000 par laquelle la commission départementale daide sociale de lAllier maintenait la décision du président du conseil général de lAllier du 16 septembre 1999 décidant de la récupération de 49 664,95 francs (7 571,37 euros) sommes avancées auprès des donataires par les moyens que le recours en récupération contre la succession en matière dallocation compensatrice pour tierce personne ne sexerce que lorsque les héritiers ne sont pas le conjoint, les enfants ou la personne qui fait fonction de tierce personne ; quen ce qui concerne les deux contrats dassurance vie souscrits les 24 avril 1996 et 24 décembre 1996 par leur mère dun montant de 203 120,00 francs (30 965,44 euros), ladministration a requalifié ces contrats en donation déguisée, conformément à la jurisprudence du Conseil dEtat, thèse quils rejettent puisquà la lecture attentive de ces contrats, il savère que le bénéficiaire au premier rang était leur mère ; que lallocation compensatrice pour tierce personne était versée à leur mère conformément à la loi du 30 juin 1975 article 39 II qui interdit toute récupération en ligne directe ; que leur mère a séjourné du 21 janvier 1991 au 20 juillet 1998 à la maison de retraite médicalisée « Le Lys » pour des dépenses de frais de séjour de 914 844,00 francs (139 467,07 euros) ; que souhaitant lentourer un maximum ils se sont relayés à son chevet durant 2 730 jours ; quils ont également abandonné les liquidités et titres venant de la part dhéritage de leur père décédé en 1977 (biens de la communauté 228 711,00 francs (34 866,77 euros) dont 114 355,00 francs (17 433,31 euros) valeur 1977 revenant aux enfants, au profit de leur mère ; que sans lallocation compensatrice pour tierce personne et leur part dhéritage leur mère naurait pu rester 91 mois au « Lys » ; que cet élément aurait dû être pris en compte car la réelle valeur de leur part dhéritage 114 355,00 francs en 1977 valait 336 118,00 francs en tenant compte du taux dérosion monétaire ; quils contestent vivement que dans le cas despèce le contrat dassurance est assimilé à une donation au vu des éléments suivants : quils sont les héritiers en ligne directe et non des tiers ; que les contrats dassurance vie nétaient quune épargne, placement garanti rapportant 5 % dintérêts incluant une faculté de rachat ; que conformément à larticle 894 du Code civil « La donation est un acte par lequel le donateur se dépouille de la chose donnée en faveur du donataire qui laccepte », or en 1996 leur mère ne sest pas appauvrie puisquelle en était le bénéficiaire au premier rang ; que leur mère avait la possibilité de récupérer partiellement ou totalement à tout moment les sommes figurant au contrat ; que conformément à lattestation SOGECAP du 28 février 2001, ni M. F..., ni M. Jean R... nont accepté ces contrats dassurance vie contrairement aux affirmations du conseil GÉnéral ; quils nont pas plus été nommément désignés, les héritiers nétant connus que le jour de louverture de la succession, le capital placé étant inclus dans la succession ; quenfin le recours devant la commission départementale nétant pas suspensif, ils ont remboursé la somme réclamée ; quils sollicitent la condamnation du département à rétablir les héritiers de Mme R... dans leurs droits et à leur reverser la somme de 49 661,95 francs (7 570,92 euros) plus les intérêts moratoires ;
Vu la note du président du conseil général de lAllier en date du 25 octobre 2001 qui conclut au rejet de la requête par les moyens que le premier contrat dassurance vie souscrit le 26 avril 1996 (après la demande daide sociale) entre dans le champ dapplication de larticle 146 b du code de la famille et de laide sociale ; que les contestations des consorts R.... dêtre des tiers et davoir accepté les contrats sont infondés ; que larticle 132-12 du code des assurances précise que « le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de lassuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers (ce qui est le cas présentement) ne font pas partie de la succession de lassuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit au jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de lassuré » ; que larticle 132-9 du code des assurances stipule bien lirrévocabilité des bénéficiaires dès leur acceptation tacite ou expresse ; que larticle 1221 du code civil confirme « quon peut pareillement stipuler au profit dun tiers lorsque telle est la condition dune stipulation que lon fait pour soi-même ou dune donation que lon fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation ne peut plus la révoquer si le tiers a déclaré vouloir en profiter » ; que lintention libérale de Mme R... est démontrée par le fait quelle a souscrit ces deux contrats en 1994 alors quelle bénéficiait de lallocation compensatrice pour tierce personne depuis 1991 ; quun retour à meilleure fortune navait pas été exercé à son encontre (héritage de 165 000,00 francs) suite au décès de sa fille ; quelle devait prioritairement affecter cet argent au paiement de ses frais ; que le montant récupérable 49 664,95 francs (7 571,37 euros) est inférieur au montant de la donation (le capital souscrit dans les deux assurances vie étant de 205 120,00 francs (31 270,34 euros) ;
Vu le mémoire en réplique des consorts Jean et François R... en date des 19 et 22 novembre 2001 qui persistent dans leurs demandes par les mêmes moyens et les moyens que vu la modestie des ressources de leur mère (7 000,00 francs par mois de pension) par rapport aux dépenses mensuelles de la maison de retraite (9 500,00 francs en 1991 et 10 500,00 francs en 1998), elle na pu payer cette maison que grâce à lusufruit du capital et surtout du capital que les enfants lui abandonnaient ; que cest ainsi à juste titre que le notaire chargé de la succession a constaté que ce capital ne se trouvant plus dans lactif taxable devait en être déduit ; quil ny a donc aucun artifice fiscal contrairement aux affirmations du conseil général ; que le conseil général pourra vérifier leur présence constante et successive au chevet de leur mère ; que leurs déclarations fiscales (le 5 septembre 1998 pour la déclaration provisoire de succession et le 16 décembre 1998 pour la déclaration définitive) ont été remplies dans les délais légaux leur mère étant décédée le 20 juillet 1998 ; que toujours contrairement aux affirmations du conseil général la déclaration partielle spécifique aux contrats dassurance vie a bien été établie le 5 septembre 1998 sous le no 645 VE ; que sur la déclaration provisoire aucun droit de succession na été perçu puisque chaque enfant bénéficiait de labattement légal de part taxable de 300 000,00 francs ; que par contre sur la déclaration définitive tout lactif net successoral a été pris en compte et taxé conformément aux abattements fiscaux ; que les certificats fiscaux nont pas relevé nommément MM. Jean et François R..., mais défini comme bénéficiaire après le décès des enfants vivants et représentés ; que du vivant de la mère, les deux enfants vivants nont à aucun moment fait acte dacceptation ; que de son vivant leur mère a eu lintégrale disposition de son patrimoine et la partie du nôtre (part dhéritage du père) ; que la mère ne sest pas appauvrie de son vivant ; que la commission départementale a fait une mauvaise interprétation de larrêt de la Cour de la Cassation qui abonde en leur sens : « dès lors que le contrat comporte une faculté de rachat (...) il est impossible de qualifier le contrat de donation (...) » « Seule lacceptation qui paralyse la faculté de rachat autorise à transposer à lassurance vie le régime de libéralités » quenfin larticle 894 du code civil est lui aussi inopérant puisque le seul bénéficiaire en cas de vie est Mme R... elle-même ;
Vu le mémoire en réplique du président du conseil général de lAllier en date du 11 juin 2002 persistant dans ses conclusions par les mêmes moyens et les moyens que la somme provenant de la succession paternelle a été intégralement déduite de lactif successoral de leur mère, comme cela est légalement possible ; quils auraient également pu aider sur leurs propres deniers financièrement leur mère ; que lintention libérale de la mère au profit de ses fils est incontestable puisquelle aurait pu choisir un autre mode de placement ;
Vu le mémoire en réplique des consorts R... en date des 24 et 26 juin 2002 qui persistent dans leurs conclusions par les mêmes moyens et les moyens que le conseil général affirme « que lidée daider financièrement leur mère sur leurs propres deniers ne les a même pas effleurés » ; quils réfutent fortement cet argument indigne dune collectivité locale dautant plus que M. Jean R... a travaillé en tant quagent de lEtat pendant quinze ans et que de toute façon ce dossier doit être traité comme nimporte quel autre ; quenfin les enfants de Mme R... ont bien abandonné au fur et mesure des besoins du paiement des factures du « Lys » la totalité du capital héréditaire de leur père, ce qui représente une aide financière non négligeable ;
Vu le mémoire en réplique du président du conseil général de lAllier en date du 5 juillet 2002 persistant dans leurs conclusions par les mêmes moyens et les moyens que les conclusions présentées par les consorts R... appellent deux remarques : que lemploi quoccupait M. Jean R... au sein de ladministration fiscale ne lui confère aucun droit particulier et que ce dossier de récupération a été instruit comme les autres ; quil est par ailleurs surprenant que M. R... aient pu percevoir 30 813,00 euros, soit le capital souscrit et les intérêts des produits sans être bénéficiaires des deux contrats dassurance vie, ni sans en avoir accepté le bénéfice ;
Vu le courrier en date des 19 et 22 juillet 2002 des consorts R... précisant navoir jamais demandé de régime de faveur, mais ayant été blessés à plusieurs reprises par des arguments injustes, ils tenaient à rétablir la vérité ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de la famille et de laide sociale et les textes subséquents ;
Vu le code de laction sociale et des famille ;
Vu le code civil ;
Après avoir entendu à laudience publique du 28 octobre 2002, Mlle Erdmann, rapporteur, et après en avoir délibéré hors la présence des parties, à lissue de la séance publique ;
Sur lapplication du 2e de larticle L. 132-8 du code de laction sociale et des familles ;
Considérant quen admettant même que toute souscription dun contrat dassurance vie ne constitue pas au profit du bénéficiaire une donation indirecte susceptible dêtre appréhendée par laide sociale sur le fondement de larticle 146 b du code de la famille et de laide sociale alors applicable à hauteur du montant des primes, sans quil soit même besoin dexaminer les conditions dans lesquelles chaque contrat de la sorte a été souscrit, du seul fait de lappauvrissement du stipulant à ladite hauteur au profit du bénéficiaire acceptant, sans contrepartie de celui-ci, un tel contrat ne peut être requalifié en donation que si ladministration de laide sociale établit lintention libérale du souscripteur au moment de la souscription du contrat alors requalifiable en donation entre vifs, alors même que lacceptation du bénéficiaire ne se serait réalisée en fait, mais en rétroagissant à la date de la signature du contrat ; quau moment où le promettant lui a versé les sommes dues en application du contrat après le décès du stipulant ;
Considérant que la preuve de lintention libérale doit être rapportée alors même que le contrat peut être requalifié non comme donation déguisée mais comme donation indirecte ;
Considérant quaux termes de larticle 894 du code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui laccepte » ; quaux termes de larticle L. 132-14 du code des assurances : « Le capital ou la rente garantie au profit dun bénéficiaire déterminé ne peuvent être réclamés par les créanciers du contractant, ces derniers ont seulement droit au remboursement des primes dans le cas indiqué par larticle L. 132-13, 2e alinéa », selon lequel les règles relatives au rapport à succession ou à la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire « ne sappliquent pas (...) aux sommes versées par le contractant à titre de primes à moins quelle naient été manifestement exagérées au regard de ses facultés » ; que, compte tenu de ces dispositions, un contrat dassurance vie ne peut être requalifié par le juge de laide sociale en donation que, lorsquau regard de lensemble des circonstances de la souscription du contrat, le stipulant sy dépouille au profit du bénéficiaire de manière actuelle et, nonobstant la possibilité de résiliation du contrat, non aléatoire, ne se bornant pas ainsi à un acte de gestion de son patrimoine ; que, dans une telle situation, lintention libérale doit être regardée comme établie et la stipulation pour autrui peut être requalifiée en donation indirecte, sous réserve, en cas de difficulté sérieuse de question préjudicielle à lautorité judiciaire ;
Considérant en lespèce queu égard à lâge de Mme R..., au moment de la souscription des contrats (quatre-vingt-huit et quatre-vingt-neuf ans), au montant des primes versées (150 120,00 francs et 50 000,00 francs), au regard de lensemble de ses liquidités et de ses placements, à la durée des contrats de capitalisation et ce, nonobstant la possibilité non utilisée de rachat partiel anticipé avec reversement partiel du capital et versement des intérêts courus capitalisés y afférents, ladministration établit, que les contrats souscrits lont été avec une intention libérale à légard des enfants de Mme R... - les bénéficiaires - en cas de prédécès de leur mère au cours de la période de souscription du contrat ;
Considérant il est vrai que M. R... font valoir en premier lieu qu« ils ne sont pas des tiers », mais que cette affirmation, faute de précisions à son soutien, ne peut que manquer en fait ; en deuxième lieu, quils nont pas été désignés bénéficiaires par la stipulante, mais que le fait que les énonciations des contrats visent « à défaut mes enfants nés ou à naître vivants et représentés » et non nominalement M. François et Jean R... nemporte aucun changement quant à leur désignation en qualité de bénéficiaires du capital à verser, compte tenu de leur acceptation dans les circonstances de droit et de fait ci-dessus rappelées ; que Mme R... était bénéficiaire de premier rang, mais que dès lors que ce sont des bénéficiaires de deuxième rang, qui après acceptation ont bénéficié des capitaux promis, cette stipulation est sans effet sur la donation indirecte consentie dans les conditions ci-dessus précisées ; quil en va de même de la possibilité de remboursements partiels sus-évoquée qui na pas été utilisée, ce quil appartient au juge de plein contentieux de laide sociale de constater au jour de la présente décision ;
Considérant que, si, MM. R... se prévalent encore des dispositions de larticle 39 de la loi du 30 juin 1975 alors non codifié exonérant de récupération les enfants de la personne handicapée ou les personnes qui ont supporté sa charge effective et constante, ces dispositions ne sont pas applicables à une donation indirecte ; quil résulte des énonciations même de la déclaration de la succession de Mme R... que si les primes versées ont lors de la liquidation de la succession donné lieu à taxation selon les modalités prévues par la loi 91-373 du 30 décembre 1991, une telle taxation était distincte de celle de lactif net successoral et na pas eu pour effet de faire perdre aux contrats souscrits le caractère de donation indirecte qui leur est reconnu dans la présente instance donnant lieu à récupération sur le fondement du b et non du a de larticle 146 du code de la famille et de laide sociale alors applicable ;
Considérant que si les requérants font aussi valoir quils ont laissé à disposition de leur mère la part de lhéritage de leur père qui leur revenait pour lui permettre de sacquitter de ses frais de placement en maison de retraite, cette circonstance, alors du reste que la somme correspondante a été déduite de lactif de la succession de leur mère, est sans incidence tant en ce qui concerne la légalité de la récupération que son bien-fondé, alors encore, quil ressort suffisamment clairement du dossier quen tout état de cause, en cas dinsuffisance de revenus de leur mère, ils auraient été tenus au titre de leurs obligations alimentaires envers elle ; que si, par ailleurs les requérants entendent demander remise ou modération de la créance de laide sociale récupérée (49 614,95 francs), en faisant état tant de la mise à disposition de la part de lhéritage dont sagit ; que des soins attentifs et constants apportés à leur mère lors de son placement, ces circonstances au regard du montant des prestations avancées par laide sociale (189 560,96 francs) des situations financières aisée de lun des requérants et convenables de lautre résultant suffisamment de leurs propres écritures ne peuvent en lespèce conduire à remettre ou modérer la créance ; que les autres circonstances de fait exposées pour échapper à la récupération sont inopérantes ;
Considérant que, contrairement à ce que paraissent soutenir également les requérants, lallocation compensatrice est bien une prestation daide sociale entrant dans le champ de larticle 146 b du code de la famille et de laide sociale alors applicable ; que la récupération prévue à cet article est sans rapport avec lincessibilité et linsaisissabilité de lallocation de son vivant versée à Mme R... prévue par larticle 39 de la loi du 30 juin 1975 sus-rappelé ; que larticle 168 du code de la famille et de laide sociale alors applicable dont ils se prévalent au surplus pour fonder leur requête est sans application dans la présente instance ;
Considérant que, compte tenu du rejet de la requête, les conclusions aux fins dintérêts moratoires sont sans objet ;
Décide
Art. 1er. - La requête de MM. François et Jean R... est rejetée.
Art. 2. - La présente décision sera transmise au ministre de lemploi et de la solidarité à qui il revient den assurer lexécution.
Délibéré par la commission centrale daide sociale dans la séance non publique, à lissue de la séance publique du 28 octobre 2002 où siégeaient M. Levy, président, M. Retournard, assesseur, Mlle Erdmann, rapporteur.
Décision lue en séance publique le 13 novembre 2002.
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, chacun en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à lexécution de la présente décision.
Le président | Le rapporteur |
Pour ampliation,
Le secrétaire général
de la commission centrale daide sociale,
M. Defer