Conseil d'État
N° 490686
ECLI:FR:CECHR:2024:490686.20241028
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Jérôme Goldenberg, rapporteur
Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique
AARPI MCDERMOTT WILL & EMERY, avocats
Lecture du lundi 28 octobre 2024
Vu les procédures suivantes :
Par une requête, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires enregistrés les 5 janvier 2024, 5 avril 2024, 27 juin 2024 et 24 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Orange demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° 2023-2371-FR du 7 novembre 2023 par laquelle la formation restreinte de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 26 millions d'euros ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer le montant de cette sanction et le ramener à un montant d'au plus 15 millions d'euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code des postes et des communications électroniques,
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Orange ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. Dans le cadre des objectifs de régulation assignés à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) par le législateur et énumérés à l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, l'article L. 36-7 du même code dispose que : " L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse : (...) / 3° Contrôle le respect des obligations résultant : / a) Des dispositions législatives et réglementaires et des textes et décisions pris en application de ces dispositions au respect desquelles l'autorité a pour mission de veiller (...) ".
2. Aux termes de l'article L. 33-13 du même code : " Le ministre chargé des communications électroniques peut accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux. / L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 (...) ".
3. L'article L. 36-11 du même code dispose que : " L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, soit d'office, soit à la demande du ministre chargé des communications électroniques, (...), sanctionner les manquements qu'elle constate de la part des exploitants de réseau (...). Ce pouvoir de sanction est exercé dans les conditions suivantes : I. (...) / L'exploitant (...) est mis en demeure par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse de s'y conformer dans un délai qu'elle détermine. (...). II. - Lorsqu'un exploitant de réseau (...) ne se conforme pas dans les délais fixés à la mise en demeure prévue au I (...), l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, après instruction conduite par ses services, notifier les griefs à la personne en cause. Elle transmet alors le dossier d'instruction et la notification des griefs à la formation restreinte ". En vertu du huitième alinéa du III du même article la formation restreinte de l'ARCEP peut prononcer lorsque la personne en cause ne s'est pas conformée " à une mise en demeure portant sur le respect (...) d'obligations de déploiement résultant d'engagements pris en application de l'article L. 33-13, une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, appréciée notamment au regard (...) du nombre de locaux non raccordables pour un réseau filaire, sans pouvoir excéder le plus élevé des plafonds suivants : soit un plafond fixé à (...) 1 500 ? par logement non raccordable et 5 000 ? par local à usage professionnel non raccordable ou 450 000 ? par zone arrière de point de mutualisation sans complétude de déploiement pour un réseau filaire, soit un plafond fixé à 3 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos, taux porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation (...) " . Enfin, en vertu du VI. du même article : " Les décisions de la formation restreinte sont motivées (...) ".
Sur le litige :
4. Par un arrêté du 26 juillet 2018, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances a accepté, sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, la proposition d'engagements de la société Orange relatifs au déploiement de réseaux de fibre jusqu'à l'habitant en zone moins dense. Par deux décisions n° 2019-0871-RDPI et n° 2019-1514-RDPI des 20 juin et 17 octobre 2019, la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (RDPI) de l'ARCEP a ouvert une instruction relative au manquement éventuel de la société Orange aux engagements acceptés par la ministre, ainsi qu'une enquête administrative à l'encontre de la même société. Le 19 novembre 2021, le secrétaire d'Etat à la transition numérique et aux communications a demandé à l'ARCEP l'ouverture de la procédure de sanction prévue à l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques concernant le respect par la société Orange de ses engagements. Par une décision n° 2022-0573-RDPI du 17 mars 2022, la formation RDPI de l'ARCEP a mis en demeure la société Orange de se conformer à ses engagements au plus tard le 30 septembre 2022 puis, par une décision n° 2023-1414-RDPI du 6 juillet 2023, a décidé de poursuivre la procédure de sanction ouverte à son encontre en lui notifiant les griefs retenus. Par une décision n° 2023-2371-FR du 7 novembre 2023, la formation restreinte de l'ARCEP a prononcé à l'encontre de la société Orange une sanction pécuniaire d'un montant de 26 millions d'euros. La société Orange demande l'annulation de cette dernière décision.
Sur la légalité externe :
5. En premier lieu, en vertu des dispositions citées au point 3, la formation restreinte de l'ARCEP peut prononcer une sanction à l'encontre des exploitants de réseau lorsqu'ils n'ont pas respecté les engagements souscrits et acceptés sur le fondement des dispositions citées au point 2 et ne se sont pas conformés à la mise en demeure de les respecter qui leur a été adressée, au préalable, par la formation RDPI de l'ARCEP. Il en résulte que le grief tiré de la méconnaissance des engagements à l'échéance fixée par la mise en demeure porte également et nécessairement sur la méconnaissance de ces mêmes engagements à l'échéance initialement prévue. Par suite, le moyen tiré de ce que n'a été notifié à la société que le grief tiré de la méconnaissance des engagements à l'échéance fixée par la mise en demeure alors que la décision attaquée se fonde également sur la méconnaissance de ces mêmes engagements à la date initialement fixée par ceux-ci, ne peut qu'être écarté.
6. En deuxième lieu, d'une part, les dispositions du deuxième alinéa de l'article D. 595 du code des postes et des communications électroniques, selon lesquelles " Lorsque la personne en cause ne se conforme pas dans les délais fixés à la mise en demeure (...), l'Autorité peut (...) après en avoir délibéré en formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction, lui notifier les griefs ainsi que les sanctions encourues ", imposent seulement à l'ARCEP de notifier à la personne en cause, outre les griefs, les sanctions dont elle est susceptible de faire l'objet.
7. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa de l'article D. 596 du même code : " La formation restreinte fixe les délais et conditions dans lesquels la personne en cause, qui peut se faire assister ou représenter par la personne de son choix, peut consulter le dossier d'instruction et prendre copie des pièces. Elle fixe également le délai dont dispose la personne en cause pour lui transmettre ses observations écrites. Les délais mentionnés au présent alinéa ne peuvent être inférieurs à dix jours ". Aux termes de l'article R. 597 du même code : " II. La formation restreinte convoque à une audition, vingt jours au moins avant la date prévue, la personne en cause. / La convocation à l'audition mentionne la faculté d'être entendu et de se faire assister ou représenter par la personne de son choix (...) / III. Lors de l'audition, la personne en cause et, le cas échéant, la personne qui l'assiste ou la représente, sont invitées à présenter des observations orales à l'appui de leurs observations écrites et à répondre aux questions des membres de la formation restreinte. Le cas échéant, elles peuvent fournir des observations écrites complémentaires dans un délai, raisonnable, fixé lors de l'audition par la formation restreinte. / Un représentant de la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction est invité à présenter des observations orales et à répondre aux questions de la formation restreinte. La formation restreinte peut également entendre toute personne dont l'audition lui paraît utile ". La proposition de sanction que peut, le cas échéant, formuler, lors de ses observations au cours de l'audition, un membre de la formation RDPI de l'ARCEP ne lie la formation restreinte de l'ARCEP ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci. Eu égard au caractère et aux modalités de la procédure suivie devant la formation restreinte de l'ARCEP ainsi qu'à la possibilité offerte aux personnes poursuivies de communiquer des observations complémentaires écrites après l'audition, ni le caractère contradictoire de la procédure ni le principe des droits de la défense n'impliquent, contrairement à ce qui est soutenu, que cette proposition de sanction soit communiquée préalablement à la personne concernée.
8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la procédure aurait été irrégulière faute de notification ou de communication à la société requérante, préalablement à son audition, du montant de la sanction proposée lors de celle-ci par le représentant de la formation RDPI de l'ARCEP doit être écarté.
9. En troisième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'impose à la formation restreinte de l'ARCEP de préciser dans sa décision une méthode de calcul du montant de la sanction pécuniaire infligée. La décision attaquée, qui énonce les motifs de droit et de fait pour lesquels elle retient l'existence d'un manquement ainsi que la sanction qu'elle inflige est, par suite, suffisamment motivée.
Sur la légalité interne :
10. En premier lieu, le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, la règle en cause n'est pas suffisamment claire, de sorte qu'il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné.
11. Il résulte de l'instruction que, par un courrier en date du 20 février 2018 adressé au Premier ministre, la société Orange a proposé de s'engager sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et communications électroniques dans les termes suivants : " Orange propose que 100 % des logements et des locaux à usage professionnel de notre périmètre de déploiement FttH sur la zone AMII d'Orange soient ouverts dès fin 2020 à la commercialisation d'offres FttH. Et de surcroît, Orange consent volontairement à rendre cet objectif opposable, de sorte que si nous ne tenions pas l'objectif, nous acceptons le principe d'une sanction pécuniaire. " et précise que ses " engagements portent sur le déploiement par Orange de réseaux FttH dans un ensemble de communes dont la liste est annexée à ce courrier (...) ". L'annexe à ce courrier mentionne notamment que " à fin 2020, sur l'ensemble de communes visées dont la liste est annexée à ce courrier, notre ambition est que 100 % des logements et des locaux professionnels de notre périmètre de déploiement FttH soient ouverts à la commercialisation d'offres FttH " et précise que " au plus tard fin 2020 (...) dans toutes les communes concernées, hors logements et locaux à usage professionnel non raccordables du fait d'un refus des copropriétés et propriétaires concernées, tous les logements et locaux à usage professionnels seront rendus raccordables ou raccordables à la demande (...) ", en indiquant que " la part de prises raccordables sur demande n'excèdera pas 8 % du total des logements et locaux à usage professionnel de l'ensemble des communes ". A la suite de discussions avec la société SFR, la société Orange, dans un courrier du 31 mai 2018, a fait part au Premier ministre du retrait du périmètre des engagements qu'elle entendait souscrire d'un périmètre géographique défini par une liste de communes annexée à son courrier. Si le courrier du 20 février 2018 comporte également une annexe mentionnant une évaluation du nombre de logements, cette annexe précise que ces " éléments chiffrés indicatifs ", " établis sur la base de données logements 2013 de l'INSEE ", sont donnés " à titre d'information ". L'arrêté de la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances du 26 juillet 2018 a accepté " les engagements pris par la société Orange par le courrier du 20 février 2018 modifié par le courrier du 31 mai 2018 ".
12. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, et en tout état de cause, les engagements souscrits par la société requérante, qui portaient non sur un nombre de logements et locaux professionnels estimé sur la base d'évaluations ou de prévisions mais sur la couverture de l'ensemble des logements et locaux professionnels existants dans des communes déterminées, dont elle a donné la liste, corrigée à la suite des discussions avec la société SFR et acceptée par la décision ministérielle, étaient suffisamment clairs de sorte qu'il apparaisse, de façon raisonnablement prévisible, que leur méconnaissance était susceptible d'être sanctionnée.
13. En deuxième lieu, la société requérante soutient qu'il ne pouvait lui être fait application de la sanction prévue en cas de non-respect des engagements pris en application de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques par le huitième aliéna du III de l'article L. 36-11 du même code dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, citée au point 3 dès lors qu'elle avait souscrit ses engagements antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi et ne s'était engagée qu'en considération de l'état du droit alors en vigueur.
14. D'une part, il résulte de l'instruction que la société requérante n'avait pas, en tout état de cause, subordonné le respect de ses engagements à l'absence d'évolution des dispositions relatives aux sanctions dont leur méconnaissance pouvait faire l'objet.
15. D'autre part, pour être punissable par une sanction administrative, les faits constitutifs d'un manquement doivent avoir été commis à une date à laquelle les dispositions législatives ou réglementaires les réprimant étaient en vigueur. Le fait générateur du manquement de la société requérante, constitué par le non-respect de ses engagements, qui n'étaient pas de nature contractuelle, au 31 décembre 2020, échéance reportée au 14 avril 2021 en application de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, puis au 30 septembre 2022, date fixée par la mise en demeure du 17 mars 2022, est postérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018.
16. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée ferait application de dispositions inapplicables à la date des faits et méconnaîtrait le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
17. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la formation restreinte ne pouvait, pour apprécier l'existence d'un manquement, prendre en compte la méconnaissance de ses engagements qu'à la seule échéance du 30 septembre 2022 fixée par la mise en demeure du 17 mars 2022, et non, ainsi qu'elle l'a fait, également à l'échéance initialement prévue par ces engagements.
18. En quatrième lieu, il résulte des engagements souscrits par la société Orange rappelés au point 11 qu'elle devait, dans toutes les communes concernées, hormis en cas de refus des copropriétés et propriétaires concernés, avoir rendu tous les logements et locaux à usage professionnels raccordables ou raccordables à la demande au 31 décembre 2020, échéance reportée au 14 avril 2021 en application de l'ordonnance du 25 mars 2020 précitée, la part de prises raccordables sur demande ne devant pas excéder 8 % du total de ces logements et locaux. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée aurait méconnu la portée de ses engagements en considérant que, sous réserve des refus des copropriétés et propriétaires, 100 % des logements et locaux à usage professionnel devaient à cette échéance être raccordables ou raccordables à la demande.
19. En cinquième lieu, si la société requérante soutient que les investissements nécessaires à la réalisation de l'ensemble de ses engagements avaient été réalisés, elle ne conteste pas qu'en tout état de cause au moins 543 000 logements et locaux professionnels sur les 12,868 millions en relevant n'étaient pas, à l'échéance fixée par la mise en demeure, répertoriés comme raccordables ou raccordables à la demande, ce qui faisait obstacle à ce qu'ils puissent être identifiés comme tels et commercialisés par un opérateur fournissant des services de communication électronique. Par suite, en estimant que ces éléments caractérisaient un manquement de la société Orange à ses engagements rappelés au point 11, la formation restreinte de l'ARCEP n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
20. En sixième lieu, les dispositions du III de l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques citées au point 3 permettent de sanctionner tout manquement aux engagements souscrits en application de l'article L. 33-13 du même code. La société requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que la méconnaissance d'engagements concernant les locaux raccordables à la demande ne peut faire l'objet d'une sanction sur le fondement de ces dispositions.
21. En septième lieu, la formation restreinte de l'ARCEP, si elle peut prendre en compte pour la détermination de la sanction infligée la circonstance qu'il a été postérieurement à la mise en demeure remédié au manquement fautif doit, pour caractériser l'existence d'un manquement et prononcer la sanction, se placer à la date à laquelle la mise en demeure a expiré, et non à celle à laquelle elle prend sa décision. Par suite, si elle pouvait, ainsi qu'elle l'a fait, prendre en compte le raccordement de 214 000 logements et locaux professionnels visés par la notification de grief postérieurement à celle-ci, elle ne pouvait en tout état de cause tenir compte des discussions en cours à la date à laquelle elle s'est prononcée entre l'Etat et la société Orange concernant les nouveaux engagements que celle-ci pourrait prendre.
22. En huitième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 19, 543 000 des 12,868 millions logements ou locaux professionnels sur lesquels portaient les engagements pris par la société Orange n'étaient pas répertoriés comme raccordables ou raccordables à la demande à l'expiration de la mise en demeure dont elle a fait l'objet. Il en résulte que des opérateurs fournissant des services de communication électronique ne pouvaient commercialiser leurs services via ces raccordements et les utilisateurs finals bénéficier de ces services alors que, compte tenu de l'existence de ces engagements, la probabilité que d'autres opérateurs réalisent les raccordements en cause en lieu et place de la société Orange était très faible. Eu égard à la gravité du manquement commis alors que, ainsi qu'il a été dit au point 12, les engagements souscrits étaient suffisamment clairs pour que la société Orange en mesure toute la portée, aux conséquences de ce manquement pour les opérateurs fournissant des services de communication électronique et les utilisateurs finals, et compte tenu du ralentissement du rythme de réalisation des engagements avant et pendant le délai accordé par la mise en demeure, le montant de 26 millions d'euros de la sanction pécuniaire infligée à la société Orange n'apparait pas disproportionné, la circonstance que la sanction serait plus sévère que celles qui ont été infligées par le passé par l'ARCEP en matière de communications électroniques étant à cet égard en tout état de cause sans incidence.
23. En dernier lieu, compte tenu de l'ensemble des éléments qu'elle a pris en compte, la formation restreinte de l'ARCEP n'a pas méconnu le principe d'individualisation des peines.
24. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les conclusions de la société Orange tendant à l'annulation de la décision attaquée.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Orange au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la société Orange est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Orange et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 28 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jérôme Goldenberg
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge
N° 490686
ECLI:FR:CECHR:2024:490686.20241028
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. Jérôme Goldenberg, rapporteur
Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique
AARPI MCDERMOTT WILL & EMERY, avocats
Lecture du lundi 28 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
Par une requête, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires enregistrés les 5 janvier 2024, 5 avril 2024, 27 juin 2024 et 24 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Orange demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° 2023-2371-FR du 7 novembre 2023 par laquelle la formation restreinte de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 26 millions d'euros ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer le montant de cette sanction et le ramener à un montant d'au plus 15 millions d'euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code des postes et des communications électroniques,
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Orange ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. Dans le cadre des objectifs de régulation assignés à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) par le législateur et énumérés à l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, l'article L. 36-7 du même code dispose que : " L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse : (...) / 3° Contrôle le respect des obligations résultant : / a) Des dispositions législatives et réglementaires et des textes et décisions pris en application de ces dispositions au respect desquelles l'autorité a pour mission de veiller (...) ".
2. Aux termes de l'article L. 33-13 du même code : " Le ministre chargé des communications électroniques peut accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux. / L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 (...) ".
3. L'article L. 36-11 du même code dispose que : " L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, soit d'office, soit à la demande du ministre chargé des communications électroniques, (...), sanctionner les manquements qu'elle constate de la part des exploitants de réseau (...). Ce pouvoir de sanction est exercé dans les conditions suivantes : I. (...) / L'exploitant (...) est mis en demeure par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse de s'y conformer dans un délai qu'elle détermine. (...). II. - Lorsqu'un exploitant de réseau (...) ne se conforme pas dans les délais fixés à la mise en demeure prévue au I (...), l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut, après instruction conduite par ses services, notifier les griefs à la personne en cause. Elle transmet alors le dossier d'instruction et la notification des griefs à la formation restreinte ". En vertu du huitième alinéa du III du même article la formation restreinte de l'ARCEP peut prononcer lorsque la personne en cause ne s'est pas conformée " à une mise en demeure portant sur le respect (...) d'obligations de déploiement résultant d'engagements pris en application de l'article L. 33-13, une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, appréciée notamment au regard (...) du nombre de locaux non raccordables pour un réseau filaire, sans pouvoir excéder le plus élevé des plafonds suivants : soit un plafond fixé à (...) 1 500 ? par logement non raccordable et 5 000 ? par local à usage professionnel non raccordable ou 450 000 ? par zone arrière de point de mutualisation sans complétude de déploiement pour un réseau filaire, soit un plafond fixé à 3 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos, taux porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation (...) " . Enfin, en vertu du VI. du même article : " Les décisions de la formation restreinte sont motivées (...) ".
Sur le litige :
4. Par un arrêté du 26 juillet 2018, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances a accepté, sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, la proposition d'engagements de la société Orange relatifs au déploiement de réseaux de fibre jusqu'à l'habitant en zone moins dense. Par deux décisions n° 2019-0871-RDPI et n° 2019-1514-RDPI des 20 juin et 17 octobre 2019, la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (RDPI) de l'ARCEP a ouvert une instruction relative au manquement éventuel de la société Orange aux engagements acceptés par la ministre, ainsi qu'une enquête administrative à l'encontre de la même société. Le 19 novembre 2021, le secrétaire d'Etat à la transition numérique et aux communications a demandé à l'ARCEP l'ouverture de la procédure de sanction prévue à l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques concernant le respect par la société Orange de ses engagements. Par une décision n° 2022-0573-RDPI du 17 mars 2022, la formation RDPI de l'ARCEP a mis en demeure la société Orange de se conformer à ses engagements au plus tard le 30 septembre 2022 puis, par une décision n° 2023-1414-RDPI du 6 juillet 2023, a décidé de poursuivre la procédure de sanction ouverte à son encontre en lui notifiant les griefs retenus. Par une décision n° 2023-2371-FR du 7 novembre 2023, la formation restreinte de l'ARCEP a prononcé à l'encontre de la société Orange une sanction pécuniaire d'un montant de 26 millions d'euros. La société Orange demande l'annulation de cette dernière décision.
Sur la légalité externe :
5. En premier lieu, en vertu des dispositions citées au point 3, la formation restreinte de l'ARCEP peut prononcer une sanction à l'encontre des exploitants de réseau lorsqu'ils n'ont pas respecté les engagements souscrits et acceptés sur le fondement des dispositions citées au point 2 et ne se sont pas conformés à la mise en demeure de les respecter qui leur a été adressée, au préalable, par la formation RDPI de l'ARCEP. Il en résulte que le grief tiré de la méconnaissance des engagements à l'échéance fixée par la mise en demeure porte également et nécessairement sur la méconnaissance de ces mêmes engagements à l'échéance initialement prévue. Par suite, le moyen tiré de ce que n'a été notifié à la société que le grief tiré de la méconnaissance des engagements à l'échéance fixée par la mise en demeure alors que la décision attaquée se fonde également sur la méconnaissance de ces mêmes engagements à la date initialement fixée par ceux-ci, ne peut qu'être écarté.
6. En deuxième lieu, d'une part, les dispositions du deuxième alinéa de l'article D. 595 du code des postes et des communications électroniques, selon lesquelles " Lorsque la personne en cause ne se conforme pas dans les délais fixés à la mise en demeure (...), l'Autorité peut (...) après en avoir délibéré en formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction, lui notifier les griefs ainsi que les sanctions encourues ", imposent seulement à l'ARCEP de notifier à la personne en cause, outre les griefs, les sanctions dont elle est susceptible de faire l'objet.
7. D'autre part, aux termes du deuxième alinéa de l'article D. 596 du même code : " La formation restreinte fixe les délais et conditions dans lesquels la personne en cause, qui peut se faire assister ou représenter par la personne de son choix, peut consulter le dossier d'instruction et prendre copie des pièces. Elle fixe également le délai dont dispose la personne en cause pour lui transmettre ses observations écrites. Les délais mentionnés au présent alinéa ne peuvent être inférieurs à dix jours ". Aux termes de l'article R. 597 du même code : " II. La formation restreinte convoque à une audition, vingt jours au moins avant la date prévue, la personne en cause. / La convocation à l'audition mentionne la faculté d'être entendu et de se faire assister ou représenter par la personne de son choix (...) / III. Lors de l'audition, la personne en cause et, le cas échéant, la personne qui l'assiste ou la représente, sont invitées à présenter des observations orales à l'appui de leurs observations écrites et à répondre aux questions des membres de la formation restreinte. Le cas échéant, elles peuvent fournir des observations écrites complémentaires dans un délai, raisonnable, fixé lors de l'audition par la formation restreinte. / Un représentant de la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction est invité à présenter des observations orales et à répondre aux questions de la formation restreinte. La formation restreinte peut également entendre toute personne dont l'audition lui paraît utile ". La proposition de sanction que peut, le cas échéant, formuler, lors de ses observations au cours de l'audition, un membre de la formation RDPI de l'ARCEP ne lie la formation restreinte de l'ARCEP ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci. Eu égard au caractère et aux modalités de la procédure suivie devant la formation restreinte de l'ARCEP ainsi qu'à la possibilité offerte aux personnes poursuivies de communiquer des observations complémentaires écrites après l'audition, ni le caractère contradictoire de la procédure ni le principe des droits de la défense n'impliquent, contrairement à ce qui est soutenu, que cette proposition de sanction soit communiquée préalablement à la personne concernée.
8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la procédure aurait été irrégulière faute de notification ou de communication à la société requérante, préalablement à son audition, du montant de la sanction proposée lors de celle-ci par le représentant de la formation RDPI de l'ARCEP doit être écarté.
9. En troisième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'impose à la formation restreinte de l'ARCEP de préciser dans sa décision une méthode de calcul du montant de la sanction pécuniaire infligée. La décision attaquée, qui énonce les motifs de droit et de fait pour lesquels elle retient l'existence d'un manquement ainsi que la sanction qu'elle inflige est, par suite, suffisamment motivée.
Sur la légalité interne :
10. En premier lieu, le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, la règle en cause n'est pas suffisamment claire, de sorte qu'il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné.
11. Il résulte de l'instruction que, par un courrier en date du 20 février 2018 adressé au Premier ministre, la société Orange a proposé de s'engager sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et communications électroniques dans les termes suivants : " Orange propose que 100 % des logements et des locaux à usage professionnel de notre périmètre de déploiement FttH sur la zone AMII d'Orange soient ouverts dès fin 2020 à la commercialisation d'offres FttH. Et de surcroît, Orange consent volontairement à rendre cet objectif opposable, de sorte que si nous ne tenions pas l'objectif, nous acceptons le principe d'une sanction pécuniaire. " et précise que ses " engagements portent sur le déploiement par Orange de réseaux FttH dans un ensemble de communes dont la liste est annexée à ce courrier (...) ". L'annexe à ce courrier mentionne notamment que " à fin 2020, sur l'ensemble de communes visées dont la liste est annexée à ce courrier, notre ambition est que 100 % des logements et des locaux professionnels de notre périmètre de déploiement FttH soient ouverts à la commercialisation d'offres FttH " et précise que " au plus tard fin 2020 (...) dans toutes les communes concernées, hors logements et locaux à usage professionnel non raccordables du fait d'un refus des copropriétés et propriétaires concernées, tous les logements et locaux à usage professionnels seront rendus raccordables ou raccordables à la demande (...) ", en indiquant que " la part de prises raccordables sur demande n'excèdera pas 8 % du total des logements et locaux à usage professionnel de l'ensemble des communes ". A la suite de discussions avec la société SFR, la société Orange, dans un courrier du 31 mai 2018, a fait part au Premier ministre du retrait du périmètre des engagements qu'elle entendait souscrire d'un périmètre géographique défini par une liste de communes annexée à son courrier. Si le courrier du 20 février 2018 comporte également une annexe mentionnant une évaluation du nombre de logements, cette annexe précise que ces " éléments chiffrés indicatifs ", " établis sur la base de données logements 2013 de l'INSEE ", sont donnés " à titre d'information ". L'arrêté de la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances du 26 juillet 2018 a accepté " les engagements pris par la société Orange par le courrier du 20 février 2018 modifié par le courrier du 31 mai 2018 ".
12. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, et en tout état de cause, les engagements souscrits par la société requérante, qui portaient non sur un nombre de logements et locaux professionnels estimé sur la base d'évaluations ou de prévisions mais sur la couverture de l'ensemble des logements et locaux professionnels existants dans des communes déterminées, dont elle a donné la liste, corrigée à la suite des discussions avec la société SFR et acceptée par la décision ministérielle, étaient suffisamment clairs de sorte qu'il apparaisse, de façon raisonnablement prévisible, que leur méconnaissance était susceptible d'être sanctionnée.
13. En deuxième lieu, la société requérante soutient qu'il ne pouvait lui être fait application de la sanction prévue en cas de non-respect des engagements pris en application de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques par le huitième aliéna du III de l'article L. 36-11 du même code dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, citée au point 3 dès lors qu'elle avait souscrit ses engagements antérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi et ne s'était engagée qu'en considération de l'état du droit alors en vigueur.
14. D'une part, il résulte de l'instruction que la société requérante n'avait pas, en tout état de cause, subordonné le respect de ses engagements à l'absence d'évolution des dispositions relatives aux sanctions dont leur méconnaissance pouvait faire l'objet.
15. D'autre part, pour être punissable par une sanction administrative, les faits constitutifs d'un manquement doivent avoir été commis à une date à laquelle les dispositions législatives ou réglementaires les réprimant étaient en vigueur. Le fait générateur du manquement de la société requérante, constitué par le non-respect de ses engagements, qui n'étaient pas de nature contractuelle, au 31 décembre 2020, échéance reportée au 14 avril 2021 en application de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, puis au 30 septembre 2022, date fixée par la mise en demeure du 17 mars 2022, est postérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018.
16. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée ferait application de dispositions inapplicables à la date des faits et méconnaîtrait le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère.
17. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la formation restreinte ne pouvait, pour apprécier l'existence d'un manquement, prendre en compte la méconnaissance de ses engagements qu'à la seule échéance du 30 septembre 2022 fixée par la mise en demeure du 17 mars 2022, et non, ainsi qu'elle l'a fait, également à l'échéance initialement prévue par ces engagements.
18. En quatrième lieu, il résulte des engagements souscrits par la société Orange rappelés au point 11 qu'elle devait, dans toutes les communes concernées, hormis en cas de refus des copropriétés et propriétaires concernés, avoir rendu tous les logements et locaux à usage professionnels raccordables ou raccordables à la demande au 31 décembre 2020, échéance reportée au 14 avril 2021 en application de l'ordonnance du 25 mars 2020 précitée, la part de prises raccordables sur demande ne devant pas excéder 8 % du total de ces logements et locaux. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée aurait méconnu la portée de ses engagements en considérant que, sous réserve des refus des copropriétés et propriétaires, 100 % des logements et locaux à usage professionnel devaient à cette échéance être raccordables ou raccordables à la demande.
19. En cinquième lieu, si la société requérante soutient que les investissements nécessaires à la réalisation de l'ensemble de ses engagements avaient été réalisés, elle ne conteste pas qu'en tout état de cause au moins 543 000 logements et locaux professionnels sur les 12,868 millions en relevant n'étaient pas, à l'échéance fixée par la mise en demeure, répertoriés comme raccordables ou raccordables à la demande, ce qui faisait obstacle à ce qu'ils puissent être identifiés comme tels et commercialisés par un opérateur fournissant des services de communication électronique. Par suite, en estimant que ces éléments caractérisaient un manquement de la société Orange à ses engagements rappelés au point 11, la formation restreinte de l'ARCEP n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
20. En sixième lieu, les dispositions du III de l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques citées au point 3 permettent de sanctionner tout manquement aux engagements souscrits en application de l'article L. 33-13 du même code. La société requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que la méconnaissance d'engagements concernant les locaux raccordables à la demande ne peut faire l'objet d'une sanction sur le fondement de ces dispositions.
21. En septième lieu, la formation restreinte de l'ARCEP, si elle peut prendre en compte pour la détermination de la sanction infligée la circonstance qu'il a été postérieurement à la mise en demeure remédié au manquement fautif doit, pour caractériser l'existence d'un manquement et prononcer la sanction, se placer à la date à laquelle la mise en demeure a expiré, et non à celle à laquelle elle prend sa décision. Par suite, si elle pouvait, ainsi qu'elle l'a fait, prendre en compte le raccordement de 214 000 logements et locaux professionnels visés par la notification de grief postérieurement à celle-ci, elle ne pouvait en tout état de cause tenir compte des discussions en cours à la date à laquelle elle s'est prononcée entre l'Etat et la société Orange concernant les nouveaux engagements que celle-ci pourrait prendre.
22. En huitième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 19, 543 000 des 12,868 millions logements ou locaux professionnels sur lesquels portaient les engagements pris par la société Orange n'étaient pas répertoriés comme raccordables ou raccordables à la demande à l'expiration de la mise en demeure dont elle a fait l'objet. Il en résulte que des opérateurs fournissant des services de communication électronique ne pouvaient commercialiser leurs services via ces raccordements et les utilisateurs finals bénéficier de ces services alors que, compte tenu de l'existence de ces engagements, la probabilité que d'autres opérateurs réalisent les raccordements en cause en lieu et place de la société Orange était très faible. Eu égard à la gravité du manquement commis alors que, ainsi qu'il a été dit au point 12, les engagements souscrits étaient suffisamment clairs pour que la société Orange en mesure toute la portée, aux conséquences de ce manquement pour les opérateurs fournissant des services de communication électronique et les utilisateurs finals, et compte tenu du ralentissement du rythme de réalisation des engagements avant et pendant le délai accordé par la mise en demeure, le montant de 26 millions d'euros de la sanction pécuniaire infligée à la société Orange n'apparait pas disproportionné, la circonstance que la sanction serait plus sévère que celles qui ont été infligées par le passé par l'ARCEP en matière de communications électroniques étant à cet égard en tout état de cause sans incidence.
23. En dernier lieu, compte tenu de l'ensemble des éléments qu'elle a pris en compte, la formation restreinte de l'ARCEP n'a pas méconnu le principe d'individualisation des peines.
24. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les conclusions de la société Orange tendant à l'annulation de la décision attaquée.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Orange au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Orange est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Orange et à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 28 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jérôme Goldenberg
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge