Conseil d'État
N° 474435
ECLI:FR:CECHR:2024:474435.20241119
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Philippe Bachschmidt, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteure publique
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats
Lecture du mardi 19 novembre 2024
Vu la procédure suivante :
Mme A... C... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris a rejeté sa demande de communication de documents relatifs à la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de M. B... D... et d'enjoindre au bâtonnier de lui communiquer ces documents, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par un jugement n° 2115453 du 23 mars 2023, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mai et 23 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... E... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'ordre des avocats au barreau de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Descorps-Declère, avocat de Mme A... C... E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... C... E... a demandé, le 5 octobre 2020, au bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris la communication des éléments administratifs et disciplinaires à caractère personnel ou professionnel la concernant dans la procédure disciplinaire ouverte devant le conseil de l'ordre, en octobre 2019, à l'encontre de M. B... D..., en particulier les pièces versées par le cabinet Orrick avant l'ouverture, en mars 2019, de l'enquête déontologique préalable à cette procédure, les procès-verbaux de ses propres auditions devant le conseil de l'ordre dans le cadre de cette même procédure et les allégations de M. D... contestant ses propres déclarations. Mme C... E... se pourvoit en cassation contre le jugement du 23 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet du bâtonnier et à ce qu'il lui soit enjoint de lui communiquer les documents demandés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du jugement attaqué que le mémoire produit par la requérante le 24 novembre 2021 a été visé et analysé et qu'il a été répondu aux moyens qu'il soulevait. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité, faute pour le tribunal d'avoir tenu compte de ce mémoire, manque en fait.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission ". Selon l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues (...) de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Les documents, quelle que soit leur nature, qui se rattachent à la fonction juridictionnelle n'ont pas le caractère de documents administratifs pour l'application de ces dispositions.
4. D'autre part, en vertu de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, le conseil de l'ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession d'avocat et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits. A ce titre, il est notamment chargé de concourir à la discipline, dans les conditions prévues par les articles 180 à 199 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat. L'article 22 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'un conseil de discipline, institué dans le ressort de chaque cour d'appel, connaît des infractions et fautes commises par les avocats, cette compétence étant directement exercée, pour le barreau de Paris, par le conseil de l'ordre siégeant comme conseil de discipline. Eu égard à sa composition, à la procédure suivie devant elle, aux sanctions qu'elle est susceptible de prononcer et à la faculté de contester celles-ci, par la voie de l'appel, devant la cour d'appel du ressort, telles qu'elles résultent notamment des articles 22 à 23 de la même loi, éclairés par les travaux préparatoires de la loi du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques et de celle du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, qui a complété leur rédaction applicable au litige, ainsi que des articles précités du décret du 27 novembre 1991, cette instance disciplinaire doit être regardée comme un organe juridictionnel, ainsi que l'a au demeurant jugé la première chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt du 3 novembre 2016. Il s'ensuit que les documents qui conduisent à la saisine de l'instance disciplinaire et ceux qui sont établis au cours de la procédure disciplinaire proprement dite se rattachent à la fonction juridictionnelle et n'ont, dès lors, pas le caractère de documents administratifs. Il en va de même du signalement ou de la plainte dont le bâtonnier est saisi et des documents établis, le cas échéant, dans le cadre de l'enquête déontologique qu'il peut décider de diligenter avant de saisir, s'il y a lieu, l'instance disciplinaire, qui constituent les premières étapes de la procédure disciplinaire, sans qu'ait d'incidence à cet égard le fait que le bâtonnier décide ou non de saisir l'instance disciplinaire.
5. Mme C... E... a sollicité du bâtonnier de Paris la communication, d'une part, des pièces versées par le cabinet Orrick ayant donné lieu à l'ouverture de l'enquête déontologique par le bâtonnier, d'autre part, des procès-verbaux de ses propres auditions devant le conseil de l'ordre après l'ouverture de la procédure ainsi que, enfin, des documents retraçant les allégations de M. D... contestant ses propres déclarations. Ces documents, quel que soit le stade de la procédure auquel ils ont été établis, doivent être regardés, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, comme des pièces de la procédure disciplinaire ouverte devant le conseil de l'ordre à l'encontre de M. D... et se rattachent, par suite, à la fonction juridictionnelle dont est investi le conseil de l'ordre du barreau de Paris. Il s'ensuit que ces documents, qui n'ont pas le caractère de documents administratifs, n'entrent pas dans le champ du droit de communication prévu par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration citées au point 3. Ce motif, d'ordre public et qui n'emporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué à ceux retenus par le jugement attaqué, dont il justifie légalement le dispositif. Par suite, Mme C... E... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris qu'elle attaque.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme C... E... doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de Mme C... E... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... E..., à l'ordre des avocats au barreau de Paris et au garde des sceaux, ministre de la justice.
N° 474435
ECLI:FR:CECHR:2024:474435.20241119
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Philippe Bachschmidt, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteure publique
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats
Lecture du mardi 19 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme A... C... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris a rejeté sa demande de communication de documents relatifs à la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de M. B... D... et d'enjoindre au bâtonnier de lui communiquer ces documents, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par un jugement n° 2115453 du 23 mars 2023, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mai et 23 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... E... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'ordre des avocats au barreau de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Descorps-Declère, avocat de Mme A... C... E... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... C... E... a demandé, le 5 octobre 2020, au bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris la communication des éléments administratifs et disciplinaires à caractère personnel ou professionnel la concernant dans la procédure disciplinaire ouverte devant le conseil de l'ordre, en octobre 2019, à l'encontre de M. B... D..., en particulier les pièces versées par le cabinet Orrick avant l'ouverture, en mars 2019, de l'enquête déontologique préalable à cette procédure, les procès-verbaux de ses propres auditions devant le conseil de l'ordre dans le cadre de cette même procédure et les allégations de M. D... contestant ses propres déclarations. Mme C... E... se pourvoit en cassation contre le jugement du 23 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet du bâtonnier et à ce qu'il lui soit enjoint de lui communiquer les documents demandés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du jugement attaqué que le mémoire produit par la requérante le 24 novembre 2021 a été visé et analysé et qu'il a été répondu aux moyens qu'il soulevait. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité, faute pour le tribunal d'avoir tenu compte de ce mémoire, manque en fait.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission ". Selon l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues (...) de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Les documents, quelle que soit leur nature, qui se rattachent à la fonction juridictionnelle n'ont pas le caractère de documents administratifs pour l'application de ces dispositions.
4. D'autre part, en vertu de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, le conseil de l'ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession d'avocat et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits. A ce titre, il est notamment chargé de concourir à la discipline, dans les conditions prévues par les articles 180 à 199 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat. L'article 22 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'un conseil de discipline, institué dans le ressort de chaque cour d'appel, connaît des infractions et fautes commises par les avocats, cette compétence étant directement exercée, pour le barreau de Paris, par le conseil de l'ordre siégeant comme conseil de discipline. Eu égard à sa composition, à la procédure suivie devant elle, aux sanctions qu'elle est susceptible de prononcer et à la faculté de contester celles-ci, par la voie de l'appel, devant la cour d'appel du ressort, telles qu'elles résultent notamment des articles 22 à 23 de la même loi, éclairés par les travaux préparatoires de la loi du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques et de celle du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, qui a complété leur rédaction applicable au litige, ainsi que des articles précités du décret du 27 novembre 1991, cette instance disciplinaire doit être regardée comme un organe juridictionnel, ainsi que l'a au demeurant jugé la première chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt du 3 novembre 2016. Il s'ensuit que les documents qui conduisent à la saisine de l'instance disciplinaire et ceux qui sont établis au cours de la procédure disciplinaire proprement dite se rattachent à la fonction juridictionnelle et n'ont, dès lors, pas le caractère de documents administratifs. Il en va de même du signalement ou de la plainte dont le bâtonnier est saisi et des documents établis, le cas échéant, dans le cadre de l'enquête déontologique qu'il peut décider de diligenter avant de saisir, s'il y a lieu, l'instance disciplinaire, qui constituent les premières étapes de la procédure disciplinaire, sans qu'ait d'incidence à cet égard le fait que le bâtonnier décide ou non de saisir l'instance disciplinaire.
5. Mme C... E... a sollicité du bâtonnier de Paris la communication, d'une part, des pièces versées par le cabinet Orrick ayant donné lieu à l'ouverture de l'enquête déontologique par le bâtonnier, d'autre part, des procès-verbaux de ses propres auditions devant le conseil de l'ordre après l'ouverture de la procédure ainsi que, enfin, des documents retraçant les allégations de M. D... contestant ses propres déclarations. Ces documents, quel que soit le stade de la procédure auquel ils ont été établis, doivent être regardés, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, comme des pièces de la procédure disciplinaire ouverte devant le conseil de l'ordre à l'encontre de M. D... et se rattachent, par suite, à la fonction juridictionnelle dont est investi le conseil de l'ordre du barreau de Paris. Il s'ensuit que ces documents, qui n'ont pas le caractère de documents administratifs, n'entrent pas dans le champ du droit de communication prévu par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration citées au point 3. Ce motif, d'ordre public et qui n'emporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué à ceux retenus par le jugement attaqué, dont il justifie légalement le dispositif. Par suite, Mme C... E... n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris qu'elle attaque.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme C... E... doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de Mme C... E... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... E..., à l'ordre des avocats au barreau de Paris et au garde des sceaux, ministre de la justice.