Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 469141, lecture du 23 décembre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:469141.20241223

Décision n° 469141
23 décembre 2024
Conseil d'État

N° 469141
ECLI:FR:CECHR:2024:469141.20241223
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Julien Fradel, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON, avocats


Lecture du lundi 23 décembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Le conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. A... D... devant la chambre disciplinaire de première instance du Centre Val-de-Loire de l'ordre des médecins. Par une décision du 30 avril 2021, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. D... la sanction du blâme.

Par une décision du 24 octobre 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel du conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins, réformé la décision de la chambre disciplinaire de première instance et infligé à M. D... la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant trois ans.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 24 novembre 2022 et le 13 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge du conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de M. D... et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. A... D..., médecin spécialiste, qualifié en pédiatrie, devant la chambre disciplinaire de première instance du Centre Val-de-Loire de l'ordre des médecins. Par une décision du 30 avril 2021, la chambre disciplinaire de première instance lui a infligé la sanction du blâme. M. D... se pourvoit en cassation contre la décision du 24 octobre 2022 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appel du conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins, réformé cette décision et lui a infligé la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant trois ans.

2. En premier lieu, d'une part, en vertu d'une règle générale de procédure, applicable même sans texte à toute juridiction administrative, la composition d'une formation de jugement ne saurait varier, à peine d'irrégularité, entre l'audience et le délibéré d'une affaire. En revanche, entre le délibéré, lequel inclut, le cas échéant, la prise de connaissance par la formation de jugement d'une note en délibéré, et le prononcé de la décision, la circonstance qu'un membre de cette formation perde la qualité de membre de la juridiction n'est pas, par elle-même, de nature à affecter la régularité de la décision rendue, sauf à ce qu'il s'agisse du président de la formation de jugement, dès lors que la minute doit être revêtue de sa signature aux fins d'en attester la conformité au délibéré, ou, le cas échéant, du rapporteur lorsqu'une disposition expresse prévoit qu'il doit également la signer.

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4126-29 du code de la santé publique : " (...) / La décision [d'une juridiction disciplinaire d'une profession médicale] fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été rendue publique. / Elle mentionne les noms du président et des assesseurs. (...) / (...) / La minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement et le greffier de l'audience ". Aux termes de l'article R. 731-3 du code de justice administrative, rendu applicable à la procédure suivie devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins par l'article R. 4126-28 du code de la santé publique : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ".

4. La décision attaquée, signée par le président de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins et le greffier en chef, mentionne les noms de ce même président et des six assesseurs, membres de la chambre disciplinaire nationale, qui ont assisté à l'audience qui s'est tenue le 13 septembre 2022, dans le cadre de l'appel formé par le conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins contre la décision du 30 avril 2021 de la chambre disciplinaire de première instance du Centre Val-de-Loire de l'ordre des médecins, et qui ont participé au délibéré de l'affaire. Si, ainsi que le fait valoir M. D... sans être contredit, deux des membres de la formation de jugement de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, qui avaient régulièrement siégé pendant l'audience et délibéré de l'affaire, ont cessé, du fait de l'expiration de leur mandat le 3 octobre 2022, d'être membres de cette chambre avant la date à laquelle la décision a été rendue publique par voie d'affichage, cette seule circonstance, dès lors qu'elle est intervenue postérieurement à la production par l'intéressé d'une note en délibéré, enregistrée le 16 septembre 2022 et visée par la décision attaquée, n'est pas de nature, ainsi qu'il a été dit au point 2, à entacher d'irrégularité cette décision. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision du 24 octobre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a été prise par une formation de jugement irrégulièrement composée doit être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, rendu applicable à la procédure suivie devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins par l'article R. 4126-16 du code de la santé publique : " Postérieurement à la clôture de l'instruction ordonnée en application de l'article précédent, le président de la formation de jugement peut inviter une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction. Cette demande, de même que la communication éventuelle aux autres parties des éléments et pièces produits, n'a pour effet de rouvrir l'instruction qu'en ce qui concerne ces éléments ou pièces. " Il résulte de ces dispositions que le président de la formation de jugement, à qui il est loisible, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d'ordonner toute mesure d'instruction qu'il estime utile à la solution du litige, peut inviter des parties ainsi que, le cas échéant, des tiers à l'instance à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction postérieurement à la clôture de celle-ci. La communication éventuelle à l'ensemble des parties au litige des éléments et pièces produits en réponse à cette demande n'a pour effet de rouvrir l'instruction que pour ce qui concerne ces seuls éléments et pièces, dont la portée et l'incidence doivent pouvoir être discutées par les parties dans des conditions permettant un débat contradictoire utile.

6. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, que la caisse primaire d'assurance maladie du Cher a produit, le 10 mai 2022, des pièces relatives aux faits qu'elle reprochait à M. D... pour la période du 1er avril 2016 au 29 juin 2020 et que la caisse nationale militaire de sécurité sociale a produit, à la même date, les pièces transmises à la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins pour des faits reprochés à l'intéressé au titre de la période du mois de septembre 2016 au mois de juillet 2020, ces communications faisant suite à une demande adressée le 25 avril 2022 par le président de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins sur le fondement des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative citées au point précédent, après que, par une ordonnance du même président du 12 janvier 2022, la date de clôture de l'instruction eut été fixée au 22 février 2022 et celle de l'audience au 14 juin 2022. Par courriers du 16 mai 2022, les pièces ainsi produites ont été communiquées aux parties qui ont par ailleurs été informées d'une réouverture de l'instruction sur ces seuls éléments et du report de l'audience au 13 septembre 2022. La circonstance que les pièces ainsi communiquées aient été produites par des tiers à l'instance en réponse à une mesure d'instruction mise en oeuvre après la clôture de l'instruction et que celle-ci n'ait été rouverte qu'aux fins de la discussion de ces pièces n'est pas, eu égard à ce qui a été dit au point précédent, et alors que M. D... a été mis en mesure de discuter les éléments ainsi recueillis dans le respect du principe du caractère contradictoire de la procédure, de nature à entacher d'irrégularité la décision attaquée.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, rendu applicable à la procédure suivie devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins par l'article R. 4126-11 du code de la santé publique : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. " La chambre disciplinaire nationale ne s'est pas méprise sur la portée du courrier du président du conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins du 1er juin 2021, qui se référait explicitement à la délibération de ce conseil du 25 mai 2021, dont un extrait lui était joint, autorisant son président à relever appel de la décision des premiers juges en énonçant les faits reprochés à l'intéressé ainsi que les manquements correspondants, qualifiés au regard des dispositions du code de déontologie médicale, et pour lesquels il était indiqué que la sanction prononcée en première instance ne paraissait pas adaptée, en le regardant comme la saisissant régulièrement d'une requête d'appel suffisamment motivée.

8. En quatrième lieu, c'est par une motivation suffisante et sans dénaturer les pièces du dossier que la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, qui n'était pas tenue de se prononcer expressément sur le détail de l'argumentation développée devant elle, a estimé que la délibération du 8 septembre 2020 par laquelle le conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins avait décidé de saisir la chambre disciplinaire de première instance du Centre Val-de-Loire de l'ordre des médecins d'une plainte contre M. D... était suffisamment motivée.

9. En cinquième et dernier lieu, en application du V de l'article L. 4122-3 du code de la santé publique qui prévoit que les décisions de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins doivent être motivées, il appartient au juge disciplinaire de motiver sa décision en énonçant les motifs pour lesquels il retient l'existence d'une faute disciplinaire ainsi que la sanction qu'il inflige. En revanche, notamment, il n'est, en principe, pas tenu de justifier spécifiquement de l'éventuelle différence entre la sanction infligée en appel et celle infligée en première instance. Il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, pour justifier l'infliction à M. D... de la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée de trois ans, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, après avoir énoncé les différents faits reprochés à l'intéressé tenant à la perception d'honoraires en violation de la nomenclature générale des actes professionnels et de la classification commune des actes médicaux et relevé que leur matérialité n'était pas sérieusement contestée par M. D..., a retenu qu'ils étaient constitutifs, compte tenu de leur ampleur, de leur réitération et de leur durée, de graves manquements aux principes de moralité et de probité rappelés par l'article R. 4127-3 du code de la santé publique, à l'interdiction de toute fraude, abus de cotation, indication inexacte des honoraires perçus et des actes effectués mentionnée à l'article R. 4127-29 du même code et qu'ils méconnaissaient par ailleurs l'obligation pour tout médecin de s'abstenir de tout acte de nature à déconsidérer sa profession résultant de l'article R. 4127-31 de ce code. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée est entachée d'insuffisance de motivation dans la détermination des faits fautifs et la qualification des manquements justifiant le prononcé de la sanction.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'il attaque. Son pourvoi doit donc être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de M. D... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... D... et au conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins.
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 décembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Catherine Brouard-Gallet, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat et M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 23 décembre 2024.

Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Fradel
La secrétaire :
Signé : Mme Anna Bahnini



Voir aussi