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Ariane Web: Conseil d'État 489906, lecture du 30 décembre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:489906.20241230

Décision n° 489906
30 décembre 2024
Conseil d'État

N° 489906
ECLI:FR:CECHR:2024:489906.20241230
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
M. Nicolas Jau, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique
SCP BUK LAMENT - ROBILLOT, avocats


Lecture du lundi 30 décembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 489906, par une requête et un mémoire récapitulatif, enregistrés les 4 décembre 2023 et 16 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France et Défense des milieux aquatiques demandent au Conseil d'Etat, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions suivantes de l'arrêté du 24 octobre 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025, et 2026 :
- l'article 2, en tant qu'il limite le champ d'application de l'arrêté aux navires d'une longueur hors tout supérieure ou égal à huit mètres et qu'il n'y inclut pas l'utilisation des sennes coulissantes ou pélagiques ;
- l'article 3, en tant que la période de fermeture spatio-temporelle d'un mois qu'il prévoit n'est pas suffisante ;
- les 2 et 3 de l'article 4 ;
- l'article 7 ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles portant sur l'interprétation de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;

3°) d'enjoindre à l'Etat, d'une part, de renforcer les dispositifs de surveillance des captures de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, en permettant une exploitation scientifique des résultats, d'autre part, de mettre en place une période de fermeture spatio-temporelle complémentaire, dont l'évaluation scientifique préalable devra confirmer qu'elle permet d'atteindre l'objectif, résultant notamment de l'accord sur la conservation des petits cétacés de la mer Baltique, de l'Atlantique du Nord, des mers d'Irlande et du Nord (ASCOBANS), de réduction de la mortalité de petits cétacés à un niveau inférieur à 20 % du prélèvement biologique potentiel ou " Potential Biological Removal " (" PBR ") ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 489928, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 décembre 2023 et 16 décembre 2024, l'association Ligue pour la protection des oiseaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les mêmes dispositions de l'arrêté attaqué que celles demandées par la requête n° 489906 visée au 1°, ainsi que les dispositions suivantes :
- l'article 2 en tant qu'il n'inclut pas l'utilisation des sennes danoises ;
- le 1 de l'article 4, en tant qu'il permet aux armateurs, pour bénéficier des dérogations prévues au 2 et au 3 de ce même article, de se borner à s'engager à équiper leur navire de dispositifs techniques de réduction des captures accidentelles ou d'un système actif d'observation électronique à distance, sans associer ces deux catégories d'équipements ;
- le 2 de l'article 5 en tant qu'il prévoit qu'" une dérogation pourra être accordée par la DDTM ou son représentant pour la reprise d'une activité de pêche dans une limite de cinq jours si l'armateur du navire apporte un justificatif d'impossibilité immédiate de réparation ou de remplacement d'un dispositif technique de réduction des captures accidentelles ou du système d'observation électronique à distance en défaillance " ;
- le 5 de l'article 5 en tant qu'il n'inclut pas les espèces marines protégées autres que les mammifères marins dans l'analyse obligatoire des données acquises avant le 31 décembre 2026 ;

2°) d'enjoindre à l'Etat :
- d'inclure les sennes pélagiques et danoises dans les mesures prises en vue de réduire les captures accidentelles de petits cétacés ;
- d'assortir les mesures engagées ou envisagées d'équipement des navires en dispositifs de réduction des captures accidentelles et de caméras d'observations d'une obligation ferme et sans recours au volontariat ;
- d'assortir ces mêmes mesures d'une période de fermeture complémentaire, sur une durée de cinq ans minimum, dont l'évaluation scientifique préalable devra confirmer qu'elle permet d'atteindre l'objectif fixé par la commission chargée du suivi de la convention pour la protection de l'environnement marin de l'Atlantique Nord-Est (OSPAR) de réduction de la mortalité de petits cétacés à un niveau inférieur ou égal à 20 % du PBR, correspondant aux scénarios N et O du Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) ;
- de mettre en oeuvre des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, lequel ne doit pas être considéré comme une alternative à l'obligation d'équipement en dispositifs de réduction des captures accidentelles, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


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3° Sous le n° 489948, par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 et 6 décembre 2023 et 17 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Sea Shepherd France, France Nature Environnement et Défense des milieux aquatiques présentent les mêmes conclusions et les mêmes moyens que sous la requête n° 489906 visée au 1°. Elles demandent également l'annulation de l'article 2 de l'arrêté attaqué en tant qu'il n'inclut pas l'utilisation des sennes danoises et soutiennent que cette exclusion est incompatible avec les objectifs de réduction de la mortalité des petits cétacés.


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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la constitution, notamment son Préambule ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;
- le règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 ;
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;


Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 décembre 2024, présentée par l'association Sea Shepherd France et autres ;



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même arrêté. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l'intervention du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins :

2. Le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins justifie, eu égard à la nature et l'objet du litige, d'un intérêt suffisant au rejet des requêtes. Son intervention en défense est donc recevable et doit, par suite, être admise.

Sur l'intervention des départements du Finistère, du Morbihan et de la Vendée :

3. Les départements du Finistère, du Morbihan et de la Vendée justifient, compte tenu de leur compétence pour créer, aménager et exploiter les ports maritimes de pêche, prévue par l'article L. 5314-2 du code des transports, et eu égard à la nature et l'objet du litige et à son incidence sur l'activité de ces ports, d'un intérêt suffisant au rejet de la requête de l'association Ligue pour la protection des oiseaux. Leur intervention en défense est donc recevable et doit, par suite, être admise.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

4. En premier lieu, l'association Ligue pour la protection des oiseaux, dont l'objet social est " d'agir ou de favoriser les actions en faveur de la nature et de la biodiversité ", justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté qu'elle attaque. La fin de non-recevoir opposée par le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins doit, dès lors, être écartée.

5. En second lieu, les conclusions présentées par les associations requérantes, dans la mesure où elles tendent à l'annulation de l'article 2 de l'arrêté attaqué en tant qu'il n'inclut pas dans son champ d'application les navires mettant en oeuvre des sennes danoises et des sennes pélagiques, également appelées sennes coulissantes, sont recevables.

Sur le cadre juridique :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche (PCP), qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, " met en oeuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin de faire en sorte que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum ". L'article 6 de ce règlement prévoit qu'aux fins de la réalisation des objectifs énoncés à l'article 2, l'Union européenne adopte des mesures de conservation dont la nature est précisée aux articles 7 et suivants. L'article 7 mentionne, parmi les mesures techniques énumérées au 2 : " (...) b) les spécifications applicables à la construction des engins de pêche, y compris : (...) / ii) les modifications ou les dispositifs additionnels visant à réduire la capture accidentelle d'espèces en danger, menacées ou protégées (...) ; (...) e) les mesures spécifiques destinées à réduire au minimum les incidences négatives des activités de pêche sur la biodiversité marine et les écosystèmes marins, y compris les mesures visant à éviter et à réduire, dans la mesure du possible, les captures indésirées ".

7. Le règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques prescrit des mesures techniques de protection. L'article 3 de ce règlement dispose que ces mesures techniques " contribuent notamment à la réalisation des objectif généraux suivants : (...) / b) veiller à ce que les captures accidentelles d'espèces marines sensibles, y compris celles énumérées dans les directives 92/43/CEE et 2009/147/CE, imputables à la pêche, soient réduites au minimum et si possible éliminées de telle sorte qu'elles ne représentent pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces ". L'article 4 du même règlement dispose que " 1. Les mesures techniques visent à veiller à ce que : (...) / b) les captures accidentelles de mammifères marins, de reptiles marins, d'oiseaux de mer et d'autres espèces exploitées à des fins non commerciales ne dépassent pas les niveaux prévus dans la législation de l'Union et les accords internationaux qui lient l'Union (...) ". L'article 11 de ce règlement dispose que : " 1. La capture, la détention à bord, le transbordement ou le débarquement des mammifères marins ou des reptiles marins visés aux annexes II et IV de la directive 92/43/CEE et des espèces d'oiseaux de mer couvertes par la directive 2009/147/CE sont interdits. (...) 4. Sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles, l'État membre peut, pour les navires battant son pavillon, mettre en place des mesures d'atténuation ou des restrictions relatives à l'utilisation de certains engins de pêche. Ces mesures réduisent au minimum et, si possible, éliminent les captures des espèces visées au paragraphe 1 du présent article et elles sont compatibles avec les objectifs énoncés à l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 et sont au moins aussi strictes que les mesures techniques applicables en vertu du droit de l'Union. / 5. Les mesures adoptées en application du paragraphe 4 du présent article visent à atteindre l'objectif spécifique établi à l'article 4, paragraphe 1, point b). Les États membres informent, à des fins de contrôle, les autres États membres concernés des dispositions adoptées conformément au paragraphe 4 du présent article. Ils rendent également publiques les informations appropriées concernant ces mesures ". En application de l'article 15 de ce règlement, l'annexe XIII définit les mesures techniques établies au niveau régional pour réduire les captures accidentelles de cétacés. Ces mesures incluent notamment, d'une part, l'interdiction aux navires d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 12 mètres d'utiliser certains engins de pêche, notamment le filet maillant de fond ou le filet emmêlant, sans que soient utilisés simultanément des dispositifs de dissuasion acoustique dans certaines zones de pêche dites " zones CIEM ". Cette obligation ne s'appliquait toutefois pas, à la date de l'arrêté attaqué, dans la sous-zone CIEM 8, qui correspond au golfe de Gascogne. Ces mesures incluent aussi, d'autre part, la mise en place, y compris dans cette sous-zone CIEM 8, de " programmes de surveillance (...) menés chaque année pour les navires d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 15 mètres battant leur pavillon, en vue de contrôler les captures accessoires de cétacés, dans les pêcheries " utilisant des chaluts pélagiques simples et doubles et des chaluts à grande ouverture verticale.

8. Postérieurement à l'arrêté attaqué, par un règlement délégué (UE) 2024/3089 du 30 septembre 2024, la Commission européenne a, d'une part, modifié l'annexe XIII du règlement (UE) 2019/1241 pour interdire, dans la sous-zone CIEM 8, à tous les navires d'utiliser des chaluts pélagiques et chaluts-boeufs de fond sans que soient utilisés simultanément des dispositifs de dissuasion acoustique, d'autre part, prévu que " la pêche est interdite dans les eaux françaises jusqu'à la limite extérieure de la zone économique exclusive de la France dans la sous-zone CIEM 8 entre le 22 janvier et le 20 février 2025 pour les navires de plus de 8 mètres détenant à bord des chaluts pélagiques (PTM, OTM), des chaluts-boeufs de fond (PTB), des sennes coulissantes (PS), des filets maillants calés (GNS), des trémails (GTR) ou des trémails et filets maillants combinés (GTN) ", enfin, défini des mesures de suivi applicables jusqu'au 31 décembre 2025 consistant, notamment, en l'obligation pour le capitaine de navire de pêche d'enregistrer séparément dans le journal de pêche les captures accidentelles de dauphin commun et d'autres petits cétacés et en l'obligation pour les Etats membres de recueillir des données sur les captures de dauphin commun et d'autres petits cétacés collectées par des observateurs embarqués ou au moyen de systèmes de surveillance électronique comportant des caméras, en assurant que ces données couvrent au-moins 1 % de l'effort de pêche total, mesuré en nombre de jours en mer, pour la pêche pratiquée tout au long de l'année avec les métiers précités et au-moins 5 % de l'effort de pêche pratiquée de janvier à mars 2025 avec des chaluts-boeufs pélagiques, des chaluts-boeufs de fond et des chaluts pélagiques à panneaux.

9. L'article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime dispose que " la politique des pêches maritimes, de l'aquaculture marine et des activités halio-alimentaires a pour objectifs, en conformité avec les principes et les règles de la politique commune des pêches et dans le respect des engagements internationaux : / 1° De permettre d'exploiter durablement et de valoriser le patrimoine collectif que constituent les ressources halieutiques auxquelles la France accède, (...) dans le cadre d'une approche écosystémique afin de réduire au minimum les incidences négatives sur l'environnement ". Des mesures techniques de protection peuvent être prises sur le fondement des dispositions du chapitre II du titre II du livre IX du même code, selon le cas, par arrêté du ministre chargé des pêches maritimes ou des autres autorités de l'Etat compétentes en vertu de son article R.* 911-3, ou par délibération du comité national ou des comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins rendue obligatoire dans les conditions définies à son article L. 921-2-1, telles notamment que des restrictions spatiales et temporelles ou une règlementation des engins et procédés de pêche.

10. En second lieu, l'article 2 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992, dite directive " Habitats ", prévoit que celle-ci " a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages " et que les mesures prises dans ce cadre " visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire " et " tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales ". Le i) de l'article 1er de cette directive précise qu'un état de conservation est considéré comme favorable lorsque, notamment, " les données relatives à la dynamique de la population de l'espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient ". Aux termes de l'article 12 de cette même directive : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (...) / 4. Les États membres instaurent un système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces animales énumérées à l'annexe IV point a). Sur la base des informations recueillies, les États membres entreprennent les nouvelles recherches ou prennent les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question ". L'annexe IV concerne toutes les espèces de cétacés, dont le dauphin commun, le grand dauphin et le marsouin commun.

11. Aux termes de l'article L. 219-7 du code de l'environnement : " Le milieu marin fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, la conservation de sa biodiversité et son utilisation durable par les activités maritimes et littorales dans le respect des habitats et des écosystèmes marins sont d'intérêt général. / La protection et la préservation du milieu marin visent à : (...) / 3° Appliquer à la gestion des activités humaines une approche fondée sur les écosystèmes, permettant de garantir que la pression collective résultant de ces activités soit maintenue à des niveaux compatibles avec la réalisation du bon état écologique du milieu marin et d'éviter que la capacité des écosystèmes marins à réagir aux changements induits par la nature et par les hommes soit compromise, tout en permettant l'utilisation durable des biens et des services marins par les générations actuelles et à venir ". Aux termes de l'article L. 411-1 du même code : " I.- Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ".

12. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui ont été précédemment citées que, lorsque les données disponibles font apparaître que, compte tenu des caractéristiques d'une pêcherie, des mesures techniques de protection, applicables aux seuls navires battant pavillon français, sont nécessaires et adéquates pour atteindre les objectifs énoncés par le droit de l'Union européenne et le droit national, notamment de réduction au minimum des incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin, il appartient aux autorités compétentes d'user du pouvoir qui leur est conféré d'instaurer de telles mesures, en tenant compte notamment des incidences de ces mesures sur les équilibres socio-économiques du secteur et des possibilités raisonnables d'adaptation des engins et techniques de pêche.

13. En particulier, il résulte des dispositions des articles 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 " PCP " et des articles 3 et 4 du règlement (UE) 2019/1241, citées aux points 6 et 7, qu'il incombe à l'Etat de réduire au minimum et si possible éliminer les captures accidentelles d'espèces protégées imputables à la pêche, et des termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE " Habitats ", citées au point 10, qu'il lui appartient de prendre les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces, au regard de l'objectif consistant à assurer leur maintien ou leur rétablissement dans un état de conservation favorable. Il résulte des dispositions de l'article 11 du règlement (UE) 2019/1241, citées au point 7, que l'Etat peut, sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles et pour les navires battant son pavillon, mettre en place, à cette fin, des mesures d'atténuation ou des restrictions relatives à l'utilisation de certains engins de pêche.

14. Ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 12 de la directive " Habitats " doit être interprété à la lumière du principe de précaution mentionné au paragraphe 2 de l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour apprécier la conformité aux objectifs qu'il définit des mesures adoptées. Celles-ci doivent, de même, s'inscrire dans l'approche de précaution et dans l'approche écosystémique en matière de gestion des pêches exigée par l'article 2 du règlement " PCP ". Il appartient également à l'Etat, lorsqu'il prend des mesures qui ne découlent pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l'Union européenne mais supposent l'exercice d'un pouvoir d'appréciation, de veiller au respect du principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement.

15. Dans ce cadre, il appartient aux autorités compétentes, en particulier lorsqu'elles sont saisies d'une demande de renforcement des mesures de protection existantes, de rechercher s'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, l'application du principe de précaution. Si cette condition est remplie, il leur incombe de veiller à ce que des procédures d'évaluation du risque identifié soient mises en oeuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que des mesures de précaution soient prises. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un recours en annulation de mesures de précaution décidées en application de ces exigences et au vu de l'argumentation dont il est saisi, de déterminer si, à la date de la décision attaquée, le choix des mesures de précaution adoptées, prises dans leur globalité, ne caractérise pas une insuffisance manifeste de la protection assurée et, si tel est le cas, de faire droit à la demande d'annulation. Il lui appartient ensuite de déterminer, au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision, quelles sont les mesures qui doivent être ordonnées au titre de ses pouvoirs d'injonction.

Sur le litige :

16. En premier lieu, pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement citées au point 11, un arrêté du 1er juillet 2011 de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement et du ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire a fixé la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national et les modalités de leur protection. L'article 2 de cet arrêté, modifié par un arrêté du 3 septembre 2020, dispose que, pour les espèces visées, qui incluent le dauphin commun, le grand dauphin et le marsouin commun, " (...) sont interdits (...) dans les eaux marines sous souveraineté et sous juridiction [nationales], et en tout temps : I. - La destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement intentionnels incluant les prélèvements biologiques, la perturbation intentionnelle incluant l'approche des animaux à une distance de moins de 100 mètres dans les aires marines protégées mentionnées à l'article L. 334-1 du code de l'environnement, et la poursuite ou le harcèlement des animaux dans le milieu naturel. / Les activités de pêche maritime, définies par l'article L. 911-1 du code rural et de la pêche maritime, ne sont pas concernées par la limite d'approche des animaux lorsque cette approche est non intentionnelle et par l'interdiction de capture lorsque celle-ci est accidentelle au sens du règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 susvisé (...) ". L'article 4 de ce même arrêté, modifié par un arrêté du 6 septembre 2018, dispose que : " A des fins de connaissance scientifique, tout spécimen de mammifère marin capturé accidentellement dans un engin de pêche doit faire l'objet d'une déclaration par les capitaines de navires de pêches dans le journal de pêche électronique, dans les journaux de pêche papier ainsi que dans les fiches de pêche papier. L'utilisation de ces données à des fins de connaissance scientifique est réalisée dans un format ne permettant pas d'identifier la personne physique ou morale. Cette obligation s'applique (...) à bord des navires sous pavillon français, ainsi que des navires sous pavillon étranger qui se trouvent dans les eaux sous juridiction française ".

17. Sur le fondement des dispositions de l'article 11 du règlement (UE) 2019/1241 citées au point 7 et des dispositions du livre IX du code rural et de la pêche maritime mentionnées au point 9, d'une part, s'agissant des mesures de prévention des captures accidentelles, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a pris le 26 décembre 2019 un arrêté portant obligation d'équipement des dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne. L'article 2 de cet arrêté prévoyait qu'entre le 1er janvier et le 30 avril de chaque année, les navires français d'une longueur supérieure à 12 mètres pêchant au moyen d'un chalut pélagique (PTM, OTM, TM) dans le golfe de Gascogne devaient utiliser des dispositifs actifs de dissuasion acoustique afin de limiter l'entrée des cétacés dans les chaluts pélagiques. Un arrêté du 27 novembre 2020 de la ministre de la mer a rendu cette obligation applicable toute l'année, a supprimé le seuil de taille des navires et a ajouté aux métiers concernés les opérations de pêche au moyen d'un chalut démersal en paire (PTB). Un arrêté du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre chargé de la mer du 29 décembre 2022 a prévu l'expérimentation, à partir de fin 2023 et jusqu'au 15 décembre 2024, de dispositifs techniques de réduction des captures accidentelles, notamment de dissuasion acoustique, pour les navires sous pavillon français utilisant les filets maillants et emmêlants les plus actifs dans le golfe de Gascogne. D'autre part, s'agissant du dispositif de surveillance et de contrôle des captures accidentelles, outre l'obligation de déclaration par les capitaines de navires de pêche, dans le journal de pêche, à des fins de connaissance scientifique, de tout spécimen de mammifère marin capturé accidentellement dans un engin de pêche, prévue par l'arrêté ministériel du 1er juillet 2011 cité au point précédent, dont la méconnaissance est passible de l'amende prévue à l'article L. 945-4 du code rural et de la pêche maritime, l'arrêté du 29 décembre 2022 mentionné ci-dessus dispose que cent navires parmi ceux concernés par l'expérimentation qu'il prévoit seront équipés, jusqu'au 30 avril 2025, de caméras embarquées, et deux arrêtés du ministre chargé de la mer du 27 décembre 2022 imposent aux navires de pêche français de plus de six mètres évoluant dans le golfe de Gascogne l'emport obligatoire d'une balise VMS (" Vessel Monitoring System ") permettant leur géolocalisation, ainsi qu'aux navires de plus de quinze mètres, de participer à un programme d'observation embarquée pour améliorer les connaissances sur les captures accidentelles. Un arrêté du 31 janvier 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre chargé de la mer, fixe la liste des navires soumis à l'obligation d'installation de chacune des catégories de dispositifs de dissuasion acoustique mentionnées par l'arrêté du 29 décembre 2022.

18. En second lieu, il ressort des pièces des dossiers, et notamment de l'avis rendu par le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) le 26 mai 2020 et du rapport du Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP) des 22-26 mars 2021, ainsi que des travaux et observations du réseau national d'échouage, coordonné par l'Observatoire Pelagis, unité mixte associant le Centre national de la recherche scientifique et l'université de la Rochelle, que, si ne sont connus avec certitude ni le niveau de la population de petits cétacés dans leur aire de répartition naturelle de l'Atlantique nord, ni le nombre exact de décès causés par des captures accidentelles dans le cadre des activités de pêche dans la zone du golfe de Gascogne, la mortalité causée par ces captures accidentelles est avérée et constitue, en raison des niveaux particulièrement élevés auxquels elle peut raisonnablement être estimée, un facteur déterminant permettant de conclure à l'existence d'une menace grave pour la conservation des espèces de petits cétacés protégés. Il ressort notamment de l'avis du CIEM du 26 mai 2020, dont la méthodologie, fondée sur le prélèvement biologique potentiel ou " Potential Biological Removal " (" PBR "), internationalement reconnue, n'est pas contestée par l'administration, que, s'agissant du dauphin commun, le nombre maximal de décès par capture accidentelle compatible avec un état de conservation favorable est de l'ordre de 4 900 individus par an pour l'ensemble de la zone Atlantique Nord-Est, dans l'hypothèse la moins conservatoire. Or, le nombre de décès par capture accidentelle imputable aux activités de pêche dans le golfe de Gascogne se maintient depuis 2018 à des niveaux incompatibles avec cet objectif. Dans son avis du 24 janvier 2023, le CIEM indique, à partir des données disponibles pour 2019-2021, que le niveau annuel des décès par capture accidentelle, dans les zones du golfe de Gascogne (sous-zone CIEM 8) et le long de la côte ouest de la péninsule ibérique (sous-zone CIEM 9.a), est estimé à environ 9 000 lorsque sont utilisées les données issues de l'observation des échouages sur les côtes françaises et à environ 6 000 lorsque sont utilisées celles issues des observations en mer. Il conclut à la nécessité, pour assurer la conservation des espèces de petits cétacés concernées, de combiner l'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, dont le caractère suffisant n'est pas établi, avec des mesures de réduction de l'effort de pêche ou des mesures de fermeture spatiale et temporelle des pêcheries concernées, pendant une période appropriée et suffisamment longue, eu égard au cycle de vie des petits cétacés.

19. En se fondant sur les éléments mentionnés au point précédent, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a jugé, par sa décision nos 449788, 449849, 453700, 459153 du 20 mars 2023 que, dans le cadre de l'application du principe de précaution, les mesures de protection, résumées au point 17, prises pour assurer un état de conservation favorable des espèces protégées de petits cétacés concernées par l'incidence de la pêche dans le golfe de Gascogne étaient, dans leur ensemble et à cette date, manifestement insuffisantes et que le système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces protégées de petits cétacés, en l'état, ne satisfaisait pas aux objectifs de l'article 12 de la directive " Habitats ". Il a, en conséquence, annulé l'arrêté du 24 décembre 2020 de la ministre de la mer modifiant l'arrêté du 17 janvier 2019 relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne en tant qu'il ne prévoit pas de mesures suffisantes de nature à réduire les incidences de la pêche au bar dans le golfe de Gascogne sur les petits cétacés, ensemble les décisions par lesquelles la ministre de la mer a refusé de prendre, d'une part, des mesures de protection complémentaires de nature à réduire les captures accidentelles de petits cétacés relevant d'espèces protégées dans le golfe de Gascogne et, d'autre part, des mesures complémentaires de nature à garantir l'efficacité du système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des mêmes espèces. Il a enjoint à l'Etat d'adopter, dans un délai de six mois à compter de la notification de sa décision, des mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en matière d'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n'est pas établie leur suffisance pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l'accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées. Cette même décision a également enjoint à l'Etat de mettre en oeuvre, dans un délai de six mois à compter de sa notification, des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces.

20. Par un arrêté du 24 octobre 2023, le secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, a interdit dans le Golfe de Gascogne, du 22 janvier au 20 février, pour les années 2024 à 2026, l'usage par les navires de pêche d'une longueur hors tout supérieure ou égale à 8 mètres du chalut pélagique à panneaux (OTM), du chalut boeuf pélagique (PTB), du chalut boeuf de fond (PTB), du filet trémail (GTR) et du filet maillant calé (GNS), en assortissant cependant cette mesure de plusieurs dérogations, notamment pour l'année 2024, et a abrogé les arrêtés du 29 décembre 2022 et du 31 janvier 2023 mentionnés au point 17. Par une ordonnance nos 489926, 489932, 489949 du 22 décembre 2023, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution des dispositions de l'article 2 de cet arrêté, en tant qu'il n'inclut pas dans le champ d'application de l'arrêté l'utilisation des sennes pélagiques (code engin : PS), des dispositions des 2 et 3 de l'article 4, des dispositions du 2 de l'article 5 aux termes desquelles " Une dérogation pourra être accordée par la DDTM ou son représentant pour la reprise d'une activité de pêche dans une limite de cinq jours si l'armateur du navire apporte un justificatif d'impossibilité immédiate de réparation ou de remplacement d'un dispositif technique de réduction des captures accidentelles ou du système d'observation électronique à distance en défaillance ", ainsi que des dispositions de l'article 7.

En ce qui concerne les articles 2 et 3 de l'arrêté attaqué :

21. Les associations requérantes soutiennent que les dispositions combinées des articles 2 et 3 de l'arrêté attaqué méconnaissent tant les injonctions prononcées par la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 20 mars 2023, que les objectifs de l'article 12 de la directive " Habitats ", en tant, d'une part, que la période de fermeture de la pêche qu'elles fixent, d'un mois sur les trois prochaines années, n'est pas suffisante pour réduire les captures accidentelles à un niveau ne représentant pas une menace pour la conservation des espèces de petits cétacés concernées et en tant, d'autre part, qu'en limitant le champ d'application de cette fermeture aux navires d'une longueur hors tout supérieure ou égale à huit mètres et en n'y incluant pas les sennes danoises et pélagiques, qui contribuent de manière non négligeable aux captures accidentelles, elles en réduisent excessivement l'efficacité.

22. Il ressort des pièces des dossiers, notamment des avis du CIEM du 24 janvier 2023 et du 29 juin 2023, qui actualise celui du 26 mai 2020, que cet organisme, dans son évaluation des 15 scénarios qu'il a initialement élaborés pour apprécier les possibilités de réduction de la mortalité en dessous du prélèvement biologique potentiel (PBR) mentionné au point 18, n'anticipe aucune réduction de la mortalité liée à l'équipement en dispositifs de dissuasion acoustique des navires pêchant au moyen d'un chalut pélagique ou d'un chalut démersal en paire, dès lors que cette mesure, qui, prise isolément, correspond au scénario " K " envisagé par le CIEM, est déjà mise en oeuvre dans toutes les pêcheries concernées en France comme en Espagne. Dans l'avis du CIEM du 29 juin 2023, qui estime la réduction des captures accidentelles dans le cas où les mesures de protection sont mises en oeuvre dans le seul golfe de Gascogne (sous-zone CIEM 8), les scénarios qui associent la mise en place des dispositifs de dissuasion acoustique pour certains métiers (chaluts pélagiques, chaluts démersaux en paire) à une fermeture hivernale de la pêche étendue à l'ensemble des métiers à risque évalués dans ce rapport, y compris les sennes pélagiques, indépendamment de leur équipement éventuel en dispositifs de dissuasion acoustique, permettraient, si elle dure quatre semaines, ce qui correspond au scénario " E " envisagé par le CIEM, une diminution de 17 % des captures accidentelles et une réduction de la mortalité à 4 932 décès, soit un niveau proche du prélèvement biologique potentiel, si l'on se fonde sur la mortalité estimée à partir des observations en mer, ou à 7 509 décès, nettement au-dessus de ce prélèvement, si l'on se fonde sur la mortalité estimée à partir des échouages côtiers. Dans son avis du 24 janvier 2023, qui estime l'efficacité de ces mesures si elles étaient également mises en oeuvre le long de la côte ouest de la péninsule ibérique (sous-zone CIEM 9.a), le CIEM considère que ce scénario " E " permettrait une réduction de la mortalité deux fois plus importante, de 34 %, réduisant la mortalité à 3 919 décès, si l'on se fonde sur la mortalité estimée à partir des observations en mer, ou à 5 966 décès, si l'on se fonde sur la mortalité estimée à partir des échouages côtiers.

23. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'une fermeture hivernale d'un mois, lorsqu'elle est mise en oeuvre uniquement dans le golfe de Gascogne, ne permettrait pas, selon les estimations du CIEM, de réduire la mortalité due aux captures accidentelles à un niveau inférieur au prélèvement biologique potentiel lorsque cette mortalité est estimée à partir des échouages côtiers, mais permettrait de s'en rapprocher lorsqu'elle est calculée à partir des observations en mer. Surtout, si une telle fermeture était mise en oeuvre dans l'ensemble des zones actuellement considérées par le CIEM comme présentant des niveaux élevés de captures accidentelles, donc y compris dans des zones relevant de la compétence d'autres Etats membres, soumis aux mêmes obligations européennes de protection des petits cétacés, elle permettrait de réduire la mortalité à un niveau inférieur au prélèvement biologique potentiel dans l'hypothèse où elle est estimée à partir des observations en mer et à un niveau proche de ce prélèvement dans l'hypothèse où elle est estimée à partir des échouages côtiers. Au surplus, dans un rapport de novembre 2024 dressant un bilan des mortalités de petits cétacés par capture accidentelle au cours de l'hiver 2024, l'Observatoire Pelagis estime, pour la seule zone du golfe de Gascogne, à partir des échouages côtiers recensés, un niveau de captures accidentelles de dauphins communs de 190 entre le 1er décembre 2023 et le 21 janvier 2024, de 210 pendant la période de fermeture du 22 janvier au 20 février 2024 et de 760 entre le 21 février et le 31 mars 2024, soit un niveau total de 1 160 décès sur l'ensemble de la période hivernale, très inférieur à la moyenne de captures accidentelles estimée sur la même zone, pour les mêmes périodes hivernales et par la même méthode, sur les années 2017-2023, à 6 100 décès. S'il note que d'autres facteurs que la seule fermeture, liés à la distribution des dauphins, de leurs proies ou à des fluctuations du risque de capture, ont pu également contribuer à la réduction des captures accidentelles, de sorte qu'il n'est pas possible à ce stade de conclure à une efficacité semblable pour les années suivantes, il précise qu'il est dès à présent possible de conclure à l'efficacité de la fermeture aux engins à risque pour l'hiver 2024. Dans ces conditions, à la date de l'arrêté attaqué, la mesure de fermeture hivernale d'un mois applicable aux navires contribuant significativement aux captures accidentelles qu'il prévoyait, qui correspond au scénario " E " du CIEM, ne peut être regardée, en tant que telle, comme manifestement insuffisante pour assurer le niveau de protection nécessaire.

24. En deuxième lieu, cependant, l'efficacité de cette mesure de fermeture suppose qu'elle s'applique à l'ensemble des métiers présentant un risque non négligeable de captures accidentelles de petits cétacés.

25. Or, à cet égard, s'agissant des sennes pélagiques, le CIEM estime qu'elles auraient été à l'origine d'environ 20 % des captures accidentelles de dauphins communs dans le Golfe de Gascogne entre 2019 et 2021. En excluant ces engins de pêche du champ d'application de la fermeture prévue, l'arrêté attaqué en réduit donc significativement le périmètre par rapport à la mesure, envisagée dans le scénario " E ", qui permettrait de se rapprocher du prélèvement biologique potentiel. Si le ministre fait valoir, en défense, d'une part, que le nombre de navires français exploitant des sennes pélagiques dans le golfe de Gascogne est faible, de l'ordre d'une trentaine, de sorte que leur impact sur le volume de captures accidentelles serait réduit, d'autre part, que les techniques de pêche à la senne pélagique permettraient aux pêcheurs de prévenir les captures accidentelles, de sorte que ce métier présenterait un risque moindre que les chaluts, il ressort toutefois des rapports du CIEM, et n'est pas contesté, que l'utilisation de la senne pélagique présente un taux de captures accidentelles rapportées aux jours en mer de l'ordre de 1,8 %, soit un niveau non négligeable, et d'ailleurs légèrement supérieur à celui des filets trémail et maillant calé, lesquels sont concernés par la fermeture édictée. Dans ces conditions, les sennes pélagiques ne pouvaient être exclues de la mesure de fermeture édictée sans affecter l'efficacité de celle-ci dans des conditions la rendant manifestement insuffisante au regard du niveau de protection nécessaire.

26. En revanche, d'une part, s'agissant des sennes danoises, le CIEM ne les classe pas parmi les métiers à risque dans le golfe de Gascogne, et si les requérantes soutiennent que des captures accidentelles de petits cétacés dans de tels engins ont déjà été observées dans d'autres zones géographiques, il ressort des pièces des dossiers que seuls neuf navires en utilisent dans le golfe de Gascogne.

27. D'autre part, s'agissant des navires d'une longueur hors tout de moins de huit mètres, le ministre soutient en défense, sans être contesté, qu'ils ne représentent qu'environ 7 % des jours en mer pendant la période la plus à risque, du 15 janvier au 31 mars, et ont une activité de pêche essentiellement localisée à proximité immédiate des côtes, moins propice aux captures accidentelles, qui interviennent le plus souvent sur le plateau continental, le talus ou en zone océanique. Ainsi, entre 2019 et 2023, moins de 2 % des captures accidentelles déclarées dans le golfe de Gascogne ont été le fait de navires de moins de huit mètres.

28. Dans ces conditions, l'exclusion des sennes danoises et des navires de moins de huit mètres de la mesure de fermeture édictée ne peut être regardée comme affectant l'efficacité de celle-ci dans des conditions la rendant manifestement insuffisante au regard du niveau de protection nécessaire. Au surplus, ainsi qu'il a été dit, le nombre de captures accidentelles intervenues au cours de la période de fermeture imposée en 2024 a été d'un niveau bas, alors même que ces engins et navires étaient autorisés à pêcher.

29. En dernier lieu, si la Ligue pour la protection des oiseaux soutient que les mesures de fermeture devraient s'étendre sur au moins cinq années, ainsi que le recommande le CIEM dans ses avis du 24 janvier 2023 et du 29 juin 2023, la circonstance que l'arrêté se borne à prévoir cette fermeture sur trois années, sans préjuger des mesures à prendre ultérieurement, est sans incidence sur sa légalité.

30. Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes sont seulement fondées à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêté attaqué en tant qu'il n'inclut pas les sennes pélagiques dans la liste des engins visés par cet arrêté.

En ce qui concerne les 1, 2 et 3 de l'article 4 et le 2 de l'article 5 :

31. Les dispositions du 2 et du 3 de l'article 4 de l'arrêté attaqué prévoient que, pour la seule année 2024, l'interdiction de pêcher avec certains engins du 22 janvier au 20 février prévue par l'article 3 ne s'applique pas aux navires équipés de dispositifs techniques de réduction des captures accidentelles ou d'un système actif d'observation électronique à distance, ainsi qu'aux navires ayant pris l'engagement de s'en équiper mais qui n'y seraient pas parvenus dans les temps. Les dispositions du 2 de l'article 5, qui ne pouvaient trouver à s'appliquer qu'aux navires ayant recours aux dispositions dérogatoires du 2 et du 3 de l'article 4, prévoient qu'en cas de panne en mer et d'impossibilité de réparation ou de remplacement des équipements précités, une dérogation peut être accordée pour la reprise d'une activité de pêche dans la limite de cinq jours. Il ressort des pièces des dossiers que l'application de ces dispositions, suspendues par le juge des référés du Conseil d'Etat, aurait eu pour effet d'exempter de la fermeture édictée la grande majorité des navires de pêche en principe concernés par celle-ci, et donc de priver cette mesure de l'essentiel de sa portée, affectant ainsi son efficacité dans des conditions la rendant manifestement insuffisante au regard du niveau de protection nécessaire. Dès lors, les requérantes sont fondées à en demander l'annulation.

32. La Ligue pour la protection des oiseaux demande en outre l'annulation des dispositions du 1 de l'article 4, qui imposent aux armateurs de transmettre à l'administration la liste des navires qu'ils s'engagent à équiper de dispositifs techniques de réduction des captures accidentelles ou d'un système actif d'observation électronique à distance, en tant qu'elles n'imposent pas d'associer ces deux catégories d'équipements. Toutefois, ces dispositions, qui se bornent à prévoir une procédure de déclaration par les armateurs de leurs engagements d'équipement, déclaration au demeurant essentiellement destinée, en pratique, à identifier les navires susceptibles de bénéficier des dérogations pour 2024 mentionnées au point précédent, sont en elles-mêmes sans incidence sur l'étendue des obligations d'équipement des navires. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'elles affecteraient l'efficacité du système de contrôle des captures accidentelles ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le 5 de l'article 5 :

33. La Ligue pour la protection des oiseaux soutient que les dispositions du 5 de l'article 5 de l'arrêté attaqué méconnaitraient le 4 de l'article 12 de la directive " Habitats ", cité au point 10, qui prévoit la mise en place d'un système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces animales présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte, ainsi que l'article 5 de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil, dite directive " Oiseaux ", qui interdit notamment les captures, destructions ou perturbations intentionnelles à l'égard des oiseaux, dès lors que, en limitant l'analyse des données acquises avant le 31 décembre 2026 dans le cadre des dispositifs de surveillance électronique embarquée prévus par cet arrêté aux seules captures de mammifères marins, il ne permet pas d'utiliser ces données dans le cadre du système de contrôle prévu pour les autres espèces concernées.

34. Toutefois, d'une part, ces dispositions, qui permettent aux armements concernés d'autoriser de manière volontaire l'analyse des données sur les captures accidentelles des autres espèces protégées, n'ont ni pour objet ni pour effet de mettre fin à cette analyse lorsqu'elle relève d'obligations légales édictées par ailleurs. D'autre part, il ne ressort pas des pièces des dossiers, et il n'est pas même soutenu, que ces dispositions, en ne prévoyant pas que l'analyse des données peut être menée pour d'autres espèces protégées susceptibles de faire l'objet de captures accidentelles au cours d'opérations de pêche, auraient rendu insuffisants les systèmes de contrôle pour ces espèces. Dès lors, la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de ces dispositions.

En ce qui concerne l'article 7 :

35. L'article 7 de l'arrêté attaqué abroge les arrêtés du 29 décembre 2022 et du 31 janvier 2023 mentionnés au point 17 qui imposaient à environ 200 navires, parmi les fileyeurs les plus actifs, de s'équiper de dispositifs de réduction des captures accidentelles jusqu'au 15 décembre 2024 et à environ 100 navires de s'équiper de caméras embarquées jusqu'au 30 avril 2025. Ces deux expérimentations ont pour objectif, d'une part, d'évaluer l'efficacité, pour les fileyeurs, des dispositifs techniques, notamment de dissuasion acoustique, pour réduire les captures accidentelles de petits cétacés sans porter atteinte à leur accès aux zones de nutrition essentielles à leur survie et, d'autre part, de renforcer le système de contrôle des captures accidentelles, en améliorant les données issues des observations en mer, pour permettre d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés. L'Etat soutient en défense que l'arrêté attaqué, s'il abroge les arrêtés fondant ces deux expérimentations, ouvre la possibilité de s'équiper de caméras embarquées ou de dispositifs techniques de réduction des captures accidentelles, notamment de dissuasion acoustique, à l'ensemble des navires concernés par la fermeture de la pêche, et non aux seuls fileyeurs visés par ces expérimentations.

36. Toutefois, il résulte des termes même de l'arrêté attaqué qu'il n'est assorti d'aucune obligation d'équipement. Or, d'une part, il ressort des éléments versés au dossier, notamment des avis du CIEM du 24 janvier 2023 et du 29 juin 2023, que les dispositifs de dissuasion acoustique apparaissent prometteurs et qu'il importe que les études visant à évaluer leur efficacité soient poursuivies. D'autre part, s'agissant du système de surveillance des captures accidentelles, l'abrogation de l'obligation d'équipement en caméras embarquées, qui concourait à renforcer ce dispositif, ne s'accompagne pas de nouvelles mesures qui apporteraient à cet objectif une contribution d'une ampleur comparable.

37. Dans ces conditions, l'abrogation prévue par l'article 7 de l'arrêté attaqué méconnaît les objectifs de l'article 12 de la directive " Habitats " ainsi que la portée des injonctions prononcées par la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 20 mars 2023.

38. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu, en l'absence de difficulté sérieuse, de transmettre les questions préjudicielles posées par les requérantes à la Cour de justice de l'Union européenne, que les requérantes sont seulement fondées à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêté attaqué en tant qu'il n'inclut pas les sennes pélagiques (code engin : PS) dans la liste des engins visés par l'arrêté, des 2 et 3 de son article 4, des dispositions du 2 de son article 5 aux termes desquelles " Une dérogation pourra être accordée par la DDTM ou son représentant pour la reprise d'une activité de pêche dans une limite de cinq jours si l'armateur du navire apporte un justificatif d'impossibilité immédiate de réparation ou de remplacement d'un dispositif technique de réduction des captures accidentelles ou du système d'observation électronique à distance en défaillance " et de son article 7.

39. La présente décision n'impliquant par elle-même aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction des requêtes doivent être rejetées.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

40. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser conjointement aux associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France et Défense des milieux aquatiques et une somme de 1 500 euros à verser à l'association Ligue pour la protection des oiseaux.



D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'intervention du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins ainsi que l'intervention des départements du Finistère, du Morbihan et de la Vendée sont admises.
Article 2 : Les dispositions suivantes de l'arrêté du 24 octobre 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025, et 2026 sont annulées :
- l'article 2, en tant qu'il n'inclut pas dans le champ d'application de l'arrêté l'utilisation des sennes pélagiques (code engin : PS) ;
- les 2 et 3 de l'article 4 ;
- les dispositions du 2 de l'article 5 aux termes desquelles " Une dérogation pourra être accordée par la DDTM ou son représentant pour la reprise d'une activité de pêche dans une limite de cinq jours si l'armateur du navire apporte un justificatif d'impossibilité immédiate de réparation ou de remplacement d'un dispositif technique de réduction des captures accidentelles ou du système d'observation électronique à distance en défaillance " ;
- l'article 7.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros conjointement aux associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France et Défense des milieux aquatiques et une somme de 1 500 euros à l'association Ligue pour la protection des oiseaux, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée aux associations France Nature Environnement, Sea Shepherd France, Défense des milieux aquatiques et Ligue pour la protection des oiseaux au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera adressée au Premier ministre.


Délibéré à l'issue de la séance du 18 décembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 30 décembre 2024.



Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Jau
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin