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Ariane Web: Conseil d'État 465886, lecture du 7 novembre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:465886.20241107

Décision n° 465886
7 novembre 2024
Conseil d'État

N° 465886
ECLI:FR:CECHR:2024:465886.20241107
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Jacques-Henri Stahl, président
Mme Ségolène Cavaliere, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public


Lecture du jeudi 7 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait, d'une part, de l'illégalité de la décision du 14 juin 2018 par laquelle la commission de médiation de Paris a refusé de le reconnaitre comme prioritaire et devant être logé en urgence sur le fondement de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation et, d'autre part, de la carence fautive de l'Etat à le reloger. Par un jugement n°2105646/3-2 du 19 mai 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à M. B... la somme de 3 500 euros au titre de l'absence de relogement, et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 19 juillet et 19 octobre 2022 et le 6 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une décision du 14 juin 2018, la commission de médiation de Paris a rejeté la demande de M. B... tendant à être reconnu comme prioritaire et devant être relogé en urgence sur le fondement de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation. Par un jugement du 14 mars 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision et enjoint à la commission de médiation de réexaminer la demande de l'intéressé dans le délai d'un mois. Par une décision du 9 mai 2019, prise pour l'exécution de ce jugement, la commission de médiation a reconnu le caractère prioritaire et urgent de la demande de M. B.... Par un jugement du 21 avril 2020, ce même tribunal administratif, saisi par M. B... sur le fondement de l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation, a enjoint au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, d'assurer le relogement de M. B... sous astreinte. Enfin, M. B... a demandé au tribunal administratif de condamner l'Etat à lui verser 30 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait, d'une part, de l'illégalité de la décision de refus du 14 juin 2018 et, d'autre part, de son absence de relogement dans le délai imparti à l'Etat à compter de la nouvelle décision prise par la commission de médiation le 9 mai 2019. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 19 mai 2022 par lequel le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 3 500 euros en réparation du préjudice né de la carence fautive à le reloger à compter du 9 novembre 2019, et rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Sur l'indemnisation du préjudice résultant de la carence fautive de l'Etat à reloger M. B... en exécution de la décision du 9 mai 2019 :

2. Lorsqu'une personne a été reconnue comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence par une commission de médiation, en application des dispositions de l'article L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation, la carence fautive de l'Etat à exécuter ces décisions dans le délai imparti engage sa responsabilité à l'égard du seul demandeur, au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du maintien de la situation qui a motivé la décision de la commission, que l'intéressé ait ou non fait usage du recours en injonction contre l'Etat prévu par l'article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation. Ces troubles doivent être appréciés en fonction des conditions de logement qui ont perduré du fait de la carence de l'Etat, de la durée de cette carence et du nombre de personnes composant le foyer du demandeur pendant la période de responsabilité de l'Etat qui court à compter de l'expiration du délai de trois ou six mois à compter de la décision de la commission de médiation que les dispositions de l'article R. 441-16-1 du code de la construction et de l'habitation impartissent au préfet pour provoquer une offre de logement, et prend fin à la date à laquelle un logement adapté a été assuré à l'intéressé.

3. Il résulte des énonciations mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Paris, qui n'était pas tenu de se prononcer sur tous les détails de l'argumentation dont il était saisi, et qui a pu régulièrement se prononcer au vu des éléments suffisants dont il était saisi par les parties, a tenu compte des conditions de vie très précaires de M. B... après l'exécution, le 23 août 2018, du jugement prononçant son expulsion du logement qu'il occupait, jusqu'à son relogement. En se fondant sur ces éléments pour fixer à 3 500 euros l'indemnité, implicitement assortie des intérêts de droit à la date de sa décision, due à M. B... en réparation des troubles dans les conditions d'existence incluant son préjudice moral, le tribunal administratif, qui n'a pas entaché son jugement d'omission de statuer, a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

Sur l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité de la commission de médiation du 14 juin 2018 :

4. Pour rejeter les conclusions de M. B... tendant à l'indemnisation des préjudices ayant résulté pour lui de la décision du 14 juin 2018 ayant illégalement refusé de reconnaître le caractère prioritaire et urgent de sa demande de relogement, le tribunal administratif a retenu que M. B... ne démontrait pas l'existence d'un préjudice moral distinct du préjudice moral indemnisé au titre de la carence à assurer son relogement en exécution de la décision du 9 mai 2019, ni d'une perte de chance d'accéder à un logement social et d'éviter son expulsion. En se fondant sur de tels motifs, alors qu'il lui appartenait de tirer les conséquences de l'illégalité de la décision du 14 juin 2018 en retenant la responsabilité de l'Etat au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant pour le demandeur du maintien de sa situation d'absence de relogement à compter de l'expiration du délai de six mois imparti au préfet pour le reloger, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement du 19 mai 2022 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il statue sur l'indemnisation du préjudice né de l'illégalité de la décision du 14 juin 2018 de la commission de médiation de Paris.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L.821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de l'instruction que la situation de M. B... et de sa famille, qui faisaient l'objet d'un jugement d'expulsion du 23 janvier 2018, aurait dû conduire la commission de médiation qui a statué le 14 juin 2018 à reconnaître M. B... comme prioritaire et devant être logé en urgence. L'illégalité de la décision de refus du 14 juin 2018 a entraîné des troubles dans les conditions d'existence de l'intéressé distincts du préjudice indemnisé dans les conditions mentionnées au point 3, dont M. B... est fondé à obtenir réparation. La période de responsabilité encourue par l'Etat à ce titre court du 14 décembre 2018, date d'expiration du délai de six mois suivant la décision de refus illégal, jusqu'à la veille de l'engagement de la période de responsabilité au titre de la carence fautive à loger le requérant en application de la décision du 9 mai 2019, soit jusqu'au 8 novembre 2019. Compte tenu, d'une part, du nombre de personnes composant le foyer de M. B..., des conditions de leur hébergement et de la dégradation de l'état de santé de M. B... liée à l'absence de relogement, il y a lieu d'accorder à M. B... une somme de 1 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 19 mai 2022 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il statue sur l'indemnisation du préjudice de M. B... né de l'illégalité de la décision du 14 juin 2018 de la commission de médiation de Paris.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B... une somme de 1 000 euros tous intérêts compris au jour de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, conseillers d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maîtresse des requêtes en service extraordinaire -rapporteure.

Rendu le 7 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ségolène Cavaliere
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras


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