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Ariane Web: Conseil d'État 475952, lecture du 7 novembre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:475952.20241107

Décision n° 475952
7 novembre 2024
Conseil d'État

N° 475952
ECLI:FR:CECHR:2024:475952.20241107
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Sara-Lou Gerber, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
CABINET FRANÇOIS PINET, avocats


Lecture du jeudi 7 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner solidairement l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP), l'Etat ou la Ville de Paris à lui verser, en sa qualité d'ayant-droit de M. A... B..., son fils, la somme de 50 000 euros et en son nom propre, la somme de 1 125 854,10 euros en réparation des préjudices subis du fait du décès de M. A... B....

Par un jugement n° 1716442 du 13 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à Mme B... la somme de 46 466,80 euros et la Ville de Paris et l'Etat à lui verser la somme de 5 808,35 euros chacun.

Par un arrêt n° 21PA00218 du 16 mai 2023, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de Mme B... et appels incidents de l'AP-HP et du préfet de police, condamné l'AP-HP à verser à Mme B... la somme de 51 266,80 euros et la Ville de Paris et l'Etat à lui verser la somme de 6 408,35 euros chacun, réformé le jugement du 13 novembre 2020 en ce qu'il avait de contraire, et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 juillet et 13 octobre 2023 ainsi que le 2 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il ne fait pas droit à l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à l'intégralité de ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HP, de l'Etat et de la Ville de Paris la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme B... et au Cabinet François Pinet, avocat de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 14 novembre 2013, Mme C... B... a brutalement perdu son fils, M. A... B..., alors âgé de vingt-cinq ans, à la suite d'un malaise et qu'elle a développé, dans les suites immédiates de ce décès, un état anxio-dépressif d'intensité sévère. Par un jugement du 13 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a retenu que des manquements fautifs, imputables aux conditions d'intervention du service d'aide médicale d'urgence (SAMU) de Paris ainsi que des sapeurs-pompiers, avaient été commis dans la prise en charge de M. B.... Il a, par suite, condamné l'AP-HP, la Ville de Paris et l'Etat à verser à Mme B... des sommes se montant au total à 20 000 euros en tant qu'ayant-droit de son fils et à 38 083,50 euros en ce qui concerne ses préjudices propres. Mme B... a fait appel de ce jugement en tant seulement qu'il concernait l'indemnisation de ses préjudices propres. Par un arrêt du 16 mai 2023, la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur cet appel et les appels incidents de l'AP-HP et de l'Etat, a confirmé l'existence de fautes du SAMU et des sapeurs-pompiers et a jugé que celles-ci avaient fait perdre une chance, évaluée à 30 %, d'éviter ce décès. La cour a ainsi condamné l'AP-HP, dont relève le SAMU de Paris, à verser à Mme B... la somme de 51 266,80 euros et la Ville de Paris et l'Etat, au titre de l'intervention de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, à lui verser la somme de 6 408,35 euros chacun au titre de ses préjudices propres. Mme B... se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu'il a refusé d'indemniser l'intégralité de ses préjudices.

2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour statuer sur l'indemnisation due à Mme B..., la cour administrative d'appel a jugé que les préjudices résultant, pour elle, du décès de son fils devaient être indemnisés uniquement au titre de son préjudice d'affection, par le versement d'une somme forfaitaire majorée pour inclure, outre la douleur morale liée au décès de son fils, le retentissement pathologique avéré, notamment dépressif, qu'elle a subi, eu égard aux circonstances particulièrement traumatisantes du décès de son fils en sa présence et à son domicile, mais qu'en revanche, les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux découlant de sa pathologie dépressive étaient insusceptibles de donner lieu à indemnisation, en l'absence de lien direct avec les fautes commises.

3. En excluant ainsi par principe que les préjudices résultant de l'atteinte à l'intégrité psychique consécutive au décès d'un proche puissent être en lien direct avec les faits à l'origine de ce décès, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Mme B... est, dès lors, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Compte tenu du lien fait par la cour entre le refus d'indemnisation de certains postes de préjudice et l'allocation d'une somme majorée au titre du préjudice d'affection, cette annulation doit emporter, par voie de conséquence, également l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a statué sur ce dernier poste de préjudice. Enfin, eu égard au lien qu'établissent les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse d'assurance maladie à laquelle elle est affiliée, l'arrêt attaqué doit également être annulé en tant qu'il statue sur les droits de la caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP, de la Ville de Paris et de l'Etat la somme de 1 000 euros, chacun, à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B... qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 16 mai 2023 est annulé en tant qu'il rejette le surplus des conclusions indemnitaires de Mme B... et statue sur le préjudice d'affection et en tant qu'il statue sur les droits de la caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris dans cette mesure.

Article 3 : L'AP-HP, la Ville de Paris et l'Etat verseront à Mme B... une somme de 1 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'AP-HP au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme C... B..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, au ministre de l'intérieur et à la Ville de Paris.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, à la société Harmonie Mutuelle, à la société La Médicale de France et à la caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, conseillers d'Etat et Mme Sara-Lou Gerber, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 7 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Sara-Lou Gerber
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras



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