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Ariane Web: Conseil d'État 471819, lecture du 28 novembre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:471819.20241128

Décision n° 471819
28 novembre 2024
Conseil d'État

N° 471819
ECLI:FR:CECHR:2024:471819.20241128
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
M. Eric Buge, rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public
SCP DUHAMEL, avocats


Lecture du jeudi 28 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision rejetant son recours gracieux, sur lequel la commission de recours amiable de la caisse d'allocations familiales de la Somme s'est prononcée le 21 octobre 2021, contre la décision du 21 mai 2021 de la caisse d'allocations familiales mettant à sa charge un indu de revenu de solidarité active, de prime d'activité, d'aide personnalisée au logement, d'aide exceptionnelle de fin d'année et d'aide exceptionnelle de solidarité d'un montant total de 27 241,42 euros pour la période du 1er mai 2018 au 30 avril 2021. Par un jugement n° 2201123 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a fait droit à cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er mars et 1er juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la caisse d'allocations familiales de la Somme demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de Mme A....


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1150 du 14 décembre 2018 ;
- le décret n° 2019-1323 du 10 décembre 2019 ;
- le décret n° 2020-519 du 5 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-1453 du 27 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1746 du 29 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse d'allocations familiales de la Somme et du département de la Somme et à la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 21 mai 2021, la caisse d'allocations familiales de la Somme a mis à la charge de Mme A... la somme de 27 241,42 euros au titre d'indus de revenu de solidarité active, d'aide personnalisée au logement, de prime d'activité, d'aide exceptionnelle de fin d'année et d'aide exceptionnelle de solidarité, pour la période allant du 1er mai 2018 au 30 avril 2021. Par un jugement du 30 décembre 2022, contre lequel la caisse d'allocations familiales de la Somme, le département de la Somme et le ministre de la santé et de la prévention se pourvoient en cassation, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision de rejet du recours gracieux de Mme A..., sur lequel la commission de recours amiable de la caisse d'allocations familiales s'est prononcée le 21 octobre 2021.

2. En premier lieu, lorsque le recours dont est saisi le juge administratif est dirigé contre une décision qui, remettant en cause des paiements déjà effectués, ordonne la récupération d'un indu de revenu de solidarité active, d'aide exceptionnelle de fin d'année, d'aide exceptionnelle de solidarité, d'aide personnelle au logement ou de prime d'activité, il entre dans son office d'apprécier, au regard de l'argumentation du requérant, le cas échéant, de celle développée par le défendeur et, enfin, des moyens d'ordre public, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, la régularité comme le bien-fondé de la décision de récupération d'indu. Il lui appartient, s'il y a lieu, d'annuler ou de réformer la décision ainsi attaquée, pour le motif qui lui paraît, compte tenu des éléments qui lui sont soumis, le mieux à même, dans l'exercice de son office, de régler le litige.

3. En l'espèce, le tribunal administratif a annulé la décision en litige en jugeant que le moyen tiré de son insuffisante motivation était fondé, sans examiner les moyens critiquant son bien-fondé. Les requérants ne peuvent utilement soutenir qu'en retenant ce motif, le tribunal administratif aurait méconnu son office de juge de plein contentieux, faute d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé de cette décision qui auraient été, selon eux, mieux à même de régler le litige.

4. En second lieu, le 8° de l'article L. 211-2 et l'article L. 412-8 du code des relations entre le public et l'administration disposent que la décision qui " rejette un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire doit être motivée ". Aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

5. Il résulte de ces dispositions que la décision par laquelle l'autorité administrative rejette un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux est au nombre des décisions qui doivent être motivées. Il en va en particulier ainsi de la décision du président du conseil départemental, ou de l'organisme assurant le service du revenu de solidarité active lorsque cette compétence lui est déléguée par la convention mentionnée à l'article L. 262-25 du code de l'action sociale et des familles, qui rejette un recours administratif préalable obligatoire formé, en application de l'article L. 262-47 de ce code, contre une décision de récupération d'indus en matière de revenu de solidarité active, de la décision de la commission de recours amiable du conseil d'administration de l'organisme payeur qui rejette un recours administratif préalable obligatoire formé, en application de l'article L. 845-2 du code de la sécurité sociale, contre une décision de récupération d'indus en matière de prime d'activité et de la décision du directeur de l'organisme payeur qui rejette, en application de l'article L. 825-2 du code de la construction et de l'habitation, le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de récupération d'indus en matière d'aides personnelles au logement. Dans tous ces cas, l'autorité administrative doit faire figurer, soit dans sa décision elle-même, soit par référence à un document joint ou précédemment adressé à l'allocataire, pour chaque prestation en cause, la nature de la prestation et le montant des sommes réclamées, ainsi que le motif et la période sur laquelle porte la récupération. En revanche, elle n'est pas tenue d'indiquer dans cette décision les éléments servant au calcul du montant de l'indu.

6. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, sans rechercher si la décision initiale était elle-même motivée, que la décision de la commission de recours amiable de la caisse d'allocations familiales statuant sur le recours préalable obligatoire de Mme A... en matière de récupération d'indus de prime d'activité et les décisions de cette même caisse statuant, après avis de la commission de recours amiable, sur le recours préalable obligatoire de Mme A... en matière de récupération d'un indu d'aides personnelles au logement et de revenu de solidarité active devaient être motivées.

7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les décisions contestées, prises sur recours administratif préalable obligatoire, indiquent les prestations dont la récupération est demandée, ainsi que les raisons de cette récupération. Si ces décisions mentionnent le montant total du trop-perçu devant être remboursé par Mme A..., ainsi que les bornes chronologiques durant lesquelles les prestations ont été indûment perçues, elles ne précisent pas, pour chacune des prestations en cause, le montant de ce trop-perçu et la période sur laquelle porte la récupération. Elles ne peuvent davantage en l'espèce être regardées comme motivées par référence à d'autres documents. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal administratif, qui n'a pas entaché son jugement de contradiction de motifs, aurait dénaturé les faits de l'espèce ou les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant que les décisions en litige sont insuffisamment motivées.

8. Il résulte de tout de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du jugement qu'ils attaquent.

9. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Le Guérer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat et du département de la Somme une somme de 1 500 euros à verser chacun à cette société.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la caisse d'allocations familiales de la Somme, du département de la Somme et du ministre de la santé et de la prévention est rejeté.
Article 2 : Le département de la Somme et l'Etat verseront chacun à la SCP Le Guérer, Bouniol-Brochier, avocat de Mme A..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la caisse d'allocations familiales de la Somme, au département de la Somme, au ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes et à Mme B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 15 novembre 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Edouard Geffray et Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Eric Buge, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 28 novembre 2024.


Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Eric Buge
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber


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