Base de jurisprudence


Décision n° C4302
17 juin 2024
Tribunal des conflits

N°C4302
Publié au recueil Lebon

M. MOLLARD , président
M. Philippe Flores, rapporteur
Mme Bokdam-Tognetti, rapporteure publique


Lecture du lundi 17 juin 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, enregistré à son secrétariat le 7 décembre 2023, le jugement du 5 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes, saisi de la demande formée par M. et Mme A... tendant à la condamnation de la commune de Changé et de la société Gaëtan Caruel infrastructures région ouest à leur verser la somme de 3 498,43 euros en réparation de leur préjudice matériel, a renvoyé au Tribunal des conflits, par application de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur les questions de compétence ;

Vu, enregistré le 29 janvier 2024, le mémoire du ministère de l'intérieur et des outre-mer, par lequel il s'en remet à la sagesse du Tribunal des conflits ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Flores, membre du Tribunal,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;


Considérant ce qui suit :

1. En 2015, le maire de la commune de Changé (Mayenne) a délivré à sa propre commune un permis d'aménager l'autorisant à créer un lotissement de soixante-six lots et trois îlots sur un terrain situé au lieudit la Fuye, dépendant de son domaine privé. La commune a conclu un marché public avec la société Gaëtan Caruel Infrastructures région Ouest pour l'aménagement de ce lotissement et, notamment, pour la réalisation des travaux de voirie et de viabilisation du lotissement. En 2016, M. et Mme A... ont acquis auprès de la commune de Changé, lotisseur, la parcelle n° 34 au sein du lotissement de la Fuye afin d'y réaliser une maison d'habitation. Dans la nuit du 22 au 23 juin 2016, de fortes précipitations ont inondé la parcelle des requérants, située en contrebas du lotissement, sur laquelle les travaux de construction avaient commencé. Les tranchées de fondation creusées en vue du coulage du béton ayant été endommagées par l'eau, il a été nécessaire de réaliser des fouilles plus larges et d'utiliser un volume de béton supérieur à celui initialement requis pour rétablir les semelles de fondation. Soutenant que le dommage subi résultait des caractéristiques de la voirie du lotissement, M. et Mme A... ont, par requête du 29 avril 2022, saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Changé et de la société Gaëtan Caruel infrastructures à leur verser la somme de 3 498,43 euros en réparation de leur préjudice matériel. Par jugement du 5 décembre 2023, le tribunal administratif de Nantes, estimant que les questions de compétence posées par les conclusions soulevaient une difficulté sérieuse mettant en jeu la séparation des ordres de juridictions, a renvoyé au Tribunal des conflits, sur le fondement de l'article 35 du décret du 27 février 2015, le soin de décider sur les questions de compétence.

2. S'il appartient à la juridiction administrative de statuer sur les actions en responsabilité dirigées par la victime, qu'elle ait la qualité de participant, d'usager ou de tiers, à l'encontre du maître de l'ouvrage ou des participants à l'exécution des travaux publics, il en va différemment lorsque le fondement de l'action engagée par la victime d'un dommage survenu à l'occasion de l'exécution de travaux publics réside dans un contrat de droit privé. En effet, lorsqu'une personne privée est liée à une personne publique par un contrat, elle ne peut, eu égard aux rapports juridiques qui naissent de ce contrat, exercer d'autre action en responsabilité contre cette personne publique au titre de l'inexécution ou la mauvaise exécution des obligations contractuelles que celle procédant de ce contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans la mauvaise réalisation ou l'absence de réalisation de travaux, prévus par ce contrat, qui revêtent par ailleurs le caractère de travaux publics.

3. Les conclusions de M. et Mme A..., en ce qu'elles sont dirigées contre la commune de Changé, qui invoquent le caractère défectueux de la voirie assurant, au sein du lotissement créé, la desserte de l'immeuble vendu, tendent à la réparation d'un dommage consécutif à l'inexécution d'une obligation résultant d'un contrat de droit privé. Dès lors, elles sont de la nature de celles qui relèvent de la compétence du juge judiciaire.

4. En revanche, les conclusions de M. et Mme A..., en ce qu'elles sont dirigées contre la société Gaëtan Caruel infrastructures, tendent à obtenir la réparation d'un dommage résultant de l'exécution de travaux publics et relèvent de la compétence du juge administratif.


D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour connaître des conclusions de M. et Mme A... en ce qu'elles sont dirigées dirigée contre la société Gaëtan Caruel infrastructures région ouest.

Article 2 : La juridiction judiciaire est compétente pour connaître des conclusions de M. et Mme A... en ce qu'elles sont dirigées contre la commune de Changé.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A..., à la société Gaëtan Caruel infrastructure région ouest, à la société SMACL Assurances, à la commune de Changé et au ministère de l'intérieur et des outre-mer.