Conseil d'État
N° 495898
ECLI:FR:CECHR:2024:495898.20241028
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteure
Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique
GILBERT AVOCAT, avocats
Lecture du lundi 28 octobre 2024
Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° 23MA00530, 23MA00531 du 11 juillet 2024, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Marseille, avant de statuer sur l'appel de M. C... O... F... tendant à l'annulation du jugement n° 2210783 du 2 février 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 5 décembre 2022 par lequel le préfet des Alpes Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Si les risques de torture ou de peines ou de traitements inhumains et dégradants, au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme, encourus par un ressortissant étranger dans son pays d'origine sont, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de nature à affecter la légalité de la décision fixant le pays à destination duquel il peut être renvoyé en cas d'exécution d'office de la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet, l'invocation de ces risques peut-elle toujours être regardée comme inopérante à l'encontre de la décision même d'obligation de quitter le territoire français, dès lors qu'en application de l'article L. 511-1 du même code ou, à tout le moins, de son article L. 512-1, dont la rédaction renvoie aux termes mêmes des stipulations dudit article 3, ces risques lui confèrent, si leur réalité est établie, le droit au bénéfice d'une protection internationale, sous la seule réserve du cas où l'intéressé en aurait été exclu par les autorités de l'asile compétentes, en application soit des articles L. 511-6 ou 7, soit de l'article L. 512-2 du même code '
2°) Hormis le cas particulier d'une telle exclusion, le préfet est-il compétent pour porter, sous le contrôle du juge administratif de droit commun, une appréciation sur la réalité des risques encourus par un ressortissant étranger qu'il oblige à quitter le territoire français, au regard de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme, dès lors que cette appréciation ne repose pas sur des éléments distincts de ceux qu'il appartient à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, sous le contrôle de la Cour nationale du droit d'asile, de connaître pour accorder ou non une protection internationale à l'intéressé sur le fondement de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou, à tout le moins, de son article L. 512-1 '
3°) Dans ces conditions, en l'absence d'invocation par l'intéressé d'éléments nouveaux au sens de l'article L. 531-42 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le juge de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français peut-il écarter la réalité des risques allégués en se fondant exclusivement sur la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ou sur celle de la Cour nationale du droit d'asile '
4°) Le cas échéant, si l'intéressé fait état d'élément nouveaux suffisamment sérieux, quel serait alors l'office du juge de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français dès lors que les dispositions de l'article L. 541-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que, lorsque l'étranger sollicite l'asile postérieurement au prononcé à son encontre d'une décision d'éloignement, le seul effet qui s'attache à l'enregistrement de sa demande tient à l'impossibilité de procéder à l'exécution forcée de cette mesure d'éloignement, sans affecter la légalité de cette mesure ni conduire à son abrogation ' Lui appartiendrait-il de surseoir à statuer pour inviter le requérant à déposer une demande de réexamen et enjoindre au préfet de l'enregistrer comme telle, au besoin, en prononçant pour le juge d'appel, le sursis à exécution du jugement attaqué afin de restaurer l'effet suspensif prévue par l'article L. 722-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ' Le cas échéant, ce sursis à statuer pourrait-il être prolongé jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile se soit prononcée sur la demande de réexamen formé par l'intéressé, par parallélisme avec les dispositions de l'article L. 542-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile '
Des observations, enregistrées le 28 août 2024, ont été présentées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
REND L'AVIS SUIVANT
1. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La qualité de réfugié est reconnue : 1° A toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ; / 2° A toute personne sur laquelle le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu'adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 14 décembre 1950 ; / 3° A toute personne qui répond aux définitions de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : / a) La peine de mort ou une exécution ; / b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants (...) ". En vertu de l'article L. 513-1 de ce code, la qualité de réfugié est reconnue et le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par la Cour nationale du droit d'asile. Selon les articles L. 424-1 et L. 424-9 du même code, l'étranger auquel la qualité de réfugié a été reconnue ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire se voit délivrer, respectivement, une carte de résident d'une durée de dix ans ou une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire " d'une durée maximale de quatre ans.
2. D'autre part, aux termes de l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 542-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français. ". En vertu des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du même code, l'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger dans le cas où " la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire [lui] a été définitivement refusé ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 (...) ". Aux termes de l'article L. 721-3 de ce code : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français (...) ".
3. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à la désignation du pays de renvoi : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
4. Comme le rappellent les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 3, l'autorité administrative ne saurait légalement désigner comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un pays dans lequel il risque d'être exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la violation de ces stipulations conventionnelles peut être utilement invoqué par l'intéressé devant le juge de l'excès de pouvoir au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi. En revanche, il n'en va pas de même au soutien de conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français elle-même qui, en vertu de l'article L. 721-3 du même code, cité au point 2, est une décision distincte de celle fixant le pays de renvoi. Il en va ainsi alors même que l'existence de motifs sérieux et avérés de croire que l'étranger courrait dans son pays un risque réel de subir de telles atteintes est susceptible de permettre, sous réserve des clauses d'exclusion, la reconnaissance par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par la Cour nationale du droit d'asile de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, ouvrant alors droit au séjour en application des articles L. 424-1 et L. 424-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionnés au point 1.
5. Il appartient au préfet chargé de fixer le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'il prend n'exposent pas l'étranger à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.
6. Si le préfet est en droit de prendre en considération les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile saisis par l'étranger d'une demande de protection internationale, l'examen et l'appréciation par ces instances des faits allégués par le demandeur et des craintes qu'il énonce, au regard des conditions mises à la reconnaissance de la qualité de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et à l'octroi de la protection subsidiaire par les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne lient pas le préfet, et sont sans influence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu de l'ensemble du dossier dont il dispose, que les mesures qu'il prend ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 721-4 précité.
7. S'il est saisi, au soutien de conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, d'un moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier, dans les mêmes conditions, la réalité des risques allégués, sans qu'il importe à cet égard que l'intéressé invoque ou non des éléments nouveaux par rapport à ceux présentés à l'appui de sa demande d'asile.
8. Si, à l'issue de cet examen, le juge de l'excès de pouvoir annule la décision distincte fixant le pays de renvoi, une telle décision ne s'impose pas avec l'autorité absolue de la chose jugée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Cour nationale du droit d'asile, eu égard à leurs compétences propres et à leur office. Toutefois cette décision constitue un élément nouveau au sens de l'article L. 531-42 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de nature à rendre recevable la demande de réexamen présentée, le cas échéant, par l'étranger concerné.
9. Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Marseille, à M. C... O... F... et au ministre de l'intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 28 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge
N° 495898
ECLI:FR:CECHR:2024:495898.20241028
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteure
Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique
GILBERT AVOCAT, avocats
Lecture du lundi 28 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° 23MA00530, 23MA00531 du 11 juillet 2024, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Marseille, avant de statuer sur l'appel de M. C... O... F... tendant à l'annulation du jugement n° 2210783 du 2 février 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 5 décembre 2022 par lequel le préfet des Alpes Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Si les risques de torture ou de peines ou de traitements inhumains et dégradants, au sens de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme, encourus par un ressortissant étranger dans son pays d'origine sont, aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de nature à affecter la légalité de la décision fixant le pays à destination duquel il peut être renvoyé en cas d'exécution d'office de la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet, l'invocation de ces risques peut-elle toujours être regardée comme inopérante à l'encontre de la décision même d'obligation de quitter le territoire français, dès lors qu'en application de l'article L. 511-1 du même code ou, à tout le moins, de son article L. 512-1, dont la rédaction renvoie aux termes mêmes des stipulations dudit article 3, ces risques lui confèrent, si leur réalité est établie, le droit au bénéfice d'une protection internationale, sous la seule réserve du cas où l'intéressé en aurait été exclu par les autorités de l'asile compétentes, en application soit des articles L. 511-6 ou 7, soit de l'article L. 512-2 du même code '
2°) Hormis le cas particulier d'une telle exclusion, le préfet est-il compétent pour porter, sous le contrôle du juge administratif de droit commun, une appréciation sur la réalité des risques encourus par un ressortissant étranger qu'il oblige à quitter le territoire français, au regard de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme, dès lors que cette appréciation ne repose pas sur des éléments distincts de ceux qu'il appartient à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, sous le contrôle de la Cour nationale du droit d'asile, de connaître pour accorder ou non une protection internationale à l'intéressé sur le fondement de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou, à tout le moins, de son article L. 512-1 '
3°) Dans ces conditions, en l'absence d'invocation par l'intéressé d'éléments nouveaux au sens de l'article L. 531-42 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le juge de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français peut-il écarter la réalité des risques allégués en se fondant exclusivement sur la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ou sur celle de la Cour nationale du droit d'asile '
4°) Le cas échéant, si l'intéressé fait état d'élément nouveaux suffisamment sérieux, quel serait alors l'office du juge de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français dès lors que les dispositions de l'article L. 541-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que, lorsque l'étranger sollicite l'asile postérieurement au prononcé à son encontre d'une décision d'éloignement, le seul effet qui s'attache à l'enregistrement de sa demande tient à l'impossibilité de procéder à l'exécution forcée de cette mesure d'éloignement, sans affecter la légalité de cette mesure ni conduire à son abrogation ' Lui appartiendrait-il de surseoir à statuer pour inviter le requérant à déposer une demande de réexamen et enjoindre au préfet de l'enregistrer comme telle, au besoin, en prononçant pour le juge d'appel, le sursis à exécution du jugement attaqué afin de restaurer l'effet suspensif prévue par l'article L. 722-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ' Le cas échéant, ce sursis à statuer pourrait-il être prolongé jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile se soit prononcée sur la demande de réexamen formé par l'intéressé, par parallélisme avec les dispositions de l'article L. 542-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile '
Des observations, enregistrées le 28 août 2024, ont été présentées par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
REND L'AVIS SUIVANT
1. D'une part, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La qualité de réfugié est reconnue : 1° A toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ; / 2° A toute personne sur laquelle le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu'adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 14 décembre 1950 ; / 3° A toute personne qui répond aux définitions de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : / a) La peine de mort ou une exécution ; / b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants (...) ". En vertu de l'article L. 513-1 de ce code, la qualité de réfugié est reconnue et le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par la Cour nationale du droit d'asile. Selon les articles L. 424-1 et L. 424-9 du même code, l'étranger auquel la qualité de réfugié a été reconnue ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire se voit délivrer, respectivement, une carte de résident d'une durée de dix ans ou une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " bénéficiaire de la protection subsidiaire " d'une durée maximale de quatre ans.
2. D'autre part, aux termes de l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 542-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français. ". En vertu des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du même code, l'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger dans le cas où " la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire [lui] a été définitivement refusé ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 (...) ". Aux termes de l'article L. 721-3 de ce code : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français (...) ".
3. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à la désignation du pays de renvoi : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
4. Comme le rappellent les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 3, l'autorité administrative ne saurait légalement désigner comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un pays dans lequel il risque d'être exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la violation de ces stipulations conventionnelles peut être utilement invoqué par l'intéressé devant le juge de l'excès de pouvoir au soutien de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi. En revanche, il n'en va pas de même au soutien de conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français elle-même qui, en vertu de l'article L. 721-3 du même code, cité au point 2, est une décision distincte de celle fixant le pays de renvoi. Il en va ainsi alors même que l'existence de motifs sérieux et avérés de croire que l'étranger courrait dans son pays un risque réel de subir de telles atteintes est susceptible de permettre, sous réserve des clauses d'exclusion, la reconnaissance par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou par la Cour nationale du droit d'asile de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, ouvrant alors droit au séjour en application des articles L. 424-1 et L. 424-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionnés au point 1.
5. Il appartient au préfet chargé de fixer le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'il prend n'exposent pas l'étranger à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.
6. Si le préfet est en droit de prendre en considération les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile saisis par l'étranger d'une demande de protection internationale, l'examen et l'appréciation par ces instances des faits allégués par le demandeur et des craintes qu'il énonce, au regard des conditions mises à la reconnaissance de la qualité de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et à l'octroi de la protection subsidiaire par les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne lient pas le préfet, et sont sans influence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu de l'ensemble du dossier dont il dispose, que les mesures qu'il prend ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 721-4 précité.
7. S'il est saisi, au soutien de conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, d'un moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier, dans les mêmes conditions, la réalité des risques allégués, sans qu'il importe à cet égard que l'intéressé invoque ou non des éléments nouveaux par rapport à ceux présentés à l'appui de sa demande d'asile.
8. Si, à l'issue de cet examen, le juge de l'excès de pouvoir annule la décision distincte fixant le pays de renvoi, une telle décision ne s'impose pas avec l'autorité absolue de la chose jugée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Cour nationale du droit d'asile, eu égard à leurs compétences propres et à leur office. Toutefois cette décision constitue un élément nouveau au sens de l'article L. 531-42 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de nature à rendre recevable la demande de réexamen présentée, le cas échéant, par l'étranger concerné.
9. Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Marseille, à M. C... O... F... et au ministre de l'intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 28 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie-Caroline de Margerie
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge