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Ariane Web: Conseil d'État 472123, lecture du 14 octobre 2024, ECLI:FR:CESEC:2024:472123.20241014

Décision n° 472123
14 octobre 2024
Conseil d'État

N° 472123
ECLI:FR:CESEC:2024:472123.20241014
Publié au recueil Lebon
Section
M. Rémy Schwartz, président
Mme Pauline Hot, rapporteure
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public


Lecture du lundi 14 octobre 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 472123, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 13 mars, 13 juin et 2 août 2023 et le 2 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Institut Montaigne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les courriers des 11 mars et 29 septembre 2022 et du 26 janvier 2023 par lesquels la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) lui a demandé de procéder à son inscription sur le répertoire des représentants d'intérêts ou, à défaut, de faire état de ses entrées en communication avec des responsables publics français ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 475251, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 20 juin 2023 et le 2 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Institut Montaigne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la notification de manquements n° 2023-1 en date du 19 avril 2023 qui lui a été adressée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




....................................................................................


3° Sous le n° 487972, par une requête et un nouveau mémoire enregistrés le 4 septembre 2023 et le 2 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Institut Montaigne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la nouvelle version des lignes directrices relatives au répertoire des représentants d'intérêts de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique mise en ligne sur son site internet le 3 juillet 2023, entrée en vigueur le 1er octobre 2023 en tant qu'elle prévoit que les groupes de réflexion peuvent être qualifiés de représentants d'intérêts au sens de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 modifiée, notamment ses articles 18-1 à 18-9 ;
- le décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'Institut Montaigne ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de l'Institut Montaigne présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article 18-1 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : " Un répertoire numérique assure l'information des citoyens sur les relations entre les représentants d'intérêts et les pouvoirs publics. / Ce répertoire est rendu public par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. (...) / Ce répertoire fait état, pour chaque représentant d'intérêts, des informations communiquées en application de l'article 18-3 de la présente loi. (...) ". Aux termes de l'article 18-2 de la même loi : " Sont des représentants d'intérêts, au sens de la présente section, les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les organismes mentionnés au chapitre Ier du titre Ier du livre VII du code de commerce, au titre II du code de l'artisanat et au titre Ier du livre V du code rural et de la pêche maritime, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire en entrant en communication avec : 1° Un membre du Gouvernement, ou un membre de cabinet ministériel ; / 2° Un député, un sénateur, un collaborateur du Président de l'Assemblée nationale ou du Président du Sénat, d'un député, d'un sénateur ou d'un groupe parlementaire, ainsi qu'avec les agents des services des assemblées parlementaires ; / 3° Un collaborateur du Président de la République ; / 4° Le directeur général, le secrétaire général, ou leur adjoint, ou un membre du collège ou d'une commission investie d'un pouvoir de sanction d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante mentionnée au 6° du I de l'article 11 de la présente loi ; / 5° Une personne titulaire d'un emploi ou d'une fonction mentionné au 7° du même I ; / 6° Une personne titulaire d'une fonction ou d'un mandat mentionné aux 2°, 3° ou 8° dudit I, sous réserve d'un seuil d'application fixé à plus de 100 000 habitants pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. / 7° Un agent public occupant un emploi mentionné par le décret en Conseil d'Etat prévu au I de l'article 25 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. / Sont également des représentants d'intérêts, au sens de la présente section, les personnes physiques qui ne sont pas employées par une personne morale mentionnée au premier alinéa du présent article et qui exercent à titre individuel une activité professionnelle répondant aux conditions fixées au même premier alinéa. / Ne sont pas des représentants d'intérêts au sens de la présente section : / a) Les élus, dans l'exercice de leur mandat ; / b) Les partis et groupements politiques, dans le cadre de leur mission prévue à l'article 4 de la Constitution ; / c) Les organisations syndicales de fonctionnaires et, dans le cadre de la négociation prévue à l'article L. 1 du code du travail, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs ; / d) Les associations à objet cultuel ; / e) Les associations représentatives des élus dans l'exercice des missions prévues dans leurs statuts ". L'article 18-3 de la même loi dispose que " Tout représentant d'intérêts communique à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, par l'intermédiaire d'un téléservice les informations suivantes : / 1° Son identité, lorsqu'il s'agit d'une personne physique, ou celle de ses dirigeants et des personnes physiques chargées des activités de représentation d'intérêts en son sein, lorsqu'il s'agit d'une personne morale ; / 2° Le champ de ses activités de représentation d'intérêts ; / 3° Les actions relevant du champ de la représentation d'intérêts menées auprès des personnes mentionnées aux 1° à 7° de l'article 18-2, en précisant le montant des dépenses liées à ces actions durant l'année précédente ; / 4° Le nombre de personnes qu'il emploie dans l'accomplissement de sa mission de représentation d'intérêts et, le cas échéant, son chiffre d'affaires de l'année précédente ; / 5° Les organisations professionnelles ou syndicales ou les associations en lien avec les intérêts représentés auxquelles il appartient. Toute personne exerçant, pour le compte de tiers, une activité de représentation d'intérêts au sens du même article 18-2 communique en outre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique l'identité de ces tiers. Un décret en Conseil d'Etat, pris après un avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, précise : / a) Le rythme et les modalités des communications prévues au présent article ainsi que les conditions de publication des informations correspondantes ; / b) Les modalités de présentation des activités du représentant d'intérêts. ". Aux termes de l'article 18-5 de la même loi : " Les représentants d'intérêts exercent leur activité avec probité et intégrité. Ils sont tenus de : / 1° Déclarer leur identité, l'organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou entités qu'ils représentent dans leurs relations avec les personnes mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l'article 18-2 ; / 2° S'abstenir de proposer ou de remettre à ces personnes des présents, dons ou avantages quelconques d'une valeur significative ; / 2° bis S'abstenir de verser toute rémunération aux collaborateurs du président de la République, aux membres de cabinet ministériel et aux collaborateurs d'un député, d'un sénateur ou d'un groupe parlementaire ; / 3° S'abstenir de toute incitation à l'égard de ces personnes à enfreindre les règles déontologiques qui leur sont applicables ; / 4° S'abstenir de toute démarche auprès de ces personnes en vue d'obtenir des informations ou des décisions par des moyens frauduleux ; / 5° S'abstenir d'obtenir ou d'essayer d'obtenir des informations ou décisions en communiquant délibérément à ces personnes des informations erronées ou en recourant à des manoeuvres destinées à les tromper ; / 6° S'abstenir d'organiser des colloques, manifestations ou réunions, dans lesquels les modalités de prise de parole par les personnes mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l'article 18-2 sont liées au versement d'une rémunération sous quelque forme que ce soit ; / 7° S'abstenir d'utiliser, à des fins commerciales ou publicitaires, les informations obtenues auprès des personnes mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l'article 18-2 ; / 8° S'abstenir de vendre à des tiers des copies de documents provenant du Gouvernement, d'une autorité administrative ou publique indépendante ou d'utiliser du papier à en-tête ainsi que le logo de ces autorités publiques et de ces organes administratifs ; / 9° S'attacher à respecter l'ensemble des règles prévues aux 1° à 8° du présent article dans leurs rapports avec l'entourage direct des personnes exerçant les fonctions mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l'article 18-2. / Les présentes dispositions peuvent être précisées au sein d'un code de déontologie des représentants d'intérêts défini par décret en Conseil d'Etat, pris après un avis public de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. "

3. L'article 1er du décret du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d'intérêts, pris pour l'application de ces dispositions, précise notamment, s'agissant des représentants d'intérêts mentionnés à l'article 18-2 de la loi, que : " Les dispositions du présent décret sont applicables à toute personne mentionnée au premier alinéa de l'article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 susvisée, dont un dirigeant, un employé ou un membre consacre plus de la moitié de son temps à une activité qui consiste à procéder à des interventions à son initiative auprès des personnes désignées aux 1° à 7° du même article en vue d'influer sur une ou plusieurs décisions publiques, notamment une ou plusieurs mesures législatives ou réglementaires. / Ces dispositions sont également applicables à toute personne mentionnée au premier alinéa de l'article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 susvisée, dont un dirigeant, un employé ou un membre entre en communication, à son initiative, au moins dix fois au cours des douze derniers mois avec des personnes désignées aux 1° à 7° du même article en vue d'influer sur une ou plusieurs décisions publiques, notamment une ou plusieurs mesures législatives ou réglementaires. Ne constitue pas une entrée en communication au sens de l'alinéa précédent le fait de solliciter, en application de dispositions législatives ou règlementaires, la délivrance d'une autorisation ou le bénéfice d'un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, ainsi que le fait de présenter un recours administratif ou d'effectuer une démarche dont la réalisation est, en vertu du droit applicable, nécessaire à la délivrance d'une autorisation, à l'exercice d'un droit ou à l'octroi d'un avantage. "

4. Aux termes de l'article 18-6 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : " La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s'assure du respect des articles 18-3 et 18-5 par les représentants d'intérêts. / Elle peut se faire communiquer, sur pièce, par les représentants d'intérêts, toute information ou tout document nécessaire à l'exercice de sa mission, sans que le secret professionnel puisse lui être opposé. / Elle peut également procéder à des vérifications sur place dans les locaux professionnels des représentants d'intérêts, sur autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / La Haute Autorité protège la confidentialité des informations et documents auxquels elle a accès pour l'exercice de sa mission, à l'exception des informations et documents dont la publication est prévue à la présente section. / La Haute Autorité peut être saisie : / 1° Par les personnes mentionnées aux 1° à 7° de l'article 18-2 sur la qualification à donner, au regard du même article 18-2, à l'activité d'une personne physique ou d'une personne morale mentionnée aux premier et neuvième alinéas dudit article 18-2 ; / 2° Par les personnes qui y sont assujetties sur le respect des obligations déontologiques déterminées en application de l'article 18-5. / La Haute Autorité ou, par délégation, son président rend son avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Ce délai peut être prolongé de deux mois par décision de son président, après qu'il a informé l'auteur de la saisine. / Elle peut également être saisie par l'une des associations agréées par elle dans les conditions prévues à l'article 20. ". L'article 18-7 dispose que " Lorsque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique constate, de sa propre initiative ou à la suite d'un signalement, un manquement aux règles prévues aux articles 18-3 et 18-5, elle : / 1° Adresse au représentant d'intérêts concerné une mise en demeure, qu'elle peut rendre publique, de respecter les obligations auxquelles il est assujetti, après l'avoir mis en état de présenter ses observations ; / 2° Avise la personne entrant dans le champ des 1° et 3° à 7° de l'article 18-2 qui aurait répondu favorablement à une sollicitation effectuée par un représentant d'intérêts mentionné au 1° du présent article et, le cas échéant, lui adresse des observations, sans les rendre publiques. " L'article 8 du décret du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d'intérêts précise que : " La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique notifie au représentant d'intérêts le ou les manquements aux obligations lui incombant. Ce dernier peut adresser ses observations dans un délai d'un mois. / A l'issue de ce délai, la Haute Autorité peut, conformément au 1° de l'article 18-7 de la loi du 11 octobre 2013 susvisée, adresser une mise en demeure, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au représentant d'intérêts concerné. / Cette mise en demeure est susceptible de recours dans un délai de deux mois à compter de sa réception. "

5. Aux termes de l'article 18-9 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : " Le fait, pour un représentant d'intérêts, de ne pas communiquer, de sa propre initiative ou à la demande de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, les informations qu'il est tenu de communiquer à cette dernière en application de l'article 18-3 est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 ? d'amende ".

6. Les dispositions citées aux points 2 à 5 instituent un régime juridique applicable aux activités de représentation d'intérêts, comportant notamment les obligations résultant de l'article 18-5 de la loi du 11 octobre 2013 qui incombent aux représentants d'intérêts dans l'exercice de leur activité. Au nombre de ces obligations figure celle, instituée au 1° de cet article 18-5, pour les représentants d'intérêts répondant aux conditions posées par l'article 18-2 de cette même loi de déclarer leur identité, l'organisme pour lequel ils travaillent et les intérêts ou entités qu'ils représentent dans leurs relations avec les personnes mentionnées aux 1° et 3° à 7° de l'article 18-2. Les représentants d'intérêts sont également tenus, en vertu des dispositions de l'article 18-3, de communiquer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), par l'intermédiaire d'un téléservice, différentes informations portant notamment sur le champ de leurs " activités de représentations d'intérêts " et les actions en relevant. Les informations ainsi transmises sont mises en ligne dans un répertoire numérique, prévu par l'article 18-1, qui est public et destiné à assurer l'information des citoyens sur les relations entre les représentants d'intérêts et les pouvoirs publics. Une personne qui remplit les conditions posées par ces dispositions et le décret du 9 mai 2017 pris pour son application, est soumise aux obligations d'enregistrement, de déclaration et de comportement qui en résultent. Si la Haute Autorité, après avoir mis en oeuvre le cas échéant les pouvoirs qu'elle tient de l'article 18-6 de la loi du 11 octobre 2013 pour assurer le respect de ces dispositions par les représentants d'intérêts, constate un manquement à ces obligations, elle peut, après une notification de manquements qui ouvre une phase contradictoire avec la personne mise en cause, prononcer une mise en demeure, qui peut être rendue publique, et qui est susceptible de recours. Le représentant d'intérêts qui omet de communiquer, de sa propre initiative ou à la demande de la HATVP, les informations qu'il est tenu de communiquer à cette dernière en application de l'article 18-3, est passible d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende prévues par l'article 18-9 de la loi.

En ce qui concerne les " lignes directrices " contestées sous le n° 487972 :

7. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. Il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

8. Il ressort des pièces des dossiers que la HATVP a conduit, depuis 2020, des échanges avec plusieurs organismes de réflexion et de recherche, parfois dénommés " think tanks ", tels que, notamment, l'Institut Montaigne, la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation pour l'innovation politique et Terra Nova, afin de déterminer s'ils constituaient des représentants d'intérêts au sens des dispositions précitées de la loi du 11 octobre 2013. La HATVP a adopté de nouvelles " lignes directrices " relatives au répertoire des représentants d'intérêts, publiées sur son site internet le 3 juillet 2023, qui traduisent la position prise par le collège de la HATVP le 6 septembre 2022. Aux termes de ces " lignes directrices ", sont " susceptibles d'être qualifiées de représentants d'intérêts en application de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 : - les personnes morales de droit privé, quel que soit leur statut ou leur objet social (y compris celles qui remplissent une mission d'intérêt général ou qui sont reconnues d'utilité publique) : il peut s'agir de sociétés commerciales, de sociétés civiles, d'entreprises publiques, d'associations, de fondations, de syndicats, d'organismes professionnels ou de tout autre structure ayant la personnalité morale, tels que les organismes de recherche ou des groupes de réflexion (think tanks, etc) (...) ". Ces " lignes directrices " énoncent ainsi qu'un organisme de réflexion doit être considéré comme un représentant d'intérêts, soumis au régime et aux obligations déclaratives de la loi, à la seule condition qu'il exerce, à titre principal ou de façon régulière, des actions d'entrées en communication avec un responsable public afin d'influer sur une décision publique existante ou à venir. L'Institut Montaigne demande, dans cette mesure, l'annulation pour excès de pouvoir de ces " lignes directrices ".

9. Il résulte des dispositions citées ci-dessus de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique qu'elles s'appliquent, à l'exception des partis et groupements politiques, organisations syndicales de fonctionnaires, de salariés et d'employeurs, associations à objet cultuel, et associations représentatives des élus dans l'exercice des missions prévues dans leurs statuts, aux personnes mentionnées à l'article 18-2 qui représentent un intérêt au sens de la loi, à la condition qu'un ou plusieurs de leurs dirigeants, employés ou membres ait pour activité principale ou régulière d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire, en entrant en communication avec des décideurs publics.

10. Un organisme qui se consacre à une activité de réflexion, de recherche et d'expertise sur des sujets déterminés en vue de produire des travaux destinés à être rendus publics, ne saurait, à ce seul titre, être regardé comme un représentant d'intérêts, alors même qu'il entrerait régulièrement en contact avec les décideurs publics désignés par l'article 18-2 de la loi pour réaliser ses études ou travaux, faire part de ses conclusions ou promouvoir des propositions de réforme des politiques publiques qui pourraient en découler, une telle activité ne pouvant par elle-même être regardée comme poursuivant un intérêt au sens de la loi. En revanche, si, eu égard aux conditions dans lesquelles il est financé, aux modalités de sa gouvernance et aux conditions dans lesquelles ses études et travaux sont menés, cet organisme de réflexion poursuit la défense d'un intérêt au sens des dispositions de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013, il doit alors être regardé comme relevant des dispositions de cette loi, et notamment des obligations déclaratives qu'elle a instituées, dès lors qu'il remplit, par ailleurs, la condition tenant à l'exercice d'une activité principale ou régulière d'influence sur la décision publique.

11. Il suit de là que les " lignes directrices " de la HATVP contestées, qui conduisent à qualifier de représentants d'intérêts les organismes de réflexion à la seule condition qu'ils exercent, à titre principal ou de façon régulière, des actions d'entrées en communication avec un responsable public, méconnaissent, par suite et dans cette mesure, le sens et la portée des dispositions de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 précitées.

12. Il résulte de ce qui précède que l'Institut Montaigne est fondé à demander l'annulation des " lignes directrices ", publiées le 3 juillet 2023, relatives au répertoire des représentants d'intérêts de la HATVP en tant qu'elles prévoient que les organismes de réflexion peuvent être qualifiés de représentants d'intérêts au sens de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013 à la seule condition qu'ils exercent, à titre principal ou régulier, une influence sur la décision publique, en entrant en communication avec les décideurs publics énumérés par cet article.
En ce qui concerne les requêtes n° 472123 et 475251 :

13. Estimant que l'Institut Montaigne était, comme les autres organismes de réflexion de même nature, susceptible d'entrer dans le champ d'application des dispositions législatives et réglementaires rappelées aux points 2 à 5, la HATVP a, d'une part, par trois courriers du 11 mars 2022, du 29 septembre 2022 et du 26 janvier 2023, demandé à l'Institut Montaigne de s'inscrire au répertoire des représentants d'intérêts et de lui communiquer les informations relatives aux actions de représentation d'intérêts qu'il avait effectuées, ainsi que les moyens y afférents, ou, à défaut, de l'informer de toutes les démarches conduites en vue d'entrer en communication avec des responsables publics français, dans un délai déterminé. D'autre part, par une décision n° 2023-1 du 19 avril 2023, la HATVP, statuant sur le fondement de l'article 18-7 de la loi du 11 octobre 2013, a adressé à l'Institut Montaigne une notification de manquements au titre de l'article 18-3, retenant que celui-ci avait manqué à ses obligations, l'invitant à régulariser cette situation ou à lui faire parvenir ses observations dans un délai d'un mois et précisant qu'à défaut de mise en conformité dans ce délai elle pourrait lui adresser une mise en demeure, qui pourrait être rendue publique. L'Institut Montaigne demande l'annulation pour excès de pouvoir des trois courriers des 11 mars et 29 septembre 2022 et du 26 janvier 2023, ainsi que de la notification de manquements du 19 avril 2023.

14. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que si la HATVP constate l'existence d'un manquement aux obligations qui résultent des dispositions citées aux points 2 à 5, la notification de manquements constitue la première phase d'une procédure qui permet l'ouverture d'un débat contradictoire, au cours duquel la personne concernée est mise à même de présenter ses observations sur le manquement allégué. A l'issue de ce débat contradictoire, la Haute Autorité peut, le cas échéant, prononcer sur le fondement de l'article 18-7 de la loi du 11 octobre 2013 une mise en demeure, qu'elle peut décider de rendre publique, et dont le non-respect expose l'intéressée à l'application éventuelle des sanctions pénales de peines d'emprisonnement et d'amendes instituées par l'article 18-9 de la loi du 11 octobre 2013. Si la décision de mise en demeure est une décision faisant grief susceptible de recours, comme l'énonce l'article 8 du décret du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d'intérêts cité au point 4, il en va différemment de la notification de manquements qui lui a été adressée, laquelle a un caractère préparatoire, ainsi que des courriers qui l'ont précédée, par lesquels la Haute Autorité a invité l'Institut Montaigne, avant même l'engagement d'une procédure, à se conformer aux dispositions de la loi du 11 octobre 2013. La HATVP est ainsi fondée à soutenir que les requêtes n° 472123 et 475251 dirigées contre les courriers et la notification de manquements adressés à l'Institut Montaigne, actes ne faisant pas grief, sont irrecevables.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l'Institut Montaigne est seulement fondé à demander l'annulation des " lignes directrices ", publiées le 3 juillet 2023, relatives au répertoire des représentants d'intérêts, dans la mesure rappelée au point 11, et qu'il n'est en revanche pas fondé à demander l'annulation des courriers et de la notification de manquements qui lui ont été adressés par la HATVP.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'Institut Montaigne au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Les " lignes directrices ", publiées le 3 juillet 2023, relatives au répertoire des représentants d'intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sont annulées en tant qu'elles prévoient que les groupes de réflexion peuvent être qualifiés de représentants d'intérêts au sens de l'article 18-2 de la loi du 11 octobre 2013.
Article 2 : L'Etat versera à l'Institut Montaigne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les requêtes présentées par l'Institut Montaigne sous les n° 472123 et 475251 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Institut Montaigne, à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ainsi qu'au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.


Voir aussi