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Ariane Web: Conseil d'État 488363, lecture du 10 mars 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:488363.20250310

Décision n° 488363
10 mars 2025
Conseil d'État

N° 488363
ECLI:FR:CECHR:2025:488363.20250310
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Alexandre Trémolière, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER, LASSALLE-BYHET, avocats


Lecture du lundi 10 mars 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Free mobile a, d'une part, demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre lui a refusé l'autorisation d'exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile de cinquième génération (5G) sur les zones figurant dans les dossiers d'autorisation déposés le 14 janvier 2020, ainsi que les trois décisions du 13 juillet 2020 rejetant expressément ces demandes sur trois zones du territoire français pour un total de 4 549 sites et la décision implicite rejetant son recours gracieux contre ces décisions, et d'enjoindre au Premier ministre de lui délivrer dans les meilleurs délais les autorisations d'exploitation pour ces 4 549 sites.

La société Free mobile a, d'autre part, demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 29 octobre 2020 par laquelle le Premier ministre lui a refusé l'autorisation d'exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile de cinquième génération (5G) sur 4 000 sites situés sur le territoire français, ainsi que d'enjoindre au Premier ministre de lui délivrer dans les meilleurs délais les autorisations d'exploitation pour ces 4 000 sites.

Par un jugement nos 2019151, 2021542 du 7 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Par un arrêt nos 22PA05246, 22PA05249 du 21 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Free mobile contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 18 septembre et 15 décembre 2023 ainsi que les 3 décembre 2024 et 22 janvier 2025, la société Free mobile demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brocher, avocat de la société Free mobile ;




Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Free mobile a demandé le 14 janvier 2020 au Premier ministre, en application de l'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques, l'autorisation d'exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile de cinquième génération (5G). Par des décisions du 6 juillet 2020, le Premier ministre a autorisé la société requérante à exploiter ce type de matériel sur 37 sites couvrant les huit principaux stades français. Par trois décisions du 13 juillet 2020 il a refusé les autorisations sollicitées pour les autres sites, soit 364 sites dans la zone " New Deal ", 185 sites dans les " zones blanches " et 4 000 sites dans la zone " bandes vides ". Le 1er septembre 2020, Free Mobile a demandé au Premier ministre l'autorisation d'exploiter les mêmes matériels sur 4 000 autres sites, qui a été refusée par une décision du 29 octobre 2020. La société Free mobile a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler ces décisions de refus, ainsi que les décisions par lesquelles le Premier ministre a rejeté les recours gracieux qu'elle avait formés. Par un jugement du 7 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses requêtes. La société Free mobile se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 juillet 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. L'article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques dispose : " I.- Est soumise à une autorisation du Premier ministre, dans le but de préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale, l'exploitation sur le territoire national des appareils, à savoir tous dispositifs matériels ou logiciels, permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile, à l'exception des réseaux de quatrième génération et des générations antérieures, qui, par leurs fonctions, présentent un risque pour la permanence, l'intégrité, la sécurité, la disponibilité du réseau, ou pour la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications, à l'exclusion des appareils installés chez les utilisateurs finaux ou dédiés exclusivement à un réseau indépendant, des appareils électroniques passifs ou non configurables et des dispositifs matériels informatiques non spécialisés incorporés aux appareils. (...) / II.- L'autorisation d'exploitation d'un appareil peut être octroyée après examen d'un dossier de demande d'autorisation remis par l'opérateur. Le dossier précise les modèles et les versions des appareils pour lesquels l'autorisation est sollicitée. / L'autorisation est octroyée, le cas échéant sous conditions, pour une durée maximale de huit ans (...) ". Aux termes de l'article L. 34-12 du même code : " Le Premier ministre refuse l'octroi de l'autorisation prévue à l'article L. 34-11 s'il estime qu'il existe un risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale résultant du manque de garantie du respect des règles mentionnées aux a, b, e, f et f bis du I de l'article L. 33-1 relatives à la permanence, à l'intégrité, à la sécurité, à la disponibilité du réseau, ou à la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications. Sa décision est motivée sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions des a à f du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration. / Le Premier ministre prend en considération, pour l'appréciation de ce risque, le niveau de sécurité des appareils, leurs modalités de déploiement et d'exploitation envisagées par l'opérateur et le fait que l'opérateur ou ses prestataires, y compris par sous-traitance, est sous le contrôle ou soumis à des actes d'ingérence d'un Etat non membre de l'Union européenne ".

3. Les dispositions citées au point 2 fixant les motifs au titre desquels le Premier ministre peut légalement prendre une décision de refus d'autorisation, un opérateur auquel un refus a été opposé ne saurait utilement se prévaloir, sur le fondement du principe d'égalité, des autorisations délivrées à d'autres opérateurs. En revanche, dès lors que l'exercice du pouvoir de police administrative conféré au Premier ministre par ces dispositions est susceptible d'affecter des activités de production, de distribution ou de services, la circonstance que les réponses aux demandes d'autorisation aient pour objectif la protection des intérêts de la défense et de la sécurité nationale ne l'exonère pas de l'obligation de prendre en compte également la liberté du commerce et de l'industrie et les règles de concurrence. Par suite, si le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel de Paris aurait commis une erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne peut qu'être écarté, la cour a commis une telle erreur en écartant comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance, par les décisions litigieuses, du principe de libre concurrence

4. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Free mobile est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Free mobile, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 21 juillet 2023 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société Free mobile une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Free mobile et au Premier ministre.


Délibéré à l'issue de la séance du 17 février 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 mars 2025.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Trémolière
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard


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