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Ariane Web: Conseil d'État 477317, lecture du 6 novembre 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:477317.20241106

Décision n° 477317
6 novembre 2024
Conseil d'État

N° 477317
ECLI:FR:CECHR:2024:477317.20241106
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Antoine Berger, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP MARLANGE, DE LA BURGADE;SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats


Lecture du mercredi 6 novembre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou, M. A... C..., Mme B... C..., M. M... J..., M. K... F..., Mme D... F..., M. N... H..., Mme E... H..., M. L... G... et Mme I... G... ont demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 10 septembre 2020 par lequel le préfet de Charente-Maritime a délivré à la société Gourvillette Énergies une autorisation unique pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent constituée de quatre aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Gourvillette (Charente Maritime). Par un arrêt n° 21BX00021 du 8 juin 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé cet arrêté.

1° Sous le n° 477317, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 août et 3 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


2° Sous le n° 478222, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 août et 7 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Gourvillette Energies demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge solidaire de l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, auditeur,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société Gourvillette Energies et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du briou et autres ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 septembre 2024, présentée sous le n° 478222 par la société Gourvillette Energies.


Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de la société Gourvillette Energies sont dirigés contre un même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. La société Gourvillette Energies justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué. Par suite, son intervention au soutien du pourvoi n° 477317 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est recevable.

3. La société Gourvillette Énergies a demandé le 15 novembre 2016 au préfet de la Charente-Martime de lui délivrer une autorisation unique portant sur une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent comprenant quatre éoliennes située sur le territoire de la commune de Gourvillette (Charente-Maritime). Par un arrêté du 10 septembre 2020, le préfet a délivré à cette société l'autorisation sollicitée. Sur une requête de l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé cet arrêté au motif que le projet autorisé portait une atteinte significative à l'avifaune, et ainsi à l'un des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et la société Gourvillette Energies se pourvoient en cassation contre cet arrêt.

4. En premier lieu, l'article L. 181-3 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige, dispose que : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement, selon les cas. / II.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ". Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages (...) ". Le I de l'article L. 181-2 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige, dispose que : " I.- L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : / (...) 5° Dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° du I de l'article L. 411-2 (...) ". Le 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dispose que ces dérogations peuvent être délivrées " à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante (...) et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ". Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " I.- Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ".

5. D'une part, il résulte des dispositions de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale que les autorisations au titre de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, demandées avant le 1er mars 2017, sont considérées, après leur délivrance, comme des autorisations environnementales. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 4 que ces autorisations environnementales ne peuvent être accordées qu'à la condition que les mesures qu'elles comportent permettent de prévenir les dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement, au nombre desquels figure la protection de la nature et de l'environnement. Il en résulte également que le juge peut prononcer l'annulation d'une autorisation environnementale au motif qu'elle porte atteinte à la conservation d'espèces protégées et ainsi à l'un des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, sans mettre en oeuvre les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement en vue de permettre au pétitionnaire de solliciter une dérogation au titre de l'article L. 411-2 du même code, s'il résulte de l'instruction, et notamment des éléments relatifs aux atteintes portées à la conservation de ces espèces et des possibilités de les éviter, réduire ou compenser, qu'aucune prescription complémentaire n'est susceptible d'assurer la conformité de l'exploitation aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

6. La cour administrative d'appel a relevé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, que le projet en litige avait vocation à être implanté à proximité de deux zones Natura 2000, dont une accueillant environ 10 % des effectifs d'outarde canepetière de l'ancienne région Poitou-Charentes, espèce patrimoniale classée en danger critique d'extinction, et que le site d'implantation du projet accueillait, par ailleurs, de nombreuses espèces d'oiseaux migrateurs ou nicheurs, dont cinq espèces à fort statut patrimonial, parmi lesquelles figure l'outarde. Elle a jugé, sans davantage de dénaturation ni contradiction de motifs, que le projet était de nature à entraîner une perte de territoire de reproduction pour l'outarde canepetière par effarouchement dès lors, d'une part, que le site d'implantation du projet accueillait des outardes nicheuses et, d'autre part, qu'une sensibilité particulière avait été identifiée à proximité immédiate de l'éolienne E2 en raison de la contiguïté d'une place de chant de l'outarde, élément clef pour la reproduction de cette espèce.

7. Sur le fondement de ces constatations, la cour a pu, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et en motivant suffisamment son arrêt sur ce point, juger qu'au vu de l'ensemble des pièces du dossier qui lui étaient soumis, malgré les mesures d'évitement, de réduction et de compensation prévues, le projet conserverait un impact significatif sur la conservation de l'avifaune présente, en particulier l'outarde, notamment en raison de la perte de territoire de reproduction par effet d'effarouchement, alors que la sauvegarde de cette espèce implique de conserver un noyau dynamique de population pour permettre la dispersion des individus vers les autres zones favorables avoisinantes, de sorte qu'aucune prescription complémentaire n'était susceptible de garantir que le projet ne porte pas atteinte à l'avifaune, en particulier à l'outarde canepetière. Dès lors qu'aucune prescription, notamment celles susceptibles d'être adoptées dans le cadre de la procédure de dérogation prévue par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, ne pouvait, dans de telles circonstances, permettre d'assurer la conformité de l'exploitation aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, la cour pouvait, sans méconnaître son office, ni entacher son arrêt d'erreur de droit, prononcer l'annulation de l'autorisation litigieuse dans son ensemble en raison de l'atteinte à l'un des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, sans mettre en oeuvre les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement en vue de permettre au pétitionnaire de solliciter une dérogation au titre de l'article L. 411-2 du même code.

8. En outre, l'article L. 181-18 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige, n'imposait pas à la cour de motiver son refus de mettre en oeuvre ces pouvoirs, de sorte que la société Gourvillette Energies n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait entaché sur ce point son arrêt d'une insuffisance de motivation.

9. En second lieu, si la cour administrative d'appel a cité, d'une part, l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, d'autre part les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'environnement dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que seules les dispositions de cette dernière ordonnance étaient applicables à l'autorisation litigieuse, l'erreur ainsi commise est restée sans incidence sur le bien-fondé de son raisonnement et doit être regardée comme une simple erreur de plume, dès lors que les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, au regard desquelles la cour a apprécié la légalité de l'autorisation litigieuse, lui étaient applicables et sont demeurées inchangées. Par suite, les moyens tirés de ce que la cour aurait méconnu le champ d'application de la loi et commis une erreur de droit doivent être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et la société Gourvillette Energies ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Gourvillette Energies la somme 1 500 euros à verser, chacun, à l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la société Gourvillette Energies sous le n°477317 est admise.
Article 2 : Les pourvois du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de la société Gourvillette Energies sont rejetés.
Article 3 : L'Etat et la société Gourvillette Energie verseront à l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou et autres une somme de 1 500 euros, chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, à la société Gourvillette Energies et à l'association pour la défense de l'environnement de la vallée du Briou, première dénommée pour l'ensemble des défendeurs.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillers d'Etat et M. Antoine Berger, auditeur-rapporteur.

Rendu le 6 novembre 2024.

Le président :
Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger

La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain



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